La femme fatale, celle qui embrasse cette sexualisation

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La femme comme élément perturbateur

L’arrivée de la femme de l’Est à l’Ouest implique en effet qu’elle s’immisce dans la vie de l’homme. C’est avec son arrivée dans sa vie, dans son univers et son implication dans ses habitudes et sa routine que les choses changent et évoluent. Ainsi la femme peut être considérée comme un élément perturbateur et c’est elle qui constitue le point de départ du changement, de la création de l’histoire, de l’intrigue. Elle va accélérer l’action, la provoquer42. Cela rejoint l’idée selon laquelle une femme serait indispensable au western, car le film sans elle ne marcherait pas, une idée formulée par Anthony Mann43. Puisque c’est elle qui motive le départ du héros, de l’homme, il semble en effet que sans elle, il n’y ait pas d’aventure, pas d’épopée, donc pas de western.
Leslie vient perturber de façon très évidente l’ordre des choses dans la vie de Bick sur le ranch de Reata lors de son arrivée et tout au long de leur vie de couple et de famille. En effet, c’est la jalousie qu’éprouve la sœur de Bick, Luz, à l’encontre de Leslie qui va la pousser à lui voler son cheval, War Winds. Luz monte War Winds et les deux vont en mourir. C’est ainsi que Jett hérite d’un petit bout de terre que lui lègue Luz et voilà que débute sa rivalité avec Bick dès lors qu’il découvre du pétrole et devient fortuné. Leslie est donc à l’origine en quelque sorte de la montée en grade de Jett de par la menace qu’elle représentait pour sa belle-sœur qui n’a pas su l’accueillir comme autre chose qu’une rivale, comme autre chose que celle qui allait la priver de son autorité sur le ranch et de son ascendant vis-à-vis des employés qu’elle seule saurait gérer car elle l’a fait toute sa vie – alors que Leslie n’a pas la même expérience.
De la même façon, l’arrivée de Pearl sur le ranch met le feu aux poudres entre le sénateur McCanles et son fils Jesse mais aussi entre Jesse et son frère Lewt. Elle agit ici aussi comme l’élément perturbateur dans l’histoire. Le sénateur ne la voit que comme une Indienne, il l’appelle « half-breed » ou encore « papoose », tandis que les frères la désirent tous les deux ce qui ne fait qu’accroître leur rivalité. Jesse a plutôt tendance à la courtiser, quant à Lewt, son approche est on ne peut plus directe. Pearl vient perturber non seulement cette vie de famille de par le fait qu’elle se retrouve coincée entre les deux frères mais il se trouve aussi que Pearl vient s’immiscer entre Laura Belle et le sénateur son mari. En effet, si le sénateur McCanles la rejette entièrement, c’est tout d’abord parce que lui ne la considère pas comme un membre de sa famille44 puisqu’il rejette les étrangers. Mais c’est aussi parce que, comme le père de Pearl lui a raconté avant de mourir, lui et Laura Belle ont été amoureux dans leur jeunesse et tous deux se regrettent amèrement car comme le formule Laura Belle : I’m afraid neither your father nor I found happiness. L’arrivée de Pearl ne fait que raviver, si ce n’est accentuer, un douloureux souvenir au sein du couple, car il se trouve aussi être la raison pour laquelle le père de famille se retrouve aujourd’hui en fauteuil roulant.
Par conséquent, ces femmes arrivent dans un contexte préétabli et elles viennent bouleverser l’ordre des choses et donner une nouvelle direction à la vie des gens qu’elles rejoignent. Elles sont là pour accélérer l’action, la provoquer et souvent aussi, cette action trouve son origine à la suite d’un mouvement : Pearl quitte ses racines pour venir au ranch de Spanish Bit, Leslie quant à elle, quitte le Maryland pour s’installer au Texas.

La deuxième femme

La représentation du personnage principal féminin du western est donc dressée : c’est une femme de l’Est, qui a une éducation et des valeurs. C’est une dame, une femme blanche et elle arrive à l’Ouest où elle se retrouve affiliée à la vie d’un homme blanc. Mais avec ce renouveau du western, le genre passe donc d’un film qui se concentre sur la chevauchée, sur des plans panoramiques de l’Ouest, sur l’épopée d’un homme et de son cheval, sur sa rencontre avec l’Autre à la frontière et tant d’autres thème récurrents au genre ; à un accent plutôt porté sur la dimension psychologique des personnages : leur relations avec autrui, leur personnalité ou l’influence de leur environnement sur leur comportement. Il y a l’apparition d’une dimension psychologique en quelque sorte.
En effet, après la Seconde Guerre mondiale, le genre connaît un tournant. Si depuis ses débuts le western reste inchangé, en cette période de troubles, il perd de sa popularité et se retrouve en compétition avec les films de guerre. Ces-derniers sont là pour motiver les troupes et renforcer le nationalisme et le patriotisme dans le but de garder le moral en cette période sombre. C’est donc à cette époque que les westerns se doivent de se réinventer, de créer quelque chose de nouveau dans l’espoir de ne pas disparaître de la circulation au profit des nouveaux films de Hollywood. D’où le fait de mettre en évidence de nouveaux aspects, et donc de nouveaux personnages par exemple. C’est ainsi que s’ajoute à cette femme si vertueuse, elle-même fraîchement élevée au rang de personnage principal, une rivale.
Ainsi, les personnages féminins se retrouvent doublés. Cette deuxième femme répond à de nouvelles caractéristiques. Le genre du western se retrouve donc avec deux personnages féminins typiques : d’un côté la femme de l’Ouest et de l’autre cette nouvelle femme, souvent appelée la « femme de saloon.45» Elle est moins maniérée que la première, c’est une femme fatale, souvent d’une origine non anglo-saxonne. Et cela est une évidence lorsqu’on la regarde, de par sa couleur de peau ou bien ce sont ses vêtements qui la trahissent ou encore son attitude. Elle peut tenir ses origines du Mexique, ou bien des Amérindiens ou d’une autre communauté présente sur les territoires qui se retrouvent conquis par les colons de l’Est. Et si dans Duel in the sun, Jesse a le beau rôle comparé à son frère, il demande à ce dernier de laisser Pearl tranquille car elle pourrait s’en sortir dans la vie si il lui donnait une « demi-chance46», car voilà tout ce qu’elle mérite selon eux : une « demi-chance » car elle n’est qu’à moitié blanche, de par son père. Il y a donc cette limite dans l’évolution du genre, dans son renouveau : s’il essaie de s’ouvrir à de nouveaux horizons, le western n’arrive pas à se défaire des clichés tenaces qui font que les personnages féminins se retrouvent prisonniers de ces stéréotypes : la madone face à la femme fatale.
Un article du Guardian souligne cette dichotomie qui existe entre les deux personnages féminins représentés à l’écran est présente dans tout western et dit que : “In the wild west of the movies, the woman’s role has invariably been reduced to that of madonna or whore.47”
Ainsi, l’article souligne le fait qu’en effet, les westerns ni ne créent de nouvelle dimension ni ne donnent de nouvelles perspectives aux protagonistes féminins dans le but de sortir de ces idées pré-conçues. De plus, le mythe du genre proposait souvent les thèmes du héros, du duel, du hors-la-loi. Un genre qui repoussait les femmes sur le banc de touche :
“While Hollywood was forging America’s origin myths in tales of gunslinging heroes imposing order on lawless chaos, womenfolk were usually shunted off to the sidelines.48”
La femme est donc limitée dans son rôle et pour certains, cela serait aussi du au fait que derrière la caméra ce sont des hommes et ce sont donc eux qui réalisent ces films : les personnages féminins sont donc écrits et construits depuis une perspective masculine49 et ils répondent à des espérances d’hommes, ce qui les freine et ce qui empêche le réalisme et ce qui, au contraire, encourage le développement du stéréotype et du cliché.

Quand elle casse les codes

La femme-objet

Le genre admet donc une deuxième femme. Mais dans le Western, ce second personnage féminin est diminué. L’homme reste le personnage principal et elle n’est là que pour le mettre en valeur – comme tout autre personnage. Donc ici, cet homme seul, au milieu de l’aventure, a des besoins à satisfaire. C’est ici que cette deuxième femme intervient. Le genre veut qu’elle représente un personnage opposé en tout point à la première femme : celle qui a une vertu, des valeurs, un rang social élevé et des obligations en quelque sorte. La seconde donc, se retrouve être une femme objet de désir, une femme qui n’est pas aussi respectable et respectée que la première. Avec elle, l’homme peut repousser les limites, avec elle, il peut être lui-même. Il n’a pas à la protéger : elle prend soin d’elle-même, il n’a pas à la secourir : c’est souvent elle qui va le sauver, et peut-être même y laisser sa vie. Cette deuxième femme est aussi une femme-objet50, elle est sexualisée. S’il se peut que l’intention soit de faire un portrait flatteur de la gente féminine, il se trouve en réalité que cette sexualisation fasse partie de la tradition occidentale lorsqu’il s’agit de portrait féminin comme il pourrait s’agir d’une ode à la femme, que certains finissent par définir comme de la « viande qui trotte51», ce qui rejoint l’idée selon laquelle la femme et le cheval de l’homme sont à mettre à un niveau d’égalité.
Dès la scène d’ouverture de Duel in the sun, Pearl marche dans les pas de sa mère et elles sont toutes les deux à danser sur un bar et à l’extérieur du saloon à agiter leur robes et à bouger leurs hanches sous le regard de nombre d’hommes, et du père de Pearl aussi. Elle est jeune et il semble qu’elle ait l’habitude de se comporter ainsi : dès son plus jeune âge elle est vue comme une femme, une femme-objet, qui est là pour contenter les désirs des hommes. Elle danse, à l’extérieur du bar devant des enfants mais cela ne retient pas un homme, qui s’avère ensuite être l’amant de sa mère, de lui demander où est sa mère avant de déclarer préférer la fille désormais. Si elle se défend face à lui, Pearl pense tout de même devoir contenter les hommes qu’elle rencontre à tout moment : alors que Jesse l’amène chez lui peu de temps après qu’ils se soient rencontrés, il lui dit que sa tenue n’est pas vraiment la plus appropriée ou la plus attendue de sa part, et qu’elle devrait porter de la couleur – alors même qu’elle porte encore le deuil de son père. Ce à quoi elle répond qu’elle peut se changer sur le champ, et déjà, elle commence à fouiller son baluchon à la recherche de quelque chose qui pourrait plaire davantage à Jesse. Et par la suite, elle ne semble plus quitter sa blouse jaune poussin, une blouse d’une couleur très vive et qui la fait paraître à un soleil. C’est aussi une couleur que Laura Belle ne porterait pas par exemple, car trop vive lorsque la mère de famille porte plutôt des robes aux couleurs pastels sobres et épurées. Cela paraît aussi être comme un écho aux propos et à la suggestion de Jesse : une fois de plus, Pearl fait son possible pour contenter l’homme qui se trouve être en sa présence.
De la même façon, une conversation entre Lewt et le sénateur McCanles, son père, fait clairement savoir au spectateur que Lewt fréquente des maisons closes et des prostituées de façon plus ou moins régulière et habituelle. Et en face, son père, non seulement le félicite de ses prouesses de Dom Juan et de son comportement vis-à-vis des femmes, mais en plus il lui fournit l’argent nécessaire pour passer du temps avec lesdites femmes. Il ajoute qu’il n’existe pas réellement d’autre utilité à l’argent que celle-ci. Ces femmes, les spectateurs ne les voient pas à l’écran, elles ne sont que mentionnées. Mais elles correspondent tout de même aux caractéristiques de la « seconde femme » de par leur sexualisation et l’évidence qu’elles n’appartiennent pas à un haut rang de la société. De plus, Lewt n’hésite pas non plus à prendre les devants lorsqu’il s’agit de son semblant de relation avec Pearl. Il n’hésite pas à lui sauter dessus pour l’embrasser, en dépit de son refus évident, sans non plus tarder à ajouter que ce n’est sûrement pas la première fois qu’une telle chose lui arrive52 au vu de ses origines indiennes. Des origines qui la condamnent à être utilisée et sexualisée par les hommes, semble-t-il, car cette agression est sans nul doute liée à son apparence. Et Pearl n’est ni blanche, ni issue d’un haut rang de la société car sa mère est indienne, alors pour quelle raison Lewt devrait-il se comporter de manière respectueuse envers elle ? Il n’hésite pas non plus à l’appeler « madame » d’un ton moqueur pour insister sur le fait qu’elle n’est en aucun cas une dame, mais simplement une femme avec laquelle il peut faire comme bon lui semble. Malgré tout, il essayera tout de même de l’impressionner à plusieurs reprises tout au long du film : avec un cheval, avec son maniement des armes à feu, avec ses talents de guitariste et de chanteur et plus encore ; avant de lui avouer son amour dans les dernières minutes du film. Il interdit aussi à tout autre homme de s’approcher d’elle, car il se l’est appropriée.
Cette représentation de la sexualité à l’écran est aussi liée au peep-show, d’où le cinéma tirerait et justifierait son côté voyeur.53 Quant à Duel in the Sun et à Pearl, ce côté très sensuel lui est avant tout attribué par Selznick, le réalisateur, qui se trouve aussi être son compagnon dans la vraie vie. Avec sa folie des grandeurs, il avait pour projet de réaliser un nouveau Gone with the Wind, en mettant en vedette Jennifer Jones. Ce que certains appellent alors une « autobiographie amoureuse », d’autres le voit comme un « mélodrame54», une « énorme superproduction55». Les collègues de Selznick lui reprochent son intention de faire jouer Jennifer Jones coûte que coûte car tous ne la considèrent pas comme à la hauteur pour ce rôle. Il serai aussi mégalomane et très interventionniste56, une des raisons pour lesquelles les réalisateurs se sont succédé57 avant que King Vidor, le quatrième à ce poste, n’arrive à boucler le film.
du second plan au premier plan
Quant à Bick, il semble aussi penser que Leslie lui appartient et qu’il peut la contenir et la contrôler – alors que la réalité est toute autre. You’re a Texan now, dit-il, pour sous-entendre qu’elle ne doit pas se comporter comme elle le fait avec les employés de la maison, ce à quoi elle répond I’m still myself et à You’re my wife, Leslie dit I still have a mind of my own. Et ceci n’est qu’une des nombreuses querelles qui prendront place entre les deux époux trente années durant, et elle aussi se soldera par un baiser réconciliateur. Ainsi, les hommes de leurs vies essayent-ils de contrôler la vie des femmes, de limiter leurs actions ou d’en encourager d’autres. Elles se retrouvent par moment objectifiées à travers leur regard et perdent leur identité de femme, de personne à part entière.

La femme fatale, celle qui embrasse cette sexualisation

Cependant, il se peut aussi que cette sexualité ne soit pas subie mais au contraire, embrassée par cette femme. Encore une fois, si nous nous penchons de nouveau sur cette scène dans laquelle mère et fille dansent sur un bar dans Duel in the Sun, la mère de Pearl ne semble à aucun moment subir cette situation et elle peut être vue entièrement dévouée à sa tâche. A noter aussi, le fait que son mari, tout comme son amant, se trouve dans la salle. Et comme le dit André Bazin dans les Cahiers du cinéma, « elle descend de la scène pour onduler entre les clients dont les yeux brillent58 », car ici, c’est littéralement la situation dans laquelle elle se trouve puisqu’elle déambule entre les hommes qui ne la quittent pas des yeux. Souvent appelée la « femme de saloon », car après tout, le saloon est un endroit de rencontre et de débauche, mais aussi de confrontation et de duel, il se trouve être l’endroit parfait pour une femme rebelle. Là où la femme vertueuse venue de l’Est sera plutôt dans l’enceinte d’une maison, à l’intérieur des murs et dans un contexte plus domestique. Malgré tout, la femme de saloon est attachante59 et indispensable : pour mettre en péril le couple du héros, héros pour lequel elle va sûrement mourir, par amour, ce qui règle le problème du triangle amoureux et rachète la deuxième femme aux yeux des spectateurs par la même occasion.
Vienna, par exemple, n’a pas honte de son passé : alors qu’elle et Johnny se retrouvent après cinq ans loin l’un de l’autre, elle lui avoue s’être interdit de retomber amoureuse après son départ. Cela étant dit, elle ne s’est pas empêchée de vivre quelques aventures et s’il lui demande combien précisément, c’est avec un sourire en coin qu’elle répond « assez60». Vienna revendique donc son statut de femme libre et libérée et n’a pas honte de ses aventures ni du nombre d’aventures qu’elle a pu avoir – dont l’une d’elles s’avère être le Dancin’ Kid. Aussi n’hésite-t-elle pas à confronter Johnny à ce sujet dans une scène qui pourrait être considérée comme assez avant-gardiste car elle se dresse face à lui et déplore le fait que les hommes, eux, sont libres de s’adonner à toutes les perversions et peuvent être porteurs de tous les vices tels que le mensonge, le vol ou le meurtre, et malgré tout être toujours considérés comme des hommes. Mais en revanche, lorsqu’il s’agit de la femme, il suffit d’un seul faux pas pour que leur réputation soit ruinée à jamais et qu’elles soient considérées aux yeux de tous comme des « traînées61». Vienna est réaliste et est consciente du fait que la situation est différente pour les femmes lorsqu’il s’agit de sexualité. De plus, Vienna est entièrement maîtresse de ses décisions et Johnny et le Dancin’ Kid sont presque à sa merci à attendre qu’elle fasse son choix entre eux deux alors que cela se trouve être la dernière de ses préoccupations.
Il peut aussi être suggéré que ce sont en fait les femmes qui sont propriétaires des hommes, si l’un des amants doit vraiment posséder l’autre. Avec Giant par exemple, alors que Leslie est encore promise à son fiancé David (Rod Taylor), déjà elle développe des sentiments envers Bick. Et sa petite sœur, Lacy (Carolyn Craig), s’empresse alors de lui demander (s’il s’avère que Leslie décide de choisir Bick Benedict) si elle peut alors avoir David pour elle. Dès lors, il se trouve que la manipulation provient de ces deux femmes et les hommes sont alors des marionnettes entre leurs mains. Les couples ont vite fait de changer et de se décomposer et de se recomposer – avec les mêmes amants, ou non. Leslie part tout de suite avec Jordan, alors qu’à l’arrière plan, peuvent déjà être observés Lacy et David, bras-dessus, bras-dessous. Ils se marient plus tard.
De la même façon, Pearl va et vient entre Jesse et Lewt comme bon lui semble dans Duel in the Sun et la métaphore de la fleur est utilisée pour parler d’elle lors du prologue du film grâce à la voix-off. Effectivement, le film ne couvre qu’une courte intrigue – courte mais intense. Comme la vie et le destin de Pearl, mais surtout, comme son expérience sur Spanish Bit. Cela rejoint les propos de la voix-off d’après lesquels Pearl, comme une fleur, a été rapide à éclore62, mais a aussi été vouée à une mort prématurée.
Vienna, Leslie et Pearl sont toutes les trois dans une situation similaire car il se trouve qu’elles sont maîtresses de la situation et font leurs propres choix. Ainsi, la passion et la mort sont étroitement liées et poussent les personnages aux desseins les plus fous.

La deuxième femme et la mort

En effet, voilà un autre point à souligner : la rivalité et son éventuelle conséquence : la mort. Encore une fois, si cette deuxième femme se trouve ne pas être blanche cela va lui porter préjudice car il est courant pour le réalisateur que de la faire mourir. Non seulement cela règle le problème du triangle amoureux, mais cela peut aussi être l’occasion pour elle au contraire que de se racheter auprès du spectateur ou au sein même de l’intrigue.
Pour ce qui est de Luz, elle ne résiste pas à son désir de défier Leslie, qui prend trop de place dans sa vie et au sein du ranch à son goût. Mais elle ne la confronte pas en face-à-face, non, Luz fait les choses de manières relativement mesquines : elle parle de Leslie avec Bick en le convaincant qu’elle serait incapable de monter à cheval pour le suivre au round-up qui prend place sur le ranch, par exemple. Et une fois là-bas, Luz monte War Winds et c’est à coup de talons dans les flans qu’elle va en venir à bout. Et si Leslie perd alors son cheval, Bick quant à lui, perd sa sœur à la suite de cet événement. Connaissant le personnage de Luz et son objectif dans ce dessein, il est peu probable que cela fut un suicide mais malgré tout le résultat est là : c’est à son désir de vengeance que Luz doit sa propre mort. Mais surtout, elle n’arrive pas à ses fins car l’« élan sensuel63 » que représente Leslie n’est pas anéanti et Luz ne parviendra pas à mettre fin à la sensualité qui existe au sein du couple. Une passion d’ailleurs si forte qu’elle cause aussi la mort d’une autre personne : celle de Jett. Jett qui est lui aussi animé par la passion : celle qu’il ressent envers Leslie. Mais jamais ni ne parviendra-t-il à la faire sienne, ni ne saura-t-il surmonter ou faire face à ses démons, comme la consommation d’alcool, qui lui sera fatale, à lui aussi, à la fin du film. Leslie serait la cause de cette consommation d’alcool car comme l’explique Christian Viviani, c’est « le souvenir d’une femme » qui « mène à la déchéance de l’alcool.64» Il ajoute que « l’alcool a toujours eu un rôle important dans le western. Le vieil ivrogne a toujours été un personnage pittoresque facile. Mais l’ivrogne suggère aussi la tragédie personnelle.65» Par ailleurs, si ce n’est à la mort en elle-même, c’est au moins à la vieillesse que Leslie doit faire face. Le film est considéré comme une fresque66 du Texas mais cela pourrait aussi être une fresque des Benedict, qui vieillissent à l’écran car malgré la trentaine d’années qui passe, les acteurs restent les mêmes. Ainsi, Leslie traverse l’évolution de sa vie, du ranch où elle s’est installée, du Texas, mais aussi et surtout elle observe l’évolution de son mari Jordan ainsi que celle de leurs trois enfants.
La mort est un lieu commun du western et lorsqu’il s’agit des personnages féminins, mort et passion se mêlent et s’entremêlent, entre elles et les hommes. La passion qui existe d’ailleurs au sein du couple ou entre deux amants ne durent jamais réellement non plus et elle ne connaît qu’une destination : la mort. Comme le dit Christian Bossuyt : « les passions qui se mêlent [dans le western] ne peuvent finir que dans le sang et la mort.67»
Similairement, l’amour et la mort vont aussi de pair dans Duel in the Sun pour Charles Ford68. Et la deuxième femme semble en effet être constamment destinée à mourir avant la fin du film. Si Luz meurt prématurément, et alors même qu’elle est blanche, c’est en général la deuxième femme, celle aux origines étrangères, qui est vouée à la mort ou sacrifiée69. En effet, Pearl par exemple, même si elle est le personnage principal, même si elle est celle sur qui toute l’attention est portée, même si elle est au cœur d’un triangle amoureux, va mourir. Dans son cas, cela se passe à la fin du film en revanche, contrairement à Luz. Dans un duel épique à l’arme à feu avec son amant, qui est même qualifié de « torride70», ce qui peut qualifier à la fois le duel tout comme son contexte, dans les rochers sous une chaleur de plomb. Ce duel n’a fait qu’accentuer davantage tout le mélodrame présent le long du film ce qui a par la suite valu au western le surnom de « Lust in the Sun », autrement dit « Luxure au Soleil ». En effet, l’excès et la démesure dont fait preuve la dernière scène peut faire sourire. Et à l’époque de la sortie du film, ce duel mortel a fait un véritable scandale71. De plus, cette idée de tragédie est accrue une fois de plus par ce qui est mentionné durant le prologue car Orson Welles fait référence à l’histoire de Pearl comme à une légende. Une mort prématurée et inattendue est un facteur courant de ce qui peut propulser n’importe qui à un statut de légende, comme c’est le cas ici pour Pearl72.
Un autre duel prend place dans un autre de ces trois films et il s’agit de Johnny Guitar. Alors que la rivalité entre Vienna et Emma n’est plus à prouver, elle atteint son point culminant lors du duel final qui prend place entre les deux femmes dans le repère du Dancin’ Kid. Les deux rivales sont armées d’un pistolet et vont se faire face sous les yeux de Johnny, du Kid et de tous les hommes de la ville. Encore une fois, Vienna se tient droite et fait face à Emma, et donc face à une possible mort, mais Emma se cache et essaie de prendre son adversaire par surprise et montre une fois de plus la mesquinerie dont elle est capable. Dans sa folie, elle tire même une balle dans la tête de celui qu’elle aime, le Kid, sans véritablement réagir, avant d’être tuée, elle aussi, par Vienna. Pour Vienna ce n’est évidemment pas la première fois qu’elle doit faire face à la mort car elle a déjà du l’affronter auparavant. Elle faillit être pendue, avant d’être sauvée, mais à ce moment là aussi elle affronte son destin la tête haute, digne, malgré ce qui l’attend. Elle incite même Emma à passer à l’acte plus vite car tous refusent d’être celui qui causera la mort de Vienna en faisant fuir le cheval qu’elle monte alors qu’elle a la corde au coup.

Des femmes complexes à la frontière du garçon manqué

Néanmoins, en s’intéressant à ces trois films en particulier, il semble évident que si par moments un personnage rentre dans telle ou telle catégorie, il rentre aussi dans une autre qui lui est opposée. Ces femmes ne seraient donc pas réduite à l’un ou à l’autre de ces rôles. Effectivement, si les rôles sont aussi tranchés et définis dans un western incontournable tel que High Noon (Fred Zinnemann, Stanley Kramer Productions, US, 1952) par exemple ; ici en revanche, le spectateur se retrouve face à des westerns révisionnistes. Il y a donc une tentative de sortir des sentiers battus. Ainsi, la première tout comme la deuxième femme se rejoignent plus ou moins. Et comme le dit Bick à Leslie dans les dernières secondes du film If I live to be ninety… I’m never gonna be able to figure you out, c’est dire à quel point ces femmes sont beaucoup plus complexes que ce pour quoi on leur donne crédit.
Si Leslie correspond en tout point à la femme vertueuse, elle n’hésite pas non plus à tenir tête à son mari ou à essayer de briser les codes et les mœurs en essayant de se joindre à une discussion politique. Quant à Luz, si elle défie Leslie et le couple qu’elle forme avec son frère, elle n’est en revanche pas à l’origine d’un triangle amoureux entre les trois personnages. Elle n’est pas non plus d’une origine étrangère bien que les Mexicains aient un rôle important dans le film. Lorsqu’il s’agit de ces deux femmes, il s’agit plutôt d’un affrontement Est-Ouest, au milieu du Texas qui, si vaste, paraît hors du temps, des frontières et des conventions. Puisque les protagonistes féminins se multiplient, la rivale de Leslie se trouve peut-être ailleurs : dans Juana, la principale protagoniste d’origine Mexicaine, ou peut-être dans sa propre sœur, qui se trouve être celle qui lui ressemble le plus et donc celle qui pourrait représenter la plus grande menace.
Dans Johnny Guitar, l’opposition entre ces deux femmes est déjà plus conventionnelle : Vienna face à Emma, la gentille face à la méchante, la victime face à sa tortionnaire, le bon et le mal. Les deux sont blanches et américaines et il n’y a pas d’autre femme qu’elles deux dans le film. Mais l’aspect révisionniste et quelque peu révolutionnaire de ce western se trouve ailleurs. La nouveauté réside dans le fait que justement ces deux femmes sont non seulement les personnages principaux de l’intrigue mais en plus elles se tiennent tête et sont toutes les deux à la tête d’un groupe d’hommes qui les suit et leur obéit.
Cette seconde femme diffère de la première aussi dans le sens où elle n’est pas une demoiselle en détresse. Elle ne dépend pas d’un homme, qui la guide, qui la défend, qui la sauve. Non, cette femme contrairement à la « dame », semble plus indépendante. Seulement voilà, pour acquérir cette indépendance, il faut acquérir des caractéristiques jusqu’alors réservées à l’homme, ce qui rejoint les propos de Jean-Claude Kaufmann qui dit « qu’en ce monde dominé par les hommes, il fallait [être] un peu homme pour être une femme au-dessus du commun.73» Une fois de plus donc, une femme ne peut survivre à l’Ouest ou être indépendante que si elle s’avère ne pas être une véritable dame. Ainsi, elle a des propriétés qui relèvent plutôt du profil d’un garçon manqué, ce sont des femmes « à poigne74», comme le dit Christian Viviani. Ces dernières peuvent être trouvées dans les saloons surtout, ce sont des femmes décrites comme « fortes », qui ont du caractère et qui généralement ne se laissent pas marcher sur les pieds et elles n’hésitent pas à tenir tête à quiconque s’oppose à elle.
Lorsqu’il s’agit des films auxquels nous nous intéressons ici, il se trouve que les deux personnages qui sont joués par Mercedes McCambridge paraissent entrer dans cette catégorie. Tout d’abord, il y a le personnage de Luz Benedict, dans Giant. Dès l’arrivée de Leslie, elle se sent mise à l’écart et a peur qu’on lui prenne sa place au sein du ranch. Tout au long du film, son attitude on ne peut plus désagréable envers Leslie perdure. Elle ne la pense pas capable de monter à cheval et elle n’accepte pas non plus sa position non seulement au sein du ranch des Benedict mais aussi au sein de sa famille et aux côtés de son frère, Bick. Aussi, le jeu d’acteur de Mercedes McCambridge accentue d’autant plus cette masculinité qui émane de Luz. Sa voix est grave et elle utilise une multitude d’abréviations et de contractions par exemple, quand d’un autre côté, il y a Leslie et sa voix aiguë et féminine, qui parle distinctement et qui renvoie l’image du rang social auquel elle appartient.
De la même façon, dans Johnny Guitar, c’est Vienna qui semble correspondre à ces spécificités. Vêtue d’un pantalon, le pistolet attaché autour de la taille, une détermination sans faille, il se trouve aussi que c’est elle la propriétaire du saloon et qu’elle a sous ses ordres plusieurs hommes qui lui sont loyaux. En face, avec Emma, le spectateur se retrouve aussi face à Mercedes McCambridge – comme dans Giant – sa voix grave, son accent du sud, sa bouche et la mâchoire carrée – la même que celle de Vienna. La même détermination la guide et sa capacité à convaincre le shérif et ses hommes de la culpabilité de Vienna en font une adversaire non négligeable.
Enfin avec Duel in the Sun, Pearl n’hésite pas à monter à cheval pour prouver à Lewt qu’elle en est capable (elle ne l’est pas mais elle lui tient tête), elle dit à Jesse qu’elle aimerait savoir faire des ronds de fumée en fumant aussi, ensuite elle arrache un pistolet des mains de Lewt parce qu’elle aussi veut apprendre à tirer ; en somme alors même qu’elle désire devenir une dame, elle a tout de même le sang chaud et est impulsive tout autant qu’elle est naïve et enfantine à la fois. Elle aspire aux mêmes choses que ce qu’elle voit les deux frères faire et n’hésite pas non plus à dire le fond de sa pensée par exemple. Elle oscille entre son désir de faire partie du grand monde et ce que son instinct et son tempérament la poussent à faire, elle oscille entre Lewt et Jesse, elle oscille entre le rôle de la femme de l’Est, auquel elle aspire, et celui de la femme de saloon, dont elle essaie tant bien que mal de se défaire. Le prologue d’Orson Welles compare Pearl à un fleur sauvage : « quick to blossom, early to die » car au fond voilà ce qu’elle est : une fleur sauvage qu’aucun des frères n’arrive véritablement à cerner. Laura Belle aussi sera incapable d’atteindre son objectif d’en faire une dame.
Par conséquent, ces femmes résistent aux clichés chacune à leur manière. Si Pearl est une fleur sauvage, sa résistance réside surtout dans le fait qu’elle soit impulsive et naïve ce qui fait qu’elle dit tout ce qu’elle pense. Leslie est aussi indomptable que War Winds – tant par son mari que par sa belle-sœur – elle, son assurance lui vient de son éducation et des valeurs et de la connaissance qu’elle a acquises auparavant. Enfin la tension est à son comble entre les deux forts tempérament de Vienna et d’Emma qui ne manquent pas d’assurance, et qui sont aussi capables non seulement de manier les armes, mais aussi de manipuler pour la seconde. Car toutes ces femmes sont beaucoup plus complexes que cette simple dichotomie entre une première femme de l’Est, accompagnée de ses valeurs et de son statut social, face à une femme qui ne peut prétendre à plus qu’au statut de femme-objet car il se trouve qu’elle n’est pas blanche et est soumise à bien d’autres désavantages. Tout ceci amène à parler de la façon dont les protagonistes féminins sont filmés, représentés, habillés ainsi que des choix qu’ont fait acteurs et réalisateurs dans le but de jouer ces femmes.

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Table des matières

Introduction
Corpus
a) Duel in the Sun
b) Johnny Guitar
c) Giant
I. Les personnages principaux : entre stéréotypes, modernité et renouveau
A. La femme vertueuse
1. La femme est étrangère au genre du western
2. La femme a une fonction sociale
3. La femme comme élément perturbateur
4. La deuxième femme
B. Quand elle casse les codes
1. La femme-objet
2. La femme fatale, celle qui embrasse cette sexualisation
3. La deuxième femme et la mort
4. Des femmes complexes à la frontière du garçon manqué
C. Filmer et représenter les femmes
1. La femme virile
2. La pureté, le mariage, la demoiselle en détresse
3. La femme entre les hommes
4. Les femmes et leur environnement
II. Les personnages secondaires
A. Les autres femmes de l’intrigue : les faire-valoir
1. Les minorités ethniques : les Mexicaines
2. Les Minorités ethniques : les Afro-Américaines
3. Les proches : les amies et les liens du sang
3Nadège Carbonnel
Les femmes dans les westerns américains
du milieu du vingtième siècle :l
du second plan au premier plan
4. Le personnage de la mère et le role-model
B. Leur relation à l’homme et la dichotomie du personnage masculin
1. La démystification du western
2. Le père et ses fils
3. L’aventurier vs. le gentleman
C. Le triangle amoureux et l’érotisme à l’écran
1. Le coup de foudre au cinéma
2. L’amour comme une dégradation du genre
3. L’érotisme et la libido à l’écran
Conclusion
Annexes
Bibliographie

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