La disjonction du point de vue et point d’écoute comme principe réflexif 

Naturalisme de l’espace sonore

Michael Haneke rejette les films qui ne remettent pas le réalisme des images en question. Critique vis-à-vis des médias de masse, du cinéma mainstream et de la télévision, son discours renvoie à une réflexion sur les limites de la représentation de la réalité, qui n’est pas sans rappeler la position de Jean Baudrillard (La Société de Consommation, 1970). Sous l’influence de la pensée des postmodernistes, Haneke est préoccupé par la faculté du cinéma à confondre le vrai et le vraisemblable, par la déréalisation de la réalité et la violence que génèrent les médias. À la suite de la sortie de Code Inconnu (2000), il formulait la pensée suivante :
Aujourd’hui (…) les enfants apprennent à connaître la réalité à travers les films, et la réalité est présentée à la télévision de deux manières différentes : il existe la réalité des images documentaires, puis celle des images de fiction. Je pense que les médias ont joué un rôle important dans cette perte du sens de la réalité (…) 90
En reproduisant une certaine réalité à travers les images médiatiques, le réalisme influence notre perception de la réalité. Il se définit alors doublement comme l’agent par lequel le modèle original est appréhendé (la réalité), mais aussi par un savoir-faire esthétique, partagé par toutes les disciplines artistiques, dont le cinéma.
Premièrement, la remise en question de la représentation de la réalité est une figure qui apparait régulièrement dans la filmographie de Michael Haneke, et qui s’applique à notre corpus. Dans Le Septième Continent, le couple ne trouve pas sa place dans la réalité sociale et remplit son vide existentiel par des biens de consommation; dans La Pianiste, la mère est influencée par les mélodrames que la télévision diffuse et en reproduit les schémas dans sa relation avec sa fille ; enfin, dans Caché, la répression de la manifestation de 1961 est un événement absent de l’espace médiatique, et, par conséquent, de la mémoire des français. Le traitement thématique de la représentation de la réalité est marqué par la conception postmoderne développée, entre autres, par Lyotard, pour qui le réalisme n’est pas le reflet de la réalité, mais le révélateur sur lequel la société s’appuie pour appréhender la réalité. Afin de rendre le spectateur conscient de l’acte qui reproduit le réel, et le pousser à remettre en question la véracité des images, Haneke cherche une forme narrative et filmique la plus adéquate : un certain réalisme de la mise en scène. Celui-ci s’illustre à travers, notamment : le respect du jeu d’acteur par l’emploi des plans- séquences, l’absence d’effet sonores marqués, et enfin, l’utilisation rare de la musique de fosse. « Entre le réalisme et la fiction, il a trouvé ce registre très particulier qui se veut à la fois très fidèle à la réalité et très mis en scène. »Comme le souligne l’ingénieur du son Guillaume Sciama, la forme employée par le cinéaste devient une proposition esthétique (le « registre ») en exposant un principe post-moderne (la représentation de la réalité est un artifice par lequel la réalité est appréhendée). À juste titre, nous pouvons rappeler Bazin, en 1948 : « Ce ne sera pas (…) le moindre mérite du cinéma italien que d’avoir rappelé une fois de plus qu’il n’était pas de réalisme en art qui ne fut d’abord profondément esthétique. »
Tout au long de sa filmographie, Haneke utilise le découpage des séquences en un seul plan et s’applique à structurer ses récits par fragments, afin d’approcher la perception anthropomorphique du réel, laquelle est incomplète et morcelée. Par ailleurs, le cinéaste appelle le spectateur à être vigilant quant à la manipulation que le film exerce sur lui, ce qui nous évoque la notion d’impression de réalité développée par Christian Metz: « Le mouvement n’étant jamais matériel mais de toute façon visuel, en reproduire la vision, c’est en reproduire la réalité. » 94 Le spectateur ressent « la présence réelle du mouvement », il ne perçoit pas l’imitation de la réalité mais sa présence sensible, et c’est cette croyance dans l’image que Michael Haneke interroge. Par exemple, en utilisant des plans noirs dans Le Septième Continent, il marque la discontinuité temporelle entre les séquences, et, de ce fait, désigne le montage comme une manipulation du temps.
Haneke synthétise sa position de metteur en scène réaliste par la « transparence » : « (…) dès qu’on fait un cadre, c’est déjà une manipulation. Simplement moi, j’essaie de le faire de manière transparente. »Cette conception ne doit pas être confondue avec l’acception bazinienne du terme, qui relève de la « disparition de la mise en scène », là où la mise en scène chez Haneke correspond à la reconstitution minutieuse de la réalité. Le réalisme selon lui s’avère être une méthode de mise en scène, et le réel, un modèle.
Nous nous attarderons sur les conséquences de ce parti-pris formel, qui se révèle être un réalisme recomposé, c’est-à-dire, une esthétique naturaliste. Comment, dans cet idéal naturaliste, l’espace sonore est-il modelé ?
Haneke est partisan du son direct, c’est-à-dire, du son « enregistré au tournage, plan par plan, conjointement et synchroniquement à l’image. » 99 En restituant le jeu d’acteur, l’acoustique des lieux, et les « bruits qui jouent » , la prise de son directe devient une empreinte sonore fidèle au réel. Cependant, les sons enregistrés en direct sont modifiés sur le tournage- même par les manipulations de l’opérateur, puis ils sont retravaillés en post-production. Depuis Le Septième Continent (1989), jusqu’à Happy End (2017), le son direct est un élément majeur de la bande sonore : « Nous partons toujours du son témoin enregistré lors de la prise de vues. (…) On ne fait qu’ajouter des choses, améliorer ce qui existe déjà. »Précisons que dans le vocabulaire courant du technicien, est considéré témoin le son d’une scène destiné à la post-production. Dans cette optique, l’enregistrement sonore est utile pour le montage, mais il sera remplacé en post-production par un ensemble de sons recréés en studio. Nous pouvons douter du bon emploi du terme dans ces propos, puisque chez Haneke le son du tournage est bel et bien présent dans la version définitive des films (même s’il y a une part de reconstitution en post-production). Comment, dans les trois films du corpus, le cinéaste reconstitue-t-il l’espace sonore à partir du modèle issu de la réalité ?

