La facilitation et le conseil : quel(s) rapport(s) ?

Proposer une รฉtude sur la facilitation, cโ€™est sโ€™interroger sur une pratique professionnelle ayant longtemps รฉtรฉ assimilรฉe ร  lโ€™activitรฉ du conseil. La facilitation a รฉtรฉ, en effet, longtemps rรฉduite ร  une collection dโ€™outils et de mรฉthodologies visant ร  faciliter la prise de dรฉcision et les processus collaboratifs au sein dโ€™un groupe de travail. Originaire du monde anglo-saxon, et plus particuliรจrement amรฉricain, la facilitation, selon Dale Hunter , puiseraitย  mรชme ses origines paradigmatiques dans la culture de la cohรฉsion et des processus de dรฉcision collective, chรจre aux communautรฉs quakers traditionnelles amรฉricaines. Mais ceย  sont les annรฉes 1940 qui voient รฉmerger une vรฉritable institutionnalisation de ce que lโ€™on nommera plus tard la facilitation, notamment grรขce ร  la crรฉation de plusieurs organismes liรฉs : le Centre de Recherches MIT pour la dynamique de groupe et le Laboratoire National de Formation aux ร‰tats-Unis ou encore lโ€™Institut Tavistock et lโ€™Institut Roffey Park au Royaume-Uni. Ces institutions continuent dโ€™ailleurs, encore aujourd’hui, ร  รชtre importantes pour le secteur de la facilitation ainsi que pour les professionnels qui sโ€™y rattachent et qui la pratiquent dans le cadre de leur mรฉtier. De mรชme, ces institutions ont permis, en grande partie, la reconnaissance des processus collaboratifs de groupe reconnus dรจs la fin des annรฉes 1940 et ont servi de base pour lโ€™รฉlaboration des outils et des mรฉthodologies de facilitation qui ont trรจs vite intรฉressรฉ le monde du conseil .

Le conseil, un mode de relation entre prestataire et clientย 

Dรฉfinition et genรจse dโ€™une professionย 

Avant de considรฉrer le conseil dans son rapport avec la facilitation, il nous paraรฎt opportun de revenir sur cette activitรฉ professionnelle proprement dite. En plus de nous apparaรฎtre nรฉcessaire dans la dรฉfinition des termes de notre รฉtude et la progression de notre rรฉflexion, lโ€™examen attentif portรฉ sur le mรฉtier de consultant permettra de dรฉgager certains axes pour confronter (au sens propre) les deux activitรฉs dans la suite de la partie. Pour tenter de dรฉterminer, dans sa globalitรฉ, lโ€™activitรฉ de conseil, nous pouvons reprendre, ร  bon escient, la dรฉfinition que propose lโ€™Association Amรฉricaine des Consultants en Management (ACME) qui la qualifie de ยซ service fourni en รฉchange d’honoraires par des personnes extรฉrieures et objectives qui aident les dirigeants ร  amรฉliorer le management, les opรฉrations et la performance รฉconomique des institutions (โ€œA service provided for a fee by objective outsiders who help executives improve the management, operations, and economic performance of institutions.โ€) ยป .

Cette dรฉfinition a le mรฉrite dโ€™รชtre suffisamment large pour inclure diverses typologies de conseil (en accompagnement du changement, en fusion-acquisition, en passant par lโ€™IT ou la stratรฉgie), car si le conseil est divisรฉ en plusieurs branches โ€” et que les consultants aiment ร  le rappeler โ€” toutes ces maniรจres de pratiquer le conseil ont, pour base commune, le fait deย  rechercher ร  ยซ รฉtablir une relation de conseil avec leur client ยป . Autrement dit, quel que soitย  le type de conseil pratiquรฉ, les consultants poursuivent le mรชme but : celui de vendre des prestations intellectuelles dans un domaine dโ€™expertise particulier pour satisfaire les besoins dโ€™un client. Sโ€™instaure ainsi une relation de dรฉpendance de part et dโ€™autre : lโ€™entreprise demandeuse enrichit le ยซ portefeuille client ยป du cabinet tandis que les consultants permettent au client de rรฉsoudre plusieurs problรจmes mettant ร  mal la performance de lโ€™entreprise. Chez THiME, oรน a รฉtรฉ effectuรฉ lโ€™alternance qui sert de support ร  ce travail, une expression revient souvent dans la bouche des collaborateurs pour qualifier leurs objectifs : ยซ on enlรจve les รฉpines du pied du client ยป . Cette affirmation illustre bien lโ€™ambition des consultants qui estย  dโ€™extirper les difficultรฉs dโ€™une entreprise, et par lร  mรชme, manifeste le type de relation entretenu entre consultant et client, qui peut s’assimiler, sous ce rapport, ร  une relation entre mรฉdecin et malade .

Comme le remarque le sociologue des organisations Michel Villette , lโ€™activitรฉ de 16 conseil semble รฉtrangement faire รฉcho ร  un rรฉflexe profond chez lโ€™homme : celui de demander conseil avant de prendre une dรฉcision. Les rois ou les membres de lโ€™aristocratie et de la noblesse fortunรฉe se sont toujours entourรฉs de personnes chargรฉes de les conseiller pour dรฉfinir une politique ou une stratรฉgie โ€” terme, par ailleurs, extrรชmement mobilisรฉ dans le conseil et le langage managรฉrial, mais qui appartient originellement au vocabulaire militaire. Ce simple constat dโ€™ordre politico-historique interpelle, car il en ressort que le conseil a toujours รฉtรฉ lโ€™affaire dโ€™une รฉlite et quโ€™il sโ€™agit donc dโ€™une prestation particuliรจrement onรฉreuse .

De mรชme, si lโ€™activitรฉ de conseil est formellement apparue au XIXe siรจcle avec l’apparition de cabinets tels que ceux de William Welch Deloitte (1845) ou encore Harding & Puellin (1849) , elle semble nรฉanmoins trouver ses racines dรจs lโ€™Antiquitรฉ grecque. Au Ve siรจcleย  avant J.-C., les sophistes, et en particulier leur figure de proue, Protagoras, furent, par exemple, les premiers dans la Grรจce antique ร  proposer leurs services de formation en rhรฉtorique contre le versement dโ€™un salaire . Mais lโ€™essor de cette activitรฉ, ร  proprementย  parler, ne se fait quโ€™ร  partir de la Rรฉvolution Industrielle. En France, et plus largement en Europe, les premiers consultants en organisation โ€” que lโ€™on appelait alors ingรฉnieursconsultants โ€” sont des disciples du taylorisme fortement conditionnรฉs par les recherches acadรฉmiques des รฉcoles de commerce anglo-saxonnes, donnant ร  cette activitรฉ professionnelle une forte dimension internationale, et ce, dรจs son origine. Le monde universitaire, ร  dominante amรฉricaine et anglaise, thรฉorise des modรจles standards dโ€™organisation pour les cabinets conseillant les entreprises du monde entier. Nous pouvons, ร  cet รฉgard, parler dโ€™une premiรจre mondialisation par le conseil .

Conseil et impรฉratif de contrรดle

Selon la lecture de Michel Villette, la relation client est ainsi au coeur du mรฉtier de consultant car il sโ€™agit du dรฉnominateur commun entre toutes les branches du conseil. Pour maintenir une image irrรฉprochable auprรจs du client, le consultant se doit de respecter un maรฎtre mot, celui de contrรดle : ยซ autocontrรดle de chacun des consultants, contrรดle de ce qu’il dit par les autres membres du cabinet, supervision de toutes les prestations publiques par l’incontournable responsable de la communication, vรฉritable gardien du temple, qui รฉtablit chaque annรฉe un โ€œplan de communicationโ€ spรฉcifiant les thรจmes prioritaires sur lesquels porteront les messages adressรฉs aux clients, aux candidats ร  l’embauche, ร  la communautรฉ financiรจre et aux divers prescripteurs et partenaires ยป .ย  Ce contrรดle exigรฉ du consultant par tout cabinet vis-ร -vis du client se manifeste, en particulier, dans lโ€™habitude quโ€™a les consultants de parler dโ€™eux et de leurs actions au futur โ€” autrement dit, non pas ยซ en rรฉfรฉrence ร  ce qu’ils font, mais ร  ce qu’ils voudraient รชtreยป . Ici,ย  le contrรดle rime avec la promesse. Lโ€™exercice de la proposition commerciale, bien connu des consultants, sโ€™insรจre tout ร  fait dans cette considรฉration. Tout lโ€™enjeu rรฉside dans le projet dโ€™accompagnement du client dans la transformation qu’il mรจne ou dans la problรฉmatique quโ€™il rencontre et qui donne une impression de contrรดle de la situation alors que, dans les faits, les modalitรฉs de lโ€™accompagnement changent souvent au cours de la mission de lโ€™aveu mรชme des consultants. L’alternance chez THiME a รฉtรฉ lโ€™occasion de le constater plus dโ€™une fois โ€” lโ€™ajout de jours-hommes supplรฉmentaires non prรฉvus dans la proposition commerciale initiale ร  la demande du client vers la fin dโ€™une mission, par exemple, nโ€™รฉtant pas rare.

Dans cet habitus (au sens bourdieusien) du contrรดle et afin de garantir une certaine impression dโ€™objectivitรฉ scientifique, Michel Villette remarque que le consultant prรฉfรจre faire parler les sources quโ€™il utilise plutรดt que dโ€™engager sa personne et son point de vue dans les formules quโ€™il emploie. Lร  encore, les propositions commerciales en sont les dรฉmonstrations les plus รฉloquentes. Toujours anonymisรฉes โ€” les rรฉdacteurs et concepteurs de ces propositions รฉtant toujours dissimulรฉes derriรจre lโ€™entitรฉ quโ€™est le cabinet โ€”, les propositions commerciales, chez THiME et comme ailleurs, mobilisent volontiers la deuxiรจme personne du pluriel et appuient toujours leurs raisonnements sur les faits chiffrรฉs tels que prรฉsentรฉs par le client.

Rรฉgie par lโ€™impรฉratif du contrรดle, la mรฉthodologie du conseil suit, peu ou prou, le mรชme cycle sรฉquentiel, avec peu de variations au sein des diffรฉrents cabinets, mรชme dans ceux oรน lโ€™approche se veut diffรฉrente, comme le cabinet dans lequel jโ€™ai exercรฉ mon apprentissage, THiME. Ainsi, une mission commence toujours par une phase prรฉliminaire, avec la prise de contact avec client, la formulation de la proposition commerciale, puis les premiรจres investigations, lโ€™รฉlaboration des recommandations et des livrables, et enfin, le dรฉploiement de la solution conรงue .

Paradoxalement, et en dรฉpit des signes (au sens sรฉmiotique du terme) que renvoie le monde du conseil (contrรดle, objectivitรฉ), l’expertise du cabinet, sur lequel tout son modรจle รฉconomique est pourtant construit, nโ€™est pas l’รฉlรฉment central pour son activitรฉ de conseil. Cโ€™est ainsi que selon Michel Villette, la renommรฉe dโ€™un cabinet de conseil est plus importante que son expertise. Le sociologue va mรชme plus loin en affirmant que ยซ le conseil nโ€™est pas un mรฉtier mais une relation ยป. En effet, si le conseil est souvent perรงu comme lโ€™apport dโ€™une expertise auprรจs dโ€™une entreprise cliente, cโ€™est moins la premiรจre partie que la deuxiรจme partie de cette proposition qui est vraie โ€” lโ€™apport dโ€™expertise pouvant se rรฉaliser dans un tout autre cadre que celui du conseil. La relation client est donc รชtre au coeur du mรฉtier de conseil.

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Table des matiรจres

Introduction
Premiรจre partie : La facilitation et le conseil : quel(s) rapport(s) ?
Chapitre liminaire : Le conseil, un mode de relation entre prestataire et client
Chapitre I : La facilitation : des outils et des mรฉthodes de travail au service du conseil ou un mรฉtier en devenir ?
Chapitre II : La facilitation comme posture et nouveau mode de relation au client
Deuxiรจme partie : La posture du facilitateur : lโ€™รฉthique du care ou de la sollicitude au service des entreprises ?
Chapitre liminaire : Quโ€™est-ce que le care ?
Chapitre I : La facilitation, une approche globale du travailleur dans lโ€™entreprise
Chapitre II : Le facilitateur et le rapport ร  la solution ou ยซ lโ€™intelligence collective ยป
Troisiรจme partie : Lโ€™apprรฉhension de la facilitation dans le conseil chez THiME
Chapitre I : Lโ€™alliance de la facilitation et du conseil : porteuse dโ€™une identitรฉ dโ€™entreprise et dโ€™une relation au client
Chapitre II : Moi, consultante-facilitatrice junior
Conclusion
Bibliographie
Annexes

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