La double crise des services urbains des PED
L’urbanisation explosive et la crise des infrastructures essentielles
La population mondiale atteindra 7 milliards d’ici 2011. On estime que 88 % de l’augmentation de la population s’effectuera en milieu urbain d’ici 2015 et la totalité à partir de 2015. Confrontés à une urbanisation explosive depuis les années 1970, les services urbains des PED sont en crise et n’assurent pas la desserte en eau et en assainissement dans de larges quartiers, souvent périurbains, où vivent des populations à faible revenu. Ces quartiers rassemblent parfois jusqu’à 30 % de la population, mais restent en marge de la ville, sur le plan social, politique et économique. Longtemps ignorés du pouvoir politique, ils sont les premières cibles de l’engagement international qui vise à réduire la pauvreté. Cela se traduit en premier lieu par un revirement dans la politique urbaine des municipalités : réhabilitation et intégration viennent remplacer les termes d’éradication et de relogement dans les discours. Toutefois, même si la volonté politique existe, l’intégration des quartiers défavorisés à la ville par la connexion à ses réseaux principaux se heurte à des difficultés à la fois financières et organisationnelles.
Une crise due à un déficit de financements
Le premier élément de crise est financier. Si la situation est à moduler en fonction des régions et des contextes (certaines grandes villes peuvent tout à fait financer l’extension de leurs services d’eau potable, s’il y a une volonté politique), l’élément financier reste perçu comme le premier obstacle. Qui va payer et pour quel service ? L’épuisement des sources classiques de financement que sont le tarif et la subvention publique (limitée en raison d’un surendettement des Etats) conduit à une internationalisation de la gestion des services d’eau et d’assainissement, et à l’intervention de deux nouveaux acteurs : les institutions financières internationales, qui vont exercer un rôle moteur dans la production de modèles de gouvernance, et les opérateurs privés, qui investissent de manière importante dans les années 1990, mais annoncent à partir de 2000 qu’ils se retirent partiellement d’un marché jugé trop risqué.
Une crise des modèles d’intervention
Un deuxième élément de crise se rajoute à partir de 2000, c’est une crise « des modèles » : après plus de vingt années d’expérimentation de différents modèles de gouvernance des services d’eau, il n’y a pas de succès à large échelle. Dans la situation initiale, la collectivité assumait le service, en ignorant la plupart du temps les quartiers précaires (bidonvilles périurbains ou centraux) pour des raisons autant politiques que financières. Les réformes des années 1990, sous l’impulsion de la Banque Mondiale, font apparaître de nouveaux acteurs : les opérateurs privés et les communautés d’usagers. On passe d’abord d’une gouvernance « monobloc » (un seul acteur public) à une gouvernance bilatérale (le duo collectivitéopérateur) la participation des communautés restant de l’ordre du discours dans les premiers temps. Enfin progressivement, la société civile (associations, communautés, etc.) est intégrée, mais seulement dans des expériences pilotes. Ces expériences ont fait émerger différentes visions des services d’eau : ceuxci sont alternativement considérés comme un service d’intérêt général (Directive Cadre Européenne, 2000), un bien économique (Dublin, 1992), ou un droit essentiel (ONU, 2002). Mais aucune de ces visions du service n’a clos le débat.
Le problème qui se pose aujourd’hui est celui du modèle de gouvernance assurant l’accès à tous, alliant une exigence d’efficacité – en des temps où la subvention publique se raréfie – et d’équité – afin d’étendre le service à des usagers peu solvables. La question de la prise en charge des quartiers défavorisés doit ainsi devenir une question centrale dans la discussion des modèles de gouvernance.
Comment renouveler les modèles de gouvernance pour assurer l’accès à l’eau potable pour tous ?
Gouvernance : le débat sur la répartition des rôles
Pour le chercheur en gestion, la crise des services d’eau dans les PED ouvre une série de problématiques, qui tournent autour de l’analyse et la production de modèles de gouvernance. La notion même de gouvernance rend compte de la diversité et de la complexité des enjeux dans le secteur des services d’eau et d’assainissement : s’y jouent à la fois une dimension territoriale (choix de la bonne échelle de gestion du service), une dimension économique (choix du mode de gestion, publique ou privée) et une dimension participative (définition du rôle des usagers). Autant de dimensions qui renvoient à des questions de recherche : modes de décision et d’action collective, régulation d’un service en monopole, cadre multiagents, développement des services et gouvernance urbaine. De manière générale, la recherche de modèles de gouvernance ouvre un débat plus global sur la répartition des rôles entre l’Etat ou les collectivités locales, la sphère privée et la société civile dans sa diversité. Si les trente dernières années ont été marquées par des prises de position radicales, il semble que l’on parvienne aujourd’hui à des compromis plus équilibrés.
Succès et limites du Partenariat PublicPrivé
Dans ce débat, le partenariat publicprivé (PPP) connaît depuis quelques années un succès croissant, en raison peutêtre de son caractère à la fois complexe et malléable – tout comme la notion de gouvernance. Dans son acception générale, il englobe un certain nombre de modèles où l’autorité publique (Etat ou collectivité locale) s’allie à un acteur privé à travers un contrat, une société d’économie mixte ou un partenariat informel pour créer une solidarité d’intérêts dans des domaines aussi divers que l’aménagement urbain, la construction ou la prestation de services. S’agissant des services d’eau dans les PED, le partenariat publicprivé a été promu à partir du début des années 1990 sous la forme de contrats de délégation de service accordés à des groupes internationaux spécialisés, dans les grandes villes des PED.
Face à quelques échecs retentissants , le modèle de PPP promu pour les services dans les PED a déjà largement évolué depuis le début des années 1990, et se trouve aujourd’hui à un tournant : il doit se renouveler en profondeur pour être durable. La desserte en eau des populations défavorisées exige en effet un partenariat plus fort avec les autorités publiques : une volonté politique qui se traduit par des formes nouvelles de financement et de gestion.
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Table des matières
INTRODUCTION GÉNÉRALE
1. La double crise des services urbains des PED
2. Comment renouveler les modèles de gouvernance pour assurer l’accès à l’eau potable pour tous ?
3. Méthodologie : une articulation entre une approche historique, une analyse théorique et une démarche de rechercheintervention
4. Architecture de la thèse
PARTIE I. LES SERVICES D’EAU ET D’ASSAINISSEMENT DANS LES PAYS EN DÉVELOPPEMENT (PED) : ÉTAT DES LIEUX
INTRODUCTION DE LA PREMIÈRE PARTIE
CHAPITRE 1 GÉNÉRALITÉS SUR LES SERVICES PUBLICS D’EAU POTABLE ET D’ASSAINISSEMENT
1. Qu’estce qu’un service d’eau ou d’assainissement ?
2. Les spécificités des services d’eau et d’assainissement
3. Les questions de gouvernance au cœur de la gestion des services d’eau : de l’économie au politique
4. Conclusion
CHAPITRE 2 L’ACCÈS À L’EAU POUR TOUS DANS LES PED : ÉTAT DES LIEUX ET ENJEUX
1. Comment définir l’accès à l’eau et à l’assainissement ?
2. Explosion démographique et urbanisation galopante dans les PED
3. Paupérisation croissante en milieu urbain
4. Des enjeux sanitaires, sociaux et économiques forts
5. Conclusion
CHAPITRE 3 LE FINANCEMENT DES INFRASTRUCTURES POUR L’EAU ET L’ASSAINISSEMENT DANS LES PED : UNE PROBLÉMATIQUE INTERNATIONALE
1. La prise de conscience et l’implication croissante des acteurs internationaux
2. Les limites des sources de financement « classiques »
3. Le recours aux capitaux internationaux pour financer les services d’eau des PED
4. L’analyse des risques au cœur des Partenariats PublicPrivé (PPP)
5. Quel partage du poids des investissements ?
CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE
PARTIE II. BILAN DES MODÈLES DE GOUVERNANCE MIS EN PLACE DEPUIS 1980 POUR LA GESTION DES SERVICES D’EAU DANS LES VILLES DES PED
INTRODUCTION DE LA DEUXIÈME PARTIE
CHAPITRE 1 LA DÉCENNIE DE L’EAU (19801990) : L’IRRUPTION DES INSTITUTIONS INTERNATIONALES DANS LA PROBLÉMATIQUE DES SERVICES URBAINS
1. Une augmentation des financements publics sans réforme institutionnelle
2. Le cas des métropoles indiennes : l’échec de la logique d’offre
3. L’émergence d’un modèle hybride dans les quartiers périphériques des grandes villes africaines
4. Les leçons tirées de la décennie de l’eau
CHAPITRE 2 LA PROMOTION PAR LA BANQUE MONDIALE DU PARTENARIAT PUBLICPRIVÉ (19922000)
1. Aux origines de la réforme : des arguments idéologiques et économiques
2. La mise en place d’un modèle marchand basé sur le recouvrement des coûts par l’usager
3. L’exemple de Buenos Aires : bilan d’une concession phare des années 1990
4. Tensions et évolution du modèle initial de PPP
CHAPITRE 3 LA DIVERSIFICATION DES MODÈLES DE GOUVERNANCE DE L’EAU (20002004)
1. Un tournant dans les politiques de développement
2. Le renforcement de la logique marchande et la participation des usagers
3. La fin du modèle unique et la multiplicité des formes de gouvernance
4. Conclusion sur la diversification des modèles de gouvernance
CHAPITRE 4 PRENDRE EN COMPTE TOUTES LES DIMENSIONS DE LA GOUVERNANCE DE L’EAU
1. Bilan de 25 années de prescriptions internationales
2. La prise en compte simultanée de trois dimensions clés de la gouvernance
CONCLUSION DE LA DEUXIÈME PARTIE
PARTIE III. ENSEIGNEMENTS DES THÉORIES DE L’ORGANISATION
INTRODUCTION DE LA TROISIÈME PARTIE
CHAPITRE 1 L’INGÉNIERIE CONTRACTUELLE : MÉCANISMES D’INCITATION ET DE CONTRÔLE
1. Répartition des droits de propriété entre la collectivité publique et l’opérateur
2. La relation d’agence entre la collectivité publique et l’opérateur
3. Quels sont les modèles issus des théories de l’incitation ?
4. Conclusion sur la dimension incitative des contrats
CHAPITRE 2 L’INGÉNIERIE INSTITUTIONNELLE : DISPOSITIFS DE PILOTAGE DU CONTRAT ET D’ARBITRAGE DES CONFLITS
1. Les interdépendances entre les acteurs de l’eau
2. La minimisation des coûts de transaction dans le mode de gouvernance optimal
3. Les différents mécanismes de résolution de conflits
4. Conclusion sur la dimension institutionnelle du dispositif de pilotage du contrat
CHAPITRE 3 L’INGÉNIERIE PARTICIPATIVE : PLACE DES USAGERS DANS LA GOUVERNANCE DES SERVICES
1. La participation des usagers : le résultat d’un compromis
2. Les différents degrés de participation : de l’information à la cogestion
3. Les questions que pose la participation des usagers
4. Conclusion sur la place de l’usager dans la gouvernance des services d’eau
CHAPITRE 4 COUPLAGE ENTRE LES TROIS DIMENSIONS ET COHÉRENCE D’UN MODÈLE DE GOUVERNANCE
1. Bilan des enseignements des théories de l’organisation
2. La cohérence d’un modèle de gouvernance
3. Une relecture des modèles expérimentés depuis 1980 à partir de la notion de cohérence d’un modèle de gouvernance
CONCLUSION DE LA TROISIÈME PARTIE
CONCLUSION GÉNÉRALE