Le nouveau référentiel de compétences, impose la gestion de classe comme une compétence bien spécifique aux professeurs, contrairement aux autres personnels d’éducation. Cette compétence ne m’est pas apparue tout de suite essentielle. Il s’agissait pour moi de poser un cadre de règles du « vivre ensemble » dans la classe et de le faire respecter, j’ose dire « tout simplement ». Avant ma première rentrée, ma principale préoccupation était surtout la préparation du contenu, ne pas arriver les « mains vides » devant les élèves. J’ai effectué ma rentrée en septembre 2017, en tant que professeur des écoles stagiaire dans une école du 19ème arrondissement de Paris, classée en REP (réseau d’éducation prioritaire) avec 22 élèves de CE1. En faisant connaissance avec mes élèves, j’ai très vite compris qu’il allait falloir s’intéresser à cette compétence, que j’allais devoir apprendre à gérer ma classe efficacement. En effet, j’étais confrontée à des enfants qui éprouvent des difficultés à être élèves et à mettre du sens sur les apprentissages. J’entends par « ne pas savoir être élève » le fait de ne pas différencier l’enfant qu’il est en récréation, en dehors de la classe et de l’école, de l’élève qu’il doit devenir en entrant dans la classe, c’est-à dire un enfant qui ne joue plus, qui ne se bagarre plus, qui respecte le travail des autres et son propre travail et le cadre et les exigences nécessaires à ce climat.
Le gestion de classe, comme le définissent les professeures, en didactique Thérèse Nault, et en pédagogie France Lacourse « représente l’ensemble des gestes professionnels réfléchis et séquentiels qu’accomplit l’enseignant pour permettre à l’élève de réaliser des apprentissages ainsi que de développer sa socialisation et son autonomie. » Elles confirment ainsi l’exigence professionnelle de l’enseignant. Néanmoins, l’étude de la notion inclut également l’interaction avec les élèves, ce qui implique une contextualisation de la gestion de classe. Elles font référence à l’influence de la famille, de la culture et la société sur la gestion de classe qui suscite « la question de la frontière idéologique par rapport aux diverses conceptions familiales et sociétales du comportement civique et citoyen attendu. ».
La finalité du débat et la gestion de classe
Il s’agit ici d’approfondir la notion de débat philo et en quoi cela sert la gestion de classe.
Sur l’oralité en elle même que conduit la pratique du débat
Beaucoup de mes élèves rencontrent des difficultés avec l’écrit, ils peuvent se retrouver bloqués devant leur cahier de brouillon, quand on leur demande d’imaginer la suite d’une histoire par exemple. J’ai pu observer que certains étaient également bloqués pour parler d’eux-mêmes à l’écrit, pour se présenter en écrivant une lettre, pour exprimer ses émotions alors que les notions sont au tableau. L’articulation de la pensée par l’écrit n’est pas chose aisée pour eux et ils se débrouillent mieux par la verbalisation. Néanmoins, comme on a pu le voir précédemment, la communication ne s’effectue généralement pas dans le respect du cadre, et ils ne maîtrisent pas toujours le langage pour exprimer les idées avec les bonnes structures de phrases et les bons mots.
Certains pédagogues et professeurs se sont posé la question de l’opportunité du débat pour les élèves en difficulté ou en échec scolaire. Le professeur de philosophie Michel Tozzi réfute ces réticences qui interrogent la possibilité de réfléchir pour un élève qui ne maîtriserait pas correctement la langue. Selon Tozzi, « on peut améliorer sa pensée en travaillant la langue, mais on affine aussi son langage en travaillant sur sa pensée. » Il parle de « codéveloppement ». Il explique que « le langage(…) apparaît dans une discussion à visée philosophique comme un outil pour la pensée, et en travaillant sur l’élaboration de sa pensée, on travaille sur le besoin de précision dans la langue. » Je pense qu’effectivement le débat dans ma classe demande un véritable effort à mes élèves pour formuler leurs idées. Se retrouver à penser une question sérieuse, pas complètement en rapport avec les apprentissages, mais pour laquelle ils portent un intérêt, les oblige à puiser dans leur capacité à maitriser le langage. Il ne peut s’agir du langage familier qu’ils utilisent très souvent, parfois même en classe. J’ai pu observer cet effort en réécoutant les débats. Ils parlent d’ailleurs avec beaucoup plus d’hésitation et de balbutiements car les mots ne sortent pas spontanément. Ils cherchent un moyen d’exprimer leur pensée avec une certaine précision.
Sur la phrase « Dans la vie il faut se débrouiller tout seul. » lors du débat sur l’entraide :
Ewen : J’ai colorié, moi c’est parce que… moi…moi c’est parce que j’ai…j’ai envie…la vie c’est pas que d’avoir de l’aide il faut travailler tout seul aussi…alors… (…)
Inès : En fait dans la vie on peut pas tous aider(…) .
Deux choses me paraissent intéressantes dans ces extraits. D’abord, la difficulté pour Ewen d’exprimer sa pensée, l’hésitation, puis les répétitions pour ensuite arriver à la formulation d’une idée générale qui ne se fonde pas uniquement sur son expérience, témoigne de la complexité pour l’élève de formuler une pensée universelle, une vérité. Les points de suspensions indiquent d’ailleurs qu’il ne sait pas réellement terminer cette affirmation. Mais que ce soit lui ou Inès, je retiens ces phrases car elles témoignent également de l’effort de s’enrichir du vocabulaire et de la formulation utilisée en reprenant l’expression « dans la vie » ou « la vie » , ils semblent qu’ils tentent ici de nourrir leur pensée, d’élever leur réflexion par mimétisme, en souhaitant adopter ce nouveau langage.
Sur la discussion qui permet de créer une pensée réflexive commune
Corinne Roux-Lafay, professeur de philosophie, explique que la gestion de classe passe par l’instauration d’une discipline, terme qu’elle ose reprendre dans une acceptation kantienne comme permettant de cultiver la liberté et l’autonomie. Entre autres propositions visant à améliorer la gestion des élèves difficiles, elle souligne elle aussi le « besoin de reconnaissance et d’estime de soi » et la nécessité d’ « instaurer un climat de confiance en faisant droit à la parole de l’élève (…) et considérer avec Kant que penser par soi-même c’est d’abord penser avec les autres».
Cette estime serait ainsi un facteur facilitant la gestion du comportement des élèves, en ce qu’ils se sentent apaisés et moins enclins à détourner l’attention des apprentissages par un comportement dérangeant le groupe. On peut également souligner que si la gestion de classe est difficile pour les raisons suivantes : les élèves interviennent les uns en même temps que les autres et ne s’écoutent pas, se crient dessus, règlent leur compte pendant la classe, ou qu’ils expriment sans retenue leur déception de ne pas avoir été interrogés alors qu’ils avaient la bonne réponse ; cela n’a pas de possibilité d’être réglé s’ils n’apprennent pas à discuter ensemble. Il est nécessaire de vivre l’expérience de la discussion et apprendre à construire ensemble un raisonnement, une pensée, pour apprendre à travailler collectivement. C’est ce qui peut permettre au groupe classe de se fédérer et se retrouver dans des objectifs d’apprentissages communs.
Les relations de mes élèves durant les discussions semblent « dépassionnées », contrairement à d’autres situations d’apprentissages, où il n’est pas rare qu’ils se nomment, s’interpellent pour régler un problème personnel. Ce dernier point avait d’ailleurs fait échouer les conseils d’élèves en début d’année.
Au cours des débats que nous avons menés, les élèves parviennent à formuler leur désaccord sans être agressifs envers l’autre, et sans peur que l’autre ne s’énerve en face. Je n’ai observé aucun débordement à ce sujet. La conscience qu’ils ont de réfléchir ensemble sur une question les décentre de ce que cette question pourrait signifier dans leurs rapports interpersonnels en classe. Michel Tozzi observe d’ailleurs que l’enfant « peut vivre dans les discussions avec ses pairs l’expérience rare du désaccord cognitif dans la coexistence pacifique, ce qui augmente son seuil de tolérance et prévient la violence. » Je prends, à nouveau, l’exemple de l’une de nos discussions : « Qu’est ce que l’entraide ? » dont le sujet impliquait pour eux des références au vécu en classe.
Ahmès : Je l’ai colorié parce que l’aide… si on aide pas les autres, si on n’aide jamais les autres et ben toi on va jamais t’aider, et si on ne t’aide pas toi et ben ce sera mauvais pour toi et pour les autres. (…)
Inès : Moi je suis d’accord avec ça parce que quand je demande à quelqu’un qu’il me prête ses affaires gentiment et qu’il me dit non ensuite je demande à un autre élève et il veut et il me prête. Mais c’est que si je demande gentiment. (…)
Inès : En fait dans la vie on peut pas tous aider parce que il y en a qui n’ont pas fini de travailler et il y en a qui ne veulent pas aider et aussi il y en a qui qui ont fini de travailler mais qui ne veulent pas aider les autres parce qu’ils sont méchants avec eux.
|
Table des matières
INTRODUCTION
I. Le cadre du débat comme référence du cadre de classe
1. Le choix d’une pratique
1.1. Un contexte – un constat
1.2. La finalité du débat et la gestion de classe
2. La mise en place du débat en classe
2.1. La méthode
2.2. Les règles du débat
2.3. Les poursuites possibles en classe
II. L’influence des thèmes du débat sur la gestion de classe
1. Le choix des thèmes
1.1. Une discussion – un thème
1.2. Un arbitrage en lien avec la gestion de classe
2. Les observations en classe
2.1. Le débat sur l’entraide
2.2. Le débat sur le rôle de l’école
2.3. Le débat sur la sagesse
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES