La « Ville Durable », une nouvelle façon de concevoir et d’appréhender le rapport à l’urbain
En tant que projection spatiale des rapports sociaux, la ville est un enchevêtrement de temporalités différenciées. Les villes contemporaines sont majoritairement conçues, organisée et aménagée selon des processus d’étalement et de fragmentation urbaine. Or ce modèle extensif, consommateur d’espace et d’énergie, générateur d’artificialisation des espaces et des dégradations qu’elle incombe (pollution, fragmentation écologique etc.), est sujet à de nombreuses controverses au regard du rayonnement international que connaît le concept de « développement durable ». C’est pourquoi, s’interrogeant sur les façons de penser la ville, différentes selon ses enjeux et les sociétés qui l’habitent, le débat sur la « Ville Durable » en faveur d’une « densification verte » se renouvelle en France dans la continuité du mouvement européen (la voie des villes durables européennes s’est ouverte avec la signature de la charte d’Aalborg en 1994).
Pour cela, les lois SRU, Grenelle I et II et la loi Duflot plus récemment ont profondément marqué les instruments d’urbanisme, d’accès au logement et de gestion de la ville. En effet, appréhender la problématique de la « Ville Durable », c’est penser les enjeux de la durabilité urbaine à ses différentes échelles, de la ville-région à celle du quartier. La « ville durable » doit alors englober toutes les dimensions d’un aménagement qui s’adapte aux caractéristiques de son territoire afin de conduire à un développement économique, social et environnemental durable. Il s’agit alors de penser l’urbanité comme un mode de vie où chacun a « droit à la ville » (régulation du foncier, mixité sociale) et qui ne soit plus déconnecté des milieux qui l’entourent en replaçant les « services de la nature » (réduction de la pollution, de l’eau, effet d’ombrage, régulation des températures etc.) et sa « pratique » (agriculture, jardinage, facilité d’accès aux parcs et jardins publics etc.) au cœur du système urbain.
Le plan d’actions « Ville Durable » vise ainsi à favoriser l’émergence d’une nouvelle façon de concevoir, construire, gérer et faire évoluer la ville afin qu’elle puisse répondre à des objectifs globaux – changement climatique, la préservation de la biodiversité, la réduction de l’empreinte écologique – et des enjeux locaux –resserrement urbain, détérioration de la qualité de vie, nouvelles formes de mobilité, la mixité sociale etc. Pour une nouvelle façon d’appréhender la ville, ce plan propose quatre grandes actions reposant sur les principes fondamentaux du développement durable. Les trois premières sont la constitution d’éco-cités, d’éco-quartiers et le développement de transports collectifs en site propre. La quatrième est l’élaboration, pour 2009, d’un plan d’actions à mettre en œuvre avec les villes pour « préserver, développer et valoriser la biodiversité urbaine » conformément au 76 ème engagement du Grenelle Environnement « Restaurer la nature en ville et ses fonctions multiples : énergétique, thermique, sanitaire, esthétique, psychologique, anti-ruissellement et prévention del’usagede produits chimiques ».
L’enjeu de la ville durable apparaît alors plus clairement comme une tentative de concevoir des politiques territoriales qui remettent l’Homme, les habitants et les usagers des territoires, au cœur de celles-ci, en conciliant la préservation de la biodiversité avec la prise en compte des enjeux sociétaux et culturels (bien-être). Car en effet, la présence de nature dans la ville semble receler d’enjeux pluriels, allant de la préservation de la biodiversité à la reconnexion des citadins à leur lieu de vie (Manusset, 2012). Appelant à réfléchir à la place des espaces verts dans la ville qui se densifie, la ville durable se veut être une réponse aux attentes des usagers, en leur donnant envie de rester dans les nouvelles formes de villes denses, afin d’éviter le phénomène d’exode fondé sur le ressenti d’un cadre de vie de moindrequalité.
