La dynamique d’occupation des sols dans un front pionnier

La dynamique d’occupation des sols dans un front pionnier

Problématique et hypothèses

Plusieurs études se concentrent sur la compréhension des mécanismes d’extension de l’élevage et de l’agriculture dans les forêts tropicales (Lambin 1997; Mertens et Lambin 1997). Cependant, l’évolution du front pionnier au fil du temps est complexe, bien souvent selon différentes phases et comprend l’interaction entre de nombreux acteurs, variables, échelles temporelles et spatiales. Il nous semble particulièrement important lors de ce processus de connaître le rôle des ressources et contraintes naturelles biophysiques dans l’organisation du paysage : comment sont-elles valorisées ou surmontées et comment cela « construit » des paysages ? En ce sens, le présent travail se concentre sur la question suivante : quel est le rôle des ressources et des contraintes biophysiques1 dans la dynamique spatio-temporelle d’occupation du sol des fronts pionniers d’Amazonie brésilienne ? Notre recherche a notamment pour but de contribuer à une discussion sur la façon dont les ressources naturelles sont prises en compte dans le développement d’un front pionnier amazonien. L’accent sera mis sur la question de l’expansion récente des cultures de grains (dénommées commodities puisque majoritairement destinées au marché mondial) dans diverses parties de l’Amazonie et sur la façon dont elle résulte non seulement de conditions foncières et d’infrastructures favorables, mais également des aptitudes du sol qui permettent une agriculture mécanisée, avec épandage d’intrants à grande échelle, ce qui a des implications directes pour le développement des politiques publiques de planification et de développement des territoires. Face à la problématique soulevée, trois hypothèses ont été avancées.

La première hypothèse que nous présentons plus bas, se réfère spécifiquement aux facteurs impliqués dans la définition d’un « système de décision d’usage des ressources biophysiques ». Ce concept a été considéré dans cette étude, comme étant la dimension biophysique qui est prise en considération lors des décisions prises par les agriculteurs dans le cadre de ressources limitées 2. Considérant d’abord l’échelle spatiale, la taille de l’exploitation conditionne une série d’aspects qui seront pris en compte dans les décisions d’occupation du sol, tels que le capital disponible, l’échelle de production, la surface et la distribution des facteurs biophysiques. La distance de l’exploitation par rapport à toute zone « centrale » (zone urbaine, route asphaltée, région plus densément peuplée) a une implication directe sur le coût de transport3 et, par conséquent, conditionne les autres décisions relatives à la production. Enfin, les caractéristiques et la distribution des différents facteurs biophysiques de l’exploitation constituent la base sur laquelle les systèmes de décision se sont formés.

Principaux modèles explicatifs

Dans la mesure où chaque société occupe un espace, qui constitue son territoire, un front pionnier peut être compris comme un processus d’expansion spatiale d’un système par rapport à un autre préexistant. Contrairement aux frontières administratives, définies par des accords politiques, un front pionnier délimite les espaces occupés par la société contemporaine aux dépens de zones peu intégrées (Monbeig, 1952 apud Poccard, Bendahan, et Carvalho, 2015). Pierre Monbeig parle de la recherche de « nouvelles terres » en se référant aux fronts pionniers au Brésil, avec pour exemple l’expansion du café basée sur la conquête de terres bon marché dans le Sud-Est et la migration interne en Amazonie induite par le gouvernement sous le slogan « terre sans hommes pour hommes sans terre ». Ce mouvement est basé sur une vision d’une zone « sauvage » et vide à conquérir et « civiliser ». La notion de « palimpseste » évoquée par Théry (1976) représente bien le processus en considérant que la transformation d’un espace par le front « réécrit » une nouvelle structure spatiale sur l’ancienne. Selon le même auteur, le front pionnier serait la limite extrême des explorateurs, des migrants qui vont établir une colonie sur des terres auparavant vides ou peu peuplées (Théry, 1976).

L’une des premières études sur les fronts pionniers a été celle de F. J. Turner, « The Significance of the Frontier in American History » de 1893, qui a étudié le phénomène de la colonisation aux Etats Unis. Parmi ses constats, il a affirmé que l’environnement de la frontière et son expansion continue étaient plus importants que les compétences héritées de l’Europe pour façonner le caractère et les institutions politiques des États-Unis. Ceci a été ensuite relativisé, mais cet auteur a eu une contribution importante notamment sur la progression par phases, chaque phase étant caractérisée par un groupe différent de colonisateurs, les phases se succédant par vagues à travers le pays (Summers 2008). Ce concept a pris de l’ampleur et est utilisé dans l’explication des fronts pionniers dans le monde. Dans le présent document, l’expression « front pionnier » sera utilisée à la place de « frontière agricole », car, comme l’explique (Poccard-Chapuis 2004), la première est plus globale et couvre tous les domaines de la société, pas seulement une activité isolée comme l’agriculture. En ce sens, un front pionnier s’établit lorsqu’une société

