La dynamique d’occupation des sols dans un front pionnier : théories et modèles

La dynamique d’occupation des sols dans un front pionnier : théories et modèles

La dynamique des fronts pionniers

Principaux modèles explicatifs 

Dans la mesure où chaque société occupe un espace, qui constitue son territoire, un front pionnier peut être compris comme un processus d’expansion spatiale d’un système par rapport à un autre préexistant. Contrairement aux frontières administratives, définies par des accords politiques, un front pionnier délimite les espaces occupés par la société contemporaine aux dépens de zones peu intégrées (Monbeig, 1952 apud Poccard, Bendahan, et Carvalho, 2015). Pierre Monbeig parle de la recherche de « nouvelles terres » en se référant aux fronts pionniers au Brésil, avec pour exemple l’expansion du café basée sur la conquête de terres bon marché dans le Sud-Est et la migration interne en Amazonie induite par le gouvernement sous le slogan « terre sans hommes pour hommes sans terre ». Ce mouvement est basé sur une vision d’une zone « sauvage » et vide à conquérir et « civiliser ». La notion de « palimpseste » évoquée par Théry (1976) représente bien le processus en considérant que la transformation d’un espace par le front « réécrit » une nouvelle structure spatiale sur l’ancienne. Selon le même auteur, le front pionnier serait la limite extrême des explorateurs, des migrants qui vont établir une colonie sur des terres auparavant vides ou peu peuplées (Théry, 1976).

L’une des premières études sur les fronts pionniers a été celle de F. J. Turner, « The Significance of the Frontier in American History » de 1893, qui a étudié le phénomène de la colonisation aux Etats Unis. Parmi ses constats, il a affirmé que l’environnement de la frontière et son expansion continue étaient plus importants que les compétences héritées de l’Europe pour façonner le caractère et les institutions politiques des ÉtatsUnis. Ceci a été ensuite relativisé, mais cet auteur a eu une contribution importante notamment sur la progression par phases, chaque phase étant caractérisée par un groupe différent de colonisateurs, les phases se succédant par vagues à travers le pays (Summers 2008). Ce concept a pris de l’ampleur et est utilisé dans l’explication des fronts pionniers dans le monde.

Dans le présent document, l’expression « front pionnier » sera utilisée à la place de « frontière agricole », car, comme l’explique (Poccard-Chapuis 2004), la première est plus globale et couvre tous les domaines de la société, pas seulement une activité isolée comme l’agriculture. En ce sens, un front pionnier s’établit lorsqu’une société humaine : a) conquiert le territoire d’une autre société ; b) détruit cette dernière, ou supprime son pouvoir de décision dans la nouvelle organisation du territoire promu ; c) opère de profonds changements dans l’utilisation de l’espace, comme la déforestation, la chasse intensive, le pastoralisme, l’agriculture ou autre forme d’exploitation des ressources naturelles, sans se fonder sur les structures antérieures ; d) intègre cette zone périphérique et se développe progressivement selon les lieux centraux de son propre territoire. Cette définition décrit bien une dynamique qui reflète l’interaction des forces et des relations sociales et des ressources et contraintes naturelles.

Modèles et théories politico-économiques

Plusieurs modèles et théories ont été proposés pour expliquer la dynamique des fronts pionniers. Beaucoup d’entre eux ont une perspective politico-économique considérant deux pôles distincts d’acteurs : les paysans et les capitalistes. La théorie de la pénétration capitaliste souligne le rôle de l’expansion du mode de production capitaliste sur la population locale, dans laquelle il y a un remplacement continu des productions familiales par des modèles capitalistes comme l’élevage commercial ou l’agro-industrie. Ainsi, la dynamique du front pionnier a été perçue comme le résultat de l’interaction et des conflits entre deux classes sociales opposées, communément définies comme des agriculteurs familiaux et des exploitants agricoles (« fazendeiros » au Brésil). Il est expliqué que les agriculteurs familiaux incarnent « l’ouverture du front », dont le développement de la production est directement lié à l’arrivée de nouveaux migrants. Ensuite, se superpose un « front économique » qui évolue en fonction de la rentabilité des produits agricoles, qui dépend du prix de vente, des coûts de production, de la taille des propriétés et des coûts de transport (Arvor 2009; Summers 2008).

