Derrière l’appellation « forêt méditerranéenne » se cache une réalité polysémique. Celle-ci peut ainsi être l’écrin d’une villa ou d’un lieu de villégiature, un patrimoine familial ou commun à préserver, un paradis pour le botaniste ou l’écologue voire, parfois, la « star » des journaux télévisés quand elle est parcourue par de grands incendies. Elle est aussi un objet de recherche pour les écologues, les biogéographes et les forestiers depuis le début du XXème siècle. Elle a ainsi justifié le rassemblement de gestionnaires et de chercheurs de multiples spécialités dès 1908 avec la création de la Société Forestière Méditerranéenne et Coloniale qui publia la revue trimestrielle « Le chêne », consacrée à la forêt, la chasse, la pêche et au tourisme, jusqu’en 1939. Parallèlement en 1911 fût créée l’Association Forestière Méditerranéenne, à caractère international, qui devint Sylva Mediterranea en 1922 et publia une revue éponyme qui aborda la gestion, la reconstitution, la protection et la connaissance de cette forêt de 1924 à 1935. D’autres associations et revues ont aujourd’hui repris le flambeau, notamment l’association française Forêt Méditerranéenne et sa revue du même nom créées en 1978.
La fabrication du concept de gestion durable des forêts et ses enjeux en forêt méditerranéenne
Du développement durable à la gestion durable des forêts
Les visions de la forêt et de sa gestion
Les diverses visions de la forêt peuvent être regroupées en quatre grandes approches : une approche fonctionnaliste qui envisage la forêt comme un écosystème pouvant remplir de nombreuses fonctions valorisables par l’homme, une approche sociologique qui appréhende la forêt à travers ses perceptions et représentations et en fait avant tout un objet social, une approche chiffrée par les économistes qui tentent de déterminer une valeur économique total du milieu naturel et enfin une approche systémique par les géographes qui s’intéressent avant tout aux interrelations entre l’écosystème et les sociétés.
L’approche fonctionnaliste : les fonctions de la forêt
Cette approche, qui est celle des forestiers et des écologues, appréhende la forêt à l’aide des sciences naturelles, permettant de caractériser et de comprendre le fonctionnement de l’écosystème forestier, et des savoirs techniques qui permettent de la gérer. Elle conduit à aborder la forêt et sa gestion à travers le filtre de trois fonctions : la fonction économique, la fonction écologique et la fonction sociale. Celles-ci se constatent et se mesurent ce qui permet d’évaluer leur importance voire de juger de leur réalité objective. Comprendre cette approche, c’est aussi comprendre qui sont les forestiers, quels sont les liens qui les unissent à la forêt et comment ils se positionnement dans la société.
La forêt, espace de production …
a) … d’une matière première : le bois
Grâce à la croissance des arbres, la forêt est un milieu qui produit une matière première renouvelable : le bois. La culture et l’entretien des peuplements se traduisent par une récolte plus ou moins importante de produits ligneux qui vont ainsi alimenter toute une filière de transformation. Ces récoltes sont directement dépendantes de la physionomie des forêts, ellemêmes issue de la combinaison de facteurs naturels (les conditions écologiques) et de facteurs humains (propriétaires, mode de gestion). Les résultats des inventaires et des études statistiques pour les années 2005 à 2008 de l’Inventaire Forestier National (IFN) publiés notamment sur son site internet permettent de dresser une photographie de l’état de la ressource forestière française métropolitaine. La forêt dite « de production », c’est-à-dire dont l’objectif déterminant de gestion est la production de bois, couvre environ 15 millions d’hectares (environ 28 % du territoire métropolitain). 74 % de cette surface appartient à des propriétaires privés, le reste étant géré par l’Office national des forêts (ONF) soit pour l’Etat (forêts domaniales, environ 10 % de la surface forestière) soit pour les collectivités territoriales (16 % de la surface forestière). Cette forêt, largement dominée par les feuillus (près de 70 %), produit annuellement plus de 100 millions de m3 . La récolte totale, quant à elle, est évaluée entre 60 et 65 millions de m3 dont près de 38 millions de m3 sont commercialisés, le reste étant lié à l’autoconsommation ou à la vente directe au particulier par le propriétaire. Contrairement à la production qui augmente régulièrement, au même rythme que le volume sur pied, la récolte commercialisée varie peu (hormis le pic de 2000 qui correspond aux récoltes exceptionnelles faisant suite aux tempêtes de 1999), passant de 31,8 millions de m3 en 1980 à 37,7 millions en 2007 (+18,5 % en 27 ans).
La valeur de la récolte commercialisée était de 1,1 milliard d’euros en 1999 (avant tempêtes) auquel il faut ajouter environ 250 millions d’euros de bois de feu non commercialisé . Ce chiffre d’affaires s’élève à près de 60 milliards d’euros en 2006 (SESSI, 2008) pour l’ensemble de la filière forêt-bois (sylviculture, exploitation forestière, industries du bois). Cette filière emploie environ 392 000 personnes en 2007 en France. Ces emplois, bien qu’essentiellement industriels (première et deuxième transformations) sont très majoritairement localisés en zone rurale à proximité des grands massifs forestiers. Ils contribuent ainsi de façon parfois très importante au développement économique des territoires (Landes de Gascogne) et permettent le maintien d’une activité économique dans des zones de montagne (Jura).
b) … de produit « non-bois »
Ce sont très majoritairement la récolte de champignons forestiers et la location de la chasse qui représentent l’essentiel des revenus annexes de la forêt.
Les principaux champignons forestiers récoltés et commercialisés sont la truffe, le cèpe et la girolle. Si seul un tiers des 20 à 40 tonnes de truffes récoltées annuellement est issu du milieu forestier, les 2500 à 4500 tonnes de cèpes et girolles y sont intégralement récoltées. Mesurer avec précision le poids économique de ces récoltes (estimé à environ 11 millions d’euros pour la saison 2002-2003 ) est un exercice difficile en raison des grandes variations tant des volumes que des prix unitaires. D’autre part, il y a toujours lieu de se demander si le récoltant, et donc le vendeur, est réellement le propriétaire du fond, seul habilité à commercialiser les produits issus de ses terrains au titre de la loi. Il est cependant indéniable que la récolte des champignons forestiers génère une activité économique importante bien que saisonnière et aléatoire.
Détenteur du droit de chasse, le propriétaire peut louer ou concéder ce droit générant ainsi un revenu annuel souvent non négligeable, voire parfois supérieur à celui des ventes de bois. La consultation des petites annonces sur le site du Chasseur Français permet de donner une fourchette de prix comprise entre 800 et plus de 3000 €/an (en fonction des surfaces de chasse, des régions et du type de gibier) pour la location d’une action ou part de chasse sur des territoires au moins en partie forestiers. Cependant, ces chiffres doivent être pris avec prudence car ils ne concernent que peu de propriétaires forestiers privés. En effet, pour donner lieu à une location, le territoire de chasse doit être suffisamment étendu (plusieurs dizaines d’hectares) et le grand morcellement de la forêt privée française (plus de 95% des 3,5 millions de propriétaires privés possèdent moins de 10 ha) représente ici un handicap de taille. Ainsi, en 2003, seul 2 % des propriétaires privés ont un bail de chasse rémunéré sur une surface moyenne de 51 ha. Cette même année, la location de la chasse a rapporté environ 24 millions d’euros aux propriétaires privés (Ministère de l’agriculture et de la pêche, 2005 : Les indicateurs de gestion durable des forêts françaises).
La forêt, écosystème …
La présence d’un couvert forestier modifie localement les conditions écologiques créant ainsi un écosystème spécifique. Celui-ci, grâce à ses caractéristiques propres, rend des services écologiques qui peuvent être classés en deux catégories (Normandin, 1998). Les services physico-chimiques, en premier lieu, concernent les influences des forêts sur d’autres éléments naturels (sol, eau, air). Ce sont les rôles de maintien des sols, de régulation du cycle de l’eau, d’effet sur la qualité des eaux ou de fixation de gaz carbonique. Les services biologiques, ensuite, prennent en compte le rôle que jouent les forêts dans la conservation de nombreuses espèces animales et végétales, c’est-à-dire la biodiversité. Il convient d’ajouter à ces services la contribution des forêts à la formation des paysages qui participent tout autant aux fonctions écologiques qu’à la fonction sociale.
Protecteur des éléments naturels
Les influences des forêts sur les sols, l’eau et l’air sont connues depuis près de deux siècles et entraient déjà dans les préoccupations des instigateurs du premier code forestier français en 1827.