Le son direct : l’empreinte du réel

La réalité est une source d’inspiration quant à l’aspect formel du film : « Le film n’est pas la réalité, le film est un modèle de la réalité ». Le terme « modèle » peut être défini de la manière suivante : « ce qui sert ou doit servir d’objet d’imitation pour faire ou reproduire quelque chose »En ce sens, la réalité est imitée, et nous parlerons donc de naturalisme plutôt que réalisme, forme par laquelle le cinéaste reproduit la réalité. La restitution d’événements réels fait partie de la mise en scène chez Haneke, qui s’appuie sur des scènes de la vie courante. Par exemple, la séquence d’ouverture de Code Inconnu sur le boulevard parisien reconstitue le mouvement des figurants de manière très précise. Comme le précise Guillaume Sciama, son ingénieur du son au tournage : « Il est très attaché à ce pseudo réalisme, pas question de faire apparaître trois fois le même figurant. Il essaie de reconstituer une certaine réalité, c’est à la fois du naturalisme mais ce n’est pas du réalisme, on n’est pas dans le documentaire. »À travers les notions de « modèle » et « reconstitution », nous tâcherons de voir comment les lieux sont restitués chez Haneke, et de quelle manière le son participe à la mise en scène de l’espace. Nous verrons comment l’espace sonore montre une certaine transparence face à la réalité qu’il modélise. Dans un premier temps, nous aborderons le travail du son direct et de la post-production, et dans un second temps il sera question de la fonction topographique des sons-territoire105, ou ambiances, dans le récit.
Dans notre corpus, les directs de chaque film ont été enregistrés par un opérateur différent : Karl Schlifelner pour Le Septième Continent, Jean-Paul Mugel pour Caché et Guillaume Sciama pour La Pianiste. Karl Schlifelner a collaboré avec Haneke sur Le Septième Continent (1989) et Benny’s vidéo (1992). D’origine allemande, il a exercé de 1969 à 2001 en tant qu’ingénieur du son et mixeur de téléfilms et séries outre-Rhin 106. Parmi ceux que nous avons cité, il le seul ingénieur du son « plateau » que nous n’avons pas rencontré pour échanger sur le travail avec Haneke. Par ailleurs, Le Septième Continent est le film le moins documenté sur l’aspect sonore. Cependant, nous avons quelques informations sur l’économie budgétaire qui a été celle de ses premiers films, comme le cinéaste le précise : « Pour Le Ruban Blanc, nous avons consacré deux mois au mixage, alors que, faute d’argent, j’avais dû boucler cette opération en 8 ou 10 jours pour mes premiers films. »
Le travail en post-production n’a donc pas bénéficié de la précision avec laquelle Haneke a abordé le son dans Code Inconnu, La Pianiste ou Caché, films pour lesquels nous avons recueillis les témoignages des techniciens du son. Quelle est la méthode employée par Karl Schlifelner pour la prise de son ? Dans les années 80, les techniques du son direct bénéficiaient d’une gamme de micros directionnels qui sont toujours actuels, leur choix dépendant de la sensibilité du preneur de son ; les HF, qui ont fait leur apparition des années 70, étaient utilisés comme appoints de la perche qui était la source principale, et on enregistrait sur bande, en bipiste. Les techniques d’enregistrement des directs ont été transformées dans les années 90, avec l’apparition du quatre pistes sur DAT, mais surtout au début des années 2000 avec l’enregistreur Cantar de la société Aaton, qui offrait huit pistes, dont deux pour le mixdown (pré-mixage des directs sur deux pistes). À partir de 2003, il était désormais possible de fournir un prémix nécessaire au montage avec chaque source séparée pour d’éventuelles corrections en post-production. Si la perspective de rattraper les erreurs des directs offre un bon potentiel, nombre de chef-opérateurs, sur des téléfilms notamment, ont vu leur pratique se réduire à équiper tous les comédiens de micros HF, et à ajouter une perche au bord du cadre. Cette approche garantit une couverture de chaque source, mais ne pose pas des questions de prise de son, telles que la restitution des plans sonores, du timbre des voix, et des positions des sources dans l’espace. Schifelner, qui n’avait pas accès à ces technologies pour Le Septième Continent, ainsi que Mugel, et Sciama, n’envisagent pas la prise de son comme une captation, mais comme un travail de restitution de la scène. Comment s’organise ce travail de restitution ?

