Le monologue de Zoulikha Oudai :
Dans notre corpus, l’histoire s’articule essentiellement autour de Zoulikha Oudai,dont nous avons déjà cité l’histoire, l’héroïne Zoulikha est le personnage le plus important dans cette œuvre. Il est à mentionner que l’histoire de ce personnage est véridique, donc l’auteure n’avait pas à inventer beaucoup de choses à propos d’elle, Assia Djebar s’est mise dans une situation de fidélité historique pour transmettre cette histoire ou comme le dit Djebar dans l’avertissement du début du roman, « selon une approche documentaire ». Un fragment de l’histoire est narré par ce personnage principal, elle intervient dans l’histoire à la soixante-septième page du roman pour répondre aux questions posées par son entourage. Que lui est-il arrivé ? Comment est-elle morte ? Qu’a ton fait de son corps ? En effet, c’est ce que Edouard Dujardin nomme « monologue intérieur » et le définit comme tel « un discours sans auditeur et non prononcé par lequel un personnage exprime sa pensée la plus intime, la plus proche de l’inconscience » . Dans quatre monologues, découpés en chapitres, Zoulikha raconte minutieusement, à la fois, sa vie, l’énigme de sa disparition et son histoire au – delà de la mort. Elle s’adresse notamment à sa fille Mina et y parle de sois même de toute son enfance jusqu’à sa disparition. Nous avons quatre chapitres qui peuvent illustrer cela mais nous en choisissons :
1. « quand il m’ont sortie de la foret et que j’ai franchi la linge d’ombre, ce n’est pas le rassemblement des paysans, en large demi- cercle, tout au fond, qui me frappa, juste sous les deux ou trois hélicoptères qui ronronnaient assez bas, non ma chérie, mon foie palpitant, ce qui me sauta au visage, aux yeux, à tout mon corps épuisé(je ne sentais pas, depuis des jours et des nuits, la fatigue), ce fut la lumière. »
2. « Toi, ma Mina, je ne te disais pas que je me rendais aux convocations du commissaire Costa. Maison tu savais qu’il y avait secret, tu sentais que le danger approchait, de plus en plus près ; tu levais les yeux vers moi, les prunelles aigues, à l’affut, tu te forçais bravement à me sourire. »
3. « De la longue durée de la torture et des services, ne te dire que le noir qui m’enveloppait. Peut-être étais-je étendue dans une tente, peut- être dans une cahute de compagne-le camp immense des suspects, des arrêtés pour les interrogatoires, ne semblait pas loin. Ils s’étaient querellés entre eux, moi couchée : l’un deux dont je n’avais pas reconnu la voix avait crié par deux fois, que ma détention était « illégale » qu’au camp(je n’ai pas retenu le nom) je devais être transporté. »
Dans ces trois extraits, nous remarquons l’effacement du narrateur » extradiégétique » ; cependant, la narratrice » intradiégétique » cite ses » discours intérieurs » à la première personne » je » à laquelle elle joint le verbe déclaratif » dire « .Ils résument également les quatre monologues de Zoulikha Oudai. Elle explique dans le premier extrait le déroulement et son ressenti lors de son arrestation. Dans le deuxième extrait, le personnage principale s’adresse directement à sa fille Mina et ressasse le passé, elle évoque également ses souvenirs en tant que mère et maquisarde. Quand au troisième extrait, la narratrice fait part de ses souffrances et la torture qu’elle a subie pendant son emprisonnement. Et encore beaucoup de passages dans lesquels, Zoulikha est présente par sa voix qui raconte elle-même sa propre histoire.
Voix de Dame Lionne :
Dame Lionne appelée aussi « La Lbia », est l’amie intime de Zoulikha, c’est dans cette voix que se cache l’âme de la jeunesse de l’héroïne. Cette ancienne cartomancienne et laveuse des morts, vit isolée dans sa maison, et n’en sort qu’occasionnellement, mais elle connait beaucoup de choses concernant l’histoire de l’Algérie durant la guerre de libération, et c’est ce qui donne une grande importance à son rôle dans la reconstitution de l’histoire de Zoulikha. Elle devient narratrice dans le roman qu’au chapitre neuf intitulé « la dernière nuit que Zoulikha passa à Césarée… » . Ce personnage narrateur intervient dans le roman pour ressasser les actes héroïque de Zoulikha à Mina et son amie la visiteuse.« Zoulikha vint un jour frapper à ma porte, avec Hania, sa fille ainée. Moi je ne savais pas alors que, depuis quelques jours au moins, Zoulikha ne demeurait plus chez elle, mais s’abritait tantôt ici, tantôt là. Je vis aussitôt que son visage était changé ! Je fis entrer les deux femmes dans une pièce au fond ».Cette narratrice est aussi personnage dans le roman, elle est explicitement représentée par le pronom personnel « je » et le pronom possessif « ma ». Elle raconte l’histoire en évoquant, à certains moments, des événements antérieurs au stade de l’histoire ou l’on se trouve, c’est ce que G. Genette désigne par « analepse » . Nous allons donc tenter de relever les principales « analepses » dans ce récit dont le rôle ne peut qu’être important pour l’organisation du récit : « Ainsi, Zoulikha commença son travail secret dans la ville. Au début, elle vient une fois par mois, pour les contacts avec Fatima et Assia. Celles-ci allaient partout, dans les maisons riches comme chez les plus modestes, et même dans les écoles !… à chaque fois, elles revenaient chez moi avec leurs récoltes, et moi j’emmagasinais. Puis les visites de Zoulikha se firent une fois par semaine environ ». Dans ce passage, Dame Lionne s’adresse à Mina et à la visiteuse, comme nous l’avons mentionné plus haut, et se remémore les premiers pas de Zoulikha en tant que maquisarde. « Le récit premier » est interrompu par cette « analepse », car cette narratrice revient sur un épisode passé pour mieux expliquer l’histoire de Zoulikha et pour connaitre d’avantage son personnage. Ce segment analeptique à des fins purement explicatives pour nous renseigner sur les antécédents de Zoulikha. Nous constatons ainsi que cette narratrice recourt au retour en arrière qu’à l’anticipation sur un élément ou un événement à venir.
Le passage de Hania : l’âme de Zoulikha
Hania est un personnage marquant dans ce roman, d’ailleurs elle donne, en parlant de sa mère, l’impression qu’elle n’est pas seulement sa fille, du fait qu’elle soit la fille ainée de Zoulikha, elle se comporte comme étant sa sœur, puisqu’elle partageait avec sa mère la plus grande partie du combat de cette dernière. Elle se rappelle bien de tout, elle ne manque aucun détail pour aider la visiteuse à tisser une image de Zoulikha, l’absente avec son corps et présente avec les souvenirs de sa fille. Hania, n’a pas seulement vécu longtemps avec sa mère, mais elle a aussi hérité son visage, elle lui ressemble de façon notable. Le côté physique de Zoulikha est donné à travers l’image que la narratrice et les lecteurs ne peuvent pas voir, mais peuvent imaginer à travers Hania : « -tout le monde, O Hania, tout le monde dit que tu ressembles à Zoulikha, comme une sœur Jumelle !(…) » Hania est une femme habitée par l’âme de sa mère, elle ne parle que d’elle et regrette de n’avoir jamais pu retrouver la sépulture de sa mère : « J’étais sure, pourtant, que, sitôt que nous pourrions parvenir jusqu’à la forêt d’où ils l’avaient sortie, ce jour néfaste, devant tous les vieux paysans des douars rassemblés, je la chercherais, je la trouverais : vivante ou morte !… j’étais sure de cela. Plusieurs fois je vis dans un rêve, sa sépulture : illuminé, isolé, un moment superbe, et je pleurais sans fin devant ce mausolée. Je me réveillais en larmes et il fallait reprendre un visage normal,) cause des petits ».Dans ce passage, Hania s’adresse à la visiteuse qui fait un documentaire sur Zoulikha Oudai et se livre à l’intervieweuse, elle lu i fait part de ses sentiments et de son désespoir. Hania, étant l’ainée de sa mère, a pris la responsabilité de sa sœur et de son frère depuis que sa mère soit montée aux maquis : « Elle posa l’assiette des cornes-de-gazelle et des bouchées d’amande et de noisette. Elle ajouta sur un ton fier :
– Son ambition, à ce dernier enfant de ma mère, c’est de devenir aviateur ! Puis, pour justifier sa joie vaniteuse :
– Je l’ai quasi élevé. Ma mère, quand –elle hésite une seconde- quand elle nous quitta…pour la montagne, me le laissa dans mes bras. A peine cinq ans, il avait. »Contrairement à son prénom qui signifie « l’apaisée », Hania vit depuis la disparition de sa mère un conflit moral, l’âme de sa mère ne la quitte jamais : « La nuit où Mina blottit dans l’une des pièces minuscules et sombres de Dame Lionne, Hania– dont le prénom signifie « l’apaisée »- ne s’apaise pas. L’insomnie habituelle, se dit elle, et maintenant, me voici droite sur mes jambes jusqu’à l’aurore ! »
Mina : le rêve de Zoulikha
Mina, la fille cadette de Zoulikha, sa fille qui n’a pas vécu beaucoup de temps avec elle, puisqu’elle l’a laissée à l’âge de douze ans dans la garde de sa sœur. Donc, l’image que délivre Mina de sa mère, ne peut être autre que celle de sa sœur Hania qui l’a élevée depuis son jeune âge. Tout récit donné par Mina est forcément obtenu de ce que Hania lui a raconté, même quand elle parle de sa mère, elle cite des évènements dont elle ne se rappelle pas mais dont l’histoire a été rapportée par sa sœur ou par Dame Lionne (l’amie de sa mère) : « Ma sœur (qui est enfant du premier mari de ma mère) m’a expliqué que… », Mais cela ne néglige pas la forte présence de la voix de Mina. Certes, elle ne parle pas souvent de sa mère – et parfois elle préfère le silence ou elle prend position- : « Peut-être, intervient Mina, peut-être que si… si ma mère avait été arrêtée alors (c’est la seule fois, remarque son amie, où elle parle directement de sa mère), Zoulikha aurait été torturée, Zoulikha aurait été emprisonnée…mais peut-être, je me le dis maintenant qu’elle serait vivante et… (Sa voix s’embrume de larmes), elle parlerait, à l’heure présente, de cela avec toi…avec nous ! » Mais le rôle de Mina dans le roman est notable ; en parlant d’elle-même, de sa propre histoire, on peut dire que Mina est la voix du présent qui se croise avec le passé où vivait Zoulikha. L’étude de la perspective et instances narratives, nous ont permis de constater que les personnages de notre corpus sont donc, comme une chaine, chacune est liée à l’autre par quelque chose que l’on ne désigne pas, elles (les voix des femmes de Césarée) forment un cercle dont le centre est bien les souvenirs d’une héroïne qui a marqué l’histoire et l’honneur de son pays et notamment de sa ville.
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Table des matières
Introduction
Premier chapitre : Analyse des voix narratives.
Etude de la perspective narrative
Analyse des instances narratives
Deuxième chapitre : étude des personnages et de l’espace
Etude des personnages référentiels
Espace romanesque: lieux et sens
Troisième chapitre : La Femme sans sépulture : roman polyphonique ?
Polyphonie et dialogisme
Voix de combattantes algériennes
Conclusion
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