La discipline de vote dans les assemblées parlementaires sous la cinquième République

Si la Constitution est « un esprit, des institutions et une pratique » , elle est surtout environnée de mythes qui génèrent, autour d‟elle, une histoire propre et finissent par modifier sa perception scientifique. La mythologie de la Cinquième République, est peuplée de personnages qui ont marqué l‟histoire constitutionnelle jusqu‟à en devenir les démiurges. Tels Ch. DE GAULLE, porté au pinacle constitutionnel pour avoir rétabli l‟autorité de l‟Etat, ou M. DEBRE, dont les affirmations, parfois incantatoires, sont encore étudiées avec déférence par les étudiants de nos facultés. Les parlementaires ont également obtenu une transposition mythologique, loin d‟être les muses de ces nouveaux héros, ils furent perçus comme leurs vassaux, recherchant toujours la satisfaction de leurs désirs et se soumettant toujours à leur volonté. Ils devinrent des chevau-légers, fiers combattants, puis des godillots, lestés aux pieds des chefs de guerre et prêts à les accompagner dans chaque bataille.

Une expression polysémique

Le terme discipline relève de plusieurs champs sémantiques. Il appartient au domaine religieux et désigne le fouet qui permet aux séides de se punir pour s‟être écarté des préceptes doctrinaires. Elle est également présente dans le domaine militaire et implique l‟existence d‟une soumission de celui qui reçoit les ordres à celui qui les donne. Elle constitue, de manière moins autoritaire, un ensemble de règles communes aux membres d‟un corps et destiné à y faire régner le bon ordre. La discipline qui s‟impose aux élus n‟est pas seulement une discipline de vote, elle est plus largement une discipline partisane et parlementaire, partis et Parlement étant les auteurs de ces règles de vie en commun (A). Si une définition a contrario de la discipline de vote est nécessaire, elle est insuffisante et il conviendra de mieux cerner la réalité de la pratique en s‟interrogeant sur l‟intensité de la soumission qu‟elle implique (B).

Discipline de vote entre disciplines partisane et parlementaire

Parce que la discipline de vote est habituellement rejetée par ceux qui la dictent ou s‟y soumettent, son appréhension peut s‟avérer malaisée et les confusions avec des notions proches, faisant intervenir les mêmes acteurs, peuvent nuire à la compréhension de la démonstration. Aussi, convient-il de distinguer la discipline de vote de la discipline partisane, notion plus large (1) et de la discipline parlementaire, notion plus restreinte (2).

La discipline de vote, élément de la discipline partisane

Les partis jouent un rôle fondamental dans le processus qui aboutit à la discipline de vote, qui doit permettre de concrétiser la plate-forme électorale qu‟ils ont soumise aux électeurs. En usant d‟autorité et en activant le loyalisme des élus, ils parviennent à faire respecter la consigne qu‟ils ont forgée et qu‟ils présentent comme la traduction partisane de l‟intérêt général. Si elle apparaît comme la manifestation la plus importante de la discipline que le parti peut exiger des élus, la discipline de vote n‟est que l‟une des expressions de la discipline partisane, notion plus large qui englobe l‟ensemble des directives adressées par le parti à ses membres, élus ou non. Les militants et sympathisants peuvent être les destinataires de consignes partisanes. Celles-ci peuvent d‟ailleurs également être dénommées consignes de vote. Il ne s‟agit pas, en l‟occurrence, d‟adopter un texte, hormis dans le cas d‟une consultation référendaire, mais bien de participer, de manière dirigée, à la désignation d‟un élu. Dans cette acception, la discipline de vote constitue un mécanisme de report des votes. Dans cette hypothèse, les dispositions juridiques restreignant l‟accès au second tour tendent à empêcher le candidat du parti de participer à la consultation électorale. La formation partisane cherche, cependant, même sans candidat propre, à assurer la victoire d‟un candidat appartenant à la même famille politique et permet aux voix qui s‟étaient prononcées en faveur de son candidat, de se reporter sur celui d‟un parti proche. Ce report des voix repose sur la discipline de vote des électeurs, qui ne doit pas être confondue avec la discipline de vote suivie par les élus dans le cadre de leur mandat. La discipline partisane impose également aux membres des partis, au-delà de la discipline de vote, certaines obligations qui constituent les règles de vie commune destinées à faire régner le bon ordre. Les membres doivent ainsi, habituellement, respecter les décisions adoptées par le parti, auteur des règles et autorité chargée d‟en contrôler l‟application correcte et de sanctionner ceux qui auraient manqué à la discipline partisane. L‟article 33 des statuts de l‟UMP précise ainsi : « la Commission Nationale des recours se prononce, à la requête du Bureau Politique, sur les infractions aux statuts ou aux décisions des instances et des organes de direction de l‟Union commise par un adhérent ou un comité ». Les obligations des adhérents ne sont pas clairement définies par ces statuts, il en découle le devoir de se conformer à toutes les décisions adoptées par  organes dirigeants. Les statuts du Parti Socialiste confortent cette assertion en exigeant l‟engagement des adhérents à se soumettre aux décisions du parti : « les adhérents du parti acceptent la „„déclaration de principes‟‟, les statuts et les décisions du parti » .

