Le cycle infectieux d’A. tumefaciens
Le mécanisme infectieux des souches d’A. tumefaciens pathogènes, c’est-à-dire possédant le plasmide Ti, met en jeu un processus de transgénèse et induit l’apparition d’une tumeur chez la plante (Chilton et al. 1977). Ce transfert naturel d’information génétique est également à l’origine de la formation du chevelu racinaire et de la tumeur de la galle du collet de la vigne qui sont induits par R. rhizogenes et A. vitis. A ce jour, ce sont les seuls exemples de transferts horizontaux entre bactéries et eucaryotes. Chez A. tumefaciens, le mécanisme de transgénèse fait intervenir deux groupes de gènes localisés à des endroits différents et régulés de façon distincte. Plus schématiquement, le cycle d’infection d’A. tumefaciensse décompose en trois étapes : 1- la reconnaissance et l’attachement de la bactérie à l’hôte, 2- le transfert et l’intégration de l’ADN-T du plasmide de virulence dans le génome de la plante, 3- l’expression des gènes de l’ADN-T qui induisent le développement de la tumeur chez la plante et la production de nutriments spécifiques dans la plante pour les bactéries vivant dans les tumeurs. Les tumeurs produites servent de niche écologique pour les agrobactéries (Figure 5). VirA est une histidine kinase transmembranaire qui détecte les composés phénoliques, les sucres et l’acidité produits par la plante. ChvE est une protéine périplasmique fixant des sucres qui établit un contact avec la partie périplasmique de VirA, ce qui accroit son activité. VirA phosphoryle le régulateur VirG, qui active alors la transcription des gènes vir (Brencic and Winans 2005). L’activation des gènes de virulence vir est une étape indispensable pour le processus de transgénèse. Il fait intervenir trois acteurs moléculaires : la PBP (Periplasmic Binding Protein ou protéine périplasmique de liaison) ChvE et le système régulateur à deux composants VirA/VirG (Stachel and Zambryski 1986) (Figure 5, étape 2 et Figure 6). Ces protéines répondent à des signaux végétaux : des composés phénoliques dérivés du syringol (Stachel and Zambryski 1986), certains monosaccharides (Ankenbauer and Nester 1990) et le pH acide (entre 5 et 5,5) (Charles and Nester 1993). L’acidité dans le milieu est détectée par le système ChvG-ChvI qui initie la transcription du régulateur VirG. ChvE fixe des sucres sécrétés par la plante et interagit avec VirA (récepteur présent dans la membrane interne de la bactérie) (Shimoda et al. 1993). L’interaction ChvE/VirA augmente la sensibilité de VirA pour les composés phénoliques et pour les bas pH. VirA est activée et s’autophosphoryle lors de son interaction avec les composés phénoliques (Lee et al. 1995). Puis, VirA phosphoryle la protéine régulatrice cytoplasmique VirG qui se fixe sur les régions promotrices des gènes vir et active leur transcription (Brencic and Winans 2005). Cette étape permet de stabiliser le contact avec l’hôte et permet d’engager le processus de transfert de l’ADN-T.
L’origine des opines chez A. tumefaciens
La première opine, l’octopine, fut découverte en 1927, dans du tissu musculaire de poulpe (Octopus octopodia) (Morizawa 1927). Par la suite, d’autres molécules du même type furent découvertes dans les galles de plantes et en 1977, le nom « opine » (du grec opos : « jus de plante ») leur fut attribué. Les opines sont des composés de faible poids moléculaire, trouvées principalement dans les tumeurs des plantes atteintes de la galle du collet, ou dans les hyperplasies des plantes atteintes du chevelu racinaire. On en trouve également dans certaines plantes qui semblent avoir intégrées de manière définitive un ADN-T dans leur génome, comme certaines espèces de tabac (Chen et al. 2014), et certains champignons (Fushiya, Matsuda, and Yamada 1996). Les opines sont aussi présentes dans les tissus de bon nombre d’invertébrés marins, où elles sont produites en condition d’anoxie ou d’hypoxie à partir du pyruvate, comme moyen alternatif à la production de lactate (Harcet, Perina, and Plese 2013). Il existe aussi une opine chez les eucaryotes supérieurs, la saccharopine, qui est un intermédiaire important dans la voie de dégradation de la lysine (Arruda et al. 2000). Une cinquantaine de molécules correspondant à des opines ont été identifiées et classées par famille.
