La disponibilité du verre comme remplacement cimentaire
Du réchauffement climatique au ciment
Selon les prévisions des sources de l’United Nations Framework Convention on Climate Change (UNFCCC), en 2015, la valeur des crédits carbones émis atteindra les 100 milliards de dollars (Malone 2014). Puisque les crédits carbones font partie d’une bourse mondiale servant à moduler les émissions de gaz à effet de serre des pays, force est de reconnaître que le développement durable n’est plus un sujet nébuleux discuté par les idéalistes, mais bien une réalité qui préoccupe les économistes. Des économistes renommés se prononcent d’ailleurs en faveur de la lutte contre les changements climatiques. Les arguments sont moins de nature philanthropique, mais strictement économique : il semble plus rentable d’investir contre la lutte que de payer la facture de l’inaction (Treasury 2006, Arrow 2007). Certains craignent le pire, alors que d’autres voient les opportunités d’action avec enthousiasme (Malone 2014). Dans tous les cas, la situation est suivie de près par beaucoup de grands acteurs économiques. L’introduction a déjà amené l’idée qu’il semble avantageux de poser action au niveau des cimenteries, car, ensemble, elles émettent 5% à 7% des gaz à effet de serre mondiaux. En effet, pour une tonne de ciment produite, un peu moins d’une tonne de CO2 est émise (WBCSD 2012). La Figure 2.1 présente les sources de GES mondiales et le détail des émissions liées au ciment. Un bref coup d’oeil à cette figure permet de constater que deux éléments du procédé sont responsables de la majorité des émissions : la décarbonatation et la consommation de combustibles fossiles.
D’abord, les émissions liées à la consommation de combustible fossile sont sans surprises, car le procédé de production du ciment nécessite des températures qui sont typiquement, de l’ordre de 1400°C. Afin de diminuer les émissions de la chaîne de production tout en répondant à la forte demande énergétique, certains projets pilotes de cimenteries dont les sources d’énergie sont alternatives sont sur pied à différents endroits du globe. Autrement, pour diminuer la consommation de combustible du ciment Portland, certains repensent les proportions des phases du clinker (C2S et C3S)en augmentant la proportion des phases dont la production est moins énergivore pour abaisser l’énergie de production (Barcelo, Kline et coll. 2014). En second lieu, la calcination de la calcite pour produire le clinker est l’autre partie du processus qui émet le plus de carbone. Cette décarbonatation est une étape qui consiste à arracher le carbone lié à la calcite en la chauffant. Il en résulte inévitablement un rejet de carbone, puisque c’est l’intention même de l’intervention (Mahasenan, Smith et coll. 2003).
L’oxyde de calcium (CaO) est, en effet, un ingrédient essentiel à l’assemblage de cristaux des quatre phases principales du clinker soit les C3S, C2S, C3A et C4AF (leurs formules développées sont respectivement 3CaOSiO2, 2CaOSiO2, 3CaOAl2O3 et 4CaOAl2O3Fe3O3). Puisque la décarbonatation produit environ 50% des GES, il faut repenser le ciment par rapport à son élément le plus fondamental : le clinker. Autrement dit, une manière certaine de réduire l’empreinte écologique est l’utilisation des ajouts cimentaires, car ces matériaux peuvent permettre de créer des mélanges à béton avec un plus faible pourcentage de clinker tout en respectant les standards de qualité du béton Schneider, et coll. 2011). Par exemple, pour la construction du Freedom Tower à New York l’utilisation d’ajouts cimentaires a permis la conception de mélanges à béton comportant beaucoup moins de ciment, ce qui a mené à une réduction 40% des émissions liées à la production de béton pour l’ouvrage (Newswire 2013).
Dans cette optique, le plan stratégique de l’IEA prévoit des objectifs pour les mélanges de ciment en fonction des différentes régions du globe. Selon les régions du monde, la proportion visée du ratio clinker/ciment va de 0,68 à 0,81. Pour le Canada et les États-Unis, l’objectif est le suivant : le ratio doit être de 0,9 en 2015 et 0,81 en 2050 (WBCSD/IEA 2009). En Chine, par exemple, les technologies des ajouts cimentaires sont des acteurs majeurs pour l’atteinte des objectifs de réduction des GES de l’industrie cimentaire (Xu, Fleiter et coll. 2014), le ratio est donc de 0,68. En fait, le consensus sur la réduction de la teneur en clinker des ciments semble établi depuis un bon nombre d’années par bon nombre de pays. La Figure 2.2 présente bien cette tendance (il est à noter que les avancées dans ce champ sont généralement liées à la disponibilité régionale des matériaux de remplacements (Schneider, Romer et coll. 2011)).
La disponibilité du verre comme remplacement cimentaire Indépendamment des technologies existantes pour garder le matériel dans la boucle de consommation, le verre post consommé est rarement valorisé. En effet, seulement 27% du verre post-consommé est réintroduit dans la boucle de consommation aux États-Unis (EPA 2014). Il s’agit donc d’un matériau accessible et excessivement courant. Au Québec, la fraction de matériel recyclé en 2012 par les centres de recyclages est nettement supérieure (43%), mais le verre post-consommé reste tout de même très peu valorisé. En 2012, les centres de tri ont envoyé 39 000 tonnes de verre aux sites d’enfouissement tandis qu’en 2010, seulement 20 000 tonnes y étaient destinées (Recycquébec 2012). Cette augmentation s’explique par la fermeture du centre Klareco qui traitait la majorité du verre québécois. Depuis la fermeture du centre, le verre est entreposé ou dirigé vers les sites d’enfouissement et regrettablement, une quantité toujours croissante de verre est envoyée vers les sites d’enfouissement.
Dans ces sites, le verre est traité comme un déchet ou utilisé comme matériel de recouvrement (le matériel de recouvrement peut être composé de n’importe quel matériau inerte, ce matériel sert à recouvrir le matériel enfoui à la fin de chaque journée). D’ailleurs, un débat entoure le terme revalorisation du verre, lorsqu’il est utilisé comme matériel de recouvrement pour ces sites. Le terme revalorisation ne fait pas nécessairement l’unanimité, car la quantité de matière de recouvrement est en hausse ses dernières années (augmentation de près de 10% entre 2010 et 2012). Il est par conséquent difficile de dire si les 39 000 tonnes enfouies en 2012 ont contribué au bon fonctionnement du site ou si un tonnage moindre aurai pu être utilisé. Dans ce cas, la valorisation du verre dans les sites d’enfouissement serait alors une valorisation partielle. Dans tous les cas, le verre est un matériel indéniablement disponible sur le marché et d’autres propositions de valorisation ne pourraient être que bien vues.
Valorisation d’autres matériaux dans le béton
Jusqu’à aujourd’hui, les matériaux valorisés comme ajouts et remplacements cimentaires les plus courants sont les laitiers de haut fourneau, les cendres volantes et la fumée de silice. Le laitier est un matériau souvent utilisé comme remplacement cimentaire, car il contient tous les oxydes présents dans le clinker, mais à différentes proportions et la chimie de la réaction est également de type hydraulique (réagis avec l’eau et forme des CSH sans apport externe de calcium comme les pouzzolanes). Les autres ajouts ou remplacements ont des propriétés principalement pouzzolaniques, c’est-à-dire que ce sont des matériaux siliceux ou silico-alumineux qui réagissent avec la portlandite formée lors de l’hydratation du ciment Portland. La plupart des ajouts cimentaires ont la propriété d’avoir une réaction d’hydratation se produisant sur une plus longue durée que pour le ciment ordinaire, les gains en résistance sont plus lents et la chaleur d’hydratation plus faible. Du point de vue de l’économie, de l’environnement ou de la structure, l’utilisation de ces matériaux produits bien souvent un béton de qualité égale ou supérieure à un béton de ciment Portland ordinaire. Les propriétés de ces ajouts seront rapidement survolées dans cette section.
Laitier de haut fourneau
Les laitiers de haut fourneau sont coproduits lors de la production de la fonte. Ils sont produits lorsque la fonte entre en fusion après que les minerais sont mis aux fourneaux. Les oxydes viennent alors surnager au-dessus du métal en fusion et forment le laitier. Il est ensuite capté et refroidi à l’eau ou l’air sous forme de granules grossières. Un usage très courant des laitiers dans l’industrie cimentière consiste à l’utiliser comme matière première pour la fabrication de clinker, car il fournit une source de CaO, SiO2, Al2O3 et Fe2O3 (Nkinamubanzi et Aïtcin 2000, Neville 2011). Les ciments de laitier dégagent moins de CO2, car les laitiers fournissent une source de CaO exempte de carbone (contrairement à la calcite qui doit être décarbonatée), les émissions sont alors moindres pour les ciments de laitier. Très souvent, le clinker et les laitiers sont broyés ensemble et cela forme le ciment de laitier. L’hydratation des laitiers nécessite un activateur alcalin comme le CaOH ou NaOH (Kosmatka, Kerkhoff et coll. 2003).
Ces alcalins sont souvent libérés naturellement lors de l’hydratation des C2S et C3S. L’hydratation des ciments de laitier est plus lente que l’hydratation du ciment Portland ordinaire ce qui peut en faire un choix intéressant pour les bétons de masse. Aussi, les laitiers sont connus pour améliorer l’ouvrabilité des bétons frais. Ainsi, selon les circonstances, ce coproduit de l’industrie sidérurgique peut être intéressant d’un point de vue économique, environnemental et structural. Dans un cadre de béton projeté, l’usage des laitiers de hauts fourneaux ne présente pas encore de caractéristiques suffisamment intéressantes pour se retrouver en chantier. Les bétons projetés avec laitiers de hauts fourneaux ont des gains de résistance en compression qui sont significativement plus lents que d’autres ajouts comme les cendres volantes ou la fumée de silice (S.B.Duffield & U 2010). D’ailleurs, dans un rapport émis en 1991, l’international Tunneling Association (ITA) ne recommandait pas l’usage des laitiers de hauts fourneaux en béton projeté à cause de la lenteur d’hydratation des mélanges comprenant cet ajout (Franzén 1993).
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Table des matières
Résumé
Abstract
Liste des tableaux
Liste des figures
Remerciements
Chapitre 1 Introduction
1.1 Introduction générale
1.2 Spécificité de l’étude et objectifs
1.3 Présentation du document
Chapitre 2 Revue de documentation
2.1 Introduction
2.2 Du réchauffement climatique au ciment
2.3 La disponibilité du verre comme remplacement cimentaire
2.4 Valorisation d’autres matériaux dans le béton
2.4.1 Laitier de haut fourneau
2.4.2 La fumée de silice
2.4.3 Cendres volantes
2.5 Rhéologie des bétons avec verre
2.5.1L’angularité et la densité des particules
2.5.2La dimension des particules
2.6Technologie du béton projeté par voie sèche
2.7Béton projeté par voie sèche et rebond
2.7.1Mécanisme de rebond
2.7.2Rapport E/C
2.7.3Accélérateur
2.7.4Consistance, cohésion et adhérence
2.8Béton projeté par voie sèche et rebond
2.9Conclusion
Chapitre 3Programme expérimental
3.1Introduction
3.2Équipement de projection
3.2.1Machine à projection
3.2.2Lance longue
3.2.3Lance courte
3.2.4Système d’acquisition des données des paramètres de projection
3.3Campagne d’exploration – Phase 1
3.3.1Matériaux
3.3.2Mélanges
3.3.3Essais
3.3.4Ajustement des mélanges lors de la projection
3.3.5Observations préliminaires
3.4Campagne de validation pour usage en ingénierie – Phase 2
3.4.1Matériaux
3.4.2Mélanges
3.4.3Essais
Chapitre 4Présentation des résultats
4.1Phase 1
4.1.1Composition en place
4.1.2Rebond
4.1.3Consistance mesurée au pénétromètre
4.1.4Étalement latéral
4.1.5Résistance en compression
4.1.1Masse volumique, absorption, et volume de pores perméables
4.2Phase 2
4.2.1Composition en place
4.2.2Résistance en compression
4.2.3Résistance aux cycles de gel dégel – Mélanges non accélérés
4.2.4Résistance à l’écaillage – Mélanges non accélérés
4.2.5Masse volumique, absorption et volume de pores perméables
4.2.6Étalement latéral
4.2.7Résistance en compression en jeune âge – Mélanges accélérés
Chapitre 5Analyse des résultats
5.1Introduction
5.2Demande en eau des mélanges
5.2.1Contribution du taux de remplacement sur la quantité d’eau en place (kg/m3)
5.2.2Influence de la perception du lancier sur la quantité d’eau en place (kg/m3)
5.2.3Rapport E/L
5.3Consistance et influence du rapport E/L
5.4Rebond Phase 1
5.4.1Rebond par rapport à la notion de consistance
5.4.2Conclusion partielle sur le rebond
5.4.3Cas particulier de PV20
5.5Rebond Phase 2
5.5.1Impact de l’accélérateur de prise sur le rebond
5.5.2Impact du dosage du verre sur le rebond
5.6Étalement latéral
5.7Résistances en compression par rapport à la composition en place
5.7.1Résistance en compression à 28 jours pour différents ajustements
5.7.2Conclusion partielle
5.8Évolution de la résistance en compression
5.9Résistance en compression et accélérateur de prise
5.10Comparaison entre les critères de l’industrie minière et les résistances en compression obtenues
5.11Discussion et comparaison entre les critères de génie civil et les résultats en lien avec la durabilité
Chapitre 6 – Conclusion
6.1Introduction 6.2
Conclusions au regard des objectifs de recherche
6.2.1Étudier l’effet de la poudre de verre comme ajout cimentaire sur la composition en place
6.2.2Étudier l’effet de la poudre de verre sur le comportement rhéologique du béton projeté 80
6.2.3Suivre l’évolution de la résistance en compression dans le temps
6.2.4Étudier la présence de poudre de verre sur le rebond
6.2.5Vérifier si les bétons projetés par voie sèche permettent d’atteindre les exigences de durabilité pour une utilisation dans un contexte de génie civil
6.2.6 Vérifier si les bétons projetés par voie sèche permettent d’atteindre les exigences pour une utilisation dans le contexte de l’industrie minière.
6.3Conclusion sur le potentiel général de la poudre de verre en béton par voie sèche
6.4Piste de recherches futures
BIBLIOGRAPHIE
Annexe A Fiches Techniques et signalétiques
Annexe B Granulométries
Annexe C Résultats intermédiaires
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