« La ville de demain, soutenable pour le plus grand nombre et adaptée aux changements climatiques, se doit d’être “verte et bleue” et viser par conséquent à préserver les grands espaces naturels, à développer des espaces verts de proximité dans les zones carencées, à les mailler pour créer des offres complémentaires de promenades, à favoriser la présence de l’eau et de la nature de le tissu urbain et enfin, à promouvoir la gestion écologique de toutes les surfaces vertes du territoire » (Chafiol, 2011). Relevant de la responsabilité directe des collectivités, les multiples formes que peut prendre la nature dans le tissu urbain (végétalisation du bâti, espaces verts, pars naturels urbains, jardins collectifs) font l’objet d’une institutionnalisation qui se traduit notamment par la co-élaboration de plans validés et soutenus par l’Etat tels que le « Plan Nature en Ville » un des volets transversal de la « Ville Durable ».
La végétalisation de la ville au cœur de la « Ville Durable »
Volet transversal du plan « Ville durable », le programme « Restaurer et valoriser la nature en ville », repris dans la loi de programme du 3 août 2009 dite Grenelle I, concrétise le 76 ème engagement du Grenelle Environnement.
Initié par le secrétariat d’Etat à l’Ecologie et au Développement Durable, ce programme est d’abord sujet à une conférence nationale de lancement, « Nature en ville, vers un plan d’actions dès 2010 », tenue à Paris en juin 2009. La démarche s’est poursuivie avec la mise en œuvre de quatre ateliers de travail thématiques réunissant élus, experts, chercheurs, entrepreneurs, agriculteurs, représentants des milieux associatifs et professionnels. La conférence de restitution tenue à Paris en février 2010 présenta les principales propositions d’actions visant à valoriser la nature en ville, à la connecter aux systèmes en périphérie et à améliorer de façon significative la qualité de vie en ville.
Le « Plan Nature en Ville » est coproduit entre avril et juin 2010 par un groupe représentatif des acteurs de la ville et composé des cinq collèges du Grenelle Environnement qui a identifié les priorités et les actions à mener en partenariat. Le plan est ensuite officiellement lancé en novembre 2010 par le Ministère de l’Ecologie, des Transports et du Logement (METL) et par le MEDDE. Il comprend 37 actions regroupées en trois axes stratégiques et seize engagements. Le premier axe intitulé « ancrer la ville dans sa géographie et son milieu naturel » recouvre les quatre premiers engagements. Rassemblant les engagements cinq à onze, le second axe vise à « préserver et développer les espaces de nature en quantité et en qualité ». Le dernier axe du plan tend à « promouvoir une culture et une gouvernance partagées de la nature ».
Enjeu de la « Ville Durable », la végétalisation de la ville recouvre trois grands aspects. Le premier est d’ordre écologique en permettant une meilleure mobilité et distribution des espèces. Le second concerne la dimension climatique car il s’agit d’adapter la ville aux variations climatiques, notamment grâce aux services écosystémiques de régulation (hydrique, thermique etc.) des paramètres de l’écosystème urbain qu’offre la présence de la nature en ville (abaisser les températures élevés propres aux îlots de chaleur, réduire les risques d’inondation par le maintien de sols perméables en favorisant l’infiltration des précipitations, réduire les pollutions etc.). Enfin, la végétalisation de la ville recouvre un troisième aspect qui est d’ordre social, psycho-social et culturel au regard de l’impact des espaces vert sur la qualité du cadre de vie, de l’importance symbolique de la nature dans la définition d’une « qualité de vie » et de celle des espaces végétalisés sur la santé (aspects récréatifs, de socialisation, de santé, de circuits court voire d’autosuffisance alimentaire). Elle intègre le besoin citadin de se reconnecter à son lieu de vie via la présence de nature dans son espace- vécu : la voir, la sentir, la toucher, voire parfois même la goûter (Bergeoënd, Blanc, Clergeau et al, 2013).
Les bouleversements économiques et sociaux changent le rapport aux espaces verts
La volonté de créer ou restaurer des espaces de nature dans ville n’est pas récente. Elle s’inscrit dans le courant hygiéniste du 19ème siècle avec la manifestation des médecins qui, face aux transformations induites par les révolutions industrielles, dénonçaient des conditions de vie urbaines misérables, l’entassement, l’insalubrité et leurs effets néfastes sur la santé et la morale. L’hygiénisme préconisait alors l’ouverture des villes, qui étaient jusqu’alors délimitées par d’anciennes fortifications, afin de favoriser une meilleure circulation de l’air et de réduire la densité de population. Il s’agissait ainsi d’aérer et d’embellir la ville, notamment en y faisant « entrer » la nature.
Au 20 ème siècle, on voit que l’approche hygiéniste ne désempli pas, elle est même reprise et prolongée par deux grands mouvements. Le premier est le concept de cité-jardin. Théorisé par l’urbaniste Ebenezer Howard dans son ouvrage « Tomorrox, a peaceful path to real reform » (1898), la cité-jardin se propose comme une alternative à la ville industrielle qui devait permettre de profiter des avantages de la ville tout en habitant à la campagne. Appliqué à l’échelle de quartiers et non à celle de villes en périphérie, ce concept inspira de nombreuses villes européennes qui constituèrent de nouveaux quartiers appelés alors à tort « cité-jardin » porteurs toutefois de certains principes du concept fondateur en s’attachant à associer un habitat social, des services, des commerces et des espaces verts. Le second est le concept de la ville verte qui devait rassembler les objectifs hygiénistes et une architecture des logements axée autour de laplace laissée à la nature et ses composantes que sont le soleil, l’air et la verdure.
Avec le développement urbain qui s’intensifie et se généralise à la moitié du 20 ème siècle, il semblerait que plus la campagne s’éloigne, plus les signes de « nature » se développent dans les villes (ex : jardins publics, arbres dans les immeubles etc.). En effet, après la ville industrielle qui constitua un monde ouvrier fait d’anciens paysans dépaysés, la ville de la fin des Trente Glorieuses atteint une « zonecritique » (Lefebvre 1970, d’après Lethierry, 2011) caractérisée par la concentration urbaine, l’exode rural, l’extension du tissu urbain et la subordination complète de l’agraire à l’urbain avec, en France, environ 65% de la population qui est urbaine au début des années 1970 (La Banque Mondiale, 2013). Le phénomène urbain pose alors la question de la relation ville/campagne où l’urbain est pris à la fois entre le rural (espaces verts, zones pavillonnaires) et l’industriel (barres d’immeubles, trajets obligatoires entre travail et domicile, voisinage imposé).
Outre ses caractéristiques physico-chimiques aux impacts négatifs (îlots de chaleur, pollutions sonore, lumineuse, atmosphérique etc.), le système urbain laisse également place à d’autres formes de détériorations telles que celle des rapports humains, que ce soit dans les grandes métropoles ou dans les villes de taille plus modeste (Plan « Restaurer et valoriser la Nature en Ville », novembre 2010). Afin de trouver des éléments de réponse à ce type de problématique, nous nous référons à la sociologie urbaine, initiée dans les années 1950 par Henri Lefebvre dont le cadre de travail était le suivant : l’urbain a émergé à partir d’une dégradation du rural. Dans son ouvrage « Le droit à la ville » (1968), il constatait déjà la dégradation du vivre social dans l’habité (c’est-à-dire incluant le rapport au voisinage et pas seulement à l’habitat construit selon des visées productivistes d’après-guerre), mettant en avant le fait qu’au lieu d’instaurer une socialité, la ville déstabilise.
En tant que réponse à ce type déstabilisation provoquée par le mode de vie en « non campagne », on observe que déjà à la moitié du 19 ème siècle (premiers exodes ruraux après la première révolution industrielle), ce que l’on appelle un « système de résilience » commençait à apparaître sous la forme de jardins ouvriers (appelés alors « champs des pauvres »). En effet, alors que la ville industrielle happe les paysans hors de leur campagne natale, la doctrine terrianiste puis le paternalisme social, voulaientque le jardin soit à la fois un complément de ressource et élément de structuration de la famille (renforcement des liens de filiation).
A la faveur du courant hygiéniste et précédant de peu l’urbanisme des cités-jardins (habitées principalement par des classes ouvrières) des années 1920, la pratique du jardinage en tant que système de résilience se développa massivement tout au long du 20 ème siècle et connu un nouvel essor en France au début du 21 ème siècle avec l’apparition de jardins collectifs partagés. Ayant pour point commun l’amélioration de la qualité de son cadre de vie, l’ouvrier et le citadin ont vu et voient encore aujourd’hui le jardin comme un outil de reconnexion. L’étude sociale de ces jardins, et plus généralement du besoin de cultiver, se penche alors vers la problématique suivante : une reconnexion … à qui, à quoi ? Retraçant leurs racines, inspirations et définitions, multiples et complexes, les « jardins collectifs » recouvrent différentes réalités. D’une parcelle familiale à une série de parcelles cultivées de manière individuelle ou collective, du jardin ouvrier français du 19 ème siècle à la reconquête des friches new-yorkaise des années 1970, les essors et déclins des jardins traduisent tout autant l’évolution des sociétés (tantôt en crise tantôt dans la prospérité) qui les cultivent que celle des législations qui les englobent. La végétalisation par la culture en jardin, un système de résilience sociale ?
Le mouvement de jardins ouvriers émergea en France au milieu du 19 ème siècle sous l’impulsion de l’Abbé Jules Lemire. La naissance de ces jardins a alors un lien avec la démocratie chrétienne, courant idéologique basé sur la défense de la famille, du foyer et de la petite propriété. Outil de lutte contre la pauvreté qui offrait aux classes sociales défavorisées de la société industrielle un complément de ressource et un accès à une « nature » à ces anciens paysans en exode, le jardin permettait d’assurer une forme de paix sociale. Les parcelles cultivables, mises à dispositions en échange d’une cotisation, appartiennent généralement aux municipalité ou à des propriétaires privés qui n’en ont pas l’usage. Au fil des ans, le jardin ouvrier évolue en même temps que l’on observe une recomposition sociale des locataires, faisant alors émerger une nouvelle catégorie de jardin, celle des jardins familiaux. Connaissant des périodes de succès en temps de crise (lors de pénuries alimentaires pendant les guerres, de cracks boursier, crises socio-économiques, crises écologiques) et des périodes de déclin en temps prospères (aux lendemains de la seconde guerre mondiale), les jardins familiaux resurgissent à la fin des Trente Glorieuses (profitant de la montée du courant écologique ?) lorsque les citadins, en pleine période de contestation de la société de consommation dans les pays à économie libérale, sont en demande d’une amélioration de la qualité de leur cadre de vie et rejettent l’urbanisme fonctionnel de la période de reconstruction d’après-guerre. De par la recherche d’une amélioration de la qualité des denrées alimentaire, les circuits courts, qui permettent de rapprocher les producteurs des consommateurs, émergent progressivement sous le couvert du courant écologiste à partir des années 1970.
Durant la même période, des jardins apparaissent outre atlantique mais à partir d’un autre type de
motivation, celle de la participation citoyenne au verdissement de la cité avec l’expérience nordaméricaine des community gardens qui apparaissent à la fin des années 1960. Enclenché sous l’impulsion d’activistes écologistes (les Green Guerilleros), il s’agissait alors d’offrir des lieux de nature aux habitants et de lutter contre le délabrement des quartiers défavorisés de New York, habités principalement par des populations ouvrières, où se multipliaient les terrains vagues. Cette « naturalisation » des quartiers s’effectua à partir de bombes de graines (seed grenades) lancées par-dessus les grilles de terrains abandonnés et laissés en friches afin de les transformer en jardins. Face à l’engouement des habitants au regard de ce mouvement de colonisation végétale, la ville de New York officialisa l’occupation des terrains jusqu’alors illégale en louant chaque parcelle pour un dollar par mois. Cette tendance au « retour à la terre » se retrouve dans d’autres villes américaines, notamment celle de Détroit qui, devenue une ville-fantôme vidée de sa populations à la suite de la désindustrialisation, trouve une forme de résilience urbaine à travers la mise en place de jardins communautaires. Pratique économique alternative, elle permet de tisser de nouvelles dynamiques de participation et de cohésion sociale en participant à la création de nouvelles solidarités et au renforcement des communautés à l’échelle du quartier (Paddeu, 2012).
Ces initiatives de réappropriation de terrains (non-officielle puis administré par le pouvoir communal) pour en faire des jardins gérés collectivement afin d’améliorer le cadre de vie, de créer un lieu d’échanges et de rencontres entre les habitants du quartier, inspira un collectif français qui ouvrit en 1997 le premier jardin partagé en France. Installé légalement à Lille (dans le quartier des Moulin) sur un terrain de 910 m 2 , le « Jardin des Retrouvailles » rassemble des habitants autour d’un potager dit biologique où sont aménagés une haie d’essences locales, une butte de plantes aromatiques, un compost, une mare et un abri. La même année et dans la même ville est organisé le premier forum national « jardinage et citoyenneté : le jardin dans tous ses états », qui donna naissance à la création d’un réseau national de jardinage, « le Jardin dans Tous Ses Etats » (JTSE).
La vocation sociale des jardins semble être inscrite dans leurs racines. En effet, c’est un équipement qui a été à l’origine, conçu, développé et géré par des population économiquement défavorisées mais qui étaient culturellement et socialement intégrées par leur participation au monde du travail (jardins « ouvriers ») ou par leur insertion dans des réseaux de sociabilité (jardinsfamiliaux).
Devenus « collectifs », les jardin rassemblent des personnes de différentes générations, cultures et/ou classes sociales, et connaissent un véritable essor en France depuis une quinzaine d’années(Cérézuelle,1990). Dans son ouvrage « Jardins collectifs urbains », Cyrielle Den Hartigh dénombre quatre types de jardins collectifs : les jardins familiaux, les jardins d’insertion, les jardins pédagogiques et les jardins partagés. Tandis que les jardins d’insertions sont gérés par une association qui propose aux personnes exclus socialement ou économiquement de se réinsérer par le travail, les jardins pédagogiques ont une valeur plus strictement écologique en proposant la découverte et/ou l’apprentissage de la mise en culture d’une parcelle selon les principes de l’agriculture biologique. Concernant les jardins partagés,l’auteur enpropose une typologie en quatre catégories qui peuvent se chevaucher les unes les autres.
La pratique du jardinage, une recherche de qualité et d’hygiène de vie ?
Au regard de l’effervescence sociale qui naît autour des jardins partagés, la ville de Paris (Direction des Parcs, Jardins et Espaces Verts) élabore en 2003 le réseau « Main Verte » dont découle la «
Charte Main Verte » qui encadrent la création des jardins partagés parisiens. Décrit comme un programme d’accompagnement pour les porteurs de projets et s’inscrivant dans une démarche de développement durable, la « Charte Main Verte » soumet ses signataires au respect de cinq points majeurs (Charte Main Verte, voire annexe 3), soit la convivialité, l’ouverture au public, la communication (modalités d’accès du jardin, les activités proposées, dates de réunion etc.), le fonctionnement (élaboration collective des règles du jardin) et la gestion écologique du site.
Afin de s’inscrire dans les principes de la Ville Durable, la règle première d’un jardin partagé ouvert au sein de la ville est d’y appliquer les principes d’une agriculture biologique. Les jardiniers de jardins partagés ne peuvent donc avoir recours qu’à des pratiques culturales et d’élevage soucieuses durespectdes équilibres naturels, excluant ainsi l’usage des produits chimiques de synthèse, les OGM et limitant très fortement l’emploi d’intrants. Concept né dans les années 1930 en réaction à l’avènement de l’agrochimie et au développement des engrais minéraux issus de la chimiosynthèse, l’agriculture biologique émerge au cœur de la société civile dans les années 1970, en pleine période de rejet du modèle de production agricole intensive (destructrice de sols et consommatrice en eau et en intrants chimiques) hérité des révolutions vertes. Le concept connaît un véritable essor une dizaine d’années plus tard avec l’apparition d’acteurs institutionnels et économiques qui le soutiennent (Fédération nationaled’agriculture biologique des régions de France en 1978, Biocoop et Ecocert en 1986) et sa labellisation en 1985 par le Ministère de l’Agriculture. Toutefois, la qualité strictement biologique de la labellisation est sujette à de nombreuses controverses et remises en question depuis 2007 à la suite du rapport de la Commission Européenne sur l’application du règlement relatif à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques qui légalise la coexistence de cultures OGM avec l’agriculture bio et exonère l’obligation de son étiquetage au-deçà d’un seuil de tolérance de 0,9% (Charlier, Ngo, 2010).
Profitant alors de l’institutionnalisation de l’agriculture biologique en ville, de nombreuses associations se forment afin de favoriser le « porter à connaissance » à travers l’animation d’atelier de jardinage biologique et de recyclage des déchets organiques ménagers (compost). Parmi elles, l’association Le Sens de l’Humus, créée au printemps 2006, s’inscrit dans une démarche à dimension écologique et sociale avec la retransmission de savoirs accumulés par l’association et la gestion d’un jardin expérimental et éducatif d’inspiration permaculturale. Activiste, « l’association milite pour une transformation écologique et sociale (des regards citadins portés sur la nature) par des interventions publiques, des actions et formations ou au travers d’actions d’éducation populaire : permaculture, jardinage naturel, semences paysannes, compostage … » (URL : senshumus.wordpress.com).
Si on se réfère à l’étymologie des mots, pratiquer un jardinage (du composé latin-germanique hortus gardinus qui signifie littéralement « jardin entouré d’une clôture ») auquel on applique les principes de l’agriculture biologique (du grec bios « la vie », et logos « l’étude ») signifie, étymologiquement, à « étudier la vie » dans un « jardin enclos ». S’inscrivant dans une démarche écologique et sociale, le jardin cultivé selon les principes de l’agriculture biologique est alors un terrain d’expérimentation pour des pratiques respectueuses de l’environnement et participe au maintien de la biodiversité en milieu urbain ainsi qu’à la sensibilisation et diffusion des connaissances de ce milieu.
Ainsi, à travers la pratique d’un jardinage qui suit la logique des cycles naturels, qu’elle soit collective ou individuelle, chaque individu peut s’inscrire indirectement dans une démarche de démocratie participative à la trame verte et bleue en agissant consciemment en faveur d’un aménagement « écologique » de son jardin. Car en termes d’utilité écologique, les jardins peuvent servir de continuité dans un corridor biologique dans la mesure où ils sont utilisables par les espèces en tant que lieu de transit, de vie, d’alimentation ou de reproduction.
|
Table des matières
Introduction
I. LA PLACE DES JARDINS PARTAGES DANS LES ENJEUX DE « NATURE EN VILLE »
1. Une double réflexion sur la fonction de la présence de « nature » dans les villes denses
1.1 Des mesures phares du Grenelle Environnement
1.2 La domestication de la nature, une réponse sociale à la dégradation du lieu de vie
1.3 Les principes de la « Nature en Ville » en expérimentation en Seine-Saint-Denis
2. Un stage qui s’inscrit dans une série de partenariats
2.1 Une collaboration entre le MNHN et l’ODBU
2.2 Le quartier du Moulin Neuf, un « site-pilote » propice aux actions de médiations
3. Méthodologie
3.1 Liste des entretiens
3.2 Questionnaires
3.3 Difficultés rencontrées
II. PRATIQUES ET USAGES : DE LA PERCEPTION ET L’APPROPRIATION
1. Des profils relativement homogènes
2. Quel lien social ?
2.1 Entre les jardinières, avec la création et l’appartenance à un groupe spécifique ?
2.2 Entre les habitants ?
2.3 L’interaction intergénérationnelle, un lien présent mais encore relatif
3. Quelles perceptions pour quelles formes d’appropriation ?
3.1 Des perceptions à dominante idéelle ?
3.2 Des modalités d’appropriation différentes selon le statut des acteurs ?
4. Une médiation aux enjeux de Nature en Ville effective ?
4.1 Le rôle du jardin sur la perception et la pratique d’espaces de nature en ville
4.2 Le jardin, un outil de sensibilisation
Conclusion
Bibliographie
Annexes