La dysphonie dans la maladie de Parkinson
Physiologie de la phonation
Lโappareil phonatoire est constituรฉ de trois niveaux : le niveau respiratoire, le niveau vibratoire et le niveau articulatoire.
La production des sons vocaux est permise par les mouvements dโair engendrรฉs par lโinspiration et lโexpiration. Lโinspiration est une phase passive oรน le diaphragme sโabaisse et laisse pรฉnรฉtrer lโair dans les poumons qui se gonflent. Lโexpiration est une phase active qui permet le contrรดle expiratoire et ainsi la rรฉgulation de la pression de lโair expirรฉ. Cette phase met en jeu les muscles abdominaux et thoraciques lorsque le diaphragme reprend sa position initiale. Le larynx est lโorgane principal de la voix. Il est constituรฉ de cartilages . reliรฉs par des ligaments et des muscles recouverts de muqueuses. Il contient les plis vocaux (ou cordes vocales) qui, sous la pression d’air expirรฉ, vont sโouvrir et se fermer. Ce cycle dโouverture-fermeture entraรฎne une modulation de lโair sous le plan glottique ce qui va gรฉnรฉrer lโonde sonore. Les muscles intrinsรจques du larynx permettent lโabduction ou lโadduction et la tension ou la relaxation des plis vocauxย ce qui permet la variation de lโonde sonore gรฉnรฉrรฉe cโest-ร -dire lโobtention dโun son grave ou aigu (McFarland, 2016).
Cette onde sonore est ensuite modulรฉe au niveau articulatoire. Les cavitรฉs buccale et nasale, le voile du palais, la langue, les lรจvres modifient le trajet de lโair expirรฉ et lโonde sonore ce qui permet de produire les sons de la parole (Le Huche et al., 2001), (Henrich Bernardoni, 2012).
Dysarthrie et dysphonie dans la maladie de Parkinson
On parle gรฉnรฉralement de ยซ dysarthrie parkinsonienne ยป pour regrouper tous les troubles de la voix et de lโarticulation dans la MP. Elle se caractรฉrise par quatre niveaux dโatteinte : la respiration, la voix, la prosodie et lโarticulation. Concernant lโarticulation, le terme de ยซ dysarthrie hypokinรฉtique ยป est utilisรฉ pour dรฉcrire la pauvretรฉ et le manque dโamplitude des gestes articulatoires, rรฉsultant de lโatteinte des noyaux gris centraux (Auzou, 2009).
La dรฉfinition de la dysphonie est multiple. Selon S. Pinto, ยซ la dysphonie serait dรฉfinie comme un trouble pneumo-phonatoire dโorigine neurologique, morphologique ou dysfonctionnel, cโest-ร -dire incluant toutes les formes de dysfonctionnement laryngรฉ quelle que soit son origine ยป (S. Pinto et al., 2010). Selon la dรฉfinition donnรฉe par lโASHA cโest un ยซ trouble qui affecterait la qualitรฉ, la hauteur et le volume de la voix et impactant la vie quotidienne du sujet. Ces troubles peuvent รชtre dโorigine organique, structurelle, neurologique, fonctionnelle ou psychogรจne ยป (Voice Disorders, s. d.). On distingue par ailleurs les dysphonies hyperkinรฉtiques liรฉes ร un excรจs de tensions laryngรฉes, des dysphonies hypokinรฉtiques liรฉes ร un manque de tonus et entraรฎnant un dรฉfaut de fermeture glottique (Foisneau et al., 2003). Lโhypophonie au sein de la MP, qui est donc une forme de dysphonie hypokinรฉtique est gรฉnรฉralement considรฉrรฉe comme une dysarthrie car elle est dโorigine neurologique (Pinto et al., 2008). La dysarthrie dans la MP correspond en rรฉalitรฉ ร divers mรฉcanismes pathologiques tant respiratoires, phonatoires quโarticulatoires, ce qui a amenรฉ certains auteurs ร employer le terme de dysarthro-pneumo-phonie pour qualifier cette atteinte globale de la parole (Pinto et al., 2010). Il y aurait un caractรจre prรฉcoce de la dysphonie seule, au cours de la MP. En effet, certaines รฉtudes ont montrรฉ que des modifications de la frรฉquence fondamentale de la voix pouvaient รชtre enregistrรฉes 5 ans avant la pose du diagnostic (Harel et al., 2004). Ho et al, ont montrรฉ que la dysphonie prรฉdominait dโautant plus que lโatteinte globale de la communication รฉtait moins sรฉvรจre et que lโon retrouvait une dysphonie chez 94% du groupe de patients avec une maladie ร un stade lรฉger. A contrario, les troubles articulatoires nโรฉtaient retrouvรฉs que chez des patients ร un stade modรฉrรฉ et se majoraient avec lโรฉvolution de la maladie (Aileen K. Ho et al., 1998).
