LA FONCTION ET L’UTILISATION DES ENSEMBLES DIDACTIQUES
La discipline historique: fondements et mรฉthode
Le programme du MรLS a revisitรฉ la discipline historique en reformulant ses objectifs, mais aussi les apprentissages visรฉs par rapport aux anciens programmes et par rapport aux nouvelles connaissances dans le domaine de l’รฉducation. Nous l’avons dit, trois compรฉtences sont retenues pour bien former ร la discipline historique : interroger les rรฉalitรฉs sociales dans une perspective historique, interprรฉter les rรฉalitรฉs sociales ร l’aide de la mรฉthode historique et construire sa conscience citoyenne ร l’aide de l’histoire.
Trois รฉlรฉments clรฉs peuvent รชtre dรฉgagรฉs de ces intitulรฉs. Premiรจrement, la perspective historique, autrement dit, l’attitude rรฉflexive que l’on exerce sur le passรฉ, le temps et les traces que l’on peut รฉtudier. Deuxiรจmement, la mรฉthode qui permet de mettre en ลuvre cette attitude rรฉflexive de faรงon pratique. Troisiรจmement, l’attitude rรฉflexive que dรฉveloppe la mรฉthode historique permet, selon le MรLS, le dรฉveloppement de la conscience citoyenne.
La perspective ou pensรฉe historique
La discipline historique permet de dรฉvelopper des ยซ outils de rรฉflexion qui rendent possible l’appropriation graduelle d’un mode de pensรฉe historiqueยป (MรLS, 2006, p. 337), mode de pensรฉe qui est un composite d’attitudes, de mรฉthodes et d’un langage propre ร l’histoire. Nous discuterons donc en quoi la pensรฉe historique est particuliรจre. Enfin, nous analyserons les fondements de cette pensรฉe.Tout d’abord, il faut considรฉrer l’histoire comme un mode de pensรฉe particulier et, comme le rapporte Prost, dรฉvelopper cette attitude rรฉflexive, c’est comme ยซ apprendre ร nager, c’est acquรฉrir l’habitude de rรฉfrรฉner ses mouvements spontanรฉs et de faire des mouvements contre natureยป (1996, p. 65). Nos mouvements spontanรฉs consisteraient ร faire une lecture superficielle des choses qui nous entourent, ร omettre la perspective du temps, ร oublier qu’une situation est souvent plus complexe qu’on ne le pense et qu’il faut prendre le temps de l’interroger et de l’analyser. Faire de l’histoire, c’est aller ร la source, comparer les versions, critiquer les tรฉmoignages, รฉtablir les faits. C’est ainsi changer le rapport que l’รฉlรจve entretient avec le savoir historique : adhรฉrer ร une logique de raisonnement plutรดt que de mรฉmorisation, nous reviendrons plus loin sur l’รฉcart entre le raisonnement et la mรฉmorisation. Cette idรฉe, de l’utilitรฉ de l’histoire comme mode de pensรฉe particulier, se retrouve souvent dans les รฉcrits scientifiques.
Par exemple, Wineburg note que ยซce n’est ni un processus naturel ni quelque chose qui apparaรฎt soudainement dans notre dรฉveloppement psychologiqueยท ยป (200 l, p. 7), nous laissant entendre que ce mode de pensรฉe doit s’apprendre. Martineau le remarque aussi: ยซ initier les jeunes ร l’histoire, c’est les introduire au mode de lecture bien particulier du prรฉsent qu’apporte la discipline historiqueยป (1999, p. 134), dรฉcouvrant la dimension d’un rรฉinvestissement possible d’outils intellectuels dรฉveloppรฉs par l’histoire dans des situations diffรฉrentes.
De plus, Lee (2004) porte la rรฉflexion un peu plus loin, dรฉmontrant aussi que faire de l’histoire ne rรฉsulte pas du sens commun et surtout qu’apprendre une version unique de l’histoire n’est pas valide. C’est bien au contraire de comparer des sources, des points de vue, des versions diffรฉrentes de l’histoire et d’analyser des traces du passรฉ qui peut prรฉtendre ร un dรฉveloppement d’outils intellectuels significatifs (p. 130). On ne fait plus de l’histoire pour savoir seulement ce qui s’est passรฉ, mais pour enquรชter, expliquer et rรฉflรฉchir (Hus bands, 1996, p.134). Or, la transmission d’un rรฉcit officiel a longtemps รฉtรฉ le credo de l’utilisation de l’histoire ร l’รฉcole. Ce changement de paradigme s’est rรฉcemment transposรฉ en une pรฉdagogie voulant รฉquiper les รฉlรจves d’outils intellectuels que l’on regroupe sous l’appellation ยซ pensรฉe historiqueยป (Laville, 2004). Qu’est-ce que ce mode de pensรฉe a de si particulier?
Le terme ยซ histoireยป vient du mot grec historia qui signifie ยซ enquรชte ยป. Autrement dit, faire de l’histoire, c’est sร isir, chercher le passรฉ, interprรฉter des traces et essayer de s’y retrouver dans la masse de faits historiques. Les faits sont les matรฉriaux principaux de l’historien, ce sont des preuves, mais au-delร de ceci, ยซ il n’y a pas de faits sans questions, sans hypothรจses prรฉalablesยป (Prost, 1996, p. 75). Ce qui fait l’histoire, c’est l’intรฉrรชt que l’on porte pour le passรฉ et il faut dรฉsormais distinguer sujet et objet.
En effet, ยซl’histoire est l’entreprise d’un sujet prรฉsent [ … ] une sCience active tendue vers un objet mortยป (Sรฉgal, 1992, p.45): elle n’a donc pas de sens sans interrogations, ni investissement personnel. Or, cet investissement personnel met en jeu la scientificitรฉ de l ‘histoire. Le principe mรชme d’une dรฉmarche scientifique est sa
โข Traduction libre
reproductibilitรฉ, la possibilitรฉ de vรฉrifier les rรฉsultats tout en tentant d’exclure les variables incontrรดlables comme la subjectivitรฉ des individus. En histoire, c’est la dรฉmarche de l’historien qui est garante de cette prรฉtention scientifique et qui vise davantage l’impartialitรฉ et la vรฉritรฉ en รฉlucidant ses implications personnelles pour atteindre une meilleure rationalitรฉ (Prost, 1996, p. 99). Ainsi, la subjectivitรฉ sera toujours prรฉsente et est mรชme nรฉcessaire pour explorer de nouvelles interrogations; ce qui importe, c’est ยซla combinaison d’un effort rigoureux vers l’objectivitรฉ et d’une conscience claire de la subjectivitรฉยป (Sรฉgal, 1992, p. 46). En fait, il faut se dรฉpartir d’une mรฉmoire historique รฉgocentrique et partiale, pour s’engager dans la comprรฉhension d’un passรฉ diffรฉrent et cette altรฉritรฉ poussera l’historien vers l’objectivitรฉ (Pomian, 1999, p. 335). Dรจs lors, cette attitude historique remet en cause un savoir historique figรฉ, dรฉjร produit, prรฉfรฉrant le processus de questionnement et de mise en perspective des rรฉalitรฉs sociales qui nous entourent. Cette attitude, c’est aussi ne pas accepter une seule version du passรฉ prรฉsentรฉe en dogme irrรฉfutable, mais plutรดt de l’aborder avec une attitude rรฉflexive et critique.
Cette attitude rรฉflexive, sur des faits ou des sources historiques, est dรฉcomposรฉe en trois niveaux de questionnement selon Husbands (1996, pp. 24-25): (1) des questions simples du type ยซ qui est l’auteur? ยป pour permettre de rassembler des informations basรฉes sur l’observation et la reconnaissance; (2) des questions requรฉrant un jugement de valeur du type ยซest-ce que l’auteur de cette lettre est raisonnable de croire en … ?ยป ; (3) des questions qui suscitent la comprรฉhension et le raisonnement du type ยซ Quelle interprรฉtation
de ces รฉvรจnements peut-on dรฉduire de ces faits rapportรฉs? ยป. Ces trois niveaux permettent
donc saisir les diffรฉrents niveaux de complexitรฉ pour une rรฉelle mise en ลuvre de la
perspective historique.
En somme, ce qui fait de la pensรฉe historique une attitude qui sort du sens commun, c’est bien cet effort de rendre intelligibles les traces du passรฉ en ayant une mรฉthode de travail rigoureuse. Ainsi, comme Sรฉgal le note, ยซ l’รฉducation historique insรจre un effort de rationalitรฉยป (1991, p. 16) dans la mรฉmoire, dans notre faรงon de percevoir le passรฉ et surtout dans l’utilisation qu’on en fait. La pensรฉe historique dรฉpend donc des habiletรฉs ร travailler avec des sources de faรงon critique pour construire un savoir raisonnรฉ et argumentรฉ par les preuves recueillies (Van Drie et Van Boxtel, 2008, p. 104). Cet effort varie en intensitรฉ et en complexitรฉ selon les niveaux de questionnement que l’on pose.
La mรฉthode historique
Cette pensรฉe historique est en quelque sorte le canevas dans lequel la pratique, les apprentissages seront rรฉalisรฉs. Par pratique, nous entendrons ici mรฉthode. Nous avons vu que le savoir historique est une construction, issue d’une question et alimentรฉe par la recherche et l’interprรฉtation de faits. Pour mieux comprendre la mรฉthode historique, nous verrons tout d’abord ses postulats thรฉoriques pour ensuite les illustrer par certaines รฉtudes. Le MรLS dรฉfinit la mรฉthode historique par trois รฉlรฉments (2006, p. 347). Premiรจrement, il faut รฉtablir les faits des rรฉalitรฉs sociales en questionnant, en se documentant, en faisant un tri des informations, en identifiant acteurs et tรฉmoins.
Deuxiรจmement, une fois les faits รฉtablis, il faut les expliquer en dรฉterminant les liens qui existent entre les divers facteurs et causes, d’une part, et les consรฉquences qui en dรฉcoulent, d’autre part. Troisiรจmement, l’interprรฉtation des rรฉalitรฉs sociales ainsi rรฉalisรฉe doit รชtre relativisรฉe et cette dimension critique de l ‘histoire garantit la ngueur scientifique de l’interprรฉtation.
De plus, la mรฉthode historique doit รชtre approchรฉe comme un apprentissage. La connaissance factuelle du passรฉ ne suffit pas; ce qui compte, rรฉpรฉtons-le, c’est plutรดt ยซ la quantitรฉ et la qualitรฉ des expรฉriences analytiques et critiquesยป (Martineau, 1999, p. 143) que les รฉl~ves auront en classe. Cette mรฉthode peut se dรฉcomposer, selon Martineau, en quatre รฉtapes:ยท la formulation d’hypothรจses, la recherche de donnรฉes, l’analyse et l’interprรฉtation des donnรฉes et, enfin, la conclusion ou prรฉsentation des rรฉsultats.
La pensรฉe historique qui encadre cette mรฉthode permet alors de dรฉcrire les changements, de comparer et d’expliquer des faits historiques. Van Drie et Van Boxtel (2008) prรฉcisent quel’utilisation des sources est importante, mais aussi de les mettre en contexte, d’รฉlaborer une argumentation interprรฉtative rigoureuse et d’utiliser les concepts propres ร l ‘histoire et ร sa mรฉthode.
Ainsi, nous retenons pour la mรฉthode historique la dรฉfinition suivante: c’est poser, raisonner et expliquer un problรจme ร partir des sources et des faits historiques. Proposer une mรฉthode est utile, mais elle n’est pas pour autant infaillible et peut encore moins se poser en dogme. Sa valeur vient plus de son exercice et du cheminement qu’elle propose et ยซ [ … ] d’un vรฉritable accรจs [ร son] sens de la part de l’รฉlรจveยป (Astolfi, 1997, p. 34). L’accรจs ร cette mรฉthode, autrement dit sa comprรฉhension, est donc conditionnรฉ par les occasions rรฉpรฉtรฉes de l’exercer.
Dans la littรฉrature anglophone, on retrouve plus souvent le concept de pensรฉe historique que celui de mรฉthode historique, mais qui englobe souvent des aspects pratiques qui ressemblent ร ce que le MรLS appelle la mรฉthode historique. En effet, certains auteurs dรฉcrivent l’apprentissage d’habiletรฉs liรฉes ร la pensรฉe historique. Ces comportements sont souvent issus de l’รฉtude et de l’analyse de documents historiques que nous appelons aussi sources. Nous nous limiterons aux cinq รฉtudes suivantes qui dressent un portrait juste, rรฉcent et global de la situation.
Vansledright (2004) rรฉsume ces habiletรฉs de travailler avec des sources historiques sous quatre aspects: (1) identifier une source, c’est d’abord connaรฎtre la nature de celle-ci (par exemple un article de journal, une image, son apparence, sa syntaxe, etc.) ; (2) attribuer correctement la source ร un auteur, ร un contexte social et ร un but pour lequel la source est รฉcrite; (3) critiquer cette source selon la perspective de la situation sociale, culturelle et politique de l’auteur et (4) valider cette source par d’autres corroborant les faits exprimรฉs.
Cette procรฉdure permet, selon l’auteur, de dรฉvelopper sa pensรฉe historique, autrement dit de dรฉvelopper la mรฉthode historique. Tally et Goldenberg (2005) concluent que les รฉlรจves engagรฉs dans de telles activitรฉs d’รฉtudes de documents historiques effectuent un meilleur apprentissage d’outils d’analyse et d’interprรฉtations transfรฉrables dans d’autres domaines. De plus, ces รฉlรจves reconnaissent qu’en utilisant de tels outils, ils se sentent plus actifs, se sont plus investis dans le processus d’apprentissage et ont rรฉalisรฉ qu’il y avait place, en classe d’histoire, ร la discussion et ร la construction personnelle de leurs savoirs. Ces rรฉsultats supportent les arguments du MรLS quand il propose de mettre les รฉlรจves au centre de leurs apprentissages, ce que la mรฉthode historique semble permettre.
Guide du mรฉmoire de fin d’รฉtudes avec la catรฉgorie ย LA CONSCIENCE CITOYENNE: VARIATIONS D’UN CONCEPT |
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Table des matiรจres
RESUME
SUBSTRACT
LISTE DES TABLEAUX
LISTE DES FIGURES
DEDiCACE
REMERCIEMENTS
INTRODUCTION
1. PROBLEMATIQUE
1.1. CONTEXTE PRATIQUE
1.1.1. La rรฉforme et l’รฉducation ร la citoyennetรฉ
1.1.2. Des prรฉoccupations qui ne sont pas nouvelles
1.1.3. Des rรฉsultats mitigรฉs
1.2. PROBLEME GENERAL
1.3. PROBLEME SPECIFIQUE
l.4. OBJECTIFS DE RECHERCHE
2. CADRE CONCEPTUEL
2.1. LA FONCTION ET L’UTILISATION DES ENSEMBLES DIDACTIQUES
2.1.1 La place centrale des ensembles didactiques
2.1.2 Leur fonction et leurs conditions de productions
2.1.3 Des qualitรฉs
2.1.4 Des limites
2.2. LA CONSCIENCE CITOYENNE: VARIATIONS D’UN CONCEPT
2.2.1 Le modรจle citoyen du MรLS
2.2.2 D’autres modรจles citoyens
2.2.3 รvolution de la conscience citoyenne
2.3. LA DISCIPLINE HISTORIQUE: FONDEMENTS ET METHODE
2.3.1 La perspective ou pensรฉe historique
2.3.2 La mรฉthode historique
METHODE HISTORIQUE ET CONSCIENCE CITOYENNE
2.4.1 L ‘attitude r~flexive
2.4.2 Relier le passรฉ au prรฉsent
2.5. RApPEL DU PROBLEME SPECIFIQUE ET DES OBJECTIFS DE RECHERCHE
3. METHODOLOGIE
3.1 DISCUSSION MรTHODOLOGIQUE
3.2 INDICATEURS RETENUS
3.2.1 La mรฉthode historique
3.2.2 La conscience citoyenne
3.2.3 La relation entre mรฉthode historique et conscience citoyenne
3.3 รCHANTILLON RETENU
4. PRESENTATION DES RESULTATS
4.1. L’ENSEMBLE DES DONNEES
4.1.1. L’ensemble des consignes pour chaque manuel
4.1.2. L’ensemble des consignes pour chaque guide
4.1.3. L’ensemble des consignes mixtes (l’ensemble didactique)
5. ANALYSE ET INTERPRETATION DES RESULTATS
5.1. FIDELITE DES RESULTATS
5.2. FIABILITE DES RESULTATS
5.3. ANALYSE ET INTERPRETATION DES RESULTATS
5.3.1. L’exercice de la mรฉthode historique
5.3.2. Le dรฉveloppement de la conscience citoyenne
5.3.3. Le lien entre la compรฉtence 2 et la compรฉtence 3
5.3.4. Manuel et guide: une diffรฉrence ?
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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