Modèles et théories politico-économiques

Plusieurs modèles et théories ont été proposés pour expliquer la dynamique des fronts pionniers. Beaucoup d’entre eux ont une perspective politico-économique considérant deux pôles distincts d’acteurs : les paysans et les capitalistes. La théorie de la pénétration capitaliste souligne le rôle de l’expansion du mode de production capitaliste sur la population locale, dans laquelle il y a un remplacement continu des productions familiales par des modèles capitalistes comme l’élevage commercial ou l’agro-industrie. Ainsi, la dynamique du front pionnier a été perçue comme le résultat de l’interaction et des conflits entre deux classes sociales opposées, communément définies comme des agriculteurs familiaux et des exploitants agricoles (« fazendeiros » au Brésil). Il est expliqué que les agriculteurs familiaux incarnent « l’ouverture du front », dont le développement de la production est directement lié à l’arrivée de nouveaux migrants. Ensuite, se superpose un « front économique » qui évolue en fonction de la rentabilité des produits agricoles, qui dépend du prix de vente, des coûts de production, de la taille des propriétés et des coûts de transport (Arvor 2009; Summers 2008).

La spéculation foncière est l’un des moteurs dans ce contexte, car la valeur ajoutée qu’un terrain acquiert en quelques années permet à ses propriétaires d’acheter et parfois d’ouvrir des parcelles dans une partie plus profonde du front où le terrain est moins cher car il nécessite des investissements en matière de défrichement, de traversée de cours d’eau et de création de voies d’accès. Cela permet d’établir de nouvelles implantations, conduisant ainsi à la progression spatiale du front et à l’établissement de productions plus capitalisées (Pebayle 1981). Dans ce modèle, le cumul de capital appartient aux intermédiaires, aux fonctionnaires d’état, aux élites locales et éventuellement, aux agro-industriels qui s’approprient de la valeur ajoutée du travail des agriculteurs familiaux contenue dans les terres qu’ils ont déboisées au fil du temps (Foweraker 1981). Dans cette conception, quelques auteurs mettent aussi en valeur que les étapes ne sont pas nécessairement progressives, elles peuvent être cycliques. Parfois, le front peut perdre de sa force et reculer, avec un dépeuplement et une diminution de l’intérêt spéculatif (Summers 2008). La spéculation foncière sur le front pionnier peut aussi fournir des « frontières spéculatives », c’est-à-dire qu’avec le soutien des politiques gouvernementales, les capitalistes s’approprient de grandes portions de terres au-delà du front pionnier profond, provoquant une « fermeture » politique ou juridique de la frontière aux petits agriculteurs. Ces terres appropriées peuvent même ne pas devenir productives, mais une réserve de valeur ou une source de revenus futurs dans le cas de l’expansion des productions capitalistes comme l’élevage extensif ou le soja (Summers 2008).

Modèles démographiques et de cycles de vie

Une autre approche fréquemment utilisée pour expliquer le fonctionnement des fronts pionniers est basée sur des concepts démographiques et des cycles de vie, en supposant que les décisions concernant le changement d’occupation du sol se prennent essentiellement au niveau familial dans des conditions de terre abondante et dans des marchés naissants, comme dans le cas des fronts pionniers. Cette approche a été initialement développée sur le modèle de l’économie familiale de Chayanov. Dans ce modèle, basé sur l’étude des campagnes russes du début du XXe siècle, l’occupation du sol est directement liée au travail familial (Summers 2008). Dans une situation où l’unité familiale est à la fois productrice et consommatrice de produits, Chayanov a souligné que plus le ratio de personnes à charge dans la famille est élevé, plus le travail familial est nécessaire pour répondre aux besoins. Cependant, lorsque la production atteint le niveau de la demande dans l’unité familiale, les agriculteurs n’augmentent pas nécessairement la production, car les difficultés de travail peuvent supplanter un éventuel intérêt à produire des surplus (Martinello et Schneider 2010).

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Table des matières

Introduction générale
Problématique et hypothèses
Objectifs
PARTIE I – La dynamique d’occupation des sols dans un front pionnier : théories et modèles
Introduction de la partie I
Chapitre 1 – La dynamique des fronts pionniers
1.Principaux modèles explicatifs
1.1. Modèles et théories politico-économiques
1.2. Modèles démographiques et de cycles de vie
1.3. Modèles d’interprétation par phases
1.4. Approche par la théorie des systèmes complexes
2.La frontière agricole amazonienne : de l’enfer vert au grenier du monde ?
2.1. Élevage : le démarreur du front pionnier
2.2. L’agriculture familiale
2.3. L’exploitation forestière : le pouvoir des « madeireiros »
2.4. L’arrivée des cultures de grains 38
2.5. La plantation d’arbres pour le bois : la monoculture forestière arrive en Amazonie
3.Les études sur la dynamique du front pionnier amazonien
3.1. Approche par la dimension spatiale
3.2. Approches par la dimension temporelle
Chapitre 2 – La modélisation de l’occupation du sol
1.Principales approches de la modélisation spatialement explicite
1.1. La régression
1.2. Les automates cellulaires
1.3. Les modèles basés sur agents et les graphes d’interaction
1.4. Les cartes pondérées et l’évaluation multicritères
1.5. L’apprentissage automatique
2.L’échelle, la calibration et la validation des modèles de simulation de changement d’occupation du sol
3.Simulation des scenarios futurs
4.La modélisation de la dynamique d’occupation du sol en Amazonie
4.1. Facteurs qui conditionnent les changements d’occupation du sol
4.2. La simulation des scénarios d’occupation du sol en Amazonie
5.Synthèse de la partie I
PARTIE II – Ressources et contraintes biophysiques dans la dynamique d’occupation du sol des différents acteurs agricoles à Paragominas
Introduction de la partie II
Chapitre 3 – Paragominas : un territoire aux multiples fronts pionniers
1.Localisation
2.Caractérisation biophysique
2.1. Cadre géologique et géomorphologique
2.2. Climat
2.3. Phyto-physionomies
2.4. Dynamique hydro-géomorphologique actuelle
3.Le développement du territoire de Paragominas
3.1. Aspects socio-économiques
3.2. Agriculture familiale
3.3. Élevage bovin de moyenne et grande échelle
3.4. Exploitation du bois de forêts primaires
3.5. Le soja et autres cultures de grains
3.6. Plantations d’arbre à bois
4.Principaux événements de la période étudiée
Chapitre 4 – Systèmes de décision d’utilisation des ressources biophysiques à Paragominas
1.Données et méthodes pour la cartographie de Paragominas
1.1. Série temporelle d’occupation du sol
1.2. Variables spatiales biophysiques
1.3. Variables de l’organisation du territoire
2.Entretiens – méthodes
2.1. Délimitation des acteurs
2.2. Questionnaire
2.3. Elaboration de la base de données
3.Analyse des systèmes de décision d’usage des ressources biophysiques par type de production
3.1. L’élevage à grande échelle
3.2. Élevage à petite echelle
3.3. Les cultures de grains
3.4. Agriculture familiale
3.5. Plantation d’arbres à bois
Synthèse de la partie II
PARTIE III – Modélisation de la dynamique d’occupation du sol à Paragominas : interactions entre facteurs biophysiques et autres dans le temps et dans l’espace
Introduction de la Partie III
Chapitre 5 – La dynamique temporelle des déterminants spatiaux d’occupation du sol à Paragominas
1.La méthode des Poids d’Évidence
2.La dynamique temporelle des règles spatiales
2.1. De la forêt primaire vers le pâturage
2.2. Du pâturage vers la forêt secondaire
2.3. Du pâturage vers les cultures de grains
2.4. Du pâturage vers la plantation d’arbres à bois
3.Phases de la dynamique de l’occupation du sol à Paragominas
Chapitre 6 – Déterminants spatiaux et scénarios d’occupation future du sol de la municipalité de Paragominas, une ancienne frontière agricole en Amazonie
1.La procédure de modélisation
1.1. Le modèle dynamique de changement d’occupation du sol
1.2. Sélection et traitement de données
1.3. Performance spatiale du modèle
1.4. Scénarios exploratoires et d’anticipation
2.Résultats
2.1. Déterminants spatiaux des changements d’occupation du sol à Paragominas
2.2. Calibrage des fonctions patcher et expander
2.3. Les résultats cartographiques de la modélisation et validation
2.4. Simulation de scénarios futurs
3.Discussion
4.Conclusion
Chapitre 7. Modélisation et spatialisation d’unités de systèmes de décision d’usage des ressources biophysiques à l’aide de techniques d’apprentissage automatique
1.Méthodes
1.1. Données utilisées
1.2. Traitement des données
1.3. La procédure de partitionnement de données
1.4. Validation
2.Résultats
2.1. Prédiction des données
2.2. Partitionnement de données
2.3. Analyse des unités de systèmes de décision d’usage des ressources et contraintes biophysiques
Chapitre 8. Les facteurs biophysiques et le front pionnier
Synthèse de la Partie III
Conclusion générale
Bibliographie
Tables des figures
Table des tableaux
Table des matières
Annexe 1 : Données des entretiens sur le terrain
Annexe 2 : Images d’occupation du sol
Annexe 3 : Cartes de probabilité de transition
Annexe 4 : Cartes des scenarios simulés

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