La discipline partisane est donc un ensemble de règles qui impose aux membres du parti, quel que soit leur statut, de respecter les décisions adoptées au nom du parti. La discipline de vote est un démembrement de cette discipline partisane puisqu‟elle s‟adresse à une catégorie spéciale de membres et leur impose une décision particulière. Ces directives ne concernent en effet pas uniquement les parlementaires, mais bien l‟ensemble des membres du parti titulaires d‟un mandat électif ; elle leur impose de voter dans la direction élaborée par le parti, en conformité avec la philosophie politique à laquelle les élus adhèrent par principe. Les statuts des partis conservateurs, sont peu diserts à ce sujet, ceux des partis de masse, qui font de l‟unité une valeur fondatrice, affirment plus franchement la soumission de l‟élu aux consignes partisanes. Ainsi, l‟article 9-6 des statuts du Parti Socialiste dispose-t-il que les élus, « en toutes circonstances (…), doivent respecter la règle de l‟unité de vote de leur groupe ». Afin de s‟assurer du respect de cette catégorie particulière de directives, les partis peuvent exiger des candidats qu‟ils ont investis qu‟ils s‟engagent à respecter, durant la législature, les décisions du parti et, si celui ci devient majoritaire, du Gouvernement qu‟il aura constitué. Ainsi, en 2002, les candidats souhaitant obtenir l‟investiture de l‟UMP durent s‟engager, preuve que la discipline est également une valeur fondamentale au sein des groupes conservateurs, à soutenir l‟action du Président de la République durant son  quinquennat et à mentionner cet engagement dans leur profession de foi électorale . Manière de transformer l‟engagement partisan en obligation morale envers les électeurs et d‟offrir au parti un ascendant plus important sur les élus. L‟unité est ainsi, une valeur fondamentale défendue par les organisations partisanes, elle explique la discipline de vote sans se limiter toutefois à cette manifestation de cohésion, les statuts des partis ou des groupes parlementaires s‟assurant de l‟expression de cette unité dans toute action parlementaire. Il est ainsi habituel que les statuts prévoient que toute proposition, de loi, d‟amendement, de résolution… soit soumise, avant son dépôt, aux instances dirigeantes . L‟unité, impératif partisan devient la valeur qui guide l‟action du groupe parlementaire, émanation du parti à l‟intérieur des assemblées.

La discipline partisane ainsi que la discipline majoritaire, suivie par les élus appartenant au groupe qui détient la majorité à l‟Assemblée Nationale et soutient le Gouvernement, ne sauraient se réduire à la discipline de vote. Si toutes sont la manifestation de l‟impératif d‟unité qui garantit l‟efficacité de l‟action politique , la discipline de vote est une composante de la discipline partisane. Sans qu‟il soit possible, pour autant, de ne l‟appréhender que comme un démembrement de l‟ordre propre au parti, le cadre particulier dans lequel elle s‟exerce expliquant que la pratique transcende son origine politique.

La discipline parlementaire, cadre de la discipline de vote 

La pratique que nous nous proposons d‟étudier est la discipline de vote suivie par les parlementaires qui peuvent voir leur vote contraint par une directive qui leur est imposée par une autorité perçue comme supérieure. La discipline de vote s‟exprime donc dans le cadre du Parlement qui est régi par un droit propre, ensemble de règles destiné à faire régner le bon ordre dans l‟enceinte parlementaire. Ces règles figurent au sein des règlements des assemblées, « mesures d‟ordre intérieur soumises au respect de l‟ordre constitutionnel » , complétés par les précédents, « usages (…), pratiques anciennes et éprouvées » .

Le président de l‟assemblée est le garant du respect de cette discipline parlementaire ; il veille au respect de la bonne tenue des débats et protège « l‟ordre général et la liberté individuelle » . La discipline parlementaire vise ainsi à atteindre un équilibre entre ordre et liberté, la seconde ne pouvant être que limitativement restreinte. Le président de l‟assemblée, promoteur de cet équilibre, est placé au cœur des dispositions des chapitres XIV du règlement de l‟Assemblée Nationale et XVII du règlement du Sénat, relatifs à la discipline au sein des assemblées. L‟article 71 du règlement de l‟Assemblée Nationale dispose ainsi : « 1. Le Président seul rappelle à l‟ordre .

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Table des matières

Introduction Générale
Première Partie
Les procédures de la discipline de vote
Titre Premier
La discipline de vote, traduction complexe du libre arbitre parlementaire
Chapitre I
L‟encadrement parlementaire de l‟unité de vote
Chapitre II
Une liberté encadrée
Le rôle central d‟organes extérieurs au Parlement
Conclusion du titre premier
Titre Second
La discipline de vote, phénomène constant à l‟intensité variable
Chapitre I
La discipline de vote, un cheminement collectif
Chapitre II
L‟inconstance, condamnation ou consécration de la discipline de vote
Conclusion du titre second
Conclusion de la première partie
Seconde Partie
Les relations tumultueuses de la discipline de vote et du régime parlementaire, illustration d‟une dépendance refoulée
Titre Premier
La discipline de vote, pratique paradoxale, incompatible avec le régime parlementaire et condition sine qua non de son fonctionnement normal
Chapitre I
Une pratique théoriquement contraire à la perception classique du mandat parlementaire
Chapitre II
La discipline de vote, révélateur d‟une lecture rénovée du régime parlementaire
Conclusion du titre premier
Titre Second
Ni vassal, ni maître, la place du Parlement à travers le prisme de la discipline de vote
Chapitre I
Un parlement transformé en chambre d‟enregistrement
Chapitre II
Ebauche d‟une réglementation nécessaire
Conclusion du titre second
Conclusion de la seconde partie
Conclusion Générale
ANNEXES.
BIBLIOGRAPHIE
INDEX

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