La capacité à croître et à se diviser est une propriété fondamentale du monde vivant dont la cellule est l’unité de base. Ainsi, toute cellule alterne des phases de croissance (grossissement) et de division (cytokinèse). Dans le cas le plus fréquent, cette division se fait en deux cellules filles identiques (morphologie, génome, taille, etc.), on parle alors de division symétrique. C’est l’étude de ce processus vital qui fait l’objet de cette thèse. Découverte il y a plus de 150 ans, la division cellulaire a été intensivement étudié dans plusieurs organismes modèles: eucaryotes (les levures et les mammifères par exemple) et procaryotes (Escherichia coli et Bacillus subtilis).
L’analyse des processus moléculaires de cytokinèse présente à la fois un intérêt fondamental et finalisé. Du point de vue fondamental, on étudie quand et comment les cellules décident de se diviser, comment elles le font, et comment ces processus fondamentaux ont été conservés, ou réinventés, au cours de l’évolution. Ces travaux présentent aussi un intérêt biotechnologique car la machinerie de division cellulaire est une cible privilégiée pour le développement de molécules thérapeutiques antibiotiques et/ou anticancéreuses. Dans le cas des antibiotiques, on vise à perturber la division des microorganismes infectieux, sans affecter celles des cellules humaines. Au laboratoire, nous étudions la cytokinèse d’organismes procaryotes, les cyanobactéries, qui ont façonné la planète (génération de l’atmosphère oxygénique), et continuent d’avoir un fort impact sur l’environnement (renouvellement de l’atmosphère oxygénique, production de biomasse pour la chaine alimentaire). Ces microorganismes ont également un fort potentiel biotechnologique (production de molécules thérapeutiques, de bioplastiques et de bioénergies) (Abed, et al., 2009; Dismukes, et al., 2008; Ghirardi, et al., 2009; Williams, 2009) .
La division cellulaire chez les bactéries hétérotrophes Escherichia coli et Bacillus subtilis
La division cellulaire a été principalement étudiée chez les deux bactéries cylindriques modèles E. coli et B. subtilis. Au cours des trente dernières années, une quinzaine de gènes directement impliqués dans la division cellulaire de ces deux organismes ont été identifiés (Errington, et al., 2003a). Pour la plupart, ils ont été nommés « fts », pour « filamentation thermosensitive », en référence au phénotype consécutif à leur inactivation. Chez ces mutants la cytokinèse est fortement perturbée (constriction, synthèse du peptidoglycane septal, séparation des deux cellules filles) alors que la croissance cellulaire continue (synthèse du peptidoglycane périphérique) ; il en résulte un allongement des cellules qui « filamentent ».
A l’heure actuelle le modèle cinétique général de la division cellulaire (la cytokinèse) comprend les étapes suivantes:
❖ La sélection du site de division, généralement au milieu de la cellule (cytokinèse symétrique), entre les deux nucléoïdes nouvellement dupliqués et ségrégés (le nucléoïde définit la zone où est concentrée l’ADN bactérien et les protéines qui lui sont rattachées).
❖ La formation d’un anneau stable de polymères de la protéine FtsZ, l’anneau Z, au niveau du futur site de division (septation) des deux cellules filles.
❖ L’assemblage d’un complexe multi-protéique membranaire, ou septosome, au niveau de la « charpente » formée par l’anneau Z.
❖ L’activation par ce complexe membranaire de la machinerie de synthèse du peptidoglycane septal responsable de l’invagination du manteau cellulaire (comprenant la ou les membranes plasmiques et le peptidoglycane).
❖ La séparation physique des deux cellules filles.
Positionnement du plan cytokinétique au milieu de la cellule
Il est généralement accepté que l’assemblage de l’anneau Z au milieu de la cellule est l’événement clé dans l’initiation de la division cellulaire symétrique. Toutefois, peu de choses sont connues sur les mécanismes moléculaires impliqués dans la régulation spatiale et temporelle de l’assemblage de ce complexe et la transition vers les étapes distales de constriction de la cellule mère et septation des deux cellules filles résultantes.
Pour assurer une division symétrique, on conçoit intuitivement que la bactérie doit d’une manière ou d’une autre pouvoir définir précisément son plan médian. Deux mécanismes moléculaires sont impliqués dans la sélection du site de division au milieu de la cellule . Les deux processus empêchent l’assemblage de l’anneau Z au niveau de l’ADN (le système Noc pour « nucleoid occlusion » – exclusion du nucléoide) d’une part, ainsi qu’au niveau des deux pôles de la cellule d’autre part (le système Min pour « minicells »).
Le système Noc
Plusieurs données indiquent que les cellules possèdent un mécanisme qui empêche la constriction de l’anneau Z au niveau des régions riches en ADN, évitant ainsi de fragmenter le génome de la cellule mère et donc la production de cellules filles possédant une partie du génome incomplet. Il semble donc que les bactéries aient développé un système capable de percevoir soit la présence de zones libres d’ADN ou, au contraire, la présence du nucléoïde. Le système Noc a été révélé par l’observation que la division cellulaire est souvent inhibée à proximité du nucleoïde de cellules dont la réplication ou la ségrégation des chromosomes est perturbée (Mulder and Woldringh, 1989). Ainsi l’anneau Z est incapable de se former au dessus du nucléoïde. Des études réalisées chez E. coli et B. subtilis semble indiquer que, plus que la présence d’ADN, se serait sa concentration qui serait importante (Harry, 2001). L’observation que l’anneau Z s’assemble avant la ségrégation complète de chromosomes, est en faveur de cette hypothèse (Den Blaauwen, et al., 1999; Wu, et al., 1995).
En 2004, Wu et Errington ont identifié un effecteur spécifique du système de « nucleoid occlusion » chez B. subtilis (Wu and Errington, 2004). Ce facteur, YyaA (renommé Noc), semble inhiber la division cellulaire en se liant à l’ADN de manière non spécifique. Chez les mutants inactivés du gène noc, les sites de divisions sont ectopiques et se produisent régulièrement au niveau des nucleoïdes (Figure 4). Un homologue fonctionnel de la protéine Noc a été identifié chez E. coli:, la protéine SlmA (Bernhardt and de Boer, 2005). Le mécanisme par lequel SlmA agit sur l’exclusion du nucléoïde reste méconnu. Comme la protéine Noc, SlmA se lie de manière non spécifique à l’ADN et interagit physiquement avec FtsZ. SlmA pourrait, soit inhiber la polymérisation de FtsZ, soit prévenir l’association de facteurs stabilisant l’anneau Z, tels FtsA ou ZipA (voir plus loin) (Bernhardt and de Boer, 2005).
Les protéines Noc et SlmA ne se distribuent pas de manière homogène dans le nucléoïde; au cours de la ségrégation des chromosomes, leur concentration diminue au centre des nucléoïdes (Figure 5). Il est donc envisagé que ces deux protéines inhibent la polymérisation de FtsZ mais que la ségrégation des nucléoïdes crée une région libre au milieu de la cellule favorable à l’assemblage de l’anneau Z (Lutkenhaus, 2007a).
Le nucléoïde est représenté en bleu. Les protéines Noc (B. subtilis) ou SlmA (E. coli) sont représentées en rouge. Les monomères de FtsZ sont représentés par des sphères vertes. L’anneau Z (polymères de FtsZ) est représenté en vert. L’inhibition de la polymérisation de FtsZ par les protéines Noc ou SlmA est représentées par des T noirs. (Lutkenhaus, 2007a).
Bien que les phénotypes des mutants inactivés des gènes noc et slmA soient semblables ; ces deux protéines, qui sont présentes chez deux bactéries différentes (respectivement B. subtilis et E. coli) ne partagent pas d’homologie de séquence. Elles constituent, probablement, un bel exemple d’évolution convergente .
Le système Min
En complément du système Noc, il existe un autre processus de positionnement de l’anneau Z au plan septal médian; le système Min. L’absence des facteurs de ce système autorise les divisions ectopiques au niveau des pôles cellulaires des mutants correspondants, et engendre la formation de minicellules.
Chez E. coli
Les gènes codant pour les composants du système Min forment un opéron regroupant les gènes minC, minD et minE. La délétion de l’intégralité de l’opéron minCDE n’est pas létale, mais elle produit des septations asymétriques (Davie, et al., 1984; de Boer, et al., 1988).Ce phénotype «mini-cellules» illustre bien la capacité de FtsZ à polymériser n’importe où le long du cylindre cellulaire et que le système Min contrôle le positionnement de l’anneau Z.
Les études génétiques et biochimiques indiquent que les protéines MinC et MinD forment un complexe membranaire inhibiteur de la polymérisation de FtsZ; tandis que la protéine MinE empèche le complexe MinCD d’inhiber la polymerisation de FtsZ au milieu de la cellule (de Boer, et al., 1992; de Boer, et al., 1989). In vivo la sur-expression de MinC induit une forte filamentation de la cellule du fait de l’incapacité de l’anneau Z à se former. MinC interagit physiquement avec FtsZ (test doublehybride dans la levure Sacharromyces cerevisiae : YTH), dont il inhibe la polymérisation in vitro (Hu and Lutkenhaus, 2000). Il a été montré que MinC interagissait également avec MinD (Huang, et al., 1996). La structure tridimensionnelle de MinC (Cordell, et al., 2001) montre que cette protéine existe sous la forme d’un dimère composé de deux domaines reliés par un lien flexible. Le domaine N-terminal est nécessaire et suffisant pour l’interaction avec FtsZ et l’inhibition de sa polymérisation. Le domaine C-terminal intervient dans la dimérisation de la protéine et son interaction avec MinD (Cordell, et al., 2001).
MinD est une ATPase associée à la membrane interne (de Boer, et al., 1991; Hu, et al., 2002; Hu and Lutkenhaus, 2003). Elle a besoin de fixer de l’ATP pour dimériser et seule la forme dimérique est fonctionnelle. Elle est alors capable d’interagir avec MinC et de se localiser à la membrane cytoplasmique (Lackner, et al., 2003), permettant ainsi à MinC d’inhiber la polymérisation de FtsZ tout le long de la cellule. L’hydrolyse de l’ATP par MinD provoque la dissociation du dimère et donc de son interaction avec MinC.
La protéine MinE semble, elle, réguler cette inhibition en empêchant MinC d’agir au milieu de la cellule (Hu and Lutkenhaus, 2003; King, et al., 1999). Ainsi, en l’absence de MinE, MinC inhibe la polymérisation de FtsZ tout le long de la cellule et la cellule filamente. MinE interagit physiquement avec MinD mais ne semble pas interagir avec MinC (YTH) (Huang, et al., 1996). En fait, MinE fonctionnerait en inhibant ou en déstabilisant l’association MinC/MinD. En effet, l’expression de MinE réduit fortement l’interaction MinC-MinD (YTH) (Huang, et al., 1996). Par ailleurs, in vitro, MinE stimule l’activité ATPase de MinD provoquant la dissociation du dimère de MinD et donc du complexe MinCMinD. De la même manière, MinE est capable de dissocier MinD de vésicules lipidiques in vitro (Lackner, et al., 2003).
La construction de fusions des protéines Min à la GFP (Green Fluorescent Protein) a permis de visualiser l’extraordinaire mouvement oscillatoire des trois protéines et de comprendre réellement le fonctionnement de ce système (Fu, et al., 2001; Hu and Lutkenhaus, 1999; Hu and Lutkenhaus, 2001; Raskin and de Boer, 1997; Raskin and de Boer, 1999). Les protéines de fusion GFP-MinC, GFP MinD et MinE-GFP oscillent, au niveau de la membrane, d’un pôle à l’autre avec une périodicité de 20 s. L’oscillation de MinD dépend de la présence de MinE et inversement. MinC n’exerce aucune influence sur le mouvement de ces deux protéines et semble se « contenter » d’être recrutée à la membrane par MinD. Ainsi, MinE forme un « anneau » dont l’oscillation d’un pôle à l’autre de la cellule permet la stimulation de l’activité ATPase de MinD et donc la dissociation du complexe MinCD. Celuici est alors relargué dans la cytoplasme ; MinD se lie à nouveau à l’ATP et relocalise MinC à la membrane mais cette fois-ci au pôle opposé (Lutkenhaus, 2007b). On conçoit intuitivement que du fait de l’oscillation du complexe inhibiteur MinCD, la concentration moyenne à un instant t de ce dernier est moindre au milieu de la cellule permettant à cet endroit la formation d’un anneau stable de FtsZ (Lutkenhaus, 2002; Margolin, 2001; Meinhardt and de Boer, 2001).
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Table des matières
I. Introduction
A. La division cellulaire chez les bactéries hétérotrophes E. coli et B. subtilis
A.1. Positionnement du plan cytokinétique au milieu de la cellule
A.1.1 Le système Noc
A.1.2 Le système Min
A.1.2.1. Chez E. coli
A.1.2.2. Chez B. subtilis
A.2. L’anneau Z : la charpente et le moteur du complexe de cytokinèse
A.2.1 La protéine FtsZ, l’homologue structural de la tubuline
A.2.1.1. Caractéristiques générales
A.2.1.2. Structure et polymérisation
A.2.1.3. Le processus de constriction
A.2.2 Les partenaires cytoplasmiques de la protéine FtsZ
A.2.2.1. FtsA est la première protéine recrutée par FtsZ
A.2.2.2. ZapA participe aux interactions latérales entre les protofilaments de FtsZ
A.2.2.3. SepF favorise la polymérisation de FtsZ
A.2.2.4. ClpX inhibe la polymérisation de FtsZ
A.2.2.5. SulA bloque la polymérisation de FtsZ lors de l’activation du système S.O.S
A.2.3 Les partenaires membranaires de FtsZ
A.2.3.1. La protéine ZipA d’E. coli
A.2.3.2. La protéine EzrA de B. subtilis
A.3. La machinerie de synthèse du peptidoglycane
A.3.1 La structure du peptidoglycane
A.3.2 Synthèse du peptidoglycane : rôle des « Penicillin Binding Proteins » (PBPs)
A.3.2.1. Les PBPs de haut poids moléculaires de classe A
A.3.2.2. Les PBPs de haut poids moléculaires de classe B
A.3.2.3. Les PBPs de faible poids moléculaire
A.3.3 Le complexe de synthèse du peptidoglycane septal
A.3.3.1. Dynamique d’assemblage du complexe chez E. coli et B. subtilis
A.3.3.2. Le complexe FtsE/FtsX d’E. coli intervient dans la stabilisation du complexe de cytokinèse en conditions de stress osmotique
A.3.3.3. Le rôle de la protéine FtsK dans les processus de cytokinèse et de ségrégation des chromosomes
A.3.3.4. La protéine FtsQ, un acteur central du complexe de cytokinèse
A.3.3.5. Le complexe FtsL/FtsB contrôle l’assemblage du complexe de cytokinèse
A.3.3.6. La protéine FtsW, la probable translocase des précurseurs de la synthèse du peptidoglycane
A.3.3.7. La protéine FtsN, un lien entre le complexe de cytokinèse et le peptidoglycane
A.3.4 La fermeture du septum
A.3.5 Le complexe d’élongation et de synthèse du peptidoglycane périphérique
A.3.5.1. Rôle des protéines RodA et PBP2
A.3.5.2. Rôle des protéines du groupe Mre
A.3.5.3. Rôle de FtsZ
B. La division cellulaire chez les cyanobactéries
B.1. Les cyanobactéries: des organismes importants pour la biosphère et la biodiversité
B.1.1 Diversité morphologique des cyanobactéries
B.2. La division cellulaire chez la cyanobactérie modèle Synechocystis PCC6803
B.3. La machinerie cytokinétique des cyanobactéries
B.3.1 La protéine FtsZ
B.3.2 La protéine ZipN, un partenaire essentiel de FtsZ
B.3.3 Le système Min
B.3.4 La protéine Ftn6
II. Résultats
Article 1
Article 2
Article 3
Article 4
Résultats Supplémentaires
III. Discussion & Perspectives
A. Analyse comparative de la cytokinèse des cyanobactéries Synechocystis (sphérique) et S. elongatus (cylindrique)
A.1. La formation de l’anneau Z
A.2. Le système Min
A.3. La morphologie
B. Le complexe de cytokinèse de Synechocystis
B.1. Les partenaires de FtsZ
B.1.1 SepF est un régulateur de la polymérisation de FtsZ chez Synechocystis
B.1.2 ZipS/Ftn6 est impliqué dans la symétrie de la constriction et pourrait consituer un lien entre la réplication des chromosomes et la cytokinèse
B.2. Cdv3 est une nouvelle protéine cytokinètique
B.3. YlmD pourrait être un lien entre le complexe de cytokinèse et la membrane externe
B.4. Les facteurs FtsQ, FtsI et FtsW sont impliqués dans la synthèse du peptidoglycane septal
B.5. Rôle des PBPs dans la cytokinèse et la morphologie de Synechocystis
B.5.1 Les PBPs de classe A et B
B.5.2 Les PBPs de classe C
B.5.2.1. Les PBPs de type endopeptidase
B.5.2.2. Les PBPs de type AmpH
B.6. ZipN est le coordinateur central du complexe de cytokinèse de Synechocystis
C. Proposition d’un modèle de travail représentatif de l’appareil cytokinétique de Synechocystis
D. Comparaison de l’appareil cytokinétique cyanobactérien et chloroplastique
E. Perspectives
IV. Conclusion
V. Références