La formation à distance est un sujet porteur : des colloques, des sites web, des revues professionnelles y puisent leurs thèmes. Les pouvoirs publics et le Conseil de l’Europe financent des expérimentations en espérant y trouver une solution pour la formation des adultes. En France, les centres de formation et les universités s’engagent dans cette voie réservée au départ au CNED.
Mais, alors que cette vision de la formation semble destinée à un avenir radieux, et que de nombreux sites en vantent les qualités, nous sommes interrogée , depuis quelques années, par les taux d’abandon recensés en formation à distance. Pour exemples, Jézégou (1998) considérait qu’ils pouvaient atteindre entre 40 à 60 % des inscrits au Canada, et Gauthier en 2002, sur le site de Thot , penchait pour un chiffre entre 70 à 90 %, tous publics, niveaux et formations confondus. Ce constat a déclenché notre questionnement, en effet, l’abandon d’un étudiant peut être vu comme un échec de la part de tous les participants : l’institution, les enseignants, les tuteurs, le concepteur de la plateforme, l’accompagnateur, et même les pairs … et non pas uniquement comme celui de l’étudiant. Notre objectif personnel, très pragmatique à cette époque, était de faire baisser, un tant soit peu, ce taux d’abandon en formation à distance. Objectif qui peut paraître ambitieux, mais qui a nourri notre désir de comprendre le processus qui amène à l’abandon (ou au décrochage comme le traduisent souvent nos collègues canadiens), ce qui a été le point de départ de notre thèse en Sciences de l’Information et de la Communication.
Pour appréhender le contexte de la formation à distance, nous avons d’abord retenu des publications qui décrivaient l’histoire de la formation à distance et s’interrogeaient sur sa définition, comme celles de Glikman (2002b), de Jézégou (1998), du collectif de Chasseneuil (2001), puis des ouvrages présentant les médiatisations pédagogiques par l’outil de Bruillard (1997), de Perriault (1996). Nous nous sommes ensuite tournée vers les articles concernant l’accompagnement et la médiation à distance (Glikman, 2002a, Blandin, 2002, Linard, 2000, 2002, 2003, Peraya, 1998, 2000) parce qu’ils concernaient, non pas la partie pédagogique ou technique du dispositif de formation à distance, mais sa partie communicationnelle.
Puis, pour débuter cette thèse, il a été nécessaire de comprendre le problème du décrochage, à la lumière de ce qui a déjà été fait. Notre travail s’est ainsi porté sur les définitions de l’abandon (Grayson, 2003, DeRemer, 2002, King, 2005) et sur les différentes théories que les chercheurs ont développé pour l’étudier (Tinto, 1992, Sauvé & Viau, 2003, Kember, 1990, 2005) afin de trouver celles qui intégraient la communication comme variable. Cela nous a permis de réduire notre sujet en fonction de notre objectif, de notre problématique Sciences de l’Information et de la Communication, et de notre terrain. Nous avons pu, par exemple, restreindre notre définition de l’abandon à un comportement ayant un point de départ et un point final déterminés par la participation à la communication sur la plateforme.
Nous avons ensuite examiné les cinq théories sur l’abandon (Tinto, 1992) dans la même optique : trouver, dans ces théories, des facteurs qui permettent de focaliser notre recherche sur le champ de la communication et qui induisent un potentiel d’actions sur le dispositif de formation à distance.
Nous nous sommes écartée des théories psychosociologiques et économiques parce que leurs facteurs ne permettaient pas de faire levier sur le dispositif. En effet, même si nous pouvons déterminer les profils psychosociaux des apprenants à l’entrée de la formation (âge, sexe, classe sociale, statut marital …), et les lier à la potentialité du décrochage, nous ne pouvons pas agir directement sur ces facteurs qui sont indépendants du dispositif mis en place. Cependant, nous restons consciente de l’influence que des facteurs sociaux tels que la culture, le niveau économique ou l’âge des acteurs peuvent avoir sur les abandons. D’ailleurs, les notions issues des champs de la sociologie ou de la psychosociologie seront largement présentes dans cette thèse (normes, représentations…). Mais nous les identifierons à chaque fois, et nous les définirons par rapport à notre objectif : nous consacrer à la recherche de ce qui, dans la communication elle-même, joue un rôle prépondérant.