La spéculation foncière est l’un des moteurs dans ce contexte, car la valeur ajoutée qu’un terrain acquiert en quelques années permet à ses propriétaires d’acheter et parfois d’ouvrir des parcelles dans une partie plus profonde du front où le terrain est moins cher car il nécessite des investissements en matière de défrichement, de traversée de cours d’eau et de création de voies d’accès. Cela permet d’établir de nouvelles implantations, conduisant ainsi à la progression spatiale du front et à l’établissement de productions plus capitalisées (Pebayle 1981). Dans ce modèle, le cumul de capital appartient aux intermédiaires, aux fonctionnaires d’état, aux élites locales et éventuellement, aux agro-industriels qui s’approprient de la valeur ajoutée du travail des agriculteurs familiaux contenue dans les terres qu’ils ont déboisées au fil du temps (Foweraker 1981). Dans cette conception, quelques auteurs mettent aussi en valeur que les étapes ne sont pas nécessairement progressives, elles peuvent être cycliques. Parfois, le front peut perdre de sa force et reculer, avec un dépeuplement et une diminution de l’intérêt spéculatif (Summers 2008). La spéculation foncière sur le front pionnier peut aussi fournir des « frontières spéculatives », c’est-à dire qu’avec le soutien des politiques gouvernementales, les capitalistes s’approprient de grandes portions de terres au-delà du front pionnier profond, provoquant une « fermeture » politique ou juridique de la frontière aux petits agriculteurs. Ces terres appropriées peuvent même ne pas devenir productives, mais une réserve de valeur ou une source de revenus futurs dans le cas de l’expansion des productions capitalistes comme l’élevage extensif ou le soja (Summers 2008) .

Ces modèles englobent une dynamique dans laquelle les ressources naturelles sont secondaires. En fait, pour la spéculation foncière, le prix actuel de la terre peut être beaucoup plus important pour s’établir que le potentiel productif (déterminé par les types de sol, la topographie et l’eau disponible). Selon Rego (2016) cette vision, plus axée sur les ressources foncières et moins sur les ressources naturelles, explique que les petits agriculteurs aient délimité leurs exploitations selon des formes rectilignes au mépris de ressources naturelles variées plus ou moins aptes aux productions qu’ils souhaitaient mettre en place.

La théorie de l’articulation intersectorielle est similaire à la première, mais souligne que la production familiale n’est pas entièrement remplacée lors du développement du front pionnier. Il y aurait encore une certaine proportion d’agriculteurs familiaux qui auraient pour rôle d’assurer l’accumulation de capital dans les secteurs urbains et industriels dans la mesure où leur présence offre une réserve de main d’œuvre avec le maintien de bas salaires dans les zones rurales et un approvisionnement continu en produits alimentaires à bas prix (Foweraker 1981; Sorj 1980). En ce sens, il n’y pas de réelle incitation à la modernisation de l’agriculture familiale. Ainsi, l’expansion continue de l’agriculture familiale sur le front crée les conditions de la persistance de formes de production traditionnelles (pendant longtemps associées au défriche – brûlis ou « corte-e-queima ») et entrave la modernisation de cette agriculture artisanale (Oliveira 1972). Ce processus serait donc responsable du maintien des formes traditionnelles d’agriculture sur le territoire, même dans une phase plus avancée du front pionnier, comme dans le cas actuel de Paragominas, où les champs de soja hautement mécanisés et les pâturages extensifs voisinent les assentamentos à l’agriculture traditionnelle peu mécanisée et à faible usage d’intrants.

Ce processus de déplacement des agriculteurs familiaux a été décrit comme une lutte de classe, sous la forme d’une appropriation par les agriculteurs entrepreneuriaux (« fazendeiros ») du capital accumulé par les agriculteurs familiaux dans les superficies déforestées. Cependant, il est alors difficile d’expliquer pourquoi, dans la plupart des cas, les agriculteurs familiaux vendent eux-mêmes leurs terres (Arnauld de Sartre 2003). De plus, l’expansion de l’agriculture n’est pas toujours le fait de grands entrepreneurs agricoles, mais aussi d’agriculteurs familiaux du sud du pays qui, en émigrant vers le nord, peuvent acquérir des terres à bas prix, sur une superficie agricole viable pour une potentielle de production de soja (Empinotti 2015). La frontière entre agriculteurs familiaux et agriculteurs entrepreneuriaux n’est donc pas si nette. Dans les théories de système-monde et de dépendance, le front pionnier est vu comme une exploitation de ressources naturelles pour les marchés extérieurs et est façonné par des cycles du type boom-burst qui suivent les demandes des marchés (Summers 2008). En ce sens, les frontières agricoles seraient des régions périphériques qui concentrent des ressources bon marché et disponibles pour générer une accumulation dans les centres (Bunker 1985). Par exemple, aux XVIe et XVIIe siècles, les planteurs de canne à sucre du nord-est du Brésil ont provoqué la conquête du sertão en raison de leurs besoins en animaux et en viande (Pebayle 1981). Dans les pays andins, l’ouverture aux marchés étrangers a poussé les paysans des hauts plateaux à occuper les basses terres chaudes et humides de l’Amazonie. Avec l’expansion de l’économie mondialisée, la croissance explosive de la demande de dérivés de l’huile de palme par la Chine et l’Inde a conduit à une forte expansion de ces cultures en Asie du Sud-Est (Koh et Wilcove 2007), tandis que la même chose s’est produite dans le Centre-Ouest brésilien et en Amazonie en ce qui concerne le soja et la viande, le premier étant influencé par la croissance économique chinoise et par les crises de la « vache folle » en Europe (Nepstad, Stickler, et Almeida 2006). La croissance urbaine, les changements d’alimentation vers plus de produits animaux pèsent sur le marché international et sont parmi les principales causes exogènes de la perte des forêts tropicales au cours des dernières années, associées à l’expansion des fronts pionniers pour produire de la viande ou du soja servant à l’alimentation animale (Defries et al. 2010).

Dans cette interprétation de la dynamique du front pionnier, il s’agirait d’un élément fondamental de la division internationale du travail, dans laquelle l’accumulation dans les grands centres urbains bénéficierait de matières premières bon marché provenant de zones périphériques telles que les fronts pionniers (Amin 1977). Dans cette optique, l’une des raisons pour lesquelles des fronts pionniers comme l’Amazonie sont sousdéveloppés serait la nature de l’économie extractive, qui ne favorise pas la stabilisation des communautés et l’accumulation locale de capital. Ainsi, la dégradation continue des ressources environnementales et sociales conduit inévitablement à l’effondrement de l’économie du front pionnier (Summers 2008).

Cette approche met particulièrement en évidence le rôle des réseaux de niveau supérieur qui contrôlent les activités du front pionnier, liés aux marchés des matières premières telles que les grains, la viande et le bois, et qui, en raison de leurs variations et d’une mauvaise gestion des ressources naturelles, conduisent à l’échec du système. Cela donne à penser qu’il existe souvent une ligne étroite de démarcation entre la rentabilité de la production et les conditions du marché. Dans ce contexte, les productions sont souvent extensives et exploitent pleinement le potentiel naturel, c’està-dire qu’elles sont produites sur des parcelles où le coût de production est minimal, avec peu d’usage d’intrants, peu d’investissement dans le matériel et dans les bâtiments agricoles. Dans ces conditions, les variations du marché ont une influence majeure sur l’expansion et la rétraction des surfaces productives. En Amazonie jusqu’au début des années 2000, alors que les mesures de lutte contre la déforestation n’étaient pas encore en place, on observe que la déforestation accompagnait les variations du marché (Macedo et al. 2011), montrant un effet de téléconnexion commerciale entre un territoire périphérique producteur de matières premières bon marché et un centre qui concentre les revenus. Dans ce modèle, les fronts pionniers fonctionnent comme des fournisseurs de terres pour produire des matières premières bon marché et permettent la prédominance d’une stratégie d’exploitation minière des ressources naturelles, utilisant des techniques et des intrants pour produire le moins cher possible dans le plus grand espace possible.

