Un arbovirus est un virus transmis biologiquement entre hôtes vertébrés par des arthropodes hématophages (Zeller, 1998). Depuis quelques décennies, l’émergence des maladies à transmission vectorielle constitue une véritable préoccupation pour les responsables de santé publique, les décideurs politiques et un défi pour les scientifiques. Parmi les arboviroses d’intérêt majeur en santé publique, il y a la dengue, la fièvre jaune, le chikungunya, le zika, l’encéphalite japonaise, la fièvre West Nile et la fièvre de la vallée du Rift (Delmont, 2003 ; Fontenille, 2017).
La fièvre West Nile (FWN) est une zoonose qui affecte principalement les oiseaux, l’homme et le cheval. Bien qu’endémique dans de nombreux pays, sa résurgence en Algérie en 1994, au Maroc et en Roumanie en 1996, en Tunisie en 1997, en Israël en 1950, 1980 et en 2000, en Italie en 1998, en France en 1962-1963, 2000 et 2015, aux États-Unis en 1999 et en Russie en 1999, 2010 et 2012 a provoqué des épidémies importantes (Paz, 2006 ; Zeller et Murgue, 2001). A Madagascar, le virus West Nile (VWN) fut isolé pour la première fois en 1978 et est considéré comme l’arbovirus le plus fréquent sur l’île (Fontenille et al., 1989). Ce premier isolement a été obtenu chez deux espèces d’oiseaux sauvages Egretta sp (Ardeidae) et Coracopsis vasa (Psittacidae) (Fontenille et al., 1989).
Etude bibliographique
Généralités sur les moustiques
Parmi les insectes, l’ordre des Diptères est numériquement important et regroupe de nombreuses familles dont les Culicidae ou moustiques font partie (Rodhain et Perez, 1985). En se basant sur des critères morphologiques, trois sous-familles ont été décrites dont les Toxorhynchitinae, les Anophelinae et les Culicinae (Rodhain et Perez, 1985). De nombreuses espèces culicidiennes ont été identifiées dans le monde dont 238 espèces sont présentes à Madagascar (Tantely et al., 2016a ; Brunhes et al., 2017).
Le cycle de développement des moustiques passe par plusieurs stades successifs: œuf, larves, nymphe et adulte . L’accouplement qui a lieu juste après l’émergence des adultes est suivi, pour les femelles, d’un repas de sang nécessaire pour assurer la maturation des œufs (Rodhain et Perez, 1985). Dans la plupart des cas, les femelles ne s’accouplent qu’une fois et conservent les spermatozoïdes dans leurs spermathèques (jusqu’à plus de 10 mois) (Rodhain et Perez, 1985). Les œufs sont par la suite pondus isolément ou en amas, le plus souvent à la surface de collections d’eau de nature très variable selon les espèces. A l’issue de l’éclosion, la larve se développe en passant par quatre stades séparés par des mues. Le quatrième stade larvaire est suivi d’un stade nymphal. Le phénomène d’émergence représente la libération de l’adulte, et assure ainsi le passage de la vie aquatique à la vie aérienne.
Importance médico-vétérinaire des moustiques
Les moustiques revêtent une importance considérable en médecine humaine et vétérinaire en raison de leur rôle dans la transmission de virus, de protozoaires ou d’helminthes. La fièvre de la vallée de Rift, la fièvre jaune, l’encéphalite japonaise, la dengue et le chikungunya sont des maladies virales dues aux virus des genres Flavivirus (Flaviviridae), Alphavavirus (Togaviridae) et Phlebovirus (Bunyaviridae). Ces agents pathogènes peuvent être transmis à l’homme par les moustiques des genres Aedes et Culex (Robert, 2012). Le paludisme, une maladie émergente des régions intertropicales et présent à Madagascar, est dû à un parasite sanguin du genre Plasmodium sp. La transmission de ces parasites vers l’homme est principalement assurée par les moustiques du genre Anopheles sp (Robert, 2012). La filariose humaine est aussi une maladie à transmission vectorielle due aux helminthes Wuchereria bancrofti et Brugia malayi. Ces parasites sont transmis à l’homme par les moustiques des genres Aedes, Anopheles, Culex et Mansonia (Robert, 2012).
Généralités sur la fièvre West Nile
Définition
La fièvre à virus West Nile (FWN) est due à un Flavivirus isolé pour la première fois chez une jeune femme en 1937 dans le district West Nile en Ouganda (Smithburn et al., 1940). C’est une zoonose transmise par les moustiques. Elle circule chez les oiseaux et peut affecter l’homme et d’autres espèces animales telles que le cheval.
