La fiction en milieu scolaire
Présence de la fiction au coeur des ressources sanitaires et sociales
Les centres de documentation et d’information du réseau national des documentalistes hospitaliers (RNDH) sont en majorité implantés dans un institut de formation aux carrières paramédicales, lui-même rattaché à un centre hospitalier. Ils dépendent de la fonction publique hospitalière, et sont sous la direction des ressources humaines. Ils ont une mission de service public qui les destine à répondre aux besoins documentaires des enseignants, étudiants et des personnels des différentes écoles et instituts du centre hospitalier. Leurs fonds documentaires sont majoritairement pluridisciplinaires, c’est-à-dire qu’il couvre les disciplines médicale, paramédicale et administrative, ou bien seulement paramédicaux.
Il est constitué d’ouvrages, d’abonnements, d’utilitaires (dictionnaires, encyclopédies..), de supports vidéo, et audio… (RNDH, 2014). Le réseau compte 300 adhérents dont 23 dans la région des Pays de la Loire où l’offre de soins et de formation paramédicale est importante. Le site internet du RNDH comporte une rubrique « Publications » qui diffuse des articles de presse écrits par ses adhérents dans des revues professionnelles telles que Cahiers hospitaliers ou Soins cadres. Cette dernière comporte une rubrique dédiée à la documentation. Le réseau pilote chaque année, à Paris, les Journées du RNDH au cours desquelles des colloques et des ateliers sont organisés autour d’un thème central. Par exemple, en 2009, l’évènement s’intitulait « Pour une documentation créative et hors les murs ». La première conférence était animée par Sylvie Leclerc Reynaud, professeur documentaliste et s’intitulait « La documentation créative : réflexion, analyse et aspect philosophique sur le travail documentaire ». L’auteur s’appuie sur les travaux de Raymond Ruyer, philosophe français dont la grande partie de l’oeuvre étudie les rapports complexes de la conscience et du corps, pour rappeler le concept polysémique d’information. Elle explique alors que « la véritable information est l’information psychologique, le sens », qui ne se mesure pas mais qui est dynamique, à l’opposé de l’information physique (écrits ou données) qui est visible et mesurable. Parmi un fonds pluridisciplinaire (paramédical et sciences humaines), le centre de documentation des Instituts de formation aux professions de santé (IFPS) du Centre hospitalier universitaire (CHU) d’Angers possède aussi un fonds de fiction. On recense sur sa base de données bibliographiques 280 documents de fiction sur différents supports : DVD, romans, bandes dessinées, romans graphiques. Les films et les romans sont classés sur des rayonnages à part au fond du centre de ressources. Sur la page d’accueil du portail documentaire il se trouve une rubrique « visitez nos rayonnages » dans laquelle une étagère virtuelle est dédiée à la fiction. On y trouve des films de Woody Allen, des frères Dardenne, de Jacques Audiard, des romans d’Anna Gavalda, d’Éric Emmanuel Schmitt, ou de Jean-Paul Sartre. Les thématiques abordées sont variées : vie quotidienne, éthique, relation soignant-soigné, personne âgée, maladie mentale, handicap, littérature…
Les centres de ressources documentaires de l’Association régionale des instituts de formation en travail social (ARIFTS), association loi 1901, appartiennent au réseau PRISME, réseau documentaire en sciences et actions sociales. Les usagers des centres de documentation du réseau sont les étudiants en majorité, les formateurs permanents et les travailleurs sociaux. Sa base de données bibliographiques se compose d’articles de revues, de livres et d’oeuvres audiovisuelles concernant le secteur social et médico-social et est alimentée par les centres de documentation du réseau. Sur 80 000 documents référencés, 23 sont des oeuvres de fiction cinématographiques dont les principales thématiques sont la religion, la jeunesse, la sociologie ou la pauvreté. Le centre de documentation du site angevin de l’ARIFTS comprend un fonds de fiction constitué de 28 films de fiction sur support DVD et 147 romans. Ces documents spécifiques sont rangés à part et ne sont pas inclus dans une thématique comme peuvent l’être les ouvrages d’étude.
Le savoir-être du documentaliste
L’Association des professionnels de l’information (ADBS) a réalisé, en 1998, un référentiel des métiers-types qui insiste sur les nécessaires aptitudes du documentaliste : « Les compétences mises en oeuvre par les professionnels qui exercent la documentation sont constituées à la fois de connaissances et d’aptitudes ». Selon l’ADBS, les connaissances ne suffisent pas pour bien exercer le métier de documentaliste ; il faut aussi maîtriser les comportements appropriés. Ceux-ci sont induits par des aptitudes naturelles ou acquises. 15 aptitudes sont retenues en général par tout métier-type lié à l’information : elles sont plus nécessaires que d’autres. La plupart d’entre elles sont tout aussi nécessaires dans beaucoup d’autres métiers, dès lors qu’ils reposent sur une activité de l’esprit et sur un rapport à autrui. Néanmoins elles sont décisives dans le profil d’un professionnel de l’information ». L’ADBS définit une aptitude comme une « disposition naturelle ou acquise induisant un comportement », et que l’on peut assimiler au savoir-être.
Parmi les 17 métiers répertoriés par l’ADBS du référentiel des métiers-types de 2001, trois métiers sont particulièrement proches du poste de documentaliste dans un comité d’éducation : assistant documentaliste, informateur-orienteur et documentaliste généraliste qui recensent en tout 9 aptitudes. Le groupe national des documentalistes en comités d’éducation pour la santé insiste le Guide de la documentation sur 7 d’entre elles : capacité de communication, capacité d’écoute, sens pédagogique, esprit d’équipe, sens de l’organisation, rigueur et faculté d’adaptation. De même, un métier est particulièrement proche du métier de documentaliste en institut de formation des filières sanitaires ou sociales : celui d’enseignant-documentaliste. Nous établissons cette comparaison dans la mesure où il « initie les étudiants de l’institut de formation à la recherche documentaire » et « met à la disposition des enseignants et des étudiants tous les documents (écrits, audiovisuels, informatiques, etc.) répondant aux besoins pédagogiques ou culturels » [ADBS, 2001]. Sa contribution pédagogique est importante : il facilite la démarche pédagogique des formateurs, aide les étudiants à s’auto-former et à acquérir une culture de l’information. Pour autant doit-il contribuer à leur éveil culturel comme le référentiel le préconise aux enseignants-documentalistes ?
Selon Bruno Guessard, documentaliste au centre hospitalier de Compiègne, le documentaliste en milieu enseignant travaille en collaboration avec l’équipe pédagogique et participe à la formation des étudiants. Dans un article de la revue Soins cadres, il écrit qu’ « une de ses missions est de veiller à ce que les étudiants utilisent « des documents d’origine diversifiée et à développer leur esprit critique ». Le documentaliste se doit d’être pédagogue et inventif. Ainsi il apporte une réelle plus-value à son activité documentaire, notion inhérente à sa mission fondamentale. Comme on peut le lire dans le référentiel des métiers-types établi par l’ADBS en 2001, la mission fondamentale du documentaliste est de « repérer, collecter, traiter et diffuser de l’information – en y incorporant de la valeur ajoutée, en vue de satisfaire des besoins d’information exprimés ou implicites et en proposant aux demandeurs des ressources informationnelles, généralement constituées par des « documents » (supports de données textuelles, iconiques, sonores ou électroniques) ». Les notions de valeur-ajoutée aux documents, de supports variés de l’information, et de besoins implicites des utilisateurs retiennent toute notre attention pour la suite de notre étude.
Romans et films de fiction, des médiateurs porteurs de sens
Le psychanalyste et auteur contributeur de la revue Connexions, Emmanuel Diet, développe un article autour des notions de fonctionnalités culturelles et médiatrices attribuées à l’objet culturel. Selon l’auteur, le roman ou le film est un objet intermédiaire, porteur d’une médiation symbolique et porteur de sens que chaque sujet pourra s’approprier en fonction de son histoire : « L’objet culturel est intermédiaire entre les sujets comme référence commune, prétexte, support et signe des liens. Il est marque d’appartenance. » C’est la raison pour laquelle, la transmission culturelle, scolaire ou non, est un « enjeu majeur de la subjectivation et de la socialisation… » L’oeuvre cinématographique comme l’oeuvre littéraire font médiation entre les sujets, les groupes, les générations et les cultures qu’ils contribuent à identifier, en constituant un « patrimoine symbolique de codes et de références ». L’auteur défend «l’idée même d’oeuvre comme paradigme créateur de valeur et de sens transmissible et partageable » et dénonce le sort qui lui est réservé dans la société hypermoderne dans laquelle nous vivons : pour lui, « l’emprise de l’image et du langage d’action, les séductions de la communication immédiate semblent avoir gravement mis en danger la construction psychique des jeunes générations privées des objets culturels et de leur fonction médiatrice et symbolisante dans le registre préconscient ». Ainsi, il donne toute sa place à la fonction de medium, représenté ici par l’objet culturel « qui permet de lier et de transformer », tel le documentaliste qui transmet des savoirs, un savoir-faire et un savoir-être.
Selon Paul Otlet, dans l’ouvrage clef de la documentation « Traité de documentation », le documentaliste a déjà un rôle d’intermédiaire, d’accesseur à l’information, et de donneur de sens. On pourrait dire que ce rôle d’accompagnement, de lien est aux fondements de la profession. Depuis les années 80 et l’informatisation de masse, et aujourd’hui plus encore en raison de l’accès du grand public aux technologies de l’information et de la communication (TIC), le métier de documentaliste subit une crise identitaire. A l’heure où la profession se questionne sur son utilité, sur le positionnement qu’elle doit adopter face à un public de plus en plus autonome face à l’information, et principalement sur son rôle de médiation dans le cadre du développement des ressources numériques, arrêtons-nous un moment sur un aspect qui concerne le contenu informationnel du document en observant un type de fonds spécifique qui a la potentialité de diffuser une information informelle et enrichissante : la fiction.
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Table des matières
INTRODUCTION
I- DEFINITION DES CONCEPTS : DOCUMENTATION, EMPATHIE, FICTION
1.Documentation du secteur sanitaire et social : de l’importance de la médiation
1.1 Présence de la fiction au coeur des ressources sanitaires et sociales
1.2 Le savoir-être du documentaliste
1.3 Romans et films de fiction, des médiateurs porteurs de sens
2.La fiction au service de l’empathie
2.1 Définitions
2.2 La fiction nous ouvre aux autres et « humanise » notre vision du monde
3.La fiction en centre de documentation ou l’essentielle médiation
3.1 La fiction ou la dimension informelle de l’information comme support à l’éducation
3.2 La fiction, un outil pédagogique vertueux
3.3 La fiction pour le plaisir ne répond-elle pas à un besoin universel
II- ENQUETE FORMELLE ET INFORMELLE AUPRES DES DOCUMENTALISTES
1.Méthodologie
2.Analyse des résultats
2.1 Un fonds bien présent
2.2 Comment ? Pour qui ? Pourquoi
2.3 Les fonds de fiction : support pédagogique, uniquement
3.Discussion
3.1 Discussion à propos de la méthodologie
3.2 Discussion à propos des résultats
III- ENJEUX ET PERSPECTIVES
1.La notion de transversalité de la fiction
1.1 Du point de vue du public, usager et citoyen
1.2 Du point de vue du professionnel, pédagogue et médiateur
2.Perspectives
2.1 La fiction en milieu scolaire
2.2 La fiction, ressource pédagogique pour la formation par simulation en santé
CONCLUSION
ANNEXES
BIBLIOGRAPHIE
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