La Fondation Saint-Hubert à l’épreuve du concept EMES 

Impact de la logique économique sur les ateliers

Les difficultés économiques sont de véritables contraintes quotidiennes qui viennent complexifier la bonne marche des ateliers. Elles produisent deux effets principaux.
D’une part, il est très difficile, voire impossible de résister à ces difficultés dès lors que les ateliers ne peuvent pas se départir du client, même s’ils le souhaitaient. Bien souvent, des investissements ont été consentis (bâtiments, appareils de production) et de nombreux bénéficiaires réalisent l’activité. Abandonner le client est donc très difficile, car une fois le client parti, que faire des locaux et des équipements prévus ? En revanche et si le client externe trouve moins cher ailleurs, il n’a que peu de scrupules à laisser tomber le soustraitant, en l’occurrence les ateliers protégés. Car le client s’occupe de ses comptes et de son porte-monnaie avant tout. Et la noble cause consistant à confier du travail à des personnes en difficulté passe très rapidement au second plan, pour ne pas dire au dernier.
D’autre part, ces difficultés produisent de très sérieuses conséquences sur le management des ressources de l’institution. Les bénéficiaires, déjà précarisés par leur état de santé et leurs limitations, ne doivent pas avoir à supporter trop fortement les pressions économiques.
C’est ce que l’atelier protégé est censé au moins pouvoir garantir. Par conséquent, l’essentiel de la pression est reportée sur les épaules des cadres, c’est-à-dire sur la Direction, les responsables de centres, les maîtres socioprofessionnels et les ouvriers spécialisés. Poussés par l’envie de rester compétitifs économiquement et de montrer qu’ils sont capables d’être rentables après subvention, les responsables de centre tentent de faire l’impossible, pris en tenaille entre l’exigence des clients commerciaux, les difficultés d’encadrement des personnes handicapées et les nécessaires maîtrises des charges imposées autant par la Direction que par les contraintes de l’Etat. La gestion des ressources humaines, dans cette accumulation de contraintes, est et sera à l’avenir un des défis premiers de l’institution.
Cadres juridico-politique et économiques constituent les deux premiers piliers des contextes externes dans lesquels la Fondation Saint-Hubert évolue. S’y ajoute un troisième, le contexte social, à savoir l’évolution des bénéficiaires au gré de l’évolution générale des problématiques de santé.

CONTEXTES ET CONCEPTS

Contexte social

Evolution du public-cible

D’après ses statuts, la Fondation a pour mission d’accompagner les personnes au bénéfice d’un statut AI. Elle est d’ailleurs reconnue pour cela par l’Etat du Valais. Or, cette population suit actuellement une évolution double : la recrudescence des problématiques psychiques et l’appauvrissement global de la capacité de production des bénéficiaires due à la politique active de l’AI en matière de réinsertion.
A l’origine et comme nous l’avons dit plus haut, le public cible de la Fondation Saint-Hubert était composé essentiellement de personnes avec des troubles de santé physique et/ou des limitations intellectuelles. Avec le temps, un glissement s’est opéré et les problématiques psychiques se sont intensifiées, si bien qu’aujourd’hui, la population accompagnée se compose de trois tiers plus ou mois égaux: un tiers de handicap physique, un tiers de handicap mental et un tiers de handicap psychique.
Deux tendances accroissent encore les difficultés : l’augmentation du nombre de doubles voire de triples handicaps cumulés et l’accroissement de la proportion des personnes atteintes psychiquement par rapport aux deux autres catégories, et ce toujours plus lourdement. Cette aggravation est d’ailleurs bien mise en évidence dans le Rapport de planification 2012- 2016 du canton du Valais.
Il n’est contesté par personne, ni par l’institution, ni par le subventionneur, ni par les études scientifiques, que l’accompagnement socio-éducatif et socioprofessionnel des problématiques psychiques exige davantage de ressources humaines. D’une part, les relations humaines au sein des groupes sont plus complexes à gérer et nécessitent plus d’encadrement. D’autre part, les personnes en proie à des troubles psychiques sont beaucoup moins stables. Alors qu’il était courant par le passé que des bénéficiaires travaillent à plein temps, ne soient quasiment jamais malades et soient capables d’assumer une présence régulière, il est aujourd’hui avéré que les personnes atteintes psychiquement sont plus souvent absentes de leur lieu de travail. La régularité est ainsi extrêmement difficile à tenir et le travail des professionnels pour motiver les bénéficiaires et régulariser les situations délicates devient de plus en plus important.
Ce phénomène est amplifié par une deuxième évolution : la diminution des compétences professionnelles des bénéficiaires dues aux injonctions législatives de la LAI. Avec l’entrée en vigueur des 5ème et des 6ème révisions de la LAI, l’assurance invalidité s’est donnée les moyens d’éviter presqu’à tout prix le recours à l’atelier protégé. Les personnes jouissant d’une capacité de travail résiduelle et exploitable sont donc, à grand renfort de mesures de réinsertion et de plan de réadaptation, insérées dans l’économie libre. Sur un plan de politique sociale, c’est une excellent chose, tant sous l’angle de la cohésion sociale que de la maîtrise des coûts. Mais si l’on se place dans la perspective de l’atelier protégé, ce mouvement contribue à appauvrir les compétences et la productivité de l’effectif des bénéficiaires.

