La famille des peptides RFamide

La famille des peptides RFamide

Cette famille regroupe un grand nombre de peptides dont la caractéristique commune est de présenter à leur extrémité carboxy-terminale (C-terminale) une arginine (R) suivie d’une phénylalanine (F) qui présente une fonction amide. Le premier représentant de cette famille, dont la séquence est FMRFamide, a été isolé par Price et Greenberg en 1979 dans un ganglion du mollusque Macrocallista nimbosa (Price and Greenberg, 1977). Ce très court peptide a été identifié comme un excitateur cardiaque chez cette espèce. Depuis, des peptides présentant ce même motif RFamide carboxy-terminal ont été identifiés dans d’autres groupes de métazoaires (pour revue : Walker et al., 2009).

Chez les vertébrés, les RFamides sont communément classés en cinq groupes distincts (pour revue : Fukusumi et al., 2006; Tsutsui et al., 2010)  :
– Les GnIH (Gonadotropin Inhibitory Hormone) ont été découverts pour leur rôle inhibiteur de la libération des gonadotropines chez la caille (Coturnix japonica) (Tsutsui et al., 2000). Ils ont été décrits par la suite chez d’autres vertébrés (pour revue : Tsutsui et al., 2010). Bien qu’ils n’aient pas un effet inhibiteur chez toutes les espèces, c’est le nom le plus couramment employé. Toutefois, la nomenclature de ces peptides n’est pas encore homogène et ils peuvent se cacher sous les appellations suivantes : RFRP (RFamide Related Peptide), NPVF (Neuro Peptide VF), fGRP (frog Growth hormone Releasing Peptide). Néanmoins, quelle que soit leur appellation, ils partagent tous le même motif carboxy-terminal LPXRFamide avec X= L ou Q.
– Les NPFF ont été découverts pour leur rôle dans la nociception chez l’humain (Perry et al., 1997). Ils ont par la suite été identifiés chez de nombreux vertébrés (pour revue : Osugi et al., 2006). Ils sont souvent confondus avec les peptides GnIH car très proches structuralement et phylogénétiquement. Tous les peptides NPFF partagent le motif Cterminal PQRFamide (pour revue : Osugi et al., 2006).
– Les 26RFa (peptide RFamide de 26 acides aminés), ont été découverts chez un amphibien, Rana esculenta, pour leur rôle orexigénique (Chartrel et al., 2003). Ces péptides ont également été identifiés chez d’autres vertébrés (pour revue : (Ukena et al., 2011)).
– Les PrRP (Prolactin Releasing Peptide) ont été découverts dans le cerveau humain pour leurs propriétés stimulatrices sur la libération de la prolactine (Hinuma et al., 1998). Ces peptides ont été découverts chez d’autres vertébrés chez lesquels ils pourraient avoir de nombreux rôles (pour revue : Fukusumi et al., 2006).
– Les KISS ou Kisspeptines qui ont fait l’objet de cette thèse seront présentés plus en détail.

Tous ces peptides partagent également la propriété d’être considérés, du moins chez les vertébrés, comme des neuropeptides pouvant agir comme des neuro hormones. En tant que tels, les membres de cette famille peuvent être impliqués dans toutes les fonctions du vivant, de la perception de stimuli internes ou environnementaux (pour revue : (Greives et al., 2008) à la reproduction (pour revue : (Tsutsui et al., 2010) en passant par l’homéostasie générale de l’organisme comme par exemple le contrôle de la prise alimentaire (pour revue : (Bechtold and Luckman, 2007).

Le système kisspeptine

Les kisspeptines

Découverte et diversité des kisspeptines

En 1996, le groupe de D.R. Welch, implanté à Hershey en Pennsylvanie, rapporte la découverte d’un ARNm surexprimé dans des cellules d’une lignée de mélanome humain présentant une faible capacité métastasique (Lee et al., 1996). Cet ARNm, codant pour un peptide précurseur de 145 acides aminés, a été nommé Kiss en l’honneur de la spécialité de Hershey, les fameux « Hershey Chocolate Kiss ». En 1998, West et collaborateurs identifient et localisent sur le chromosome 1 humain, le gène Kiss1 codant pour l’ARNm Kiss (West et al., 1998). En 2001, trois peptides matures sont identifiés et isolés par HPLC à partir d’extrait de placenta humain: Kp(54) (kisspeptine de 54 a.a.), Kp(14) (kisspeptine de 14 a.a.) et Kp(13) (kisspeptine de 13 a.a.) (Kotani et al., 2001; Ohtaki et al., 2001). Ces peptides matures sont issus du clivage enzymatique du prépro-kisspeptine de 145 a.a. Le plus long des trois peptides (Kp(54)) correspond à la métastine, peptide impliqué dans l’effet anti-métastasique sur les cellules de certains cancers (Ohtaki et al., 2001). De plus, il a été montré, en système hétérologue, que le Kp(10) (kisspeptine de 10 a.a. commun aux Kp(54), Kp(14) et Kp(13)) se lie de manière plus spécifique au récepteur des kisspeptines et entraine une plus forte réponse que les kisspeptines plus longs (Kotani et al., 2001; Ohtaki et al., 2001). Depuis 1996, le gène Kiss1 ou ses produits ont été identifiés chez un grand nombre d’espèces appartenant à différents phyla de mammifères (pour revues : Lee et al., 2009; Tsutsui et al., 2010; Um et al., 2010). Il a fallu attendre 2008 pour que le premier Kiss1 soit identifié chez un vertébré nonmammifère, le poisson zèbre (Danio rerio) (Kanda et al., 2008; van Aerle et al., 2008), marquant ainsi le début de l’étude de ce gène chez des espèces non-mammaliennes (pour revues : Lee et al., 2009; Tena-Sempere et al., 2012; Tsutsui et al., 2010; Um et al., 2010). En 2009, Felip et collaborateurs clonent deux ARNm codant pour deux Kiss différents chez un téléostéen, le loup de mer (Dicentrarchus labrax). L’un des deux ARNm a gardé la dénomination Kiss1 en raison du degré de similarité élevé qui existe entre sa séquence de Kp(10) et celles des séquences de mammifères déjà décrites. Le second ARNm a pris l’appellation de Kiss2. La même année, trois ARNm codant pour trois prépro-kisspeptines différents sont clonés chez le xénope (Xenopus tropicalis : Kiss1a, Kiss1b et Kiss2) (Lee et al., 2009). Jusqu’à maintenant, le xénope était l’espèce présentant la plus grande diversité de Kiss. Toutefois, l’existence de deux gènes codant pour différents kisspeptines a été mise en évidence chez le poisson zèbre (Kitahashi et al., 2009), le médaka (Oryzias latipes) (Kitahashi et al., 2009), le poisson rouge (Carasius auratus) (Li et al., 2009), la chimère (Callorhinchus milii) (Lee et al., 2009), la lamproie marine (Petromyson marinus) (Lee et al., 2009) et l’ornithorynque (Ornithorhynchus anatinus) (Lee et al., 2009). Ce dernier est le seul mammifère chez qui deux gènes ont été identifiés. Certaines espèces comme le lézard (Anolis carolinensis), le fugu (Takifugu rubripes), le poisson globe (Tetraodon nigroviridis) ou l’épinoche (Gasterosteus aculeatus) ne présentent dans leur génome que le Kiss2 (pour revue : Tena-Sempere et al., 2012). A ce jour, aucun Kiss n’a été trouvé dans la lignée des oiseaux (pour revues : Akazome et al., 2010; Lee et al., 2009; Tena Sempere et al., 2012; Um et al., 2010).

Structure des kisspeptines

Les gènes codant les kisspeptines

Les gènes Kiss partagent la même structure. En effet, leur region codante (CDS) est répartie sur deux exons . Le premier exon code principalement pour le peptide signal alors que le second exon code pour le reste du prépro-kisspeptine incluant la séquence codant pour les différents peptides matures (pour revue : Tena-Sempere et al., 2012). Les tailles respectives des deux exons dépendent du type de Kiss et de l’espèce dont ils proviennent, mais généralement le CDS fait entre 300 et 480 nucléotides. Le CDS code donc pour une protéine comprise entre 100 et 160 a.a..

Structure primaire des peptides

Les prépro-kisspeptine-1 partagent, entre les espèces, de 12 à 81% d’identité. Ces pourcentages varient de 9 à 82% d’identité pour les prépro-kisspeptine-2. Quant aux pourcentages d’identité d’un type de prépro-kisspeptine par rapport à l’autre, leurs valeurs s’échelonnent de 7% à 16% (pour revue : Tena-Sempere et al., 2012). Ces faibles pourcentages reflètent l’hypervariabilité interspécifique et intergénique des précurseurs des kisspeptines, à l’exception des séquences codant pour les décapeptides matures, Kp(10). En effet, les Kp1(10) partagent entre eux de 70 à 100% d’identité. Les mêmes pourcentages sont retrouvés entre les Kp2(10). Lorsqu’on compare les Kp1(10) aux Kp2(10), on observe de 60 à 90% d’identité.

Les précurseurs des kisspeptines sont maturés par clivages enzymatiques successifs , vraisemblablement réalisés par des prohormones convertases comme par exemple des furines (Kotani et al., 2001) ou les prohormones convertases 1/3 ou 2 (pour revue : Seidah, 2011). En C-terminal juste après le motif RF, ils présentent un site de clivage très conservé chez les neuropeptides de vertébrés, qui est constitué d’une glycine (G) et d’un ou deux acides aminés alcalin, une lysine (K) et/ou bien une arginine (R) (pour revue : Seidah, 2011). Les différents sites de clivage en N-terminal sont constitués d’un ou plusieurs acides aminés alcalins (R ou K) (pour revue : Seidah, 2011). Tous les précurseurs de Kiss2 de téléostéens présentent une arginine en position 13 à partir du motif RF-amide, ce qui semble indiquer l’existence d’un peptide mature de 12 a.a., Kp2(12) (Zmora et al., 2012). Chez le xénope, dont le prépro-kisspeptine-2 présente une arginine 13 a.a. en amont de son motif RFamide, un Kp2(12) a été isolé par HPLC (Lee et al., 2009). En ce qui concerne les précurseurs des Kiss1, il y a conservation d’un acide aminé alcalin en position 16 à partir du motif RFamide chez la plupart des mammifères et des téléostéens, ce qui semble indiquer l’existence d’un Kp1(15) chez ces espèces (Zmora et al., 2012). De plus, les Kp1(15) potentiels des mammifères présentent en N-terminal un acide glutamique (E) qui subirait une pyroglutamilation qui augmenterait l’affinité de Kp1(15) pour le récepteur Kissr, comme l’a montré Lee et al (2009). Cependant, la séquence des Kp(10) est considérée comme la séquence naturelle minimale permettant la fixation spécifique au récepteur, GPR54/Kissr (Kotani et al., 2001). Ceci permettrait d’expliquer la haute conservation de ces séquences au travers des vertébrés.

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Table des matières

Chapitre 1 : Introduction générale
1. La famille des peptides RFamide
2. Le système kisspeptine
2.1. Les kisspeptines
2.1.1 Découverte et diversité des kisspeptines
2.1.2. Structure des kisspeptines
a. Les gènes codant les kisspeptines
b. Structure primaire des peptides
c. Structure tertiaire du decapeptide Kp(10)
2.1.3. Localisation des kisspeptines
2.2. Récepteurs aux kisspeptines
2.2.1. Découverte et diversité des récepteurs à la kisspeptine
2.2.2. Structure des récepteurs à la kisspeptine
a. Les gènes codant pour les Kissr
b. Les récepteurs
2.2.3. Localisation des récepteurs à la kisspeptine
3. Rôles du système kisspeptine
3.1. Rôles divers du système kisspeptine
3.1.1. Suppression des métastases
3.1.2. Répression de l’invasion du trophoblaste chez les mammifères
3.1.3. Autres rôles
a. Rôle dans le pancréas
b. Rôle cardiovasculaire
3.2. Rôle dans le contrôle neuroendocrinien de la reproduction
3.2.1. L’axe cerveau-hypophyse-gonade
a. Les GnRH
b. La dopamine
c. Les gonadotropines hypophysaires
d. Les stéroïdes sexuels
3.2.2. Découverte du rôle du système kisspeptine dans la reproduction
3.2.3. Régulations des Kiss et Kissr au cours de la maturation sexuelle
a. Chez les mammifères
b. Chez les téléostéens
3.2.4. Rétrocontrôles des stéroïdes sexuels
a. Chez les mammifères
b. Chez les téléostéens
3.2.5. Effets in vivo de traitements aux kisspeptines
a. Chez les mammifères
a. Chez les téléostéens
3.2.6. Effets in vitro de traitements aux kisspeptines
4. Problématique
4.1. Modèle de l’anguille
4.1.1. Intérêt biologique de l’anguille
a. Le cycle de vie de l’anguille européenne
b. Maturation expérimentale de l’anguille
4.1.2. Intérêt phylogénétique des élopomorphes
4.2. Génomes d’intérêt phylogénétique
4.3. Objectifs de la thèse
Chapitre 2 : Matériel et Méthodes
1. Expérimentations in vivo
1.1. Provenance des animaux
1.2. Traitements gonadotropes
1.3. Prélèvement des organes
2. Expérimentations in vitro
2.1. Provenance des animaux
2.2. Cultures primaires de cellules hypophysaires
2.3. Traitement des cellules
3. Distributions tissulaires
3.1. Provenance des animaux
3.2. Prélèvement des organes
4. Clonages
4.1. Séquençage des ARNm codant Kissr-2, Kiss2 et Kiss1
4.2. Séquençage des ARNm codant Kissr-1 et Kissr-3
5. Dosage par PCR quantitative en temps réel
6. Analyses statistiques
7. Analyse de bases de données moléculaires
8. Analyses phylogénétiques
9. Analyses synténiques
Chapitre 3 : Mise en évidence du système kisspeptine chez l’anguille européenne : caractérisation d’un récepteur aux kisspeptines et étude in vitro de l’effet direct hypophysaire de différents kisspeptines sur l’expression des hormones gonadotropes d’anguille
1. Introduction de l’article 1
2. Article 1: First evidence for a direct inhibitory effect of kisspeptins on LH expression in the eel, Anguilla Anguilla
Chapitre 4 : Origine et histoire évolutive des récepteurs aux kisspeptines chez les vertébrés : apports des nouveaux génomes et étude de la conservation des Kissr chez l’anguille par détermination de leur distribution tissulaire et de leur régulation au cours d’une maturation expérimentale
1. Introduction de l’article 2
2. Article 2: Multiple kisspeptin receptors in early osteichthyans provide new insights into the evolution of this receptor family
Chapitre 5 : Caractérisation de deux Kiss chez l’anguille, étude de leur conservation par détermination de leur distribution tissulaire et de leur régulation au cours d’une maturation expérimentale
1. Introduction de l’article 3
2. Article 3: The two Kisspeptin genes of the European eel are expressed in the brain-pituitary axis and differentially regulated during experimental maturation
Chapitre 6 : Origine et histoire évolutive des kisspeptines chez les vertébrés: apports des nouveaux génomes et comparaison des histoires évolutives des Kiss et des Kissr chez les vertébrés
1. Introduction de l’article 4
2. Article 4: Comparative evolutionary histories of kisspeptins and kisspeptin receptors in vertebrates reveal both parallel and divergent features
Chapitre 7 : Discussion générale et perspectives
1. Histoires évolutives des Kiss et des Kissr
1.1. Réévaluation de la diversité spécifique des Kiss et des Kissr chez les vertébrés
1.2. Réévaluation de la diversité globale des Kiss et des Kissr au sein des vertébrés
1.3. Tétra-paralogons et origine unique pour chacune des deux familles de gènes
1.4 Identification des chromosomes ayant hébergé les Kiss et Kissr ancestraux
1.5. Evénements indépendants de perte des Kiss et des Kissr selon les lignées de vertébrés
1.6. La 3R et le cas particulier des téléostéens
1.7. Indépendance des histoires évolutives des Kiss et des Kissr
2. Exemple de conservation et de sub-fonctionnalisation des multiples Kiss et Kissr dans le contrôle de la reproduction : le cas de l’anguille
2.1. Distribution des Kiss et Kissr majoritairement dans l’axe gonadotrope
2.2. Régulations différentielles des Kiss et des Kissr au cours d’une maturation expérimentale d’anguilles femelles
2.3. Effet inhibiteur in vitro des kisspeptines sur l’expression de LHβ
2.4. Dualité du rôle du système kisspeptine chez l’anguille
2.5. Rôle ancestral du système kisspeptine
3. Conclusion
4. Perspectives
Conclusion générale
Bibliographie

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