LA DYNAMIQUE DES SYSTEMES DE PRODUCTION AGRICOLE

LA DYNAMIQUE DES SYSTEMES DE PRODUCTION AGRICOLE

Exploitation des animaux

La fonction de traction

L’utilisation de l’énergie animale dans la réalisation des travaux de préparation du sol (labour) ou d’entretien des cultures (sarclage, buttage) est une pratique courante chez les agriculteurs. Elle constitue l’une des premières fonctions de l’élevage bovin dans les exploitations de ces derniers. A la faveur de leur investissement dans les activités agricoles, les éleveurs Mbororos, notamment ceux des types 2 et 3, valorisent de plus en plus la fonction de traction des animaux.
La traction animale permet d’augmenter les superficies cultivées et la productivité du travail. Les propriétaires d’attelage peuvent également réaliser des prestations hors de l’exploitation (Tableau 45), gagnant ainsi les revenus d’appoint. Les tarifs pratiqués sont de 20 000, 10 000 et 6 000 Fcfa/ha respectivement pour les travaux de labour, buttage ou sarclage. Il existe au sein du terroir, un véritable « marché de l’énergie animale », car ici comme dans la majorité des terroirs de la zone cotonnière (Havard et Abakar, 2002), moins de 30 % des exploitations sont équipées en traction animale, mais plus de 80% d’entre elles utilisent cette technique.
Au regard des potentialités, la fonction de traction reste encore « sous-exploitée », d’une part parce que la saison culturale est courte, après avoir réalisé leurs propres travaux, le temps disponible aux propriétaires pour faire des prestations hors exploitation est limité, le transport qui aurait pu permettre d’étaler la durée d’utilisation est encore peu développé à cause du faible niveau d’équipement des éleveurs ; d’autre part, les animaux de trait ne reçoivent pas une alimentation adéquate pour pouvoir travailler sur une longue période.
La carrière d’un animal de trait commence entre 3,5 et 4 ans avec le dressage, et se termine autour 8 ans. La réforme des animaux de trait est une source de rentrée d’argent pour les producteurs. Avant de mettre leurs animaux sur le marché, ces derniers effectuent souvent une « mise en état » par le billet des compléments alimentaires (tourteaux de coton, résidus fourragers) pour améliorer l’état corporel des animaux et donc espérer de meilleurs prix de vente. Le potentiel génétique des races « locales » n’est pas favorable pour la production laitière. Mais, le lait a toujours occupé une place importante, dans l’alimentation voire l’économie des sociétés pastorales. Des corrélations négatives ont ainsi été trouvées entre la production laitière et la consommation des céréales (Bernadet, 1984 ; Colin de Verdière, 1995). La consommation de lait est corrélée avec la taille du cheptel.Dans l’échantillon, toutes les exploitations d’éleveurs Mbororo (Types 2, 3 et 5) traient le lait pour la consommation familiale. 24 de ces 37 exploitations (5, 6 et 13 exploitations respectivement) réservent une partie du lait trait pour la vente. L’exploitation de la production laitière est également possible dans le Type 1 où chaque cheptel familial compte en moyenne six vaches, mais ces exploitants ont cédé leur droit de propriété sur le lait aux bouviers ou proches à qui les animaux ont été confiés ou donnés en gardiennage. Tout au plus, le bouvier peut-il à la demande expresse du propriétaire ou sur sa propre initiative rapporter sporadiquement dans l’exploitation le lait trait.