Historique et répartition géographique
La FWN est une maladie émergente dont la distribution géographique est mondiale: Afrique, Asie, Europe, Amérique et Australie (van der Meulen et al., 2005). Les différentes souches du VWN se répartissent en huit lignages distincts (Grandadam et Renaudat, 2013). Les virus du lignage 1 ont été à l’origine de la majorité des épidémies jusqu’en 2008 et sont largement répartis en Afrique, en Europe, en Asie, en Amérique et en Australie (Calistri et al., 2010). Le lignage 2, initialement isolé en Afrique (Ouganda, Sénégal, République Centrafricaine, Kenya) a été défini comme le seul lignage circulant à Madagascar (Grandadam et Renaudat, 2013; Fontenille et al., 1989). Pourtant considérés encore récemment comme peu pathogènes (Jupp, 2001; Zeller et Schuffenecker, 2004), ces virus de lignage 2 ont été associés à plusieurs dizaines de cas d’infections neuro-invasives chez le cheval ou l’homme en Afrique du Sud en 2007-2008 (Venter et Swanepoel, 2010) et en Hongrie en 2008 (Kutasi et al., 2011). Les lignages 3 et 4 sont constitués par les seules souches prototypes qui ont été respectivement retrouvées en Hongrie et en Russie (Ciota et Kramer, 2013). Le lignage 5 regroupe les souches indiennes tandis que le lignage 6 a été isolé en Australie. Des souches du virus nommé Koutango, isolé au Sénégal à partir d’une gerbille, constitue le lignage 7 (Charrel et al., 2003).
Agent pathogène
Le VWN est sphérique et enveloppé d’une capside icosaédrique (Campbell et al., 2002). Son génome est constitué d’un ARN monocaténaire de polarité positive d’environ 11 000 nucléotides qui code pour trois protéines structurales (C, E, pré-M) et sept protéines non structurales (NS1, NS2a, NS2b, NS3, NS4a, NS4b, NS5) (Grandadam et Renaudat, 2013). La glycoprotéine d’enveloppe E est impliquée dans la reconnaissance du récepteur viral à la surface de la cellule. La réplication virale s’effectue dans le cytoplasme de la cellule-hôte, en étroite association avec le réticulum endoplasmique. L’assemblage des virions a lieu dans la lumière du réticulum endoplasmique et la libération des particules virales infectieuses se produit par exocytose.
Cycle de transmission
Le cycle principal de transmission du virus fait intervenir les oiseaux domestiques et/ou sauvages, les moustiques vecteurs ainsi que l’homme et le cheval . Ces derniers sont considérés comme hôtes accidentels car ils ne développent pas une virémie suffisamment élevée pour infecter les moustiques.
Le rôle des oiseaux domestiques et/ou sauvages dans l’écologie du VWN a été démontré pendant les années 1950 lors des études en Egypte (Taylor et al., 1956; Work et al., 1955). Les oiseaux constituent le principal réservoir et jouent le rôle d’amplificateur du virus quand les conditions sont défavorables à l’activité des moustiques (Zeller et Murgue, 2001), soit en hébergeant le virus pendant une longue période, soit en le transmettant directement entre individus sans l’intervention d’un moustique vecteur (Jourdain et al., 2013). La contamination de différentes espèces d’oiseaux par voie orale par ingestion d’une souris, d’une carcasse ou d’un moustique infecté a aussi été observée (Komar et al., 2002). Les oiseaux migrateurs sont également impliqués dans l’introduction du virus dans de nouveaux territoires et disséminent ainsi le virus dans le monde.
Les moustiques ornithophiles assurent le maintien du virus dans un cycle enzootique c’est-àdire sa transmission au sein des populations d’oiseaux qui sont définis comme des hôtes naturels. En revanche, la présence de vecteurs dits « ponts » (ou « bridge vectors »), moustiques se gorgeant à la fois sur les oiseaux et les mammifères, est à l’origine des épidémies humaines et équines car ces derniers servent de « pont » entre un réservoir infecté (oiseaux) et les mammifères (Kilpatrick et al., 2006).
D’autres modes de transmission du virus ont été décrits. Le virus peut être transmis entre humains par transfusion sanguine, transplantation d’organes, plus rarement par transmission fœto-maternelle et via l’allaitement (CDC, 2002; Hinckley et al., 2007; Iwamoto et al., 2003; Pealer et al., 2003).
Moustiques vecteurs de la fièvre West Nile
Le rôle vecteur des moustiques dans la transmission du VWN a été démontré en 1943 par infection expérimentale (Philip et Smadel, 1943). Il a été montré par la suite qu’un moustique pouvait s’infecter en ingérant un titre viral de 10¹∶⁵ PFU/ml contenu dans le sang (Komar et al., 2003).