La famille de l’octopine
L’octopine, initialement découverte dans le muscle de poulpe, a été purifiée à partir d’extraits de galles de plante en 1956 et identifiée comme telle en 1964 (Menage and Morel 1964). Cette opine provient de la condensation enzymatique de pyruvate et d’arginine dans les plantes transformées par des souches de type octopine, comme B6 ou 15955. Elle est importante pour ces souches car il s’agit d’une opine conjugative. D’autres opines dérivées de l’octopine, trouvées dans les galles induites par les agrobactéries possédant un pTi de type octopine, font partie de cette famille. Ces opines sont la lysopine, l’acide octopinique et l’histopine (Biemann et al. 1960; Ménagé and Morel 1965; Kemp 1977). Elles sont issues de la condensation de pyruvate et, respectivement, de lysine, d’ornithine et d’histidine, catalysée par la même enzyme (Hack and Kemp 1977). Une dernière opine contenant une molécule de souffre la sulfomopine appartient à cette famille et a été découverte dans une seule souche d’Agrobacterium de type octopine (Flores-Mireles, Eberhard, and Winans 2012).
Le métabolisme des mannityl-opines
Les mannityl-opines sont les seules opines dont la synthèse n’est pas réalisée en une seule étape de condensation. A l’inverse des autres opines dont une famille entière peut être reconnue par un même transporteur, chaque mannityl-opine serait associée avec un système de transport dédié. La synthèse de la mannopine fait intervenir les enzymes Mas2, qui conjugue fructose et glutamine pour former de la DFG, puis Mas1 qui réduit la DFG en mannopine. La synthèse de l’acide mannopinique se fait vraisemblablement de la même manière, sauf que Mas2 utilise le glutamate au lieu de la glutamine, pour former du DFGA. L’agropine semble formée après action de la cyclase Ags (agropine synthase), parfois annotée Mas0, par lactonisation de la mannopine, bien que l’activité de cette enzyme n’ait encore jamais été vérifiée. Ces trois enzymes sont codées par les gènes du même nom, situés sur la partie transférée des pTi de type octopine et agropine (Figure 12).
Définition et nature de la rhizosphère
La rhizosphère est le compartiment du sol correspondant aux racines et aux quelques millimètres entourant les racines des plantes où a lieu un ensemble de processus écologiques et biologiques mettant en jeu les racines, la structure du sol et les conditions environnementales. Le terme rhizosphère fut employé la première fois en 1904, pour qualifier la zone autour des racines des légumineuses où il y avait une forte densité et de nombreuses activités de microorganismes. Ces dernières sont influencées par les composés libérés par la plante (Hiltner. 1904). La plante au niveau des racines libère de 15 à 40% de carbone issu de la photosynthèse (Hütsch, Augustin, and Merbach 2002). Ces éléments carbonés sont regroupés sous le terme de rhizodépôts. Ils sont composés des exsudats racinaires, de sécrétions de mucilage et de cellules sénescentes (Lynch and Whipps 1990; Nguyen 2003) (Figure 15). Cette ressource trophique favorise la diversité et l’activité des microorganismes pouvant la dégrader (Hinsinger et al. 2009). Ceci permet à la rhizosphère d’être l’habitat microbien le plus actif du sol, avec pour un gramme de sol, entre 1010 et 1011 bactéries (Horner‐Devine et al. 2003) regroupées entre 6000 à 50 000 espèces (Curtis, Sloan, and Scannell 2002). En plus de l’effet trophique, les rhizodépôts permettent une dynamique d’échange entre les plantes elles-mêmes et les plantes avec les microorganismes que l’on nomme « effet rhizosphère » (van der Heijden, Bardgett, and van Straalen 2008; Hartmann et al. 2008; Bais et al. 2006). Dans cette communication chimique, les exsudats racinaires jouent un rôle important (Bais et al. 2004; Neal et al. 2012; van Dam and Bouwmeester 2016). En effet, ils peuvent contenir des molécules signal reconnues par les bactéries. Les plus étudiés sont les flavonoïdes provoquant la nodulation des légumineuses par les Rhizobiaceae. Certains composés peuvent être impliqués dans la régulation de la communauté microbienne du sol, soit pour la colonisation de la rhizosphère via leur activité chimio attractant (Zhang et al. 2014), soit pour la régulation de la population bactérienne via des actions d’inhibition ou d’activation du quorum sensing (Hentzer and Givskov 2003; Elasri et al. 2001) ou encore des activités antimicrobiennes (Baetz and Martinoia 2014; Lanoue et al. 2010). Les rhizodépôts sont classés en deux catégories : faible poids moléculaires (LMW) et haut poids moléculaires (HMW) (Tableau 2). Les composés LMW sont variés (acides aminés, acides organiques, sucres, composés phénoliques et autres métabolites secondaires) et facilement assimilables par les microorganismes. Au contraire, les composés HMW sont difficilement assimilables comme le mucilage (polysaccharides, cellulose) et les protéines. Ils composent la majorité des exsudats libérés en termes de quantité mais ils sont beaucoup moins diversifiés que les LMW. Il existe deux mécanismes de transports, soit passif soit actif, pour exporter les rhizodépôts (Baetz and Martinoia 2014) (Figure 16). Trois processus peuvent être impliqués dans le transport passif : la diffusion à travers la membrane cellulaire pour le relargage des LMW, l’utilisation de canaux ioniques pour les carbohydrates et certains carboxylates et l’utilisation de vésicules pour les HMW (Bradi and Vivanco 2009). Le transport actif est médié par deux familles de transporteurs membranaires : les ABC transporteurs (ATP Binding Cassette) et les MATE (Multidrug And Toxic compound Extrusion).