Commercialisation des animaux sur pied

Au sein des exploitations les sorties d’animaux ont différentes motivations qui sont révélatrices de l’importance des différentes fonctions de l’élevage au sein de l’exploitation (Tableau 48). Les ventes restent la principale cause de sorties d’animaux. Ce sont ces ventes qui procurent des revenus aux producteurs et qui leurs permettent de couvrir leurs besoins de trésorerie ou de réaliser leurs projets d’investissements.La mise en marché du bétail répond à quatre grandes motivations qui agissent singulièrement ou de façon conjuguée : les besoins de consommation (alimentation, habillement), la gestion de la carrière (réforme des animaux de trait, des reproducteurs) et de la reproduction (sélection) des animaux, les investissements (augmentation cheptel, acquisition des biens), et la spéculation (ex : vente en période de pénurie sur le marché). Ce comportement qui a été également décrit chez les pasteurs du Ferlo au Sénégal (Wane, 2005) montre que les éleveurs sont souvent plus intéressés par l’atteinte d’un seuil de satisfaction axée sur les recettes anticipées que par la maximisation du niveau de revenus. Le Tableau 49 montre les types d’animaux commercialisés en fonction des motivations. Il apparaît que la diversité des catégories d’animaux élevés (veaux, génisses, taurillons, vaches, taureaux, castrés) permet aux éleveurs d’avoir une certaine flexibilité commerciale (Ingrand et al., 2006). Les mâles (taureaux, taurillons et veaux) représentent 70% des ventes. Mais toutes les catégories d’animaux sont exploitées (Tableau 50), le choix de de l’animal à vendre étant un compromis entre la motivation de la vente et la valeur vénale de l’animal. A partir des informations sur les dates de réalisation de 203 opérations de ventes (dont 64 taureaux, 22 génisses, 66 taurillons, 31 vaches et 20 veaux), une approche différenciée par catégorie d’animaux a été effectuée. Il apparaît de fortes variations mensuelles (Figure 26), avec pour chaque catégorie des pics, correspondant aux périodes de fortes exploitations commerciales.
Les taurillons. On distingue deux pics de vente : le premier, entre février et avril, correspond à la nécessité de satisfaire une demande assez forte. De fait, à cette date, on a d’une part les agriculteurs qui viennent de percevoir l’argent de la vente du coton et cherchent à renouveler ou acquérir des animaux de trait, et d’autre part les éleveurs qui par ailleurs doivent s’approvisionner en compléments alimentaires pour la saison sèche ne sont pas insensibles à l’augmentation de la demande sur les marchés. Le second pic de vente qui se situe entre juillet et septembre, correspond à la période de soudure au niveau des stocks alimentaires de la famille, les éleveurs vendent quelques taurillons pour acheter les compléments de céréales. Les vaches. Le déstockage « massif » de février-avril est motivé par le besoin d’acquérir des compléments alimentaires pour la saison sèche chaude. A partir du mois de septembre, il y a une hausse tendancielle des ventes. Elle est liée à une conjugaison de facteurs : les producteurs sortent de la campagne agricole « épuisés » tant sur le plan physique que financier. Démunis, ils cherchent des ressources pour rembourser des dettes qu’ils ont contractées pour réaliser les travaux agricoles. Pour ceux qui ne veulent pas brader leurs récoltes, la vente d’animaux constitue une alternative intéressante d’autant que sur les marchés, avec l’arrêt des pluies, les commerçants nigérians reviennent, et par ailleurs les emboucheurs commencent à s’approvisionner en animaux maigres. Les génisses. Les ventes ont surtout lieu entre août et octobre et correspondent à des logiques de spéculation. A cette période, les éleveurs après avoir vendu les taureaux et autres vaches de réforme cherchent à renouveller ou à agrandir leurs cheptels. Il en résulte une augmentation de la demande sur les marchés. Les veaux et les taureaux. Les sorties paraissent moins saisonnées, illustrant des ventes conjoncturelles ou opportunistes.

Variation de l’effectif du troupeau

Les différents indicateurs d’évolution du cheptel ont été estimés (Tableau 45). Les formules utilisées pour ces calculs sont présentées en Annexe 10. Pour tenir compte des variations au cours de l’année, les calculs ont été réalisés sur la base de l’effectif moyen, c’est-à-dire de la valeur moyenne entre l’effectif en début et en fin d’année. La valeur du croît brut est positive pour la majorité des exploitations (8,7 % en moyenne). Le cheptel serait donc en expansion notamment, dans les exploitations où les revenus tirés d’autres activités sont réinvestis dans l’élevage (Types 1 et 3). Dans le Type 5, les troupeaux connaissent une décapitalisation. Cette situation est inquiétante, car dans ce type on retrouve surtout de jeunes exploitations en phase de démarrage. La décapitalisation est la résultante d’une mortalité encore très élevée (13,9 %) et d’un fort taux d’exploitation commerciale du cheptel. De fait ces exploitants qui ont peu diversifié vendent régulièrement des animaux pour s’approvisionner en denrées alimentaires. La valeur du croît brut masque des contraintes zootechniques réelles. Le croît net est négatif. Ceci montre que le taux d’exploitation actuel est incompatible avec les performances des femelles. Ce résultat tend à conforter l’hypothèse selon laquelle les misesbas seules n’arrivent pas à assurer le remplacement des animaux sortis. Si cette hypothèse est avérée, il y aurait lieu d’avoir de sérieuses inquiétudes sur la capacité des élevages à relever le niveau de l’offre en viande bovine face à une demande toujours en augmentation. Toutefois, la taille de mon échantillon et la durée du suivi ne permettent pas de tirer des conclusions définitives. Il est possible que la faible productivité du troupeau observée soit liée à la fluctuation interannuelle du taux de fécondité comme décrite plus haut.