Frรฉquence et รฉvolution
La dysphonie est un trouble prรฉcoce, se retrouvant ร des stades lรฉgers ร modรฉrรฉs de la maladie et souvent sous-estimรฉ. Lโhypophonie et les troubles vocaux sont pris en compte seulement ร des stades avancรฉs, lorsque lโintelligibilitรฉ du patient est touchรฉe. Cโest pourtant un trouble frรฉquent, comme le montre une รฉtude suรฉdoise qui rapporte 70% de troubles vocaux chez une cohorte composรฉe de 250 patients (Hartelius et al., 1994). Au cours de lโรฉvolution de la maladie, les troubles phonatoires รฉvoluent vers des troubles arthriques qui rendent peu ร peu le discours difficilement intelligible, ce qui impacte grandement la qualitรฉ de vie du malade. La prise en soins se doit donc dโรชtre prรฉcoce et instaurรฉe dรจs le stade initiale de la maladie pour ralentir au maximum la progression de ces troubles (Rolland-Monnoury, 2009).
Caractรฉristiques de la dysphonie dans la maladie de Parkinson
Dans la MP, les trois รฉtages de la phonation peuvent รชtre marquรฉs par des anomalies ce qui engendre un dรฉrรจglement du geste phonatoire au niveau respiratoire, laryngรฉ ou articulatoire et engendre les altรฉrations dรฉcrites ci-dessous.
Les anomalies ventilatoiresย
Il a รฉtรฉ montrรฉ que la dรฉgรฉnรฉrescence de la substance noire sโaccompagnait dโune perte neuronale des noyaux du tronc cรฉrรฉbral, ce qui pouvait รชtre mis en lien avec les anomalies respiratoires dans la MP. En effet, il y aurait une faiblesse des muscles inspiratoires et expiratoires qui serait liรฉe aux tremblements ou ร des mouvements de saccades du diaphragme (Baille et al., 2016). De plus, la rigiditรฉ et lโakinรฉsie limiteraient les gestes respiratoires, ceci accentuรฉ par les troubles de la posture (souvent penchรฉe en avant) qui restreindraient รฉgalement la prise dโair au niveau abdominal. Ces รฉlรฉments engendreraient une respiration thoracique superficielle et donc une diminution du temps maximum phonatoire (Bedynek, 2010).
La dysphonie
La dysphonie dans la MP se caractรฉrise par plusieurs modifications tant sur le plan qualitatif que quantitatif. Lโanalyse qualitative, bien que subjective, permet gรฉnรฉralement de qualifier la voix de faรงon plus reprรฉsentative concernant les capacitรฉs de phonation ressenties par le patient et ce, notamment ร des stades prรฉcoces de la maladie. La voix est frรฉquemment qualifiรฉe comme faible avec des difficultรฉs ร se faire entendre dans le bruit, monotone, รฉraillรฉe ou rauque (Hartelius et al., 1994).