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Table des matières
Avant-propos
Chapitre 1 : Synthèse bibliographique
1. Le genre Agrobacterium
1.1. Les données taxonomiques
1.2. Le génome d’A. tumefaciens C58
1.3. Le génomes d’A. tumefaciens B6 et R10
1.4. Le Quorum-sensing
2. A. tumefaciens : pathogène de plante
2.1. La galle du collet
2.2. Le cycle infectieux d’A. tumefaciens
Le transfert de l’ADN-T
L’importation du complexe T dans le noyau
L’intégration de l’ADN-T dans le génome végétal
L’expression des gènes portés par l’ADN-T
2.3. Les opines
L’origine des opines chez A. tumefaciens
Le concept d’opine
La classification des plasmides Ti
La classification des opines utilisées par le genre Agrobacterium
La famille de l’octopine
La famille de la nopaline
La famille de la chrysopine
La famille des mannityl-opines
Le métabolisme des mannityl-opines
3. A. tumefaciens : vie dans la rhizosphère
3.1. La rhizosphère
Définition et nature de la rhizosphère
La colonisation de la rhizosphère : « Priority Effect »
La colonisation de la rhizosphère : le cas d’Agrobacterium
3.2. Les RFO (Raffinose Family Oligosaccharides)
Les RFO et leur précurseur
La biosynthèse et le catabolisme des RFO
Le rôle des RFO
4. Les protéines périplasmiques de liaison : rôle dans la perception de signaux moléculaires
4.1. Les transporteurs ABC
Les généralités
Les domaines transmembranaires (TMD)
Les domaines de fixation des nucléotides (NBD)
4.2. Les protéines périplasmiques de liaison (PBP)
Les structures
La classification
La liaison avec le ligand
4.3. Les interactions PBP/transporteurs ABC : initiation du mécanisme de translocation
Objectifs
Chapitre 2 : Caractérisation structurale des PBP impliquées dans la perception des mannityl-opines chez A. tumefaciens B6
1. Le contexte scientifique
2. La présentation des travaux
Article 1: Structural basis for two efficient modes of agropinic acid opine import into the bacterial pathogen Agrobacterium tumefaciens
Article 2: Import pathways of the four mannityl-opines into the bacterial pathogen Agrobacterium tumefaciens: structural, affinity and in vivo approaches
Chapitre 3 : Identification et caractérisation structurale de la PBP MelB impliquée dans la perception des RFO et du galactinol chez A. fabrum C58
1. Le contexte scientifique
2. La présentation des travaux
Article 3: The plant defense signal galactinol is specifically used as a nutrient by the bacterial pathogen Agrobacterium fabrum
Chapitre 4 : Discussions et perspectives
1. La perception des mannityl-opines
1.1. Le transport de l’agropine et de l’acide agropinique
1.2. Le transport de l’acide mannopinique
1.3. Le double système d’import : avantage écologique dans les tumeurs
1.4. La régulation des mannityl-opines
2. La perception des RFO
2.1. La sélectivité de la PBP MelB pour les RFO
2.2. Atu4640 et Atu4665 : rôle et spécificité des deux α-galactosidases
2.3. Régulation de l’expression de l’opéron mel : Atu4659 et influence des HCA sur le transport et la dégradation des RFO
Références bibliographiques
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