« Le Diable est mort ! » : le Mal, l’Autre et le Monde
Life… Dreams… Hope…Where do they come from? And where do they go ?
Ce qui caractérise le Mal dans Final Fantasy ne tient pas simplement d’une relation d’adversité entre les figures qui l’incarnent et les héros auxquels ils font face. Chaque face-à face met en évidence le profond antagonisme sur lequel ces ennemis sont construits. Deux visions du monde s’affrontent dès lors. Ce sont les desseins de l’antagoniste qui conduisent la réussite – ou l’échec, comme c’est le cas lors de l’apothéose de Kefka – de la quête des héros à avoir des conséquences sur le monde. Les premiers antagonistes de la franchise aspirent pour la plupart à la simple destruction du monde, motivée par leur essence maléfique, ou à sa domination totale. C’est à partir de Final Fantasy Vque le dessein de l’archennemi traduit une certaine appréhension du monde. Celle d’Exdeath est profondément nihiliste : c’est son incapacité à comprendre les émotions humaines qui dénuent le Monde de sens à ses yeux. Final Fantasy VIapprofondit cette conception nihiliste à travers l’archennemi de Kefka. Chevalier Magitek au service de l’empereur Gestahl, il se rend coupable des crimes les plus abominables. Dans son article intitulé « Kefka, Nietzsche, Foucault : Madness and Nihilism in Final Fantasy VI » , Kylie Prymus fournit une explication à l’apparente folie de Kefka et à son nihilisme destructeur. Si Kefka, occurrence de l’archétype du clown maléfique, apparaît comme une figure de la folie, Kylie Prymus nuance cette vision de l’archennemi de Final Fantasy VI. Elle relativise ce terme de folie en employant l’étude historique de ce concept qu’en a fait Michel Foucault dans son Histoire de la folie à l’âge classique, et montre que Kefka peut être perçu comme fou non par son absence de raison, mais par sa trop grande raison ; d’autre part, elle montre que Kefka tue de façon méthodique et non par folie, en analysant l’empoisonnement de la population de Doma que le Chevalier Magitek justifie par la nécessité de mettre rapidement un terme au conflit sans risquer inutilement les vies des soldats de l’Empire. Mais le climax de la folie et la malfaisance de Kefka se produit avant l’affrontement final, lorsqu’il proclame que le monde n’a aucun sens et qu’il va bâtir un « monument de non-existence » par la destruction totale.
La question de l’existence du monde en l’absence de but objectif, loin d’être folie, est la logique qui nourrit la philosophie existentialiste dont Nietzsche est l’un des principaux auteurs. Kylie Primus se penche sur la Généalogie de la moraleet met en évidence le fait que Kefka incarne la peur d’un monde sans but de l’existence, alors incarnée par une autorité nécessaire (par exemple religieuse). Cependant, l’auteur met en garde contre le raccourci selon lequel cet antagoniste incarnerait parfaitement l’existentialisme nietzschéen ; au contraire, s’il n’existe pas de sens objectif à la vie, Kefka est incapable, après avoir renversé les dieux, de surmonter le nihilisme. La lutte des protagonistes contre lui les amène alors à réfléchir – et à faire réfléchir – sur la capacité de chacun à décider de ce qui est ou non insensé, de trouver un sens là où aucun n’est donné. Lightning Returns : Final Fantasy XIII-3pose cette même problématique de la mort de Dieu et de l’ouverture d’une ère nouvelle en faisant s’affronter son héroïne contre le dieu qui l’a missionné pour conduire les âmes dans un nouveau monde : c’est la vision d’une humanité telle que Bhunivelze veut la concevoir, une humanité dont il serait l’âme collective , qui conduit Lightning au déicide. Cependant, l’antagonisme ne se résume pas à une discordance de conceptions. Qu’il s’agisse de son histoire, de son statut ou encore de son apparence, des indices participent à la mise en opposition du Mal et du héros dans l’esprit du joueur, de telle sorte que leur affrontement apparaisse comme une fatalité dans le déroulement scénaristique du jeu. La diégèse médiévofuturiste