Les travailleurs créanciers post-sursitaires
Le cadre légal
Le sursis offre une triple protection à l’entreprise en réorganisation judiciaire, d’abord, aucune voie d’exécution des créances sursitaires ne peut être poursuivie ou exercée sur les biens meubles ou immeubles du débiteur au cours du sursis (XX.50, al.1CDE) ; ensuite, sous réserve de la déclaration du débiteur lui-même, le débiteur ne peut pas être déclaré en faillite pendant le sursis (XX.50, al.2 CDE) ; enfin, aucune saisie ne peut être pratiquée du chef des créances sursitaires (XX.51, §1 CDE).
Les articles XX.50 et XX.51 CDE forment un ensemble qui contient la règle fondamentale du moratoire de principe en faveur du débiteur. Le moratoire ne concerne toutefois que les créanciers sursitaires au sens de l’article I.22 CDE .
Ainsi, sont sursitaire les créances « nées avant le jugement d’ouverture de la procédure de réorganisation judiciaire ou nées du dépôt de la requête ou des décisions judiciaires prises dans le cadre de la procédure ».
Une lecture a contrario des articles XX.50 et XX.51 CDE atteste que la protection que ces dispositions offrent au débiteur durant le sursis n’est pas absolue. En effet, le moratoire qui est accordé à l’entreprise n’est applicable qu’en ce qui concerne les créances sursitaires. Or, les créances nées de contrats en cours à prestations successives, ainsi que les intérêts sur ces créances, ne sont pas des créances sursitaires en ce sens qu’elles sont nées après l’ouverture de la procédure. Le débiteur est alors dénué de protection face aux initiatives des créanciers titulaires de ces créances.
En effet, l’exposé des motifs précise que « les créances basées sur des prestations successives ne sont pas soumises au sursis si elles ont issues de prestations effectuées après l’ouverture de la procédure. Cette [précision] permet de scinder le statut des créances » .
Il est important de noter que l’interdiction de déclarer le débiteur en faillite ou de le dissoudre judiciairement paralyse tous les créanciers, peu importe qu’ils soient sursitaires ou post-sursitaires .
Les chances de réussite de la PR
L’opportunité de la PRJ, Il va de soi que, avant d’entamer une procédure de réorganisation judiciaire, le débiteur doit s’interroger sur l’opportunité d’une telle procédure.
On l’a vu supra , la procédure de réorganisation judiciaire doit poursuivre un des trois objectifs de l’article XX.39 CDE.
Pour réaliser cet objectif, l’entreprise doit accomplir une série de démarches au bénéfice du sursis. Le sursis est une protection. Mais c’est une protection qui ne représente pas une couverture absolue. En effet, il existe des limites légales à la protection à l’égard des créanciers. Donc, si une entreprise sollicite une PRJ, c’est certes pour réaliser un des objectifs prévus par la loi mais aussi pour le réaliser en jouissant, durant la procédure, du sursis. Toutefois si, compte tenu des limitations à la protection, les dirigeants de l’entreprise savent par avance que cette dernière ne sera pas adéquatement protégée par le sursis, compte tenu des particularités de son activité ou de son passif, l’opportunité de la PRJ peut être remise en cause.
On le sait, le sursis protège l’entreprise contre les créanciers dits sursitaires, c’est-à-dire des créanciers dont la créance est née avant le sursis ou du fait des procédures ayant abouti au sursis lui-même. Par contre, il ne protège pas l’entreprise contre l’initiative des créanciers postsursitaires, c’est-à-dire ceux dont la créance est née après le sursis. Ainsi, il convient d’être particulièrement attentif à ne pas créer de dettes post-sursitaires l’idée étant de ne pas solliciter le bénéfice du sursis pour que l’entreprise « creuse le trou » et se retrouve en fin de compte acculée à une faillite avec une dette qui a augmenté.
Donc, le sursis est une réponse à la situation délicate d’une entreprise qui est sous la pression de créanciers sursitaires. En revanche, le sursis n’est pas une réponse à la situation délicate d’une entreprise qui ne pourra pas faire face à ses dettes post-sursitaires.
Dès lors, quand une entreprise évalue l’opportunité d’une PRJ, elle doit se demander si elle pourra, au cours de la période du sursis, faire face au paiement de ses travailleurs. Si tel n’est pas le cas, le sursis ne la protègera pas.
La fixation, par le juge, de la durée du sursis
On l’a vu, il existe une controverse quant à l’étendue exacte du pouvoir d’appréciation du juge au stade de l’ouverture de la procédure. Toutefois, il parait clair que le juge a peu voire pas de pouvoir d’appréciation quant à l’opportunité et aux chances de réussites d’une procédure de réorganisation judiciaire.
Néanmoins, certains juges se ménagent une marge d’appréciation à cet égard. En effet, dans le jugement qui déclare la PRJ ouverte, le juge doit fixer la durée du sursis.
Or, la fixation de la durée du sursis permet au tribunal d’exercer une influence sur la procédure et de faire obstacle à des procédures dont l’irréalisme sauterait aux yeux. Dans de telles hypothèses, le tribunal peut, en effet, fixer un sursis relativement court afin de ne pas soustraire plus longtemps qu’il n’est nécessaire le débiteur à l’action de ses créanciers .
La jurisprudence a évolué depuis 2009. Si au début, le délai de six mois était la règle générale, au fil du temps, les tribunaux ont eu tendance à réduire la durée du sursis et parfois même à rendre, à dessein, quasi-impossible l’aboutissement de la procédure. Les tribunaux ont eu recours à cette mesure car ils se sentaient coincés par la législation qui les obligeait à ouvrir la procédure en réorganisation judiciaire .
L’action directe du sous-traitant
En cas d’ouverture d’une procédure de réorganisation judiciaire, l’article XX.53, alinéa 4 CDE, qui reproduit le régime de l’article 33, § 5, de la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises, énonce que « l’action directe instituée par l’article 1798 du Code civil n’est pas entravée par le jugement qui a déclaré ouverte la réorganisation judiciaire de l’entrepreneur, ni par les décisions prises par le tribunal au cours de celle-ci ou prises par application de l’article XX.89,§ 2 » .
En d’autres termes, le sous-traitant peut faire usage de l’action directe prévue à l’article 1798 du Code civil, nonobstant une éventuelle procédure de réorganisation judiciaire qui toucherait l’entrepreneur principal .
La solution permet, comme l’a souhaité le législateur, d’éviter dans une certaine mesure « l’effet domino » que pourrait entrainer sur les sous-traitants la procédure de réorganisation judiciaire . Le Parlement a toujours souligné l’importance de la protection des sous-traitants qui pourraient devenir victimes d’un effet de domino .
En ouvrant cette brèche dans la protection offerte par le survis, le législateur a donc voulu protéger les sous-traitants de l’entreprise en procédure de réorganisation judiciaire. De sous-traitance en sous-traitance, au bout de la chaîne, on finit par tomber sur le travailleur salarié. L’idée semble donc qu’en protégeant les sous-traitants, on protège les employeurs et, par contrecoup, leurs travailleurs.
Les contrats de travail en cours
Les travaux préparatoires du livre XX du CDE indiquent que « l’ouverture de la procédure n’entraîne pas en soi la fin des contrats. C’est logique : [le titre relatif à la procédure de réorganisation judiciaire] a été écrit dans un esprit de continuité de l’entreprise » .
L’article XX.56, § 1 CDE prévoit que ni le dépôt de la requête, ni l’ouverture de la PRJ ne mettent fin aux contrats en cours ou aux modalités de leur exécution et ce, nonobstant toute stipulation contractuelle contraire. Ce principe était déjà repris à l’art. 35, § 1 , al. 1 LCE.
Le principe est donc celui de la continuité des contrats en cours. Ainsi, pendant le sursis tant le débiteur que ses contreparties sont tenus de respecter les contrats en cours et leurs modalités . Toutefois, l’article XX.56, §2 précise que le débiteur peut décider unilatéralement de suspendre l’exécutions de ses obligations contractuelles pendant la durée du sursis, lorsque la réorganisation de l’entreprise le requiert nécessairement.
La possibilité de ne pas exécuter les contrats est exclue en cas de réorganisation judiciaire par accord amiable. Pour le reste, le débiteur a donc le droit, même si aucune disposition contractuelle ne le prévoit, de ne plus exécuter (mais pas de résilier) un contrat en cours pendant la durée du sursis .
Cette faculté lui est offerte pour autant que la non-exécution du contrat soit nécessaire pour la réussite de la PRJ. Selon l’exposé des motifs, il faut que la suspension s’avère strictement nécessaire pour mener à bien un plan ou un transfert sous autorité judiciaire . Par ailleurs, il ne suffit pas que cette suspension soit utile. Il s’ensuit que le débiteur doit pouvoir démontrer que la continuation du contrat est de nature à mettre en péril la procédure de réorganisation judiciaire entamée. Il ne suffit pas que la poursuite du contrat soit désavantageuse .
Ce n’est donc pas un blanc-seing pour améliorer la rentabilité de l’entreprise. C’est au demeurant une protection du débiteur à laquelle il ne pourrait renoncer d’avance par une clause contractuelle .
Cadre social de l’accord collectif
Pour rappel, dès que la continuité de l’entreprise est menacée, le débiteur en difficulté peut déposer une requête en vue de préserver la continuité de tout ou partie des actifs et activités de l’entreprise. Il peut viser un ou plusieurs des objectifs repris par la loi. Un des objectifs consiste à obtenir l’accord collectif des créanciers sur un plan de réorganisation.
Si sa requête est déclarée recevable et fondée, et si l’objet de sa demande poursuit un accord collectif, le débiteur obtiendra un sursis qui lui permettra d’élaborer un plan de réorganisation qu’il proposera au vote de ses créanciers .
En vertu de l’article XX.78, alinéa 2, le plan de réorganisation est tenu pour approuvé par les créanciers lorsqu’il recueille le vote favorable de la majorité de ceux-ci, représentant, par leurs créances, la moitié de toutes les sommes dues en principal .
Les mesures pouvant être proposées dans le cadre d’un plan de réorganisation judiciaire sont nombreuses. Elles sont prévues aux articles XX.72 à XX.75 CDE . Il permet au débiteur d’obtenir, notamment, des délais de paiement des créances sursitaires ainsi que des abattements sur ces créances.
L’article XX.72 CDE, en particulier, prévoit que le débiteur peut obtenir des délais de paiement. Dans son plan, il doit indiquer les délais de paiement qu’il postule. Le débiteur peut ainsi proposer aux créanciers un remboursement échelonné en plusieurs paiements successifs (mensuels, trimestriels, …) ou en un seul versement . Il autorise également le débiteur à proposer des abattements de créances en capital et intérêt, augmentations, amendes et frais. Il existe cependant plusieurs dispositions qui limitent la marge de manœuvre du débiteur lors de la rédaction du plan de réorganisation. Cette contribution propose d’évoquer deux limites relatives à des créances que l’entreprise aurait contractées parce qu’elle emploie des travailleurs : les créances de l’administration sociale (XX.73, al. 2 CDE) ; les créances nées de prestations de travail antérieures à l’ouverture de la procédure (XX.73, al. 4 CDE).
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Table des matières
Introduction générale
Section 1. Rappel du cadre général de la PRJ
Section 2. Cadre social de la PRJ en général
Sous-section 1. Les travailleurs créanciers post-sursitaires
I. Le cadre légal
II. Les chances de réussite de la PRJ
a. L’opportunité de la PRJ
b. La durée du sursis
i. Conditions d’ouverture de la procédure
ii. La fixation, par le juge, de la durée du sursis
c. La prorogation du sursis
d. La fin anticipée de la procédure
Sous-section 2. L’action directe du sous-traitant
I. Le cadre légal
II. Les chances de réussite de la PRJ
Sous-section 3. Les contrats de travail en cours
I. Le cadre légal
II. Les chances de réussite de la PRJ
Section 3. Cadre social de l’accord collectif
Sous-section 1. Les créances de l’administration sociale
I. Le cadre légal
II. Les chances de réussite de la PRJ
a. Identifier les créanciers les plus favorisés
b. Justifier la différence de traitement
c. La négociation avec les autres créanciers
Sous-section 2. Les créances nées de prestations de travail
I. Le cadre légal
II. Les chances de réussites de la PRJ
Section 4. Encadrement social du transfert d’entreprise sous autorité de justice
Sous-section 1. Le régime de la directive 2001/23
I. La double protection des articles 3 et 4
II. L’exception de l’article 5
Sous-section 2. Le chapitre II de la CCT n°32bis
Sous-section 3. Le chapitre III de la CCT n°32bis
Sous-section 4. La CCT n°102 et l’article XX.86 CDE
Sous-section 5. Un premier coup de tonnerre : l ’arrêt Smallsteps
I. Le concept de pre-pack cession
II. L’arrêt Smallsteps
Sous-section 6. Un second coup de tonnerre : l ’arrêt Plessers
Sous-section 7. La réception de l’arrêt Plessers dans l’ordre juridique belge
I. Principes de droit de l’Union
II. Principes de droit belge
III. Conséquences pratiques pour le juge belge
a. Interprétation conforme ?
b. La responsabilité de l’état belge du fait du pouvoir législatif ou judiciaire
c. Une condamnation avec sursis
Sous-section 8. Vers un tarissement de la PRJ par transfert d’entreprise sous autorité de justice ?
Conclusion
Bibliographie
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