CONTEXTES ET CONCEPTS

Comment arriver à réaliser les activités commerciales et à satisfaire le client externe en respectant les délais et les quantités, mais en tenant compte de cette évolution du public cible? Voilà qui relève de la quadrature du cercle et qui fait peser une très forte pression sur la Direction, les responsables de centre et, globalement, les travailleurs sociaux de l’institution.

Employés ou bénéficiaires ?

La Fondation Saint-Hubert se retrouve ainsi face à des injonctions antagonistes quant à sa population.
D’un côté, elle doit disposer d’un effectif stable pour pouvoir répondre aux exigences économiques. Elle considère d’ailleurs ses bénéficiaires comme des employés qui jouissent de conditions de travail très proches des standards du premier marché. Sous l’ange salarial, salaires horaires et gratification composent le revenu qui, ajouté à la rente et éventuellement à des prestations complémentaires, permet à la personne de mener une vie décente. Sous l’angle assécurologique, la personne sous contrat bénéfice d’une assurance accident et d’une couverture du salaire en cas d’accident et de maladie. Sous l’angle de la prévoyance, elle a accès à une prévoyance facultative dans le cas ou elle ne peut pas être affiliée légalement à la prévoyance obligatoire. Les employés bénéficient donc de conditions de travail similaires à celles en vigueur dans l’économie réelle, officialisées par un contrat de travail en bonne et due forme. La Fondation verse à ses bénéficiaires, sous forme de salaire, près de la moitié de son chiffre d’affaires, soit Frs 3,5 millions de francs par an environ. Aucune autre institution sociale valaisanne, dans le domaine du handicap, ne tient la comparaison à ce niveau.
De l’autre côté, la Fondation Saint-Hubert est tenue par son rôle social. Si elle a le droit de licencier ses bénéficiaires pour des raisons d’inadéquation entre le travail et les difficultés de la personne, ou pour tout autre raison valable selon les conditions du Code des Obligations, elle ne peut pas faire recours au chômage technique. En cas de coups durs économiques, elle ne peut donc se séparer de son personnel et doit ainsi continuer à verser les salaires, alors que le chiffre d’affaires baisse. De plus, elle est contrainte d’offrir un encadrement social de qualité, rendant des prestations sociales de niveau élevé exigées par les labels qualités, afin de pouvoir prétendre à une subvention de la part de l’Etat.
L’évolution du public cible couplé aux contraintes économiques projettent la Fondation Saint-Hubert dans un espace de paradoxes permanents quant aux personnes dont elle a la responsabilité. Les personnes handicapées sont-elles avant tout des employés ? Dans ce cas, ne faudrait-il pas envisager de tourner l’activité résolument vers le pôle économique, malgré la péjoration des handicaps, et se séparer des personnes à faible rendement au profit des personnes à hautrendement ? Ou alors faut-il considérer que les personnes handicapées sont avant tout des bénéficiaires, soumis à de lourdes limitations et accessoirement employées ? Si l’on retient ce principe, ne faudrait-il pas songer à redimensionner les activités économiques en conséquence ? Bien que la question paraisse simple, il semble impossible d’y pouvoir répondre péremptoirement. La réponse se situe certainement entre ces deux antagonismes, à la recherche d’équilibrages constants, et dans la confiance que la société, via le canton, place dans la Fondation Saint-Hubert, de qui elle attend avant tout un rôle et une responsabilité sociale. Dans ce contexte de contraintes et de paradoxes permanents, mener une action cohérente en gardant une vision claire relève, en forçant un peu le trait, du miracle.