de Final Fantasy VIIImet ainsi en scène l’opposition de deux chevaliers dans un monde plus avancé technologiquement que le nôtre. Le jeu s’ouvre sur l’entraînement du héros, Squall Leonheart , et de son rival Seifer, tous deux aspirant à rejoindre le SeeD, l’élite militaire de Balamb. Deux similitudes soulignent leur antagonisme : dans l’ensemble du jeu, ce sont les seuls personnages à manier la gunblade, hybride de l’épée et de l’arme à feu. Ce point commun permet un second parallèle avec Star Wars, mais cette fois dans la diégèse de la première trilogie en date : à l’image de Squall, Luke Skywalker est l’un des derniers – puis le seul – à manier le sabre laser des chevaliers Jedi de jadis ; c’est cette arme commune avec Dark Vador qui le positionne symboliquement en adversaire principal, en lieu et place des autres héros de la trilogie que sont Han Solo et la princesse Leïa qui manient le pistolet laser. Tandis que Seifer devient le bras droit de la Sorcière (de la même manière que Dark Vador est celui de l’Empereur), Squall se hisse parmi les figures incontournables de la résistance à la Sorcière, répétant dès lors le schéma conflictuel du seigneur Sith et de son fils.
La seconde similitude qui oppose symboliquement Squall et Seifer se trouve, elle aussi, posée dès la cinématique d’ouverture : lors de cet entraînement à la gunblade, particulièrement violent, les deux rivaux se blessent mutuellement, et conservent depuis la même cicatrice au-dessus du nez.
Mieux connaître le jeu vidéo pour mieux l’utiliser
Les jeux vidéo ont longtemps été accusés de tous les maux, jusqu’au moment où l’idée est venue de s’intéresser non seulement à leurs dangers, mais aussi à leurs formidables possibilités éducatives. Car ils ne manquent pas d’atouts.
Lorsque le psychiatre et psychanalyste Serge Tisseron s’interroge sur la peur qu’inspirent les jeux vidéo , il soulève l’une des problématiques majeures du jeu vidéo, toujours actuelle : sa mauvaise image. Média encore récent, le jeu vidéo inspire la crainte pour de multiples raisons : la question de la violence et celle de l’addiction sont encore vives, et sont ravivées notamment dans les médias à la suite de drames criminels . Or, l’image du joueur adolescent masculin aux relations sociales fragiles va à l’encontre de la réalité du marché vidéoludique : le Syndicat National du Jeu Vidéo souligne en effet que la pratique des jeux vidéo s’est largement diversifiée, en partie via l’émergence de nouvelles plates-formes (réseaux sociaux et smartphones), et que le joueur français moyen est actuellement une « femme d’une quarantaine d’années » . Serge Tisseron souligne d’autre part que l’usage du terme « addiction » est généralement inappropriée puisqu’il dénote des pathologies précises, et qu’aucune étude scientifique à ce jour n’a mis en évidence une addiction comparable à celle procurée par les drogues ou l’alcool ; ces études préfèrent alors évoquer le phénomène de « pratique excessive ». Quant à la question de la violence, elle occulte la grande richesse vidéoludique : le terme de jeu vidéo englobe effectivement des genres très divers, dont près de 70% conviennent à de jeunes enfants . Pour guider les familles dans cette diversité de jeux, plusieurs systèmes de classification (en Europe, le système PEGI ) apposent des pictogrammes sur l’âge conseillé et la présence de contenus susceptibles de heurter. Le lien entre la violence réelle et les jeux vidéo n’a par ailleurs jamais été démontré dans le cadre d’études scientifiques ou d’affaires judiciaires . Pourtant, ces idées reçues persistent et traduisent une méconnaissance encore importante du jeu vidéo. A ce sujet, l’école a donc son mot à dire car, ainsi que l’affirment Braga et Calazans, chercheurs brésiliens sur les nouvelles technologies de l’information et de la communication, « à chaque nouvelle invention technologique, la société associe aux processus communicationnels, développés autour de l’invention, une attente en matière d’éducation ».