Pour qu’un moustique soit infectant, le VWN doit infecter différents tissus cellulaires en franchissant deux types de barrières (intestinale et salivaire) (Chamberlain et Sudia, 1961; Hardy et al., 1983; Kramer et al., 1981). La dissémination du virus dans les différents organes a été bien décrite chez Cx. quinquefasciatus (Girard et al., 2004). Le virus infecte d’abord les cellules du tube digestif et gagne l’hémocœle après invasion des cellules intestinales. Par la suite, le virus arrive dans le système salivaire et se concentre dans la salive. La durée d’incubation extrinsèque est le temps nécessaire pour qu’un moustique devienne infectant après un repas sanguin.
Des essais réalisés en inoculant des femelles appartenant aux genres Culex, Aedes et Coquilettidia par voie intra-thoracique ont montré que la transmission du VWN est possible pour de nombreuses espèces. Ce qui a conduit à certains auteurs de dire que c’est la barrière intestinale qui est déterminante de la compétence vectorielle des moustiques pour le VWN (Akhter et al., 1982; Sardelis et al., 2001; Turell et al., 2005).
Dans le monde
Les vecteurs principaux du VWN en Amérique du Nord sont Cx. restuans, Cx. nigripalpus, Cx. pipiens, Cx. quinquefasciatus, Cx. salinarius et Cx. tarsalis (Artsob et al., 2009). En Egypte, ce sont Cx. pipiens, Cx. univittatus et Cx. antennatus (Taylor et al., 1956). En Israël, les vecteurs du virus sont Cx. perexiguus, Cx. pipiens et Ae. caspius (Orshan et al., 2008). En Inde et au Pakistan, les principales espèces impliquées dans la transmission du VWN sont Cx. tritaeniorhynchus et Cx. quinquefasciatus (McIntosh et al., 1967).
A Madagascar
La faune culicidienne malgache est constituée de 238 espèces dont 29 (12%) sont trouvées associées au VWN : 16 vecteurs potentiels, 9 vecteurs candidats et 4 vecteurs majeurs (Tantely et al., 2016a ; Brunhes et al., 2017). Ces espèces appartiennent à 8 genres : Aedeomyia, Aedes, Anopheles, Coquillettidia, Culex, Lutzia, Mansonia, Mimomyia. Quatre espèces ont été décrites comme vecteurs majeurs du VWN dont Culex quinquefasciatus, Cx. tritaeniorhynchus, Cx. univittatus et Mansonia uniformis (Tantely et al., 2016b).
Le statut vectoriel (vecteur potentiel, candidat ou majeur) des moustiques est basé sur trois critères : (i) compétence vectorielle (taux de transmission, taux d’infection), (ii) biologie (comportement trophique, abondance, durée de vie) et (iii) infection naturelle du moustique (Tantely et al., 2015 ; Tantely et al., 2016b). Lorsqu’un seul de ces critères est validé, l’espèce est considérée comme un vecteur potentiel, lorsque deux critères sont validés, elle est considérée comme un vecteur candidat et si les trois critères sont validés, elle est alors considérée comme un vecteur majeur.
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Table des matières
1. INTRODUCTION
1.1. Introduction générale
1.2. Etude bibliographique
1.2.1. Généralités sur les moustiques
1.2.2. Importance médico-vétérinaire des moustiques
1.2.3. Généralités sur la fièvre West Nile
2. MATERIELS ET METHODES
2.1. Sites et périodes d’étude
2.2. Capture des moustiques
2.2.1. Piégeage lumineux
2.2.2. Piégeage sous double moustiquaire
2.3. Prospection des gîtes larvaires
2.4. Identification des moustiques
2.5. Montage et identification des larves
2.6. Identification moléculaire de l’origine des repas de sang
2.6.1. Extraction d’ADN
2.6.2. Amplification d’ADN par PCR
2.7. Analyse des données
3. RESULTATS
3.1. Résultats des captures
3.1.1. Abondance et diversité des espèces capturées
3.1.2. Répartition des espèces selon les sites
3.1.3. Répartition des espèces selon la méthode de piégeage
3.1.4. Rythme nycthéméral des espèces capturées dans les doubles moustiquaires
3.1.5. Répartition des femelles gorgées dans les pièges et selon les sites
3.1.6. Collectes larvaires et typologie des gîtes
3.2. Origine des repas de sang identifiés par PCR
4. DISCUSSION
5. CONCLUSION
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXE