Le cycle de transmission de la FVR, une maladie dite « vectorielle »
Les maladies dites vectorielles, qu’elles soient humaines ou animales, présentent un schéma de transmission indirect commun : ce sont des maladies pour lesquelles l’agent pathogène (virus, bactérie ou parasite) est transmis d’un individu infecté (un hôte vertébré : homme ou animal) à un autre par l’intermédiaire d’un arthropode (insecte, tique) hématophage.
Plusieurs études ont montré que ces pathologies humaines ou animales sont liées de manière plus ou moins directe à l’environnement (paludisme, fièvre jaune, dengue, trypanosomose humaine/animale africaine, fièvre de la vallée du Rift ou fièvre catarrhale du mouton etc…) et que leur distribution est conditionnée par la présence des insectes vecteurs compétents dont la vie et la dynamique dépendent de variables telles que la température, l’humidité, les types de végétation etc…
Leurs émergences peuvent être une manifestation de la rupture d’équilibres écologiques, tels que ceux provoqués par des changements climatiques ou/et la modification des écosystèmes susceptibles de modifier l’aire de répartition de certains pathogènes et/ou vecteurs et de favoriser ainsi la propagation de la maladie (McMichael et al., 1996 ; McMichael et al., 2006 ; Morse, 1995) ou le résultat de l’intensification des échanges commerciaux ou humains (chickungunya, dengue). Dans le cas de la FVR, les vecteurs principaux de la maladie sont les moustiques. Par piqûre, ils peuvent transmettre le virus aux hôtes (hommes/animaux) de la maladie, la transmission est dite alors indirecte et horizontale .
D’autres modes de transmission du virus sont possibles :
via les œufs des moustiques, on parle alors de transmission transovarienne ou verticale ; par contact direct de l’homme ou de l’animal avec du sang ou des organes d’animaux contaminés. Par exemple, au moment des mises-bas, beaucoup de contaminations sont constatées chez les animaux qui ont été en contact avec le placenta du fœtus et de la même manière, on constate beaucoup d’hommes contaminés lors de l’abattage des animaux. Le virus pénètre chez l’homme par inoculation (blessure avec un couteau souillé), par inhalation (contamination de laboratoire) ou par ingestion (lait ou viande crus).
Les symptômes de la maladie
Chez l’animal :Chez l’animal, les symptômes de la maladie peuvent prendre des formes variées. Les premiers signes de la maladie se manifestent généralement après 1 à 6 jours d’incubation (source OIE) par l’apparition d’une forte fièvre pouvant s’accompagner d’un manque d’appétit, de vomissements, de diarrhées, d’un arrêt de la production laitière pour les femelles et pour les femelles gravides la perte de leur progéniture. Les avortements peuvent atteindre un taux de 85 % chez les bovins, 100 % chez les ovins et les caprins (source OIE).
Dans ses formes les plus sévères, on observe une forte mortalité chez les animaux. Généralement, ce sont les sujets jeunes qui connaissent un fort taux de mortalité. Pour les ovins et les caprins par exemple, le taux de mortalité est de 20 à 30 % chez l’adulte et de plus de 90 % chez les jeunes sujets. Pour les bovins, le taux de mortalité est généralement inférieur à 10 % et de 10 à 70 % chez les veaux (source OIE).
Chez l’homme :Comme chez l’animal, les symptômes de la maladie peuvent prendre différentes formes.
Dans la majorité des cas, c’est la forme bénigne qui est la plus courante. Certaines personnes peuvent être infectées sans présenter de symptôme spécifique. D’autres, après 2 à 6 jours d’incubation, peuvent développer une forme bénigne se caractérisant par une forte fièvre souvent accompagnée de maux de tête, de nausées, de vomissements. Les symptômes durent en général de quatre à sept jours, après quoi la réaction immunitaire peut être détectée avec l’apparition d’anticorps ; le virus disparaît alors progressivement de la circulation sanguine.
Dans ses formes les plus sévères, la pathologie peut prendre une forme oculaire (0,5 à 2 % des cas), une forme méningo-encéphalite (moins de 1 %) ou une forme fièvre hémorragique (moins de 1 %). Les deux premières formes apparaissent généralement 1 à 4 semaines après la manifestation des premiers symptômes, en revanche la troisième forme apparait rapidement 2 à 4 jours après les premiers signes.
L’influence des facteurs humains sur l’émergence de la FVR
Les déplacement des animaux par les circuits commerciaux ou par les transhumances sont probablement les facteurs principaux à l’origine de la diffusion du virus (Meegan et Bailey, 1988) à l’intérieur et en dehors du continent africain. En Egypte, l’introduction du virus dans les années 70 avait été incriminée aux camélidés venant du Soudan. Au Yémen et en Arabie saoudite par exemple, les importations de bétail en provenance de la Somalie, de nord-est du Kenya, de l’est de l’Éthiopie et d’une partie du territoire djiboutien ont été identifiées comme responsables de l’introduction du virus sur la péninsule arabique, entraînant en 2000 un embargo immédiat (Pinauldt, 2009). Dans ce réseau commercial, les marchés aux animaux deviennent alors des lieux à haut risque de transmission parce que le nombre et la concentration en animaux y sont très importants notamment en période de fêtes religieuses, comme l’Aïd El kabir, où la demande est très forte et les échanges intensifiés (Abdo-Salem et al., 2010b). L’exploitation des ressources et les aménagements humains, comme par exemple la construction des barrages, sont parfois rendus responsables de l’amplification du virus de la FVR dans une région. En Egypte par exemple, l’épidémie de 1993 avait été imputée à la construction du barrage d’Assouan qui avait conduit à la mise en eau de nouvelles terres et donc créé de nouvelles zones de ponte et d’habitat favorables aux moustiques ; de la même manière, la mise en service du barrage de Diama avait été tenue comme responsable de l’épidémie de 1987 au Sénégal (Lasserre et Descroix, 2005). Cela dit, la mise en cause de ces aménagements reste encore très controversée (Lasserre et Descroix, 2005).
Modélisation de la Fièvre de la Vallée du Rift
En Afrique de l’Est
Les modèles épidémiologiques développés pour l’Afrique de l’Est à partir de d’études de cas du Kenya sont essentiellement basés sur l’approche statistique intégrant une ou plusieurs variables climatiques et/ou environnementales. L’objectif étant de développer des modèles prédictifs des périodes à risque, les premières études ont surtout favorisé l’approche temporelle. C’est ainsi que dès 1985, Davies (1985) a mis en évidence la relation des surplus pluviométriques en Afrique de l’Est avec le nombre d’occurrences de foyers de FVR en Afrique de l’Est. Ces premiers résultats ont ensuite été poursuivis par Linthicum et al. (1987, 1990, 1991, 1999) qui ont élargi le champs de recherche des facteurs de risque aux relations entre différents indices climatiques et les occurrences de foyers de FVR observés au Kenya sur la période de 1950 à 1998. En 1987, Linthicum et al. ont montré que le NDVI, connu pour être un bon indicateur de la biomasse végétale au sol, était une mesure indirecte efficace pour détecter les évènements pluvieux et donc les périodes à risque de FVR. En 1990, Linthicum et al. montrent que le NDVI est également un bon indicateur de l’état d’inondation des Dambos, considéré comme l’étape préliminaire à une épizootie de FVR. Un indice spectrale, le PVAF (Potential Viral Activity Factor), dérivé du NDVI, s’est également révélé être un bon indicateur du facteur d’activité virale potentielle (Linthicum et al., 1987).
Le NDVI mensuel semble être un bon indicateur de risque, mais il ne permet pas, utilisé seul, de prédire les épisodes dans un délai suffisant. Linthicum s’est donc tourné vers des indicateurs climatiques permettant de prévoir deux à trois mois à l’avance des événements pluvieux importants (Linthicum, 1999). En plus du NDVI, il teste le SOI (Southern Ocillation Index) qui est un des indices mesurant les anomalies climatiques liées au phénomène El Niño et les valeurs de SST (Sea Surface Temperature, température de surface de la mer). Des déviations négatives importantes du SOI et des anomalies positives des indices SST sont connues pour être fortement corrélées aux fortes précipitations tombées en Afrique de l’Est (Nicholson, 1997).
En Afrique de l’Ouest
En Afrique de l’Ouest les modèles statistiques n’ayant pas donné de résultats aussi probants qu’en Afrique de l’Est, les recherches se sont élargies aux études des processus .