Les game studiesont ainsi permis de mieux connaître le jeu vidéo, notamment ses influences positives dans la construction des compétences de l’enfant. Le site du Pan European Game Information (PEGI) répertorie ces compétences cognitives , dont plusieurs s’avèrent transférables, par exemple, dans des situations mathématiques : les jeux vidéo, notamment d’énigmes et d’aventure, permettent effectivement, selon Durkin et Barber , d’affiner « la perception spatiale », « la réflexion stratégique », « l’aptitude à résoudre des problèmes » et « la planification ou essai d’hypothèses ». David Shaffer met en évidence la grande diversité de situations problèmes dans le jeu vidéo.
Ces situations mobilisent des compétences et conduisent le joueur à les combiner pour s’adapter. La série The Legend of Zelda l’illustre bien . Au fil de chaque jeu, le joueur dispose de nouveaux équipements qui étendent la palette d’interactions : l’arc, la lampe torche, le boomerang, l’ocarina… Chacun de ces équipements s’obtient durant l’exploration d’un donjon ; la poursuite de ce périple jusqu’à l’ultime adversaire du niveau amène alors le joueur à explorer les différentes interactions possibles que ce nouvel équipement permet : ainsi l’arc permet-t-il de tuer les ennemis à distance, mais il permet également d’atteindre certains interrupteurs que l’on ne pourrait pas activer en se positionnant à côté.
Plus le joueur progresse, plus le nombre d’équipements augmente, et plus les obstacles à la progression du héros se complexifient et puisent dans l’ensemble des compétences acquises antérieurement. Un parallèle peut dès lors être fait entre ce mécanisme de réflexion du joueur et la démarche d’investigation en sciences et technologies ou durant la résolution de problèmes mathématiques.
Le jeu vidéo favorise également des attitudes que l’on retrouve dans le Socle commun de connaissances et de compétences. Le joueur est autonome et s’autodiscipline : il persévère pour progresser dans le jeu et doit respecter des règles et des instructions ; la réussite d’une mission ou le passage au niveau supérieur lui permet alors d’auto-évaluer sa propre progression et le développement de ses compétences. Or, le respect des consignes, la persévérance dans l’activité et l’auto-évaluation font partie des exigences du palier 2 du Socle.
Le jeu vidéo, en plus de constituer un outil motivant et de renforcer la place des TIC à l’école, permet donc de développer un ensemble de capacités et d’attitudes, tout en constituant une ouverture sur des connaissances artistiques et littéraires ; pourtant, la place de cet outil reste peu développée en France, alors que son utilisation pédagogique est davantage répandue dans des pays comme les Etats-Unis et l’Ecosse . Derek Robertson, enseignant chercheur de l’université de Dundee spécialisé dans les liens entre TIC et éducation, apporte cependant une réserve quant aux serious games, des jeux vidéo conçus avec une visée pédagogique et que l’on retrouve en France dans certaines facultés de médecine et écoles d’ingénieur. Ces jeux sérieux n’ont pas d’efficacité réelle puisque la pédagogie prend le pas sur l’aspect ludique du jeu. Derek Robertson recommande alors un partenariat entre les professeurs et les professionnels du jeu vidéo, afin de concevoir des jeux adaptés qui permettent un « transfert de compétences vers des situations réelles » tout en respectant le plaisir du joueur.
Construire et déconstruire le Mal en CM2 : de Kefka à Darck Musclaton
Enseignante-chercheuse spécialisée dans la place de la littérature à l’école, Catherine Tauveron définit le processus d’activation du stéréotype en quatre étapes : la sélection, lors de laquelle l’élève « choisit les termes qui lui paraissent pertinents » ; l’élagage, durant lequel l’élève élimine les détails ne correspondant pas au schéma ; l’assemblage, lorsque l’élève « réunit des portions de discours dispersés dans l’espace de l’œuvre » ; et le déchiffrement, étape pendant laquelle l’élève interprète cet ensemble de notations comme un stéréotype. Cet apprentissage a un enjeu littéraire important : si le stéréotype littéraire est une construction complexe, Ruth Amossy a montré le rôle important qu’il jouait dans le traitement de l’information.
Cette activité présente dans le même temps des enjeux artistiques. Comme le formule Anne Besson, il est intéressant de travailler sur « des objets grand public, des genres et produits culturels qui peuvent encore être considérés comme illégitimes » et d’en faire émerger des savoirs . Or, cette considération n’est pas, comme on pourrait le croire, générationnelle : un questionnaire, distribué aux élèves en amont de cette séquence, a permis de constater que, sur 20 élèves (avec une équité des filles et des garçons), 4 élèves sur 20 seulement considèrent le jeu vidéo comme un Art tandis que 15 élèves sur 20 le perçoivent comme un simple passetemps. A partir de ce constat, on pourra constater à la fin de cette séquence une évolution de ces représentations. Alors que plus de la moitié de ces élèves jouent aux jeux vidéo plus d’une heure par semaine, il s’agit de faire évoluer leur conception de l’Art en mettant en évidence sa proximité dans leur vie quotidienne.
Place de la séquence dans la progression
Cette séquence de niveau CM2 est mise en œuvre en période 4. En lecture, les élèves ont appris précédemment dans l’année à « s’appuyer sur les mots de liaison et les expressions qui marquent les relations logiques pour comprendre avec précision l’enchaînement d’une action ou d’un raisonnement », afin d’étudier la trame narrative des personnages abordés. En littérature, les élèves ont déjà dû « rapprocher des œuvres littéraires » en travaillant sur les genres littéraires (principalement, en période 1, sur le genre policier). En production d’écrits, les élèves ont déjà rédigé « différents types de textes d’au moins deux paragraphes en veillant à leur cohérence, en évitant les répétitions, et en respectant les contraintes syntaxiques et orthographiques ainsi que la ponctuation » : ils ont étudié et produit des textes descriptifs dans le cadre d’une séquence de période 1 sur le portrait, et des textes narratifs lors d’une séquence de période 3 sur le conte merveilleux. D’un point de vue transversal, les élèves ont dû à plusieurs reprises, en fin de séance et dans diverses disciplines comme la géographie, « prendre des notes utiles au travail scolaire ». En vocabulaire, l’utilisation des « termes renvoyant à des notions abstraites (émotions, sentiments, devoirs, droits) » est travaillée en parallèle de cette séquence.
Concernant la progression artistique, les élèves s’appuient sur des connaissances et capacités mises en œuvre précédemment dans l’année : l’analyse des archétypes s’appuie en partie sur le travail effectué en période 1 dans le cadre d’une séquence interdisciplinaire sur le portrait : en éducation musicale, l’une des tâches consistait en une écoute active d’une série de thèmes musicaux ; le but pour les élèves était de repérer les thèmes musicaux correspondant à des « méchants ». Le portrait a également été travaillé en histoire des arts et arts visuels, via une analyse d’oeuvres de différents genres artistiques et un réinvestissement dans la pratique artistique de l’élève. La notion d’archétype en elle-même a été abordée lors d’un travail sur le bestiaire fantastique en période 3 où les élèves devaient se détacher de l’archétype occidental du dragon.
Les compétences visées
Les apprentissages de cette séquence s’inscrivent dans une perspective d’évaluation et de validation des compétences du palier 2 du Socle Commun de Connaissances et de
Compétences du 11 juillet 2006. Le travail esthétique et littéraire proposé est principalement lié au pilier 5 de la culture humaniste : en établissant des liens entre les textes lus par une mise en réseau centrée sur les archétypes, les élèves acquièrent « des repères littéraires ». Ils pratiquent également les Arts et acquièrent « des repères en Histoire des Arts » en déconstruisant le Mal à travers des œuvres de référence et de différentes formes, puis en construisant le Mal : ils doivent ainsi « décrire des œuvres préalablement étudiées » pour s’en servir comme de ressources pour leur travail de création, lors duquel ils « inventent des réalisent des textes » et « pratiquent le dessin » afin de construire leur figure du Mal.
Cette séquence a ainsi d’autres enjeux, dont l’évaluation et la validation du palier 1, la maîtrise de la langue française. Les élèves doivent « prendre part à un dialogue » lors des phases de déconstruction, et ils « rédigent un texte d’une quinzaine de lignes » qui relève à la fois du récit et de la description lors de la construction de leur propre personnage.
Pour que les exigences soient au niveau des attentes d’un élève de CM2, l’autonomie est au coeur de cette séquence. L’évaluation et la validation du palier 7, sur l’autonomie et l’initiative, se fait à différents moments-clefs : lors des phases de découverte, qui réclament le soutien d’une « écoute prolongée » face à des extraits vidéo ; lors des phases de rédaction de la trace écrite, lors de laquelle les élèves constituent eux-mêmes, à partir de ce qu’ils ont retenu, leurs outils sur les différents archétypes abordés ; et tout au long de cette séquence, plus particulièrement dans sa seconde partie, via l’implication « dans un projet individuel » qui est la création d’un antagoniste qui s’inscrive à la fois dans le travail accompli en classe sur les archétypes, mais qui se démarque également pour attester que l’élève a perçu qu’un personnage, s’il appartient à un archétype, peut également avoir des particularités qui le rendent original.
Les prérequis
Cette séquence requiert des prérequis de maîtrise de la langue française des deux précédentes années de cycle 3. Ils ont été établis en conformité avec la progression de français du Bulletin Officiel de juin 2008.
En langage oral, les élèves sont amenés à « décrire une image, exprimer des sentiments, en s’exprimant en phrases correctes et dans un vocabulaire approprié ». C’est un prérequis de CE2 qu’ils réinvestissent lors des phases de découverte lors des séances de déconstruction du Mal. Un extrait de Final Fantasyprésentant l’antagoniste étudié est projeté ; les élèves sont alors amenés à réagir sur les événements, mais aussi sur les aspects graphique et sonore de l’extrait. Lors de l’évaluation formative, les groupes d’élèves doivent « présenter un travail à la classe en s’exprimant en phrases correctes et dans un vocabulaire approprié » lorsqu’ils rapporteront à leurs camarades leur présentation de l’archétype de la créature artificielle. C’est un prérequis de langage oral de classe de CM1.
En lecture, les élèves réinvestissent des prérequis de CE2. Ils sont amenés à lire des textes (extrait de mythe, biographies) et à « répondre à des questions sur ce texte ». Pour plusieurs archétypes, les élèves doivent mettre en parallèle des éléments communs dans la trame narrative des personnages appartenant à ces archétypes : ils doivent « repérer dans un texte des informations explicites en s’appuyant sur le titre, l’organisation, le vocabulaire » et en « restituer à l’oral ou par écrit l’essentiel du texte ». Ils vont, par exemple, s’appuyer sur la récurrence de mots ou groupes de mots en début de phrase afin de distinguer les étapes du basculement du clown maléfique dans la folie.
En production d’écrits, les élèves doivent, depuis le CM1, « noter des idées, des hypothèses, des informations utiles au travail scolaire » afin de constituer, en fin de chaque séance de déconstruction du Mal et en autonomie, des outils sur les archétypes étudiés. Ils doivent également, lors des séances de construction du Mal, « rédiger des textes courts en veillant à leur cohérence, à leur précision et en évitant les répétitions » pour présenter leur méchant, ses origines et son évolution.
En vocabulaire, pour réagir aux différents documents proposés lors de la déconstruction du Mal, les élèves doivent « utiliser à bon escient des termes afférents aux actions, sensations et jugements ». Sur ce dernier point, ils ont pour tâche de questionner, notamment, le manichéisme de certains archétypes en prononçant un jugement moral.
La déconstruction du Mal
Pour amener l’élève écrivain à se réapproprier, détourner, créer du lien avec des œuvres tout en s’en démarquant, un travail de déconstruction du Mal est opéré afin de lui fournir des ressources culturelles sur quelques grands archétypes d’antagonistes, mais aussi des exemples « d’ingurgitation – régurgitation » qui ont nourri des figures à la fois particulières et ancrées dans un patrimoine littéraire et artistique. Cette démarche de construction s’inspire de l’étude de l’Avare décrite par Catherine Tauveron dans Lire la littérature à l’école.
La première séance a porté sur l’archétype du démon. L’objectif de l’élève était d’en produire un portrait robot. L’enseignant a tout d’abord projeté un extrait vidéo représentant Chaos, ultime adversaire des Guerriers de la Lumière du tout premier Final Fantasy.
L’évaluation formative
Au terme de la phase de déconstruction du Mal, une évaluation formative est réalisée. Elle a pour but d’informer l’élève de sa progression, des acquis en construction, et de repérer des difficultés persistantes pour apporter une remédiation. La forme que prend cette évaluation est donc adaptée à l’hétérogénéité de la classe.
La première partie de l’évaluation formative porte sur les connaissances des élèves sur les archétypes du Mal déconstruits. Individuellement, les élèves répondent à un questionnaire portant sur ces archétypes, ainsi qu’à une question de réflexion sur la possible évolution morale du méchant. Selon les différents niveaux identifiés à partir des traces écrites des élèves, trois modèles de questionnaires ont été réalisés : pour les trois élèves présentant encore des difficultés d’élagage, elle prend la forme d’un tableau de neuf mots-clefs par archétype ; pour les élèves présentant des difficultés d’assemblage, un ensemble de questions ouvertes, mais portant sur des détails précis de chaque archétype (son apparence, son origine, sa trame narrative…) afin d’inciter ces élèves à mobiliser l’ensemble de leurs connaissances ; et pour les élèves dont les synthèses attestaient de la capacité à résumer de manière exhaustive les connaissances autour des archétypes du Mal étudiés, quatre questions ouvertes et qui incitent à mobiliser l’ensemble des connaissances sans en préciser les différents aspects.
Cette évaluation de connaissances a souligné des difficultés importantes dans la mise en réseau de certaines figures (notamment le lien entre les occurrences de l’archétype du démon et le Diable), les éléments narratifs majeurs des clowns maléfiques et des chevaliers noirs et l’opposition symbolique entre le chevalier noir et le héros. La majorité des élèves ayant disposé du troisième questionnaire n’ont pas su restituer l’ensemble de leurs connaissances sur les archétypes du Mal et ne s’en sont tenus qu’à l’apparence, ou n’ont pas su terminer l’évaluation dans le temps imparti. Quant à la question du manichéisme , la majorité des
élèves ont rappelé que le Mal n’était pas définitif ; la plupart se sont appuyés sur l’exemple de
Dark Vador. Une élève a également illustré cette affirmation par un exemple qui n’avait pas du tout été évoqué en classe et qui se révèle tout à fait pertinent : elle a illustré le pouvoir qu’a le héros de libérer l’antagoniste du Mal en évoquant l’histoire de Kirikou retirant l’épine plantée dans le dos de la sorcière Karaba.
La deuxième partie de l’évaluation formative porte sur la capacité à constituer un archétype. Par groupes hétérogènes, les élèves doivent reproduire en autonomie la démarche de déconstruction du Mal. Ils disposent pour cela d’un corpus documentaire, de deux questions de réflexion et d’une fiche bilan à compléter. Cette tâche porte sur l’archétype de la créature artificielle. Quatre personnages sont mis en parallèle : Sephiroth, archennemi de Final Fantasy VII, Kuja, archennemi de Final Fantasy IX, le monstre de Frankenstein et Satan. Les groupes devaient d’abord s’interroger sur les ressemblances physiques entre les personnages – dans le but de souligner qu’il n’y en a aucune, et que l’archétype repose uniquement sur la trame narrative – et sur les points communs de l’histoire de ces quatre personnages, avant de compléter une fiche bilan et de nommer eux-mêmes l’archétype.
La construction du Mal
Le travail autour des archétypes ne présente pas uniquement des enjeux littéraires ; Catherine Tauveron rappelle en effet les enjeux de cette activité en terme d’écriture : elle permet de faire évoluer les représentations des élèves et de ne plus penser l’écriture « comme une création ex nihilo », mais comme une activité qui s’inscrit dans un ensemble de réseaux transtextuels, pour laquelle l’emprunt ou la copie ne constituent pas nécessairement « un acte délictueux ».