ATELIERS PROTÉGÉS OU ENTREPRISE SOCIALE ?

A ce stade de l’étude, après avoir exposé en détail les tenants et aboutissants des contextes internes et externes, le constat est patent : la Fondation Saint-Hubert est traversée d’enjeux tant économiques que sociaux. Il est ainsi légitime de se demander si cette organisation qui, loin d’être un phénomène unique dans le paysage suisse des institutions à vocation sociale, peut encore être taxée d’institution sociale justement ou si, étant donné le caractère économique de son activité et les compétences managériales qu’elle requiert, elle ne pourrait ou ne devrait pas être considérée comme une entreprise sociale, dénomination de plus en plus couramment utilisée d’ailleurs dans le domaine de l’insertion des publics précarisés.
L’objectif de cette section est d’essayer de soumettre la Fondation Saint-Hubert à l’épreuve du modèle de l’entreprise sociale et de comprendre en quoi ce modèle façonne l’identité et le positionnement même de l’organisation qu’est la Fondation Saint-Hubert. Pour ce faire, il est d’abord nécessaire de définir le concept même d’entreprise sociale.

Le concept d’entreprise sociale

L’approche européenne et le concept EMES

Cette partie prend appui sur différentes études qui se sont penchées en détails sur les concepts d’entreprise sociale et d’entrepreneuriat social. Pour mieux appréhender la complexité de ces concepts, nous renvoyons le lecteur aux monographies de Dunand et Dupasquier (2006), de De Jonckherre, Mezzena et Molnarfi (2008) et à l’article publié sur le site internet du CRIEC de Nyssens, Defourny, Gardin et Lavillle (2013), article qui présente l’intérêt de définir l’entreprise sociale dans sa dimension diachronique et intercontinentale. Nous renvoyons également à deux publications récentes très pertinentes :
La première est l’un des cahiers 2013 de la Revue Economique et Sociale publié par la HEG de Fribourg (Revue Economique et Sociale, Bulletin de la société d’études et économiques et sociales, 2013), qui regroupe diverses contributions de chercheurs autour des questions d’entrepreneuriat social.
La seconde est la somme des résultats du rapport de Crivelli, Bracci et Avilès (2012), rapport publié sous le sceau de la Scuola Universitaria Professionale della Svizzera italiana (SUPSI) et financé par le Fonds National de la Recherche Scientifique (FNRS). Cette étude est considérée comme la première étude de fond menée au niveau national englobant les multiples formes d’insertion par le travail qui présentent des caractéristiques similaires à celles des entreprises sociales européennes.
Selon Nyssens, Defourny, Gardin & Laville (2013), le concept d’entreprise sociale est très récent puisqu’il date du début des années 1990. Deux approches prédominent : l’approche anglo-saxonne et l’approche européenne. Nous n’entrerons pas ici dans le détail de l’approche anglo-saxonne, divisée elle-même en deux écoles, l’école des ressources marchandes et l’école de l’innovation sociale.
L’approche européenne mérite quant à elle qu’on s’y arrête, car elle préfigure la naissance de l’idéaltype de l’entreprise sociale tel que défini par l’EMES.
En Europe, c’est l’Italie qui s’est révélée pionnière en la matière en votant une loi offrant un statut de coopérative sociale à des coopératives dont l’objectif était l’intérêt général de la communauté pour la promotion et l’intégration sociale des citoyens. Cet objectif s’est réalisé à travers deux catégories ; une catégorie dans le champ socio-sanitaire et éducatif et une autre dans le champ d’activités industrielles, agricoles ou de services Les entreprises se réclamant de cette deuxième catégorie devaient recruter 30% de leur personnel au sein de publics défavorisés suivant des critères établis par l’Etat. Par la suite, des initiatives du même genre se sont développées dans toute l’Europe, certains pays ayant donné une reconnaissance juridique à ce type d’entreprise. Il en est ainsi en France en 2001 (statut de « société coopérative »), en Pologne en 2006 (statut de « coopérative sociale »), en Belgique en 1995 et au Royaume-Uni en 2004 (statut de « Community Interest Company »).
En 1996, un réseau européen de chercheurs s’est constitué pour étudier de plus près le développement de ce concept. Ce réseau, dénommé EMES, élabora une approche commune de l’entreprise sociale. Issue d’une collaboration entre les disciplines qu’étaient l’économie, la sociologie, la science politique et la gestion, cette approche a produit un modèle abstrait synthétisant les caractéristiques de cet entrepreneuriat. Dans ce modèle abstrait, les chercheurs ont défini des indicateurs permettant de déceler l’émergence d’entreprises sociales. Ces indicateurs sont au nombre de neuf : quatre indicateurs de nature économique et cinq de nature sociale35. Nyssens, Defourny, Gardin & Laville (2013) précisent que ces indicateurs ne forment pas un ensemble de conditions qu’une organisation doit remplir pour être qualifiée d’entreprise sociale. D’ailleurs, ces critères ne sont pas normatifs et ne se retrouvent pas in extenso dans les entreprises sociales analysées.