Les modèles statistiques :Pour l’Afrique de l’Ouest, les études menées sur la recherche de corrélations entre les surplus pluviométriques et l’occurrence de foyer de FVR n’ont pas montré de relation significative entre ces deux variables (Ndione et al., 2003), suggérant ainsi que d’autres facteurs interviennent dans l’émergence de la maladie dans cette région. Des études ont alors été menées sur la variabilité intra-saisonnière de la pluviométrie. C’est ainsi que N’Dione et al. (2008) observent que les profils pluviométriques des années de circulation virale coïncident avec une pluie tardive dans la saison des pluies précédée par une longue période de sécheresse. On peut néanmoins regretter que dans cette étude les profils pluviométriques des autres années n’aient pas été également étudiés. L’hypothèse émise par cette étude est que ces pluies tardives maintiennent à un niveau élevé les populations de Cx. poicilipes mais aussi l’éclosion tardive d’œufs d’Ae. vexans, favorisant ainsi l’émergence de foyers en fin de saison des pluies. En exploitant les conclusions de ces travaux, Caminade et al. (2010) utilisent les données de modèles climatiques régionaux pour identifier les évènements climatiques à risque de FVR et ainsi cartographier les zones géographiques à risque d’occurrence de FVR sur l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest. Dans cette étude, un évènement climatique à risque de FVR est défini comme l’occurrence d’un épisode sec de dix jours consécutifs suivi d’un pic de pluie durant la période septembre-octobre-novembre. La superposition de la distribution des hôtes et de la carte de risque climatique ainsi obtenue suggère que le nord du Sénégal et le sud de la Mauritanie sont des zones à risque de FVR en Afrique de l’Ouest. Cependant, les auteurs soulignent les limites des résultats calculés dans une grille de 50 km2. En effet, les résolutions spatiales des données pluviométriques et de températures (GPCP, NCEP et ERAINTERIM) utilisées dans l’étude ne peuvent être confrontées à des observations à l’échelle régionale et locale.
De ce fait, et compte tenu du caractère hétérogène de la distribution des foyers de FVR en Afrique de l’ouest, ces cartes ne peuvent être finement validées avec les données sérologiques de terrain. Les relations entre la pluviométrie et l’abondance des moustiques vecteurs de la FVR au Sénégal ont été étudiées par Bicout et Sabatier (2004) à partir de données entomologiques collectées durant les saisons des pluies de 1991 à 1996 (Fontenille et al., 1998). Les résultats de cette étude sont à prendre avec précaution, puisque les données de captures de moustiques utilisées pour le modèle sont discutables du fait que les lieux de captures n’étaient pas identiques d’une année sur l’autre ainsi que les types de pièges. De plus, par manque de données, il n’y a pas eu de validation externe du modèle. Néanmoins, les auteurs proposent d’améliorer le modèle en intégrant des variables environnementales comme l’intensité de la pluie, la nature du sol, l’évapotranspiration, la température et l’humidité.
La Fièvre de la Vallée du Rift au Sénégal
La FVR a fait son apparition au Sénégal suite à l’importante épidémie de 1987 qui a éclaté dans la région de Rosso au sud de la Mauritanie (Digoutte et Peters, 1989 ; Jouan et al., 1988). On estime que l’épidémie a été responsable de 200 à 300 décès, principalement suite à des fièvres hémorragiques (Lefèvre et al., 2003). Deux aires épidémiques ont été définies : l’une centrée sur Rosso (entre Keur Massène et Boghé) et l’autre située aux alentours du barrage de Foum-Gléïta, la ville de Kaédi ayant été épargnée.
L’aire épizootique a certainement atteint toute la rive droite du fleuve Sénégal et a débordé sur la rive gauche, entre Saint-Louis et Podor (Jouan et al., 1990). Les pertes en bétail, en particulier lors d’avortements, ont été considérables (Saluzzo et al., 1989). Depuis cette épidémie sans précédent, on observe en Afrique de l’Ouest une circulation active et régulière du virus qui se caractérise par une distribution spatiale très hétérogène .
En octobre 1993, une transmission active du virus a été détectée chez les petits ruminants dans plusieurs régions du sud de la Mauritanie, associée à une augmentation du nombre d’avortements (Zeller et al., 1995). A Barkedji, la même année, une enquête entomologique a permis d’isoler le virus à plusieurs reprises chez le moustique Ae. vexans, mais aucun cas clinique n’a été constaté chez les animaux (Zeller et al., 1997). En 1998, une deuxième épizoo-épidémie a sévi entre les mois de septembre et décembre dans la région du Hodh El Gharbi, au sud-est de la Mauritanie (Nabeth et al., 2001), n’ayant pas atteint le Sénégal. Six décès ont été enregistrés à l’hôpital d’Aïoun. Les analyses virologiques et sérologiques ont montré que 16,7 % des hommes prélevés avaient été infectés récemment (Nabeth et al., 2001). Parmi les animaux touchés par la maladie (chèvres, moutons et bovins), ce sont les moutons qui ont été les plus touchés avec une prévalence en IgM de 34,8 % sur 381 moutons testés (Nabeth et al., 2001). Enfin, en 2003, de nombreux troupeaux de petits ruminants ont été touchés par la maladie dans le delta et la vallée du fleuve Sénégal (Source OIE). A Barkedji, des enquêtes sérologiques ont montré que le virus circulait activement cette année là, ayant entraîné de nombreux avortements chez les animaux (Chevalier et al., 2005).
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Table des matières
Introduction
Chapitre 1 : Etat de l’art
1.1 Epidémiologie de la Fièvre de la Vallée du Rift
1.1.1 Historique et distribution de la maladie
1.1.2 Le cycle de transmission de la FVR, une maladie dite « vectorielle »
1.1.3 Les principaux vecteurs de la FVR
1.1.4 Les hôtes potentiels du virus
1.1.5 Les symptômes de la maladie
1.1.6 Les moyens de lutte
1.1.7 L’influence des facteurs humains sur l’émergence de la FVR
1.1.8 Les zones écologiques favorables à la maladie
1.2 Modélisation des maladies vectorielles et apports des outils géomatiques
1.2.1 L’approche statistique
1.2.2 L’approche par l’étude des processus
1.2.3 Apport des produits d’Observation de la Terre
1.3 Modélisation de la Fièvre de la Vallée du Rift
1.3.1 En Afrique de l’Est
1.3.2 En Afrique de l’Ouest
Chapitre 2 : Contexte de l’étude et données utilisées
2.1 Contexte épidémiologique
2.1.1 La Fièvre de la Vallée du Rift au Sénégal
2.1.2 Bio-écologie et cycle de vie des vecteurs de la FVR au Sénégal
2.2 Contexte géographique
2.2.1 Cadre général
2.2.2 Climat
2.2.3 Hydrologie
2.2.4 Contexte socio-économique
2.3 Données disponibles
2.3.1 Les données géographiques
2.3.2 Les données pluviométriques et hydrologiques
2.3.3 Les données entomologiques
2.3.4 Les données sur les hôtes
2.3.5 Les données sérologiques
2.3.6 Sélection des jeux de données pour l’analyse
Chapitre 3. Travaux personnels
3.1 L’approche spatiale par l’analyse paysagère : principaux résultats
3.1.1 Potentialités des images satellites pour la cartographie et le suivi de la dynamique des mares temporaires des zones arides
3.1.2 Déterminants paysagers du risque de transmission de la Fièvre de la Vallée du Rift à partir d’image THRS. Etude de cas réalisée à Barkedji (Ferlo, Sénégal)
3.2 L’approche temporelle par la modélisation : principaux résultats
3.2.1 Le potentiel de la télédétection et de la modélisation hydrologique pour le suivi spatio-temporel des mares de la région du Ferlo (Sénégal)
3.2.2 Un modèle hydrologique combiné à un modèle de dynamique de population de moustiques pour prédire les foyers de la Fièvre de la Vallée du Rift en Afrique de l’Ouest
Chapitre 4. Conclusions et perspectives
4.1 Apports thématiques : contribution à l’étude de l’éco-épidémiologie de la FVR au Sénégal
4.1.1 Importance des déterminants paysagers pour expliquer la distribution spatiale de la FVR
4.1.2 Importance de la dynamique des gîtes larvaires pour expliquer l’évolution des populations de moustiques vecteurs de la FVR
4.2 Apports méthodologiques : contribution à « l’épidémiologie paysagère »
4.2.1 Approche par l’analyse spatiale
4.2.2 L’approche par la modélisation temporelle
4.3 Perspectives
4.3.1 Perspectives de recherche
4.3.2 Perspectives opérationnelles
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