Cette évolution des représentations doit alors s’incarner dans une production écrite. Avant la formulation de la tâche, un bref rappel de classe permet aux élèves de se rappeler du travail de déconstruction du Mal précédemment accompli dans la séquence. Les synthèses écrites de chaque archétype constituaient alors des outils à leur disposition pour la tâche que l’enseignant leur a confié pour cette phase de construction du Mal : créer son propre méchant.
Ce personnage devait cependant, à l’instar des différents exemples étudiés,s’inscrire dans un réseau artistique et littéraire.Les élèves ont donc dû en premier lieu choisir un archétype auquel leur propre méchant appartiendrait ; une certaine popularité de l’archétype du clown maléfique a alors pu être observée. Pour préparer le portrait final de leur méchant, les élèves ont commencé par compléter un tableau à deux colonnes : dans la première colonne, ils devaient écrire ce qui, dans l’apparence de leur personnage, le rattache à son archétype ; et dans la seconde colonne, ce qui rend leur personnage original et l’éloigne de la simple répétition de l’archétype sur lequel ils se basent. Puis, en s’appuyant sur leurs synthèses, ils devaient concevoir une ébauche d’histoire pour leur personnage en fonction des éléments narratifs qui caractérisent chaque archétype – par exemple, la trahison pour l’archétype du chevalier noir. Pour les élèves les moins autonomes lors de cette phase de travail, un petit questionnaire de guidage a été élaboré pour chacun des archétypes étudiés. Enfin, les élèves ayant terminé ce travail pouvaient commencer à illustrer leur personnage et à réfléchir à son nom. Ce nom devait illustrer un aspect de ce personnage : l’archétype dont il fait partie (comme le Joker), un événement important de son histoire (par exemple, Kaïn) ou encore son ultime but (à l’instar de Chaos).
Ce travail de construction a été poursuivi lors d’une deuxième séance, davantage ciblée sur les actes de l’antagoniste et la conclusion de son histoire.A partir d’exemples étudiés lors de la phase de déconstruction du Mal, des questions ont émergé auxquelles les élèves doivent répondre. Est-ce que la quête du méchant va réussir ou non ? Le méchant va-t-il mourir ou survivre ? S’il meurt, comment ? Reste-t-il méchant ou parvient-il à s’affranchir du Mal ? Ces questions, notées au tableau, ont permis de guider les élèves dans la construction de leur personnage et le terme de sa trame narrative. Une fois cette tâche effectuée, chacun a dû alors écrire un résumé illustré de l’histoire de son personnage. Ce résumé constitue la production finale que l’enseignant va évaluer à l’aide d’une grille d’items attendus. Cette grille est distribuée aux élèves lors de la production de leur résumé afin qu’ils puissent s’auto-évaluer et enrichir leur résumé selon les attentes du maître. Pour chaque item, l’enseignant note à l’aide d’un code selon si cet item est absent, présent mais pouvant être amélioré, ou suffisamment développé.
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Table des matières
Introduction
Remerciements
I. L’antagonisme dans Final Fantasy
A. Le Mal et ses archétypes : racines d’un Pandémonium
B. « Le Diable est mort ! » : le Mal, l’Autre et le Monde
C. Final Fantasy, par-delà bien et mal ?
II. La « fantasie finale » au service de la culture humaniste de l’élève
A. Mieux connaître le jeu vidéo pour mieux l’utiliser
B. Art total, œuvre transmédia : la richesse du jeu vidéo au service de la transdisciplinarité
C. Construire et déconstruire le Mal en CM2 : de Kefka à Darck Musclaton
1) Place de la séquence dans la progression
2) Les compétences visées
3) Les prérequis
4) La déconstruction du Mal
5) L’évaluation formative
6) La construction du Mal
Bilan de l’exploitation pédagogique
Conclusion
Bibliographie