La réalité suisse

Au niveau suisse, la définition du modèle d’entreprise sociale est en retard par rapport à l’Europe.
Dans le rapport de l’étude financée par le FNRS, les auteurs imputent ce retard à plusieurs facteurs principaux : l’absence de cadre juridique, la prédominance du modèle fédéraliste comme frein à une 35 Indicateurs de niveau économique : 1. Production continue de biens et de services. 2. Degré élevé d’autonomie institutionnelle (vis-à-vis de l’Etat ou d’entreprises commerciales). 3. Niveau significatif de prises de risque économique sur le marché (par opposition à des organisations parapubliques entièrement financées par l’Etat. 4. Niveau minimum d’emplois salariés (par opposition à des bénévoles).
Indicateurs de nature sociale : 5. But d’intérêt collectif dont les besoins sont reconnus par lacollectivité (par ex : des personnes en situation de handicap). 6. Initiative à l’origine d’un groupe de citoyens (par opposition à une entreprise créée par l’Etat. 7. Processus de décision qui n’est pas basé sur la propriété du capital, mais basé sur un principe une personne/une voix (pour les coopératives et les associations). 8. Management participatif impliquant au maximum les parties prenantes.
Distribution limitée des profits, en partis réinvestis dans l’organisation, dans une logique qui n’est pas celle de la maximisation d’une entreprise capitaliste.
réflexion de dimension nationale et la différence de cultures socio-économiques selon les régions linguistiques. La Suisse n’est cependant pas restée les bras croisés. En Suisse romande, deux organismes se sont constitués dans le cadre du mouvement socio-économique alternatif dénommé « Economie sociale et solidaire » : la Chambre Vaudoise (dénommée « Après-VD ») et la Chambre Genevoise (dénommée « Après-GE »), qui ont permis de rendre visibles des entreprises qui existaient déjà, sous forme coopérative, depuis le 19ème siècle.
Christophe Dunand, professeur auprès de la HEG-Genève et directeur de l’entreprise sociale Réalise, fait office de figure de proue en matière d’entreprise sociale. Dans son article paru dans la Revue Economique et Sociale, il relève :

La notion d’entrepreneuriat social

Les concepts d’entreprise sociale et d’entrepreneuriat social se côtoient de près. Alors que le premier définit plutôt les contours de l’organisation, le second définit les concepts dans la dimension des compétences nécessaires au manager qui dirige ce genre d’organisation, appelé aussi entrepreneur social. Nous retiendrons ici les deux approches définies par Rossi, Martin & Straub dans leur article sur l’entrepreneuriat social, paru dans la Revue Economique et Sociale (2013). La première approche est l’approche personnelle. Elle permet de définir la personnalité de l’entrepreneur social selon cinq caractéristiques :
1. L’entrepreneur social est guidé par la mission sociale qu’il se donne et accorde donc une grande importance au long terme ;
2. L’entrepreneur social identifie les opportunités et les exploite ;
3. L’entrepreneur social innove (processus continu d’innovation, d’adaptation, d’apprentissage) ;
4. L’entrepreneur social prend des risques (=explore toutes les voies possibles pour obtenir les ressources nécessaires à la viabilité des projets et de l’organisation) ;
5. L’entrepreneur social donne de l’importance à la valeur créée.
La deuxième approche est une approche contextuelle. Elle cherche à définir l’entrepreneuriat social comme un produit de son époque et de son contexte sociopolitique et économique. Cette approche insiste sur les profondes modifications subies par le secteur social (concurrence croissante pour les ressources, nouvelles conditions de financement, nouvel état d’esprit).
Nous pensons qu’il était nécessaire de nous arrêter un instant sur ces notions, car elles nous permettront, dans la seconde partie du travail, de renforcer les recommandations, sous un angle lié aux compétences de Direction, pour la pérennité de la Fondation Saint-Hubert.

La Fondation Saint-Hubert à l’épreuve du concept EMES

Il n’est à notre sens pas indispensable de soumettre la Fondation Saint-Hubert aux multiples approches de l’entreprise sociale telles qu’elles existent et telles que nous les avons très brièvement esquissées ci-dessus. Nous prenons plutôt le parti de soumettre la Fondation Saint-Hubert aux neuf critères du modèle EMES. L’important est de donner un éclairage sur cette problématique. Afin d’éviter des réponses binaires oui/non, nous pondérons les critères selon des échelons de 1 à 5, 1 étant considéré comme pas du tout acquis et 5 complètement acquis.
Comme nous le voyons, la Fondation Saint-Hubert répond à une grande majorité des critères du modèle EMES de l’entreprise sociale. Même si elle est très liée à l’Etat du Valais, tant par son rôle dans le dispositif social valaisan que par la subvention publique dont elle dépend, elle garde malgré tout son identité propre. Les personnes interrogées prêtent d’ailleurs volontiers une vague notion d’entreprise sociale à la Fondation Saint-Hubert : c’est franchement le cas pour les deux personnes interrogées en interne de l’institution, ça l’est moins pour le Chef de Service de l’Action Sociale, qui considère la Fondation avant tout pour le rôle qu’elle joue dans le dispositif social des institutions valaisannes. Nous y reviendrons plus loin. Pour cette raison et pour éviter de ranger la Fondation dans une ou l’autre catégorie, nous préférons la placer sur un continuum à deux pôles, l’un étant le pôle social, l’autre économique. Chacun se fera une idée, selon sa position et ses réalités, de l’endroit exact où il voudra placer le curseur.
Mais l’intérêt de cette réflexion sur l’entreprise sociale réside à vrai dire bien ailleurs. L’absence actuelle d’identité juridique et de reconnaissance politique au niveau national du modèle d’entreprise sociale questionne, voire inquiète. Car cette absence ne permet pas de donner d’existence et de visibilité aux vrais problèmes et aux défis auxquels ce genre d’entreprise, dont la Fondation Saint- Hubert fait partie, doit faire face. Citons parmi ces défis la pondération des financements entre le public et le privé, la place et le rôle des entreprises du premier marché par rapport à ces entreprises sociales, les exigences de plus en plus lourdes formulées par les financeurs corrélés aux ressources mises à disposition, les contraintes liées à la nouvelle gestion publique, etc.
La nécessité de cette reconnaissance apparaît de plus en plus comme indispensable. D’où l’importance, pour la Fondation Saint-Hubert, de se poser la question de savoir s’il ne serait pas judicieux de rejoindre les organismes faîtiers qui travaillent en faveur de la reconnaissance du statut de l’entreprise sociale et, par là-même, de participer de manière plus intense à la réflexion autour des enjeux et des défis qui l’impactent aujourd’hui et qui contraindront encore davantage son activité demain.

D. SYNTHÈSE

A l’orée 2015, La Fondation Saint-Hubert est solidement ancrée dans le dispositif cantonal valaisan des institutions au service des personnes bénéficiaires de l’Assurance Invalidité. En excellente santé tant sous l’angle financier que sous celui de ses ressources humaines, elle est reconnue par la société valaisanne à la fois comme un partenaire économique, mais également pour le rôle social que sa mission lui attribue et pour laquelle le canton lui octroie sa confiance et son soutien financier année après année, dans une relation de partenariat.
Les différents contextes et concepts que nous avons explicités non-exhaustivement ci-dessus démontrent que les enjeux sont pourtant multiples et d’envergure, et qu’ils ne permettent pas à l’institution de camper sur ses acquis. Ces enjeux sont à la fois externes (évolution et complexification des dispositifs juridiques, pression des partenaires économiques, augmentation des exigences de l’Etat au plan de la gestion, pression sur l’allocation des ressources à moyen et long termes, etc.) mais également internes (réajustement permanents des moyens à la mission sociale, gestion de la tension entre le modèle institutionnel et entrepreneurial, péjoration de l’état de santé des bénéficiaires).
Quels seront les enjeux du futur ? Quels seront les défis qui vont se poser à la Direction d’une institution comme la Fondation Saint-Hubert ? Quels seront les compétences nécessaires à cette Direction pour donner une réponse claire et cohérente aux besoins de demain ? Voilà quelques questions auxquelles nous allons tenter de répondre.

ANALYSE

Cette partie doit permettre de mettre en évidence les enjeux les plus significatifs auxquels la Fondation Saint-Hubert se trouve aujourd’hui confrontée, enjeux qui constituent les clés de son avenir et de sa pérennité. Les contextes et les concepts explicités dans la partie précédente en donnent le cadre général mais ne suffisent pas à rendre compte de la complexité qui se joue au coeur même du fonctionnement et de la stratégie directoriale de l’institution. La démarche méthodologique qui a été choisie ici doit permettre de mettre en relief cette complexité.

PERSONNES RESSOURCES ET CHOIX MÉTHODOLOGIQUE

Pour mener à bien cette analyse, la problématique de notre étude a été soumise à des personnes pouvant satisfaire à plusieurs conditions :
Les personnes devaient avoir un lien professionnel avec l’institution, soit parce qu’elles y travaillent sur le plan de son management, soit parce qu’elles collaborent régulièrement avec sa Direction.
Les personnes devaient être capable de donner un éclairage sur l’institution en tenant compte de son contexte politique, économique et social et de développer une réflexion ayant trait aux dimensions managériales et stratégiques d’une organisation. Par conséquent, les personnes retenues ont une connaissance approfondie du contexte socio-économique du canton du Valais.
Les personnes devaient être capables d’inscrire leur réflexion dans une dimension diachronique, c’est-à-dire dans une temporalité tenant compte de l’histoire de l’institution, de ses enjeux actuels et des défis auxquels elle pourrait être confrontée demain au gré de contextes complexes et en mouvement.
Les personnes devaient être capables de poser un regard critique sur l’institution dans l’optique de pointer ses forces et ses faiblesses.
Quatre personnes (deux internes à la Fondation Saint-Hubert et deux externes) répondaient à ces critères et ont accepté de participer à la démarche de recherche. Nous les avons dès lors assimilées à des personnes ressources (abrégées désormais PR). Il s’agit de :
1. M. Yvan Rebord, actuel Directeur de la Fondation Saint-Hubert depuis 1993 (ci-après PR1).
2. M. Jean-Marcel Papilloud, actuel Directeur-adjoint de la Fondation Saint-Hubert, actif au sein de l’institution depuis 1975 (ci-après PR2).
3. M. Simon Darioli, Chef de Service de l’Action Sociale du Canton du Valais jusqu’au 31.12.2013 (ci-après PR3).
4. Mme Marie-France Fournier, Adjointe de Direction et Cheffe du Service de Réadaptation de l’Office cantonal AI du Valais (ci-après PR4).
Un questionnaire détaillé a été élaboré (voir annexe 2), constitué de trente-huit questions regroupées
en cinq catégories : 1. Aspects généraux ; 2. Politique sociale ; 3. Aspects économiques ; 4. Enjeux
futurs ; 5. Compétences managériales et stratégiques. Ces questionnaires ont été soumis tels quels aux deux personnes ressources de l’interne, qui les ont retournés complétés (voir annexes 3 et 4). Ils ont également servi de base pour deux entretiens enregistrés, que nous avons menés avec chacune des deux personnes ressources externes à l’institution. Ces entretiens ont été transcrits (voir annexes 5 et 6) et subdivisés en fonction des sujets abordés durant l’entretien. Toutes les données issues des questionnaires complétés et des entretiens ont été classés dans un tableau synoptique (voir annexe 7), servant de base à l’analyse.
Sur le plan du référencement, les écrits ou propos enregistrés sont cités et utilisés comme des supports à l’argumentation. Ils sont référencés selon le système suivant :
? pour les personnes ressources PR1 et PR2, le texte cité fait référence au numéro de la question. Par exemple [PR1, 5] renvoie à la 5ème question du questionnaire soumis à M. Yvan Rebord ;
? pour les personnes ressources PR3 et PR4, le texte cité fait référence au numéro de thème de la transcription. Par exemple [PR3, 8] renvoie au 8ème thème de la transcription de l’entretien avec M. Simon Darioli.
Sur le plan des autorisations, chaque personne ressource a donné son accord pour que les données soient utilisées dans le cadre de cette recherche.
Pour l’analyse des données, nous aurions pu suivre les articulations retenues pour les questionnaires soumis. Cette option a été écartée car nous avons estimé que l’analyse aurait manqué de recul et de pertinence. Nous avons donc opté pour une articulation plus réduite, qui permet de mettre en lumière les enjeux de manière dynamique tout en faisant ressortir les aspects saillants qui prêtent le plus à discussion. Nous avons ainsi retenu trois grandes catégories d’enjeux :
1. Les enjeux liés à la mission institutionnelle et à la gouvernance
2. Les enjeux socio-économiques
3. Les enjeux de management et de direction
Nous commencerons par discuter les questions de mission et de gouvernance de l’institution. Cette mission, telle qu’inscrite dans les statuts, est-elle en cohérence avec l’actualité ? Est-elle toujours alignée sur les besoins de la population et sur celle des organes de subventionnement ? Qui peut la remettre fondamentalement en question et dans quel but ? Quels sont les rôles et les fonctions du Conseil et de la Direction ?

SYNTHÈSE, DÉFIS ET RECOMMANDATIONS

Synthèse

Sur le plan interne, en remontant jusqu’à la naissance de l’institution et en déroulant le fil de son évolution, nous avons pu comprendre comment le passé impacte aujourd’hui le fonctionnement de la Fondation Saint-Hubert, de la nature productive de son exploitation jusqu’à son management. Sur le plan de la mission, nous pouvons affirmer sans risque qu’une modification de celle-ci ne pourrait provenir que d’une impulsion externe. Il est incontestable en effet que la mission de l’institution demeure tributaire davantage de la politique sociale que le canton voudra ou pourra mener que de la volonté des associations fondatrices de la Fondation Saint-Hubert ou de sa Direction. Sur le plan externe, nous avons également pu prendre la mesure des contingences extérieures qui impactent toujours plus fortement le fonctionnement et la conduite quotidienne de l’institution. Nous retenons spécialement :
La densification des dispositifs juridiques. Parmi ceux-ci, les trois lois-cadres que sont la RPT, la LIPPI et la LAI, ainsi que les ordonnances et autres règlements qui en découlent, constituent un maillage dans lequel les institutions sociales se retrouvent aujourd’hui de plus en plus enserrées.
La densification des injonctions politiques. En tant que responsable in fine de l’évolution des politiques sociales, le politique astreint les institutions sociales, dont la Fondation Saint- Hubert, à des réajustements continuels. En outre, la volonté de planification et de réponses aux besoins sociaux à long terme reste incontestablement sujette aux ressources publiques à disposition à court et moyen terme. En ce sens, le subventionnement des institutions sociales (fonctionnement et investissement), contractualisé sous forme de mandat de prestations, ne peut être correctement assuré que si les finances cantonales sont bonnes et que les responsables politiques en charge du dicastère social parviennent à faire valoir leurs doléances en priorité. Dans le contexte actuel pourtant, plus rien n’est tabou De nombreux domaines, que l’on pensait intouchables, sont concernés par les coupes budgétaires : santé, formation et éducation, fonctionnariat, infrastructures, etc. Il n’y a aucune raison de penser que le domaine social n’ait pas sa part d’efforts à réaliser. D’ailleurs, les directives données le 10 juin 2014 par Madame Waeber-Kalbermatten, cheffe du Département des Affaires sociales, de la Culture et de la Santé du canton du Valais, lors de sa rencontre annuelle avec les comités et les directions des institutions sociales, vont dans ce sens.
Le durcissement des règles économiques. En matière d’exploitation d’une quelconque activité économique, les règlementations ne vont pas en s’assouplissant. Depuis toujours, l’activité économique de la Fondation Saint-Hubert est traversée par les règles de l’économie.

CONCLUSION

C’est encore davantage le cas aujourd’hui : pression sur la triade prix/qualité/délais, concurrence mondiale et raccourcissement des cycles économiques entraînent de plus enplus de conséquences pour la Fondation Saint-Hubert, qui doit continuellement remettre en question le bien-fondé des activités économiques qu’elle exploite.
De ce contexte, de nombreux défis émergent. Nous mettons en exergue les trois défis qui nous semblent les plus importants et que la Fondation Saint-Hubert a et aura à affronter à court et moyen terme. Afin de rester synthétique, nous y associons de courtes recommandations, auxquelles il devrait être possible de donner des réponses opérationnelles claires. Nous proposons cette synthèse sous forme de tableau.

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Table des matières

Préambule 
I. Introduction et problématique 
A. Délimitation de la recherche
1. Contexte général
2. Problématique
3. Objectifs
B. Repères méthodologiques
1. Intention scientifique
2. Posture de recherche
3. Moyens méthodologiques
C. Articulations du travail
II. Contextes et concepts 
A. Contexte interne : La Fondation Foyers-Ateliers Saint-Hubert
1. Naissance, évolution et gouvernance
2. Population et modèle d’intervention
3. Ressources
4. Domaines d’activité stratégique (DAS)
5. Secteurs d’activité économiques
B. Contextes externes
1. Contexte législatif et politique
a. Aspects législatifs
b. Aspects politiques
c. Le Plan stratégique et le Rapport de planification 2012-2016
d. Le mandat de prestations et son impact sur la Fondation Saint-Hubert
2. Contexte économique
a. Ateliers protégés vs logique de marché : quelques exemples
b. Impact de la logique économique sur les ateliers
3. Contexte social
a. Evolution du public-cible
b. Employés ou bénéficiaires ?
C. Ateliers protégés ou entreprise sociale ?
1. Le concept d’entreprise sociale
a. L’approche européenne et le concept EMES
b. La réalité suisse
c. La notion d’entrepreneuriat social
2. La Fondation Saint-Hubert à l’épreuve du concept EMES
III. Analyse 
A. Personnes ressources et choix méthodologique
B. Analyse des enjeux
1. Mission et gouvernance
2. Enjeux socio-économiques
a. Volet économique
b. Volet social
3. Enjeux de management et de direction
a. Compétences
b. Fonction et posture de direction
IV. Conclusion 
A. Synthèse, défis et recommandations
1. Synthèse
2. Défis et recommandations
B. Le métier de directeur : compétences et valeurs
C. Bilan de la recherche, limites et ouvertures
1. Bilan de la recherche
2. Limites et ouvertures
V. Bibliographie 
VI. Liste des schémas, tableaux et graphiques 
VII. Liste des annexes 
VIII. Annexes 
Résumé

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