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Table des matières

Introduction générale
Problématique et hypothèses
Objectifs
PARTIE I – La dynamique d’occupation des sols dans un front pionnier : théories et modèles
Introduction de la partie I
Chapitre 1 – La dynamique des fronts pionniers
1. Principaux modèles explicatifs
1.1. Modèles et théories politico-économiques
1.2. Modèles démographiques et de cycles de vie
1.3. Modèles d’interprétation par phases
1.4. Approche par la théorie des systèmes complexes
2. La frontière agricole amazonienne : de l’enfer vert au grenier du monde ?
2.1. Élevage : le démarreur du front pionnier
2.2. L’agriculture familiale
2.3. L’exploitation forestière : le pouvoir des « madeireiros »
2.4. L’arrivée des cultures de grains
2.5. La plantation d’arbres pour le bois : la monoculture forestière arrive en Amazonie
3. Les études sur la dynamique du front pionnier amazonien
3.1. Approche par la dimension spatiale
3.2. Approches par la dimension temporelle
Chapitre 2 – La modélisation de l’occupation du sol
1. Principales approches de la modélisation spatialement explicite
1.1. La régression
1.2. Les automates cellulaires
1.3. Les modèles basés sur agents et les graphes d’interaction
1.4. Les cartes pondérées et l’évaluation multicritères
1.5. L’apprentissage automatique
2. L’échelle, la calibration et la validation des modèles de simulation de changement d’occupation du sol
3. Simulation des scenarios futurs
4. La modélisation de la dynamique d’occupation du sol en Amazonie
4.1. Facteurs qui conditionnent les changements d’occupation du sol
4.2. La simulation des scénarios d’occupation du sol en Amazonie
Synthèse de la partie I
PARTIE II – Ressources et contraintes biophysiques dans la dynamique d’occupation du sol des différents acteurs agricoles à Paragominas
Introduction de la partie II
Chapitre 3 – Paragominas : un territoire aux multiples fronts pionniers
1. Localisation
2. Caractérisation biophysique
2.1. Cadre géologique et géomorphologique
2.2. Climat
2.3. Phyto-physionomies
2.4. Dynamique hydro-géomorphologique actuelle
3. Le développement du territoire de Paragominas
3.1. Aspects socio-économiques
3.2. Agriculture familiale
3.3. Élevage bovin de moyenne et grande échelle
3.4. Exploitation du bois de forêts primaires
3.5. Le soja et autres cultures de grains
3.6. Plantations d’arbre à bois
4. Principaux événements de la période étudiée
Chapitre 4 – Systèmes de décision d’utilisation des ressources biophysiques à Paragominas
1. Données et méthodes pour la cartographie de Paragominas
1.1. Série temporelle d’occupation du sol
1.2. Variables spatiales biophysiques
1.3. Variables de l’organisation du territoire
2. Entretiens – méthodes
2.1. Délimitation des acteurs
2.2. Questionnaire
2.3. Elaboration de la base de données
3. Analyse des systèmes de décision d’usage des ressources biophysiques par type de production
3.1. L’élevage à grande échelle
3.2. Élevage à petite echelle
3.3. Les cultures de grains
3.4. Agriculture familiale
3.5. Plantation d’arbres à bois
Synthèse de la partie II
PARTIE III – Modélisation de la dynamique d’occupation du sol à Paragominas : interactions entre facteurs biophysiques et autres dans le temps et dans l’espace
Introduction de la Partie III
Chapitre 5 – La dynamique temporelle des déterminants spatiaux d’occupation du sol à Paragominas
1. La méthode des Poids d’Évidence
2. La dynamique temporelle des règles spatiales
2.1. De la forêt primaire vers le pâturage
2.2. Du pâturage vers la forêt secondaire
2.3. Du pâturage vers les cultures de grains
2.4. Du pâturage vers la plantation d’arbres à bois
3. Phases de la dynamique de l’occupation du sol à Paragominas
Chapitre 6 – Déterminants spatiaux et scénarios d’occupation future du sol de la municipalité de Paragominas, une ancienne frontière agricole en Amazonie
1. La procédure de modélisation
1.1. Le modèle dynamique de changement d’occupation du sol
1.2. Sélection et traitement de données
1.3. Performance spatiale du modèle
1.4. Scénarios exploratoires et d’anticipation
2. Résultats
2.1. Déterminants spatiaux des changements d’occupation du sol à Paragominas
2.2. Calibrage des fonctions patcher et expander
2.3. Les résultats cartographiques de la modélisation et validation
2.4. Simulation de scénarios futurs
3. Discussion
4. Conclusion
Chapitre 7. Modélisation et spatialisation d’unités de systèmes de décision d’usage des ressources biophysiques à l’aide de techniques d’apprentissage automatique
1. Méthodes
1.1. Données utilisées
1.2. Traitement des données
1.3. La procédure de partitionnement de données
1.4. Validation
2. Résultats
2.1. Prédiction des données
2.2. Partitionnement de données
2.3. Analyse des unités de systèmes de décision d’usage des ressources et contraintes biophysiques
Chapitre 8. Les facteurs biophysiques et le front pionnier
Synthèse de la Partie III
Conclusion générale
Bibliographie

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