Le maintien des sols
Ce rôle d’ancrage et de fixation des sols contribuant ainsi à prévenir les coulées de boue ou les glissements de terrain est bien connu depuis la fin du XIXème siècle et les travaux de reboisement du Mont Aigoual sous la direction de Georges Fabre. En effet, suite aux crues catastrophiques de la décennie 1850/1860, la France a mis en place une politique volontariste de lutte contre l’érosion à partir de 1860 : c’est la naissance du service et des techniques de la Restauration des terrains en montagne (RTM) mais aussi des grands reboisements à objectif de protection des sols. Au-delà de ces forêts de protection, dont l’objectif principal de gestion est le maintien d’un état boisé cohérent avec la protection des sols et la lutte contre les risques naturels, tout boisement contribue au maintien des sols. Peu d’études et/ou de publications scientifiques sur les effets d’un couvert boisé sur l’érosion des sols sont disponibles. Meunier (1996) a tout de même montré que la moyenne interannuelle de débit solide passe de 177 tonnes par hectare pour un bassin versant dénudé à 4 tonnes pour un bassin versant boisé. De plus, un sol boisé (contenant donc des racines) peut infiltrer quasiment toute la pluie (180 mm sur 196 mm par heure pendant plus de deux heures), l’écoulement de surface responsable de l’érosion peut alors être considéré comme nul. A l’inverse, un sol dont la végétation et les racines ont été enlevées n’infiltre qu’une infime partie de la pluie (10 mm sur 134 mm par heure pendant 45 minutes), c’est donc l’écoulement de surface qui l’emporte ici et provoque une érosion du sol.
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Table des matières
Introduction générale
Première partie La fabrication du concept de gestion durable des forêts et ses enjeux en forêt méditerranéenne
Chapitre I – Du développement durable à la gestion durable des forêts : évolution des contenus et des concepts
1. Les visions de la forêt et de sa gestion
2. La gestion durable des forêts, traduction appauvrie du développement durable
3. La mise en œuvre de la gestion durable des forêts, trois approches alternatives
Chapitre II – Singularités et enjeux de la forêt méditerranéenne
1. Les facteurs physiques de la méditerranéité
2. Les facteurs humains et sociétaux de la méditerranéité
3. Les écosystèmes spécifiques de la forêt méditerranéenne
4. La forêt méditerranéenne, des espaces multi-usages
5. Conséquences des spécificités de l’écosociosystème forestier méditerranéen en termes de gestion durable
Chapitre III – De la théorie à la pratique dans la forêt méditerranéenne : politiques publiques, outils et territoires
1. La forêt méditerranéenne dans les politiques publiques
2. Les outils de gestion durable de la forêt méditerranéenne
3. Les PNR et la forêt méditerranéenne, l’exemple de la région PACA
Deuxième partie Les pratiques de gestion forestière dans le territoire du PNR des Alpilles
Chapitre IV – Le PNR des Alpilles, ses espaces boisés et les enjeux de leur gestion durable
1. La forêt dans les Alpilles, un contexte difficile
2. Une charte conservatrice prônant la gouvernance à tous les niveaux
Chapitre V – Gérer sa forêt, le propriétaire face à la gestion durable
1. Deux forêts représentatives des problématiques méditerranéennes
2. Un propriétaire privé pragmatique et opportuniste
3. La gestion de la forêt communale, une collaboration imposée avec l’ONF
Chapitre VI – Coordonner des actions collectives, le PNRA face à la gestion durable
1. Les stratégies de prévention dans les Alpilles
2. Le projet RECOFORME, regrouper les propriétaires privés pour agir
3. La maîtrise d’ouvrage du PIDAF par le parc : programmation et financement
Troisième partie Déconstruction de l’action du PNR des Alpilles, les freins et les atouts pour la mise en œuvre de la gestion durable
Chapitre VII – Objectifs et méthodologie de déconstruction de l’action du PNR des Alpilles
1. Evaluer l’action d’un PNR
2. Le programme QualiGouv, une évaluation interne au PNR des Alpilles
3. Démarche et méthodologie de l’étude
4. Un premier état des lieux de la situation dans le PNR des Alpilles
Chapitre VIII – Les atouts pour la mise en œuvre de la gestion durable
1. Des acteurs réunis autour d’un patrimoine commun
2. Les Alpilles : un territoire et une identité
Chapitre IX – Les freins à la mise en œuvre de la gestion durable
1. Des dysfonctionnements liés au « facteur humain »
2. Le jeu des acteurs à l’origine des dysfonctionnements
3. Les pratiques des acteurs du parc et la gouvernance
4. Une situation à relativiser
Conclusion générale