Grรขce ร des mesures objectives, Daniรจle Robert et son รฉquipe ont montrรฉ que plusieurs paramรจtres de la voix sont en effet atteints, ce qui est ร mettre en lien avec le ressenti vocal du patient (Robert et al., 2005) :
โ Altรฉration de la frรฉquence fondamentale (F0) : les rรฉsultats des รฉtudes sont contrastรฉs mais il y aurait une รฉlรฉvation de la F0, notamment chez lโhomme. Cette รฉlรฉvation a pour consรฉquence un ressenti plus aigu de la voix et serait un mรฉcanisme compensatoire par serrage laryngรฉ, au dรฉfaut dโaccolement glottique. Les paramรจtres acoustiques touchรฉs seraient รฉgalement dรฉpendants du sexe et ร mettre en lien avec les diffรฉrences anatomiques du larynx de lโhomme et de la femme (Hertrich et al., 1995). La longueur des plis vocaux nโest effectivement pas la mรชme en fonction du sexe : la longueur moyenne des cordes vocales chez lโhomme est de 17 ร 25 mm et de 13 ร 18 mm chez la femme. La masse vibrante nโest รฉgalement pas la mรชme : les plis vocaux dโun homme sont plus รฉpais que ceux dโune femme rendant donc la voix plus grave ;
โ Altรฉration du timbre vocal : instabilitรฉ en hauteur de la voix (jitter) et instabilitรฉ en amplitude de la voix (shimmer). Les รฉtudes montrent une augmentation de ces deux paramรจtres dans la MP. Les altรฉrations du timbre sont perรงues par un รฉraillement, un tremblement vocal ou une voix soufflรฉe. Le caractรจre soufflรฉ de la voix peut sโexpliquer par le dรฉfaut dโaccolement glottique et lโรฉraillement serait dรป ร lโinstabilitรฉ de vibration laryngรฉe ou un serrage pour compenser la fuite glottique.
โ Hypophonie : due ร la fuite glottique et au trouble du contrรดle du volume expiratoire. Cela se traduit par une voix perรงue comme peu forte par lโentourage mais pas par le patient, qui ne le remarque pas. Cela engendre des difficultรฉs ร augmenter et moduler lโintensitรฉ pour compenser cette diminution objective de lโintensitรฉ (Ho et al., 2001).
โ Altรฉration de lโattaque : temps de latence ร lโattaque ou tremblement liรฉ ร lโinstabilitรฉ de vibration des plis vocaux.
Une รฉtude par laryngoscopie a permis de mettre en รฉvidence un dรฉfaut de fermeture glottique chez des patients atteints de MP. Il a รฉgalement รฉtรฉ montrรฉ que la rigiditรฉ asymรฉtrique de la MP pouvait รชtre retrouvรฉe sur les plis vocaux. Cette anomalie dโaccolement glottique รฉtait toujours retrouvรฉe sur le cรดtรฉ du corps le plus affectรฉ par le dรฉficit moteur. Le dรฉfaut dโaccolement des cordes vocales serait responsable dโune fuite trop importante dโair lors de la phonation, ce qui engendrerait les dรฉficits vocaux citรฉs ci-dessus et la mauvaise qualitรฉ vocale ressentie par les patients. Ces dรฉficits accentuent dโautant plus la mauvaise gestion de la pression expiratoire, ce qui accroรฎt le dรฉrรจglement du cycle pneumo phonique. Des รฉtudes par รฉlectromyographie ont รฉgalement montrรฉ que la rigiditรฉ sโappliquait รฉgalement aux muscles intrinsรจques du larynx ce qui pouvait donner cette forme ovalaire aux plis vocaux et engendrer la fuite glottique (Ma et al., 2020).
Pour compenser cette hypotonicitรฉ laryngรฉe et ce dรฉfaut de fermeture glottique, le patient peut solliciter les muscles extrinsรจques du larynx, ce qui peut engendrer un serrage et apparenter les troubles ร une dysphonie hyperkinรฉtique. Le patient peut รฉgalement ne pas mettre en jeu les muscles extrinsรจques et ne pas compenser le dรฉfaut dโaccolement ce qui laissera entendre un timbre soufflรฉ (Ravera-Lassalle, s. d.).
La dysprosodie
La prosodie de la parole est dรฉfinie ร partir de trois paramรจtres objectifs : la hauteur, lโintensitรฉ sonore et le dรฉbit de la parole. Elle correspond ร la mรฉlodie qui permet de transmettre les informations suprasegmentales, cโest-ร -dire non-verbales, de la parole. Etant donnรฉ lโatteinte de la F0 et de lโintensitรฉ sonore dans la MP, la voix des patients se caractรฉrise par une perte des harmoniques (frรฉquences hautes) et engendre une voix qualifiรฉe de ยซ monotone ยป. Concernant le dรฉbit et le rythme, les รฉtudes divergent mais il est retrouvรฉ gรฉnรฉralement une accรฉlรฉration du dรฉbit et des anomalies de segmentation rythmiques qui sont trรจs dรฉpendantes du contexte et semblent accentuรฉes lors de la parole spontanรฉe (Teston et al., 2005). Dโun point de vue objectif, cette monotonie se matรฉrialise par une diminution de la dynamique de frรฉquence de la voix et une rรฉduction de lโamplitude vocale (Robert et Spezza, 2005).