La post-production : la reproduction du réel

Force est de constater que dans les films en général, il est difficile de repérer si les sons viennent des directs ou s’ils ont été modifiés de manière à être perçus comme tels. Dans les trois films de notre corpus, que nous disent les directs sur l’espace du cadre ? Le Septième Continent a la particularité, en regard des deux autres films du corpus, d’être peu porté sur la parole. Aussi, les bruits produits par les objets saisis dans l’image pourraient être remplacés par des bruitages de studio. La Pianiste, tourné en français et allemand, a donné lieu au doublage des comédiens germanophones pour la version française, et des interprètes francophones dans la version allemande. De même, les intérieurs de Caché ont été tournés en studio, aussi les bruits que nous associons à l’espace de la maison ont été créés au montage-son.
Dans sa définition de la signature spatiale, Altman précise : « Bien entendu, la signature spatiale peut être manipulée par des techniques de post- production comme le gate [porte de bruit], l’égalisation, le filtrage, ou l’ajout de réverbération. »118 L’espace, c’est-à-dire l’acoustique des lieux, peut être fabriqué en post-production, reconstitué d’après le modèle du réel, ou entièrement imaginé. En effet il est bien question de naturalisme du son, et non pas de réalisme, comme le souligne Chion dans un chapitre intitulé L’illusion unitaire :
(…) même là où il s’agit soi- disant de son direct, les sons pris sur le tournage ont été presque toujours enrichis après coup d’autres sons, de bruitage ou d’ambiance, qu’on leur a ajoutés. Mais aussi, il y a des bruits qu’on élimine au tournage par la place et la directionnalité du micro, les précautions d’insonorisation, etc.
La post-production modifie la prise de son directe, qui a été elle-même l’objet de modifications, les techniciens éliminant les bruits parasites et modulant les voix des comédiens. Qu’en est-il de la notion de modèle chère au cinéaste ?
L’évolution de la perception des voix dans l’espace est un phénomène que Haneke restitue de manière réaliste, en se référant à un point d’écoute, qui est souvent lié à l’emplacement de la caméra, et, par là-même, à la position du spectateur. À partir de cet emplacement, le réalisateur reconstruit une écoute semblable à celle qu’un témoin invisible aurait pu avoir. Jean-Paul Mugel nous fait part de ce fait :
Dans mon travail, j’essaie de supprimer tous les problèmes de son, mais on ne parle pas de l’oeuvre en général. Pour ça, le mixage est une position intéressante : on passe beaucoup de temps avec le réalisateur, on détermine les directions définitives, le réalisateur est obligé de se livrer beaucoup plus sur ses idées de son. Au mixage, Michael Haneke a des idées très particulières sur la couleur des voix, par exemple, quand les acteurs sont de dos, la voix ne sonne pas pareil.
On appelle ce principe le détimbrage : appliqué sur les voix des personnages qui se tiennent dos à la caméra, il consiste à retirer des composantes spectrales afin d’avoir la sensation que seules les ondes indirectes parviennent au point d’écoute. La voix étant unidirectionnelle, elle se projette dans un sens, et de ce fait, elle sera perçue directement si elle est dirigée vers le témoin invisible, et indirectement dans le cas contraire. Haneke est donc très attentif à reproduire cette écoute virtuelle déterminée par la présence d’un témoin auditif invisible, qui peut être dissocié du témoin visuel, invisible lui aussi, et qui est nécessaire à la constitution d’un point d’écoute. Par exemple, dans Caché, Anna participe à un buffet mondain alors que Georges, depuis la maison de sa mère, la contacte par téléphone. Dans le plan sur Anne, on n’entend pas l’interlocuteur à travers le combiné, on n’est donc pas dans le point d’écoute d’Anne, mais dans celui de la caméra ; la première strate sonore identifiable, au premier plan, c’est la voix d’Anne. La seconde, mixée à peine moins fort, un peu plus éloignée dans l’image, est la conversation entre Pierre et le critique littéraire. La troisième strate est formée par l’ambiance mondaine du salon, où se mêlent un brouhaha de voix et de musique. D’après le témoin invisible situé à l’emplacement de la caméra, le mixage construit une écoute sélective propre à chaque strate : les voix, l’ambiance et la musique d’écran. De fait, le théoricien cognitiviste Colin Cherry appelle effet « cocktail party » cette écoute que nous activons lorsque nous tentons de décrypter un son parmi un environnement bruyant, typiquement une réception. Le mixage restitue donc une écoute propre à l’audition humaine, comme si le spectateur était présent à cette soirée : l’écoute sélective.
« Que demande en effet apparemment le spectateur au son, sinon avant tout le réalisme ? » interroge Michel Chion dans La Toile Trouée. Il est difficile pour le spectateur, destinataire de la forme définitive du film, de distinguer la part du direct dans ce qui constitue le son du film qui donne à entendre un flux homogène après mixage. Chez Haneke, le travail du son se base toujours sur la captation du son direct. Certains effets narratifs, comme la spatialisation en off, est enregistrée dès le tournage, dans l’espace correspondant à la fiction, telles les voix du couple commentant la vidéo depuis leur salon dans Caché. Ce qui est du domaine du son direct et de la post-production est entremêlé : les deux étapes de travail sont liées à la même intention, que le cinéaste a déterminée et précisée lors de l’écriture. Le son direct permet de capter la signature spatiale des lieux, qui apparaîtront dans la version finale du film, ou serviront de référence (on parle de son « témoin ») pour la reconstitution en post-production. Par le travail sur les plans sonores, Haneke restitue un point d’écoute selon l’emplacement virtuel d’un témoin invisible, renforçant l’idée de la transparence de l’enregistrement. Dans cette acception, les sons seuls sont préférés aux bruitages, car ils portent la signature spatiale des lieux et s’intègrent mieux au mixage, contrairement aux voix doublées, par exemple, qui donnent l’impression d’être au premier plan sonore. Haneke élabore le film d’après le modèle de la réalité, que le cinéaste place au coeur de la mise en scène, car elle délivre la forme définitive du scénario après les repérages (la fiction est retravaillée selon les lieux réels). Modélisant la réalité, la mise en scène se veut naturaliste, et montre une certaine économie de moyens dans la mise en scène sonore. Si la sobriété transparaît dans l’aspect visuel, par exemple, dans les décors ou le montage, cette esthétique se vérifie également dans la restitution sonore des scènes, dans laquelle peu d’éléments sont ajoutés aux directs. Aussi, le dispositif rappelle un certain classicisme, où le point d’écoute correspond au point de vue, et renvoie à une conception anthropomorphique de la captation.
La restitution du son, capté dans un espace donné et reconstitué au mixage, est un geste de mise en scène qui dépend également de la narration. Au chapitre suivant nous verrons comment l’espace est modélisé par les ambiances, dans une reconstitution réaliste.

Topographie modélisée par le son

Le son au cinéma renseigne sur la dimension de l’espace, sa configuration, son relief. Les sons, par leur pouvoir symbolique, ont la capacité de générer des mondes narratifs non diégétiques. Non visualisés, c’est-à-dire placés dans un espace hors-cadre, ils suggèrent d’autres espaces, dont l’application n’est pas uniquement narrative mais également physique. Avec la signature spatiale, définie par Altman140, les sons donnent à entendre l’espace entre la source et le capteur microphonique. Par ailleurs, la nature même du sonore décrit l’espace : l’onde se déplace dans l’air, perceptible par tous les réceptacles pourvus d’une membrane sensible (tympan, microphone, etc). Par exemple, le trajet du signal sonore peut être décrit en champ-contre-champ, qui modélise l’émission (on voit la cause du son) et la réception (l’onde se déplace dans l’espace, et elle peut être perçue par un personnage). Éléments discrets de la bande sonore, les sons ambiants n’ont pas de source visible. Ils sont également appelés « sons-territoires » par Michel Chion, qui les définis comme « le son d’ambiance englobante qui enveloppe une scène et habite son espace sans qu’il soulève la question obsédante de la localisation et de la visualisation de sa source (…) »141. En général ils forment une nappe sonore qui englobe l’image et la situe dans un espace plus vaste. D’une manière générale, les ambiances ont deux fonctions. Les ambiances dites « raccord » consistent en un acte technique, par lequel un continuum homogène atténue les coupes entre les plans d’une même scène. Le deuxième type d’ambiances vise à façonner les décors sonores, elles ont donc un rôle topographique, au sens de la « description de la configuration d’un lieu. »142 Dans cette acception, l’enjeu est de suggérer la taille de l’espace, décrire les éléments qui le composent, etc.

Les ambiances définissent le décor sonore

Les ambiances ne correspondent pas forcément au son qui a été capté pendant le tournage, comme le précise Michael Haneke : « Dans les scènes d’extérieur, par exemple, le vent n’est jamais bien rendu par les micros. On cherche alors des sons préexistants pour le remplacer (…) » Le cinéaste décrit le travail de montage son, qui consiste à améliorer et enrichir les directs. La matière des directs reste l’élément principal du son du film, mais on cherche à en améliorer certains aspects, comme le timbre d’une voix, le rendu d’une matière, l’ambiance d’un lieu (si le décor a été tourné en studio, par exemple, on cherchera à donner un peu de « vie », comme s’il s’agissait de décors réels). Les ambiances constituent une partie de cette recherche, et dépendent de plusieurs paramètres : elles sont relatives à l’acoustique des lieux, à la description sociale de l’habitat, et à la tension narrative de la scène. Le cinéaste doit trouver un équilibre entre ces trois exigences afin d’atteindre une cohésion spatiale et d’exprimer les relations entre les protagonistes.

Fonction descriptive des ambiances

En tant que décors sonores, nous remarquons que les ambiances décrivent les milieux sociaux des personnages de façon récurrente dans notre corpus. La satire de la bourgeoisie est un thème qui parcourt toute la filmographie de Michael Haneke, et nous pouvons la percevoir dans le traitement sonore de l’espace. Haneke dépeint les interactions sociales qui ont cours dans les classes supérieures de la société en Europe, en Autriche et en France.
Dans Le Septième Continent, dont l’action se tient dans une ville indéterminée en Autriche, la critique se fait acerbe envers la société de consommation. Le film, qui traite de la réification d’un couple issu de la classe moyenne, montre la médiocrité du mode de vie et de la culture qui les entourent. Les ambiances figurent l’écrasement des personnages par les objets du quotidien, qu’ils subissent de façon routinière. La maison familiale est habitée d’une multitude d’objets, à qui on donne autant d’importance que les personnages (ces derniers n’apparaissent pas face caméra alors que le décor est filmé en inserts). De ce fait, nous ne voyons pas de visage humain avant les dix premières minutes du film, alors que nous avons des informations sur les personnages par le son, grâce à des bribes de dialogues hors- champ. À mesure qu’ils apparaissent à l’écran, les sons générés par les objets prennent place dans l’espace, qui est toujours rempli d’une rumeur de machines électriques, radio, télévision. Ces bruits mixés en gros plan ne sont pas des ambiances à proprement parler, mais leur juxtaposition produit de la continuité, et nous pouvons considérer qu’ils composent le décor sonore de la maison. Premièrement, les personnages sont asservis à ces objets, et nous en déduisons un mode de vie matérialiste : le réveil à affichage digital déclenche le début de la journée, les chaussons réceptionnent les pieds d’Anna, le rideau de la chambre attend d’être tiré, etc. Deuxièmement, en générant un flux constant, sans à-coups, le son des équipements électriques indique que la machinerie fonctionne bien. Par exemple, le son de la radio distribue des nouvelles du monde façon monocorde, ou la pompe de l’aquarium d’Eva bourdonne de façon continue et régulière. Ainsi tout va bien, le déroulement de la journée s’annonce sans événement majeur, dans une famille qui possède le meilleur de ce que la société de consommation proposait dans les années 80. Dans la troisième partie du film, le ronron de leurs possessions est supplanté par un autre mécanisme, qui donne à entendre une suite de sons d’objets brisés. Pour autant, la mise en scène ne montre pas les personnages détruire leurs biens, dans ce qui pourrait être un exutoire, mais elle se concentre sur l’oeuvre de destruction même, par le biais d’un montage qui relate la méthode avec laquelle ils agissent. Aussi, Haneke montre l’échec de leur entreprise de libération.
Dans La Pianiste, dès le début du film, l’appartement est présenté comme le foyer : le point de chute vers lequel Érika revient à chaque fin de journée. La première image s’ouvre sur une porte close, vue de l’intérieur, dans la pénombre d’un vestibule. Érika entre dans l’appartement, elle vient de l’extérieur. L’environnement extérieur n’est pas vu, on ne l’entend pas non plus. Les sons se limitent aux sons inhérents à cet appartement, qui est conçu comme un univers clôt, à travers lequel ne passent pas les sons du voisinage. Cette perméabilité au monde extérieur semble être également de mise au Conservatoire, la salle de cours d’Érika étant isolée des sons pouvant provenir des autres classes. Également, chez les Blonsky, où se tient le concert privé, l’appartement est isolé des bruits extérieurs. Érika et sa mère habitent dans un appartement modeste comparé à celui des Blonsky, lesquels organisent des concerts privés. On pourrait s’attendre à un traitement sonore différent, mais Haneke n’appuie pas le contraste entre les deux intérieurs. Les ambiances propres aux intérieurs, imperméables aux bruits de la ville, traduisent le confort bourgeois auquel aspire Érika. Elles mettent également en évidence les usages de cette élite éclairée quant à l’espace urbain : à l’abri dans de beaux appartements, la société bourgeoise ne fréquente pas l’espace urbain, contrairement à Érika qui s’adonne à ses filatures en cachette. Sa double posture, à la fois en retrait et observatrice du monde extérieur, est personnifiée dans un plan du générique : dans sa classe, elle se tient dos à la caméra, la fenêtre devant elle est grande ouverte et l’ambiance de circulation des voitures remplit tout l’espace. Depuis l’intérieur, elle écoute la ville, espace où elle trouve de quoi satisfaire ses pulsions voyeuristes. Professeure de piano frustrée à la carrière ratée, écrasée par la figure maternelle, elle prend plaisir à épier les autres (ses élèves, son prétendant, des inconnus) dans des activités auxquelles elle ne participe pas (sexualité, sport, etc.) Ses lieux de prédilection pour cette occupation sont montrés dans des plans larges descriptifs, parmi lesquels, le sex-shop, le kiosque où elle surprend Naprawnick devant des revues pornographiques, la patinoire où évolue Walter, etc.

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Table des matières
Introduction
Première partie : Bande sonore et narration 
I. La mise en scène du son est un acte narratif
I.1 La musique, agent évocateur d’autres mondes narratifs
Fonctions narratives de la musique chez Michael Haneke
I.1.b La spatialisation renforce le pouvoir symbolique de la musique
I.2 Basculement des bruits d’un monde à l’autre
Cas de spatialisation « libre »
I.2.b Statut particulier des médias spatialisés « on the air »
II. Le rôle du son dans un processus réflexif
II.1 La spatialisation du son comme procédé participatif et réflexif
II.2 La disjonction du point de vue et point d’écoute comme principe réflexif
Deuxième partie : Son et espace 
Naturalisme de l’espace sonore
III.1. Le son direct : l’empreinte du réel
III.2. La post-production : la reproduction du réel
IV. Topographie modélisée par le son
IV.1 Les ambiances définissent le décor sonore
IV.1.a Fonction descriptive des ambiances
IV.1.b Des sons complémentaires
IV.2 L’extension sonore est réduite
IV.2.a Effet de claustration
IV.2.b Une topographie centripète
Troisième partie : Son et temporalité
V. Le son contribue à la temporalité de la narration
V.1 L’organisation des éléments sonores selon le modèle SAS’
V.2 La spatialisation des sons influence la perception de la temporalité
VI. Le son participe au rythme du récit
VI.1 Le rythme révèle la forme
VI.2 Le rythme suscite l’affect
Conclusion
Bibliographie
Annexes

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