Nous nous sommes attachée ensuite à explorer un modèle spécifique à la formation à distance, proposé par Kember, en 1990, et révisé en 1999. Kember y présente, certes, des facteurs liés aux caractéristiques de l’étudiant, mais surtout ceux qui sont directement liés au processus communicationnel : les sentiments d’affiliation et d’intégration à l’institution. Kember explique que c’est au cours des échanges, entre les étudiants et l’institution, que ces sentiments vont se forger et/ou se fragiliser. Les communications ont donc, dans cette théorie, un rôle fondamental pour construire le sentiment qui permettra de conforter un certain mode de comportement actif ou non dans la formation. Les communications seraient donc des éléments essentiels dans l’observation du processus d’abandon. Sauvé et Viau (2003) complètent le modèle de Kember en mettant en exergue l’adéquation nécessaire entre les représentations des étudiants et leur expérience d’enseignement à distance pour renforcer la persévérance. Ces facteurs nous semblent indispensables à la compréhension du processus d’abandon si nous affirmons le lien fort entre les communications et les représentations, comme nous allons l’édifier au cours de cette thèse.
En effet, en nous appuyant sur Moscovici (1998) , nous considérons que les représentations sont à la base de toutes les communications et de tous les comportements des êtres humains. Il sera donc important d’étudier, en plus des communications, les représentations des étudiants et des enseignants de la formation à distance. Nous pensons pouvoir montrer qu’elles évoluent toutes deux (communication et représentation), prises dans un processus qui s’accomplit dans les situations où les étudiants perdent prise dans le dispositif de formation à distance ; ils doivent modifier leurs comportements et/ou leurs représentations pour continuer, ou alors abandonner. Celui qui abandonne perd pied, perd prise, c’est une hypothèse que le langage véhicule et qui rappelle la nécessité d’être engagé activement dans le monde pour pouvoir y survivre.
Cette prise, utilisée dans le langage commun, est aussi un concept étudié par Bessy et Chateauraynaud (1995). Pour ces auteurs, la prise peut nous aider, en tant qu’être humain pensant et ressentant, à comprendre le processus qui nous maintient engagé, qui nous permet de nous diriger, de nous accrocher et de faire nos choix en situation. Ce concept relie le monde des repères communs (ceux du groupe, de la culture…) dont font partie les représentations, au monde des plis du corps, personnels à chaque être humain (les sensations, les ressentis) quand les acteurs sont en situation. Pour Bessy et Chateauraynaud, la prise réalisée reste transparente pour les êtres humains qui vivent les situations sans se poser de question. Mais dès qu’un problème surgit, la prise est interrogée, et quand la prise ne tient plus, d’autres prises doivent être construites, sinon c’est la perte de prise. Nous voulons monter que dans le dispositif de formation à distance, les changements de prise permettent d’expliquer la dynamique qui existe entre les représentations et les communications par les ajustements nécessaires pour retrouver prise sur la situation, ajustements qui passent par une évolution des représentations, ou par celle des comportements communicationnels. La prise permettrait alors de montrer comment l’abandon peut se mettre en place au cours de ce processus de transformation entre les représentations et les communications. L’étude des théories de l’abandon et des modèles associés nous aura donc, au final, permis de préciser notre sujet et d’en spécifier la filiation communicationnelle.
|
Table des matières
Introduction
Partie 1 – D’un constat des abandons dans la formation à distance à l’énoncé de la problématique
Partie 2 – La théorie pragmatique de Palo Alto
Partie 3 – Les concepts de l’entre-deux
Partie 4 – La présentation du terrain et la méthodologie
Partie 5 – L’analyse de la dynamique des communications et des représentations
Partie 6 – L’analyse au niveau élargi du système de communication
Conclusion
Télécharger le rapport complet