Effets des traitements mรฉdicamenteux et chirurgicauxย
Certaines รฉtudes ont montrรฉ que la prise de L-dopa rรฉduisait la rigiditรฉ buccale et laryngรฉe, amรฉliorant ainsi significativement la parole des patients au moins en dรฉbut de maladie. Il nโy aurait cependant pas dโimpact sur lโintensitรฉ vocale (Pinho et al., 2018). Dโautres chercheurs ont montrรฉ que la prise de L-dopa en dรฉbut de maladie (durรฉe moyenne dโรฉvolution ร 4 ans) nโavait pas dโeffet sur la F0, mais permettait dโaccroรฎtre significativement lโintensitรฉ moyenne en augmentant le dรฉbit dโair ร lโexpiration (Jiang et al., 1999). Concernant la F0, les rรฉsultats sont contrastรฉs selon les รฉtudes. Sont notรฉs, soit une augmentation significative de la F0 avec prise de traitement et donc une prosodie amรฉliorรฉe (Viallet et al., 2002), soit, au contraire, aucun effet de la L-doppa sur la F0 moyenne (Goberman et al., 2002).
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Table des matiรจres
INTRODUCTION
PARTIE THEORIQUE
1. LA MALADIE DE PARKINSON : GENERALITES
1.1. Epidรฉmiologie
1.2. Etiologie
1.3. Physiopathologie
1.4. Signes cliniques
1.4.1. Signes moteurs
1.4.2. Signes non moteurs
1.5. Traitements
1.5.1. Traitements de 1รจre ligne
1.5.2. Traitements de 2รจme ligne
1.5.3. Prises en charge rรฉรฉducative
2. LA DYSPHONIE DANS LA MALADIE DE PARKINSON
2.1. Physiologie de la phonation
2.2. Dysarthrie et dysphonie dans la maladie de Parkinson
2.3. Frรฉquence et รฉvolution
2.4. Caractรฉristiques de la dysphonie dans la maladie de Parkinson
2.4.1. Les anomalies ventilatoires
2.4.2. La dysphonie
2.4.3. La dysprosodie
2.5. Effets des traitements mรฉdicamenteux et chirurgicaux
2.6. Handicap vocal et impact sur la qualitรฉ de vie des patients
2.7. Evaluation clinique de la dysphonie
2.8. Prises en charge de la dysphonie
2.8.1. Rรฉhabilitation dite ยซ classique ยป
2.8.2. Travail ร la paille
2.8.3. Bรฉnรฉfices du chant
PROBLEMATIQUE ET HYPOTHESES
1. PROBLEMATIQUE
2. HYPOTHESE GENERALE
3. HYPOTHESES OPERATIONNELLES
PARTIE EXPERIMENTALE
1. METHODE
1.1. Population
1.1.1. Critรจres dโinclusion
1.1.2. Critรจres de non-inclusion
1.2. Matรฉriel
1.2.1. Evaluation
1.2.1.1.Anamnรจse
1.2.1.2.Voice Handicap Index (VHI)
1.2.1.3.GRBASI
1.2.1.4.VOCALAB
1.2.2. Intervention
1.3. Procรฉdure
2. PRESENTATION DES RESULTATS
2.1. Prรฉsentation des patients et profils vocaux
2.1.1. M. G
2.1.2. Mme B
2.2. Comparaison des rรฉsultats
2.2.1. M. G
2.2.2. Mme B
DISCUSSION
1. RE-CONTEXTUALISATION
2. DISCUSSION DES RESULTATS
2.1. Analyse subjective
2.2. Analyse objective
2.2.1. Spectrogramme
2.2.2. Etendue
2.2.3. Endurance
2.2.4. Phonรฉtogramme
2.3. Tendance gรฉnรฉrale
3. LIMITES
3.1. Population
3.1.1. Etude de deux cas
3.1.2. Profils des patients
3.2. Evaluation
3.2.1. Examen ORL
3.2.2. Fluctuations de la symptomatologie
3.3. Intervention
3.3.1. Pratique du chant
3.3.2. Durรฉe de lโintervention
3.3.3. Intensitรฉ de lโintervention
4. PERSPECTIVES
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES