LA DIVERSIFICATION DES FORMES D’INVESTISSEMENT DES ESPACES THERMAUX

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Saisir le bien-être en étudiant la relation entre institutions et acteurs

Il semble pertinent, en effet, de porter un autre regard sur la quête de bien-être. Ma démarche propose ainsi d’appréhender cette dernière au travers d’une approche qualitative. Pour ce faire, je propose une sociologie dépassant la vaine opposition entre « structures » et « acteurs » pour mieux faire dialoguer ces deux notions, en plaçant au cœur de l’analyse la relation construite entre les institutions thermales et leur population. Je tente ainsi d’articuler les établissements qui prennent en charge (voire promettent) l’accès au bien-être aux manières dont les individus, en tant qu’acteurs, « reçoivent » ces offres et dispositifs, se les approprient et investissent les lieux au sein desquels se joue le bien-être, à savoir les stations.
Cela revient d’abord à analyser la façon dont les institutions thermales se positionnent par rapport au bien-être, en portant le regard sur les offres qu’elles proposent. De ce fait, procéder à ce type d’analyse revient à réaliser une sociologie des locuteurs en portant le regard sur l’image sociale que véhiculent ces derniers. Martina Avanza et Gilles Laferté définissent le concept d’image sociale comme « la production sociale des discours, de symboles figurants les groupes et les territoires, une logique de la publicité – au sens de rendre public – voire de la politisation des groupes et des territoires […] »13. L’étude des brochures et des discours publicitaires, porteurs d’images et de représentations, est ainsi une voie d’accès. L’étude des dispositifs, de l’organisation matérielle, spatiale et temporelle constitue une seconde dimension du travail en direction des institutions. Tout ceci est confronté ensuite à l’expérience des individus in situ pour observer de quelle manière ces acteurs (qui sont aussi des clients) agissent dans les lieux du thermalisme et, par conséquent, comment ceux-ci sont investis. Néanmoins, il me parait indispensable de décaler aussi le regard hors du temps et du lieu de la cure thermale afin de replacer plus largement l’ensemble de ces expériences dans les trajectoires de vie des individus concernés. De cette manière, il est possible d’analyser la façon dont ils « gouvernent leur vie » en amont mais également après leur passage au cœur de ces organisations que sont les établissements thermaux.
Réaliser ce type d’enquête qualitative articulé autour de l’offre de bien-être proposée par des institutions et son identification par les publics concernés nécessite d’investir un terrain pour avoir une vision claire et non erronée des phénomènes sociaux en présence. Investir le terrain permet de récolter un maximum de données empiriques indispensables pour effectuer un travail sociologique de qualité. Dès lors, en faisant dialoguer mes données empiriques avec un ensemble théorique conséquent, je pourrai confronter mes hypothèses de départ à la réalité du terrain. Avant de livrer les détails de mon investigation, il reste à répondre à la question de savoir pourquoi les stations thermales semblent être des lieux idoines pour accomplir une telle entreprise.

Appréhender les stations thermales sous l’angle du bien-être

« Menacées par une éventuelle rupture du lien avec la Sécurité sociale, confrontées pendant les années 90 à une baisse de la fréquentation, les stations thermales évoluent vers un thermalisme nouveau, orienté vers le bien-être »14. À la fin du XIXe siècle, les villes d’eaux sont déjà marquées par le développement de nombreux loisirs. Comme le souligne Frédéric Dutheil, « les praticiens sont unanimes : ces nouvelles activités possèdent tout au plus quelques vertus distractives, mais n’ont pas d’intérêt dans la médication thermale »15. Néanmoins, les promoteurs de ces stations thermales ont très vite compris (d’abord en Angleterre puis en Allemagne) que la pratique médicale ne suffirait pas à donner une image sociale suffisamment prestigieuse pour attirer à la station des populations soucieuses de distinction. En favorisant les loisirs mondains, le séjour thermal se pose comme une pratique ostentatoire pour l’aristocratie et la haute bourgeoisie européennes16. Néanmoins, avec l’instauration des congés payés sous le Front populaire, une rupture intervient. La réduction progressive du temps de travail, l’augmentation des vacances scolaires et la création des colonies de vacances sont autant de facteurs qui, en France, favorisent les perspectives du voyage. Le développement touristique engendre l’arrivée de nouvelles catégories sociales sur les lieux prisés jusque-là par les classes élitistes. À partir de la seconde moitié du XXe siècle (1947 exactement), la Sécurité sociale permet, par ailleurs, le remboursement partiel ou total de la cure thermale. Les stations se trouvent ainsi progressivement confrontées à un nouveau public. Devenue plus accessible, la cure engendre une nouvelle fréquentation.
Marc Lohez rappelle cependant que le thermalisme français subit, au début des années 1990, une crise sévère lui faisant perdre environ 15% de sa fréquentation en quelques années. Un siècle après leur fondation, la problématique du positionnement des stations vis-à-vis de l’image médicale se voit à nouveau posée. Le traitement des affections et pathologies par les eaux minérales est le cœur originel de leur activité. Mais elles doivent, pour relancer et pérenniser leur activité, capter un public plus large que celui de la cure à teneur médicale. Dans cette optique, des stratégies sont mises en place. D’une offre exclusivement médicale, le thermalisme évolue vers une offre comprenant loisirs et détente, tourisme et bien-être. Marc Lohez indique notamment que « le but de chaque station est de promouvoir un espace touristique dont la présence du thermalisme serait la particularité, voire le trait d’union »17. Érigées ou développées au cours du XIXe siècle et jusque dans les années 1930, les villes thermales disposent bien souvent, en effet, d’une architecture à dimension patrimoniale, d’un charme souvent pittoresque (voire désuet) et d’un cadre naturel préservé. Thermalisme et tourisme vont aujourd’hui de pair. « L’activité thermale de type médical se fond dans des formules de séjours touristiques alors qu’établissements thermaux, offices du tourisme et collectivités locales coordonnent leurs efforts de promotion […]. Le thermalisme se fait plus touristique, le tourisme se pare d’un label thermomédical »18.
Depuis les années 2000, ces transformations se sont accentuées. De nombreux spas ont vu le jour et proposent désormais, au-delà du « séjour remise en forme » typique de la fin du XXe siècle, de véritables « formules bien-être ». De vichy à Dax en passant par Aix-les-Bains ou d’autres stations plus modestes, la tendance a envahi la quasi-totalité des lieux thermaux. Le bien-être, associé aux propriétés et vertus thérapeutiques des origines, fait désormais partie intégrante de l’offre thermale. Ainsi, « aujourd’hui, les curistes « traditionnels », pris en charge par l’assurance maladie, se voient proposer des compléments non conventionnés qui relèvent davantage du bien-être comme la balnéothérapie, les massages – tenant plutôt de la kinésithérapie –, les soins de beauté ou même, ce qui ressort du tourisme, des visites et des randonnées organisées par les établissements eux-mêmes »19. Aussi peut-on postuler que les stations souhaitent modifier, voire « rajeunir », leur image sociale en se repositionnant sur des offres de bien-être. Croisant ainsi pratiques traditionnelles et utilisation moderne de l’espace thermal, elles attirent de nos jours en un même lieu une clientèle diversifiée aux attentes variées.

Investir le B’O spa thermal de Bagnoles de l’Orne en tant qu’ethnographe

L’investigation empirique menée sur le terrain de Bagnoles de l’Orne s’appuie sur des expériences préalables. La première a eu lieu en avril 2013. J’ai découvert alors l’univers thermal en réalisant un stage en tant que coach sportif au sein de l’entreprise B’o resort, un établissement d’environ deux cents trente salariés qui accueille chaque année quelques 11 000 curistes20. Cette position privilégiée m’a permis d’entrer en contact avec l’ensemble des individus fréquentant la structure. J’y ai occupé le « rôle social » du coach sportif, au sens goffmanien du terme et pour filer la métaphore théâtrale, ai joué ce rôle dans un « décor » particulier que constitue un centre thermal. J’ai alors été intrigué par l’ensemble de codes informels qui sont mis en place dans cette structure et par la différence notoire entre deux parties de l’établissement : B’o thermes et B’o spa thermal21.
C’est avec l’objectif de mener une enquête sociologique que j’y suis revenu au printemps 2014. Pour ce faire, j’ai rencontré la directrice des soins afin de proposer mes services de coach sportif sous la forme d’une convention de stage non-obligatoire. Intéressée par le fait de disposer d’un coach à moindre frais, elle a accepté ma proposition. « Choisir un mode d’observation directe consiste […] raisonnablement à choisir un rôle social à occuper dans la situation observée »22. Mon statut d’étudiant-chercheur était connu par les coordinatrices pour jouir d’un maximum de liberté dans mes déplacements et mes horaires, et par les autres coachs sportifs avec lesquels j’ai passé de nombreux moments. En revanche, mon statut d’enquêteur n’a pas été dévoilé auprès des curistes, dans un premier temps, pour éviter d’influer sur leur comportement et pour ainsi essayer de garantir un maximum d’objectivité dans mon recueil de données23. Cela suppose alors de s’impliquer dans son rôle afin de ne pas éveiller les soupçons lors des observations clandestines. Or, cette posture est apparue rapidement inconfortable. Erving Goffman souligne, en effet, qu’« une seule fausse note peut provoquer une rupture de ton qui affecte la représentation tout entière »24. De plus, cette situation a fait apparaitre en moi un tiraillement entre « moi intime et […] moi social »25. Dès lors, je me suis dévoilé à certains curistes dans le but de les solliciter pour participer à des entretiens semi-directifs. Au total, j’ai mené pendant cette enquête huit entretiens avec des individus aux profils distincts (curistes, coordinatrice principale, esthéticienne et coachs sportifs), m’offrant une vision relativement large de la cure thermale et du rapport qu’entretenaient les curistes avec elle. L’un des constats principaux de cette première enquête de terrain a résidé dans les modalités d’investissement très diverses de la cure.
C’est dans cette perspective que j’ai décidé cette année d’entreprendre une nouvelle étude sur l’univers thermal. Les informations collectées sur celui-ci, acquises grâce à ces deux expériences, m’ont été précieuses pour construire le cadrage théorique et soulever des hypothèses a priori. Howard Becker faisant allusion à Herbert Blumer déclare d’ailleurs à ce sujet que « nos représentations déterminent l’orientation de notre recherche : elles déterminent nos idées de départ, les questions que nous posons pour les vérifier, et les réponses que nous trouvons plausibles »26.
Ma démarche a été comparable à celle de l’année dernière pour mettre un pied dans la structure. Sur la base d’une convention de stage non-obligatoire en tant que coach sportif, la directrice des soins m’a à nouveau ouvert les portes de l’établissement. Néanmoins, avec son aide, j’ai dévoilé cette fois-ci mes intentions et mon statut d’étudiant-enquêteur en sciences sociales dès le premier jour. Si l’ensemble de mes questions et certaines de mes pratiques ont pu parfois surprendre, le statut d’étudiant engendre la plupart du temps la bienveillance des personnes abordées. J’ai réalisé dix-huit entretiens avec vingt personnes tout au long du mois d’avril. Howard Becker invite le chercheur à « remettre en cause » la parole de son interviewé mais également (et surtout) à croiser les points de vue pour proposer un panorama le plus large possible de la situation investie mais aussi pour garantir un maximum d’objectivité. Selon lui « une manière de s’assurer que l’on fait preuve du scepticisme nécessaire est de chercher à recueillir « d’autres opinions » – de chercher des gens occupant une place différente dans l’organisation et qui vous donneront un point de vue différent »27.
Mes observations de la structure ainsi que la série d’entretiens réalisée avec deux gérantes du B’o spa thermal et dix-huit clients, ont constitué la mise en pratique du parti pris théorique de penser relationnellement l’institution et les acteurs de la cure en quête de bien-être. Pour donner plus de force à cette confrontation, j’ai réalisé une étude documentaire à partir des plaquettes publicitaires de la structure B’o resort. « Ma cure thermale en Normandie, l’idéal pour prendre soin naturellement de mon capital santé », « Le Mag du bien-être en Normandie » et « Le guide des tarifs, saison 2015 » sont les trois documents qui m’ont permis de saisir la manière dont l’établissement se positionne sur cette nouvelle offre de bien-être et comment il euphémise l’aspect médical de la cure.

Présentation des protagonistes et description des conditions de réalisation des entretiens

Pour « sélectionner » les interviewés, j’ai réalisé une typologie des individus fréquentant le spa thermal a priori. L’établissement est d’abord investi par des curistes effectuant un long séjour à visée médicale. Mais il existe aussi des formules de séjour plus court axées sur le bien-être (un week-end ou plus), de même qu’il est possible de fréquenter le lieu pour des cours ponctuels. Ainsi, les dix-huit entretiens ont été réalisés avec deux spa managers, sept curistes pour un séjour de trois semaines, quatre personnes séjournant à Bagnoles de l’Orne pour y réaliser un séjour bien-être de cinq jours, trois personnes (dont un couple) passant un week-end bien-être, ainsi que trois personnes venant annuellement au spa pour des cours d’aquagym l’après-midi. Dans l’optique de mieux cerner l’ensemble des interviewés, je propose ici d’en faire une première description28.

Une esquisse sociographique des personnes interviewées

Je me suis entretenu avec deux spa managers. Charlotte est la première. Aujourd’hui spa manager adjointe, elle a rejoint B’o resort en 2007 en qualité d’esthéticienne à l’Institut « secret de beauté » qui est intégré au Pavillon des fleurs29. Jenny est la seconde. Arrivée dans la structure B’o resort en 2010, elle a d’abord été formée aux soins au côté B’o thermes. En 2011, elle devient coordinatrice. Elle s’occupe, depuis cette saison, de la gestion du spa thermal pendant les après-midi en ayant une trentaine d’agents-thermales esthéticiennes sous sa responsabilité.
Tous les autres entretiens ont été réalisés avec des clients de la structure, qu’ils y viennent pour une longue durée afin d’y réaliser une cure ou de manière plus épisodique dans une optique de soins bien-être. Je me suis entretenu avec trois personnes suivant annuellement des cours d’aquagym (d’environ quarante minutes) qui se déroulent en après-midi30. Deux de ces entretiens ont été menés au sein de l’espace tisanerie tandis que le troisième a été effectué sur la terrasse du B’o spa. Alain fait partie de cette première catégorie de clients. À soixante et un ans, il habite à quelques kilomètres de Bagnoles de l’Orne. Tombé gravement malade il y a trois ans, il a connu un arrêt de travail pendant un an et a même été handicapé. Pendant quarante-trois ans, Alain a travaillé dans le BTP, à son compte, et pratique la plongée sous- marine depuis l’âge de quarante-cinq ans. Son activité débordante a influé sur sa vie sentimentale et familiale. Ainsi, l’ensemble de ces activités et les relations qui en découlent lui sont extrêmement chères et occupent une place prépondérante dans son discours31.
Pauline vient elle aussi pour les cours d’aquagym. Elle habite également à quelques kilomètres de Bagnoles de l’Orne. Elle s’y rend tous les mercredis après-midi depuis mars 2012 et essaye de venir deux fois par semaine pendant les vacances scolaires. Après avoir réalisé un DEA en histoire de l’art, elle s’inscrit en candidat libre au concours d’institutrice. C’est après trois ans d’enseignement que Pauline devient conseillère pédagogique. Elle forme les enseignants du premier degré et travaille donc aujourd’hui dans une inspection au sein d’une circonscription de l’Éducation nationale et est rattachée à l’EPS (ce qui n’est pas un choix).
Claudine est la troisième personne fréquentant les cours d’aquagym à l’année. À soixante seize ans et célibataire, elle vient régulièrement au spa depuis le début de la saison dernière. Ancienne banquière, Claudine a été mise en retraite en 1989 à l’âge de cinquante ans grâce à une ancienne réglementation bancaire. Jamais malade pendant sa vie active, elle décide de passer un check-up complet une fois à la retraite. Elle découvre de cette manière un cancer du sein qui, diagnostiqué à temps, guérit promptement. Issue d’une famille arthrosique et après avoir été opérée de varices aux jambes, elle déménage de la région parisienne à Bagnoles de l’Orne en 2001.

LES THERMES DE BAGNOLES DE L’ORNE : DE LA « STATION DE LA JAMBE » AU « TERRITOIRE DU BIEN-ETRE »

Les stations thermales françaises ont vu leur image sociale évoluer depuis la fin du XIXe siècle. Passées de ville de loisirs où l’on venait autant prendre les eaux que se distraire et se montrer, elles se sont peu à peu démocratisées pour endosser une image médicale omniprésente jusqu’à la fin des années 1990. Néanmoins, soucieuses de parer à la baisse de fréquentation, elles ont cherché à réorienter cette image en proposant de nouvelles offres plus touristiques. Ayant d’abord proposé un tourisme de remise en forme, elles proposent aujourd’hui à leurs clients l’accession au bien-être. Bagnoles de l’Orne a particulièrement retravaillé son image au fil des ans. Les évolutions de B’o resort, la structure où sont prodigués les soins, en sont une bonne illustration. Découpé en deux parties distinctes, l’établissement propose des soins divers à des tarifs variés, qui sont autant de témoignages de la segmentation de la clientèle opérée par l’entreprise.

De la ville d’eau à la bulle touristique

« Beaucoup de villes d’eaux ont une image forte qui fait partie intégrante de l’identité de telle province. Leur visage, leur urbanisme spécifique, leur décor théâtral, leur charme un peu désuet, leur aspect verdoyant et paisible sont autant d’attraits majeurs »1. Ainsi, Bagnoles de l’Orne, ville de 2 600 habitants située en plein cœur de la forêt des Andaines, est connue et reconnue pour sa cure thermale2.

Une brève histoire de la station thermale

Avant d’en dresser un portrait plus détaillé, il convient de souligner qu’aujourd’hui encore, cette ville se distingue de ses voisines. Elle est un endroit qui semble hors du temps, où il fait bon se balader, se changer les idées, « faire un break ». L’Office de tourisme du Grand Domaine de Bagnoles de l’Orne présente d’ailleurs la ville comme « le théâtre de la représentation d’un nouvel art de vivre alliant la nature, la convivialité, le bien-être et la distraction »3. La particularité de Bagnoles de l’Orne, au-delà du fait qu’elle représente la seule station thermale du grand ouest français, tient à ses particularités géographiques. Totalement ceinte de forêt, et organisée autour du grand lac, la ville voit le jour le 29 juin 1913, à la faveur de territoires pris à la Ferté-Macé, Couterne et Tessé. La ville se développe très largement au début du XXe siècle. De nombreux bâtiments sont construits à cette époque. De la gare au grand hôtel des thermes, en passant par le casino ou le grand hôtel du lac, Bagnoles de l’Orne est, avant la première guerre mondiale, un lieu prisé par la bonne société. L’architecture Belle Epoque qui la caractérise renforce ce côté luxueux et distingué. Sans être ostentatoire, la ville inspire la détente avec ses paysages quasi romantiques. On vient se divertir au casino, au tennis club, et à partir de 1927, au golf. Lieu de villégiature, Bagnoles de l’Orne ainsi que son établissement thermal vont jouir de la visite de plusieurs têtes couronnées telles que le Roi Ferdinand Ier, la reine Marie de Roumanie, et d’hommes politiques tels qu’Edouard Herriot, autant de personnalités qui vont forger sa renommée. Néanmoins, sans source ni cure thermale, nulle doute que Bagnoles de l’Orne serait aujourd’hui, sinon sympathique, une ville comme une autre. À l’instar de la neige pour les stations de ski, l’eau a permis à la ville de se développer économiquement et en termes d’image. En effet, l’activité thermale façonne la ville de Bagnoles. Cette activité trouve son origine dans plusieurs légendes médiévales. L’une des versions reprise comme argument publicitaire relate l’histoire du seigneur Hugues de Tessé, qui, sentant arriver la mort de son fidèle cheval dénommé « Rapide », l’abandonna en forêt avant de rentrer à pied. Une fois à son château, il fût étonné d’y trouver son cheval étincelant, et devenu visiblement plus fort. Il suivit alors l’animal vers les eaux de Bagnoles. Après lui-même s’être abreuvé, il se sentit, lui aussi, rajeuni4.
Un manuscrit « de 1339 évoque la source de « Bagnolles en Couterne en Maine »5. Néanmoins, c’est seulement au XVIIe siècle que la source est connue. La première professionnalisation de la cure est datée de 1691. Ses deux propriétaires, issus du milieu médical, s’attachent à construire maisons et bains. Or, quelques années plus tard, la fontaine devient propriété de Pierre Hélie, considéré comme le premier promoteur de l’établissement thermal. C’est au XVIIIe siècle que son fils, Louis Hélie, Sieur de Cerny, en devient le propriétaire. Il publie alors son « Traité des eaux minérales de Baignoles »6 en 1740, et manie judicieusement les artifices de la publicité pour vanter l’image de son établissement et celle de la ville. Successivement, l’établissement passe dans les mains de plusieurs autres propriétaires qui marquent de leur empreinte son développement. De nombreux aménagements sont déployés tout au long de la seconde moitié du XVIIIe siècle. En 1812, deviennent propriétaires le négociant Alexandre Lemachois et le riche marquis de Sommariva, qui, amoureux de Bagnoles de l’Orne, y consacre des sommes importantes. Une ère de prospérité débute. Ce n’est qu’au début du XXe siècle, avec l’acquisition par la famille Moulin-Roussel que d’importants travaux d’agrandissement et de modernisation des installations seront entrepris.

L’établissement B’o Resort et le discours publicitaire du séjour à Bagnoles de l’Orne

Aujourd’hui, sous l’appellation B’o resort (signifiant station de vacances de Bagnoles de l’Orne), s’est développé le complexe thermal à travers plusieurs entités7. Il regroupe, en effet, deux bâtiments réservés aux soins : d’un côté, B’o spa thermal depuis mars 2012 (anciennement appelé « pavillon Cerny ») ; de l’autre, B’o thermes8. L’entreprise B’o resort, c’est aussi B’o Résidences des thermes, établissement trois étoiles, qui comprend B’o restaurant et salon de thé, B’o cottage résidence de charme, établissement quatre étoiles ouvert en juin 2013, ainsi que le Pavillon des fleurs, où exercent les médecins thermaux et où se tiennent diverses conférences organisées tout au long de la cure.
Bien que reposant sur de vieilles légendes médiévales, les bienfaits des eaux Bagnolaises sont scientifiquement démontrés si bien que la source de Bagnoles de l’Orne a été déclarée d’intérêt général public en 1908. L’eau de la source (située sous le hall du B’o Thermes) jaillit à une température de 24,6 degrés. Après une datation au carbone 14, il est établi que cette eau a environ deux mille ans et son origine profonde d’environ huit cents mètres. Pendant de nombreux siècles, cette eau s’enrichit dans les profondeurs du sol et remonte par les failles de la roche granitique, ce qui explique ses propriétés. L’eau est alors tout à la fois riche en oligo-éléments (fer, cuivre, magnésium) et en gaz dissous, faiblement minéralisée, caractérisée par un pH très bas (4.31), et enfin très légèrement radioactive. Toutes ces propriétés lui permettent de collectionner de nombreux principes actifs. Cette eau est vantée pour ses vertus anti-inflammatoire, décongestive, cicatrisante, sédative, antistress, et neuroendocrinienne sur l’hypophyse. C’est à cette faveur que l’établissement thermal de Bagnoles de l’Orne propose aux curistes trois orientations thérapeutiques : la phlébologie, la gynécologie ainsi que la rhumatologie. Si, historiquement, la station axait ses soins autour de la phlébologie, puis plus tard de la gynécologie, son orientation thérapeutique en rhumatologie avec l’application d’argile anti-inflammatoire vont faire d’elle « la station de la jambe ».
Depuis les années 2000, l’établissement accueille de 11 000 à 12 000 curistes par saison. Bien que la ville ait construit sa renommée et son image sociale grâce aux thermes, les promoteurs du tourisme Bagnolais semblent aujourd’hui soucieux de réorienter cette image afin d’en faire une ville accessible pour l’ensemble des populations9. En effet, sentant sensiblement la fréquentation chuter à la fin du XXe siècle, l’ensemble des acteurs du tourisme local, épaulés par le maire de la commune, a l’idée de promouvoir un « Grand Domaine » sur le principe des stations de ski. Ce « grand domaine » propose alors, au-delà du tourisme vert caractérisant la commune, une orientation « bien-être » pour la famille, avec « un package pour toute la famille, sur un même espace géographique ». Pivot essentiel du projet, le parc hôtelier va investir largement dans l’offre bien-être. Mais d’autres acteurs vont permettre son développement. Bagnoles de l’Orne jouit alors d’une quarantaine de restaurants, et, depuis mars 2012, du B’o spa thermal. « Avec son spa, l’établissement se tourne vers le tourisme de bien-être »10. Le B’o resort proposait néanmoins depuis les années 2000, comme d’autres stations thermales françaises, des soins de remise en forme axés entre autres sur des massages et des soins de beauté du corps. L’ouverture du spa a été largement commentée dans la presse locale et régionale. Le journal Au fil de la Normandie titre d’ailleurs : « Bagnoles de l’Orne invente le Bien-être à la Normande ». Il souligne par ailleurs que « le spa ne se substitue pas à la médecine thermale qui conserve à Bagnoles toute sa place. L’offre bien-être s’y ajoute simplement ». Enfin, il avance l’idée que « le Grand Domaine de Bagnoles de l’Orne s’apparentera alors à l’idée que l’on peut se faire d’un « Center Parcs » à ciel ouvert, ou plus précisément d’une station de ski ». Pour sa part, l’Office de tourisme du Grand Domaine de Bagnoles de l’Orne présente la station comme « le théâtre de la représentation d’un nouvel art de vivre alliant la nature, la convivialité, le bien-être et la distraction »11. Or, c’est avant tout une ville touristique. En effet, Bagnoles de l’Orne devient à l’initiative du développement du « Grand Domaine Bagnoles de l’Orne » une station orientée autour de quatre axes majeurs et complémentaires : la ville de Bagnoles de l’Orne ; la source thermale et ses thermes ; le quartier Belle-Epoque ; ainsi que la forêt des Andaines. Ce « grand domaine Bagnoles de l’Orne » propose donc une unicité de lieu où « tous les profils de clientèles sont concernés : l’adepte du spa qui vient se relaxer, l’urbain en quête de sport et de nature et les familles recherchant un programme pour chacun dans un cadre sécurisé »12.
Ainsi, en créant le B’o spa thermal, puis une année plus tard, le B’o Cottage, « résidence de charme », un élan nouveau est donné au tourisme bagnolais. Le président des Thermes ne cache d’ailleurs pas son ambition d’attirer vers son établissement de nouvelles « tribus ». Ainsi, dans le magazine Le MAG du Bien-être en Normandie, il propose un édito dans lequel il vante les mérites de sa structure : « Sans ostentation, mais avec une touche d’élégance, de modernité et un très haut niveau de confort, B’o Resort a réuni tous les ingrédients nécessaires à un séjour inoubliable. Qu’elles soient amicales ou familiales, les tribus y trouveront matière à des bonheurs renouvelés »13. Attirer une clientèle diversifiée caractérise bien la volonté de l’entreprise B’o Resort. Par ailleurs, le B’o spa thermal propose « la découverte du bien-être aux extraits de pommes à cidre ». Là où le thermalisme est historiquement fondé sur des principes hygiénistes et médicaux, le bien-être est plutôt un univers de plaisir. Ainsi, les personnes en situation de vieillissement subissant les affres de l’âge et éprouvant des difficultés corporelles ne sont plus seulement la clientèle ciblée. Le magazine précise : « B’o Resort c’est une résidence, un spa… De quoi répondre à toutes les envies de détente en famille, avec une résidence incluant des services comme le club Tib’O pour les enfants, la tanière des ados… ; envie de détente en amoureux, avec un spa proposant des soins en cabine duo ; envie de détente en solo, avec un tarif préférentiel à certaines dates dans l’année […] Toute la famille y trouve son compte, même les enfants ! »14. L’aspect médical du thermalisme est euphémisé jusque dans la dénomination « B’o spa thermal », pour mieux mettre en avant le « spa », synonyme de bien-être.

B’o Thermes, B’o Spa thermal : un découpage spatial au cœur de l’établissement thermal

L’établissement thermal, situé en face du B’o Résidence, est une immense structure tout en longueur organisée sur trois étages. Elle est scindée en deux parties distinctes : le côté thermes s’attache à prodiguer des soins à base d’eau thermale et le côté spa qui, en plus de procurer les mêmes soins que du côté thermes, propose au curiste une offre bien-être personnalisée. Si le client vient y soulager ses maux physiques, nous verrons qu’il accède parfois à un état d’épanouissement psychologique favorisé par plusieurs facteurs. Je propose maintenant de décrire successivement, de manière analytique et détaillée, l’espace des deux parties de l’établissement thermal.

Le B’o Thermes

Pour ce qui est de la partie thermes de l’établissement, l’accès se fait par un grand hall, avec mezzanine et deux grands escaliers, le tout bercé dans une ambiance antique favorisée par la présence de grandes colonnes. On distingue, sur la droite, une boutique avec accessoires et documentation sur Bagnoles et les thermes et, sur la gauche, la fameuse fontaine placée au-dessus même du jaillissement de la source. La façade des thermes est entièrement constituée de vitres procurant au curiste une vue sur le bâtiment B’o Résidence. Une fois dans le hall, le trajet du curiste est conditionné par le passage obligatoire à travers le portique qui jouxte le bureau d’accueil. Il doit alors présenter tel un « laissez-passer » son planning et, s’il n’est pas trop en avance, l’accès lui est autorisé. Directement, il entre en relation avec les vestiaires, qui rappellent sensiblement les équipements d’une piscine municipale. Ces derniers constituent l’interface entre le « monde civil » et la « vie de cure ». Muni de son package qui lui est remis dès le premier jour, le curiste endosse son « costume ». Maillot de bain, peignoir, claquettes, le petit sac B’o thermes à l’épaule (regroupant son planning et ses effets personnels), il peut alors commencer ses soins quotidiens.
La partie thermes organise l’ensemble des soins sur trois étages. Le rez-de-chaussée ainsi que le premier étage sont spatialement identiques. Deux très longs couloirs articulés autour d’un renfoncement laissent place aux escaliers, à l’ascenseur, à une fontaine à eau et quelques sièges, ainsi qu’au bureau des coordinatrices. L’accès aux vestiaires se fait dans ce renfoncement où les curistes, une fois dans le couloir, voient s’étendre de chaque côté de nombreuses chaises postées près des portes, laissant imaginer les différentes salles de soins. En sortant des vestiaires, face aux escaliers, se trouvent sur la droite tout au bout du couloir, blanchisserie et vestiaires réservés au personnel ainsi qu’un second escalier. Sur la gauche, le côté B’o spa thermal. De ce dernier côté, sont présentes au rez-de-chaussée plusieurs salles de massage sous eau réservée aux kinésithérapeutes. De l’autre côté se trouvent, successivement, les douches colonnes, la piscine de mobilisation, de nombreuses salles réservées pour les bains ainsi qu’un laboratoire interne à la structure permettant un contrôle quotidien de la bonne qualité de l’eau. L’ambiance dégagée par cet étage ne permet pas l’évasion imaginaire.
La couleur grise des murs s’étendant des vestiaires du personnel jusqu’à la piscine d’abord, puis la couleur jaune-beige réservée au reste du couloir, couplée au carrelage gris et à la grande hauteur sous plafond, loin de procurer une ambiance chaleureuse et protectrice, rappellent largement l’univers médical.

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Table des matières

INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE POUR UNE SOCIOLOGIE DU BIEN-ETRE
CHAPITRE PREMIER DU SOUCI DU CORPS A LA QUETE DE BIEN-ETRE
1. Aperçu historique de l’évolution de la perception du corps
2. Les activités physiques et sportives : entre investissements individuels et logiques sociales
2.1. « Le sport » comme idéal de conduite individuelle
2.2. Les activités physiques et sportives, une mise en jeu du corps socialement différenciée
3. Rester actif pour bien vieillir : enjeu de société, épreuve individuelle
3.1. Le vieillissement comme épreuve
3.2. Des injonctions au bien vieillir et au bien-être
3.3. Le développement d’un marché des activités physiques d’entretien
DEUXIEME CHAPITRE « ENQUETE SUR LA QUETE » UNE ANALYSE SOCIOLOGIQUE DE LA RECHERCHE DU BIEN-ETRE
1. Le bien-être : état des lieux des travaux existants et proposition d’approche
1.1. Le bien-être, une notion pluridimensionnelle
1.2. Saisir le bien-être en étudiant la relation entre institutions et acteurs
1.3. Appréhender les stations thermales sous l’angle du bien-être
2. Investir le B’O spa thermal de Bagnoles de l’Orne en tant qu’ethnographe
3. Présentation des protagonistes et description des conditions de réalisation des entretiens
3.1. Une esquisse sociographique des personnes interviewées
3.2. Quelques précisions sur l’enquête
TROISIEME CHAPITRE LES THERMES DE BAGNOLES DE L’ORNE : DE LA « STATION DE LA JAMBE » AU « TERRITOIRE DU BIEN-ETRE »
1. De la ville d’eau à la bulle touristique
1.1. Une brève histoire de la station thermale
1.2. L’établissement B’o Resort et le discours publicitaire du séjour à Bagnoles de l’Orne
2. B’o Thermes, B’o Spa thermal : un découpage spatial au cœur de l’établissement thermal
2.1. Le B’o Thermes
2.2. Le B’o spa thermal
3. Les soins dispensés au B’o Spa et leur organisation temporelle
4. Aperçu tarifaire
DEUXIEME PARTIE ANALYSE DES EXPERIENCES DE LA CURE CONTEMPORAINE : ESSAI DE TYPOLOGIE QUATRIEME CHAPITRE LE SEJOUR AU B’O SPA THERMAL : UN INVESTISSEMENT MULTI-NIVEAUX
1. Un investissement financier
2. Un investissement temporel
3. Un investissement spatial
4. Un investissement imaginaire
CINQUIEME CHAPITRE UN CORPS SENSIBLE : DENOMINATEUR COMMUN DES CLIENTS DU B’O SPA THERMAL
1. Le rôle du médecin traitant dans la prescription thermale
2. Le place des médecines parallèles
3. Une relation privilégiée avec les activités physiques d’entretien
4. L’accès au bien-être ou l’écoute attentive du corps
SIXIEME CHAPITRE VIEILLESSE ET VIEILLISSEMENT : ENTRETENIR SON CAPITAL CORPOREL, AGIR SUR SON CAPITAL SOCIAL
1. Le séjour thermal comme épreuve charnelle : modeler son corps, résister à l’usure du temps
1.1. La mort comme angoisse
1.2. La maladie d’Alzheimer, une peur qui accompagne le vieillissement
1.3. Lutter contre la dépendance
2. Le séjour thermal comme épreuve sociale : entretenir une relation, tisser de nouveaux liens
2.1. Des relations sociales éphémères mais nécessaires à l’épanouissement
2.2. Un lieu au caractère intimiste qui favorise les relations avec le personnel
2.3. Le séjour thermal ou la stimulation des liens familiaux
SEPTIEME CHAPITRE LA DIVERSIFICATION DES FORMES D’INVESTISSEMENT DES ESPACES THERMAUX
1. Les principes organisateurs de la typologie
2. La population curiste ou l’ardeur d’un soulagement corporel
3. La population hédoniste ou la volonté du bien-être immédiat
4. Les abonnés ou les vertus des activités physiques
5. Les ponctuels ou le désir de la découverte
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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