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Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE 1. MUTATIONS SOCIO-ECONOMIQUES ET ELEVAGE BOVIN AU NORD CAMEROUN
1. LOCALISATION
2. ENTRE OUVERTURE ET ENCLAVEMENT
3. UN PEUPLEMENT DIVERSIFIE AVEC UNE CROISSANCE RAPIDE
31. Une population de migrants encore sous l’hégémonie peule
32. Une croissance démographique forte, soutenue par les migrations
33. Garoua, une ville symbole des problématiques d’urbanisation en zones de savanes d’Afrique Centrale
34. La problématique de la sécurité des biens et des personnes
4. UNE ZONE A TRIPLE ENJEU
41. Une biodiversité remarquable
42. Un bassin de production agricole
421. Le coton, moteur de l’agriculture au Nord Cameroun
422. La traction animale, pilier de la stratégie de développement des exploitations agricoles
43. Une terre d’élevage bovin
431. Des conditions agro-climatiques et socio-économiques favorables
432. Des races bovines bien adaptées aux conditions du milieu
433. Effectifs
5. UNE OCCUPATION CONCURRENTIELLE DE L’ESPACE EN DEFAVEUR DE L’ELEVAGE
6. LES ELEVEURS DOIVENT INNOVER POUR LEVER LES CONTRAINTES ET SAISIR LES OPPORTUNITES
CHAPITRE 2. QUESTION DE RECHERCHE
1. LA DYNAMIQUE DES SYSTEMES DE PRODUCTION AGRICOLE : ACQUIS ET DEBATS POUR LA RECHERCHE ET LE DEVELOPPEMENT
11. Les systèmes d’élevage tropicaux n’évoluent que sous contraintes de graves crises
12. La démographie et l’urbanisation stimulent la production agricole
2. LES SYSTEMES D’ELEVAGE TROPICAUX : DIVERSITE ET COMPLEXITE
21. Les systèmes pastoraux
22. Les systèmes mixtes agriculture –élevage
23. Les systèmes semi-intensifs
3. GAROUA, MOTEUR DES EVOLUTIONS SYSTEMES D’ELEVAGE ET DE LA FILIERE BOVINE AU NORD CAMEROUN ?
31. La viande bovine, une place importante dans la consommation des produits carnés
32. Performances et vulnérabilité des élevages et de la filière
4. HYPOTHESES ET QUESTIONS DE RECHERCHE
41. Hypothèses
42. Questions de recherche
CHAPITRE 3. LES OBJETS DE MA RECHERCHE
1. LE SYSTEME D’ELEVAGE
2. LES STRATEGIES ET LES PRATIQUES
21. Les stratégies
22. Les pratiques
221. Définition
222. Démarche d’analyse
3. LA FILIERE
31. Origine et définitions
32. Approche d’analyse
4. LA SECURITE ALIMENTAIRE
5. LE DEVELOPPEMENT DURABLE
51. Définition
52. Agriculture durable
53. Les voies de l’agriculture durable
6. LA VULNERABILITE COMMERCIALE DES EXPLOITATIONS D’ELEVAGE
CHAPITRE 4. DEMARCHE METHODOLOGIQUE ET DISPOSITIF GENERAL DE RECHERCHE
1. L’ARTICULATION FILIERES, TERRITOIRES ET TEMPS, UNE ENTREE CLE POUR ABORDER LA DYNAMIQUE DE L’ELEVAGE
11. Axe territoire : appréhender les systèmes d’élevage dans leur diversité
12. Axe filière : modéliser la filière bétail – viande autour de Garoua
121. Délimitation de la filière
122. Exploration de l’axe filière
13. Axe temps : approcher la durabilité et tenter une prospective de la filière bovine
131. Dynamiques et modes de régulation de la filière
132. La prospective
2. DES OUTILS METHODOLOGIQUES VARIES POUR RECOUPER ET COMPLETER LES INFORMATIONS
21. Des enquêtes pour identifier et renseigner
211. Des guides d’entretien spécifiques pour chaque type d’acteurs
212. Conduite des entretiens
22. Le suivi pour recouper et approfondir les informations.
221. Suivi des exploitations
222. Suivi des ateliers d’embouche
223. Suivi des activités de l’abattoir
224. Suivi des marchés
3. DES CONDITIONS DE TRAVAIL ASSEZ DIFFICILES
31. La filière bovine : entrée interdite aux « curieux »
32. La thèse de doctorat : entrée ouverte aux « combattants »
CHAPITRE 5. ELEVAGE ET TERRITOIRE
1. L’ELEVAGE BOVIN EN ZONE URBAINE : L’EMBOUCHE
11. Atouts et contraintes
111. Les atouts
112. Les contraintes
12. Traits généraux de l’élevage en milieu urbain
121. Profil social des emboucheurs
122. Caractéristiques techniques et mode de conduite des élevages
123. Les performances technico-économiques
13. Typologie des élevages bovins en zone urbaine
131. TYPE 1 : petites unités intensives des acteurs du secteur extra-agricole
132. TYPE 2 : unités de taille moyenne avec des stratégies combinatoires
133. TYPE 3 : grandes exploitations des professionnels de la filière bovine
14. Elevage en zone urbaine : influence du territoire sur les pratiques des producteurs et perspectives
2. L’ELEVAGE EN TERROIR AGROPASTORAL
21. Ouro Labbo III. Un terroir agropastoral
211. La composante agricole
212. La composante pastorale
22. Typologie des exploitations du terroir agropastoral
23. Caractéristiques socio-économiques des exploitants
24. Les productions végétales
241. Cultures pratiquées
242. Conduite des cultures
243. Rendements
25. Les productions animales
251. Espèces élevées et cheptels
252. Complexité de la structure de la propriété des bovins au sein des exploitations
253. Origine des animaux
254. Composition du cheptel bovin
255. Fonctionnement du troupeau
256. Pratiques d’alimentation
257. Santé et soins vétérinaires
258. Productivité et évolution des troupeaux
259. Exploitation des animaux
2510. Variation de l’effectif du troupeau
CHAPITRE 6. ÉLEVAGE ET FILIERE
1. LES ACTEURS DE LA FILIERE BOVINS SUR PIED ET VIANDE
11. Les acteurs indirects
12. Les acteurs directs
121. Identification et fonction
122. Caractéristiques socio-économiques
123. Les barrières à l’entrée de la filière bovine
2. LES PRODUITS
3. LES LIEUX DE TRANSACTION
31. Les marchés de bestiaux
32. L’abattoir de Garoua
321. Brève présentation
322. Déroulement des activités à l’abattoir
4. STRATEGIES D’APPROVISIONNEMENT ET DE VENTE
41. Conduite des transactions et fixation des prix sur le marché
411. Vente des animaux sur pied
412. Vente des carcasses et du cinquième quartier
42. Stratégies d’approvisionnement
43. Stratégies de vente
5. L’APPROVISIONNEMENT DE GAROUA EN VIANDE BOVINE
51. Les bassins d’approvisionnement
52. La concurrence « dissimulée » du marché nigérian
53. Caractéristiques des animaux abattus à Garoua
531. Effectifs
532. Origine des animaux
533. Une diversité de catégories
534. Etat corporel
535. Poids de carcasse et rendement à l’abattage
536. Variations de l’offre et stratégies d’adaptation
6. LA CONSOMMATION DE VIANDE A GAROUA
7. LES MARGES DES ACTEURS
8. GRAPHE DE LA FILIERE ET CIRCUITS D’APPROVISIONNEMENT DE GAROUA
CHAPITRE 7. ELEVAGE ET DYNAMIQUE DU CHANGEMENT
1. EFFETS DU DEVELOPPEMENT DES MARCHES SUR LES PRATIQUES D’ELEVAGE
11. Le constat partagé de l’accroissement du prix de la demande en viande
12. Définition opérationnelle et typologie des effets de l’insertion marchande des éleveurs
13. Des effets différenciés selon les éleveurs
2 INSERTION MARCHANDE ET VULNERABILITE DES ELEVEURS
21. Les inquiétudes des éleveurs
22. Les causes potentielles de vulnérabilité
221. La structure et le fonctionnement de la filière bovine
222. Une offre insuffisante et inadaptée en intrants et services d’appui
223. Les capacités de prise de décision des éleveurs comme facteur déterminant
3. TENTATIVE DE PROSPECTIVE DE LA FILIERE BOVINE
31. Le modèle d’approvisionnement de la ville de Garoua en viande bovine
32. Divers scénarios possibles
321. Scénario A : Inertie et précarité
322. Scénario B. Dégradation et insécurité alimentaire
323. Scénario C. Autarcie ou forte attractivité de Garoua
324. Scénario D. Dépendance des importations
33. Des projections qui interpellent
34. Améliorer la participation des élevages locaux à la formation de l’offre
CONCLUSION
1. UNE MATURATION DE MA CULTURE SYSTEMIQUE
2. UN DIAGNOSTIC DE L’ETAT ACTUEL DES SYSTEMES D’ELEVAGE ET DE LA FILIERE BOVINE
3. DES PISTES POUR L’ACTION
4. DES SUGGESTIONS POUR LA PUISSANCE PUBLIQUE
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES

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