Mille chemins, un seul but
Cette thèse est avant tout un cheminement. Un cheminement de la Science Politique vers la Géographie, du contexte professionnel vers la recherche et, enfin, de la vocation idéalisée à la réalité pratique. Notre démarche a la prétention d’étudier l’action subversive des villes européennes, les villes « qui n’attendent pas l’Etat » (Masboungi, 2010), ni l’Europe, celles qui ont choisi une approche stratégique locale tellement cohérente qu’elle s’applique aussi au niveau transnational. En Espagne, les affaires européennes sont du ressort du Ministère des Affaires étrangères mais les fonds et le budget européen sont une compétence exclusive du Ministère du Trésor Public. Par association, cette remarque explique la perspective de notre question de recherche : définir la différence entre les relations internationales (des villes) et la dimension transnationale (du projet urbain). Notre objectif principal est donc de conceptualiser l’articulation entre la vision de la ville et ses initiatives européennes. La plupart des études parlent des projets internationaux des collectivités locales comme s’il s’agissait exclusivement d’actions « extérieures ». Ainsi émergent les concepts comme la paradiplomatie (Tavares, 2016 ; Mocca, 2020), la « diplomatie publique » (Gilboa, 2008 ; Cull, 2009) ou la « diplomatie des villes » (Van der Pluijm et Melissen, 2007), notions qui présentent la ville comme un acteur relativement nouveau et plutôt faible dans le contexte international. D’autres points de vue perçoivent un premier positionnement des villes à l’international en termes de pouvoir politique, tels que le « soft power » (Nye, 1991) ou la « gouvernance multiniveaux » (Hooghe et Marks, 2002) ou encore en termes de rayonnement économique comme les « villes globales » de Sassen (1991).
Dans le cadre de la politique communautaire, la notion « d’européanisation » (Börzel et Risse, 2003 ; Featherstone, 2003 ; Radaelli, 2002 ; Saurugger et Radaelli, 2008 ; Dossi, 2012) identifie des effets de type ascendant et descendant sur la politique urbaine, mais elle réserve l’initiative à l’Union Européenne.
LE CADRE DE LA DIPLOMATIE URBAINE EUROPÉENNE
Eléments de contexte et cadrage
Ce point est nécessaire non seulement pour contextualiser notre démarche mais aussi pour différencier le concept de diplomatie urbaine (européenne) par rapport à d’autres concepts similaires, voire concomitants mais dépourvus de la nuance principale : un rattachement consolidé à la stratégie locale, le projet urbain d’aménagement.
La position internationale des villes depuis 2013
Afin d’introduire la thématique de la diplomatie urbaine européenne dans un contexte général, dans cette section nous allons tracer un bref historique des développements de la position internationale des villes depuis 1913, année de naissance de l’IULA – un des réseaux fondamentaux dans l’histoire internationale des villes, comme nous verrons à continuation. A ce sujet, on peut affirmer que la position internationale des villes a été portée au sein de réseaux et plateformes internationales comme l’IULA, le FMCU ou encore le CCRE . De ce fait, une grande partie de cette introduction aux relations internationales des villes est inspirée de l’important travail qu’a réalisé le CGLU en 2013 pour célébrer le centenaire de l’IULA ainsi que du livre dirigé par Nahuel Oddone et Miguel Angel Martin (2010) sur la position des villes dans les relations internationales . Des auteurs tels que Vion (2003), Defrance (2008) ou encore Kihlgren (2020), entre autres, se sont aussi penchés dans leurs recherches sur cet historique.
D’autres comme Frioux (2009) ont pris une perspective thématique comme l’hygiène qui n’empêche pas de reconnaitre le rôle des réseaux (les « associations militant pour réformer la ville » p. 68) dans l’urbanisme depuis la fin du XIXe siècle. La dimension internationale a été rattachée à la notion de ville tout au long de l’histoire. Comme nous rappelle Mestre (2017, p. 163) :
« Des cités État de l’antiquité grecque aux villes franches du Moyen-Âge, des villesmondes mythiques (Babel…) aux villes-mondes modernes (São Paulo, Beijing…), la notion de ville est inséparable de sa dimension relationnelle et locale avec son hinterland mais aussi et surtout dans sa relation avec l’étranger » .
Par ailleurs, même si la diplomatie a toujours été traditionnellement conçue comme une prérogative des Etats, le siècle dernier a été témoin d’un glissement de la capacité d’agir au niveau international vers les collectivités territoriales d’une part et vers des entités supranationales d’autre part. Par conséquent, des nouveaux acteurs ont pris progressivement leur place. En 1905, lors d’une visite d’une délégation de la ville de Paris à Londres, le président du comté de Londres, M. E.A. Cornwall, anticipait la création d’une organisation internationale d’autorités locales en ces termes : « c’est d’elles et de leur coopération que dépend la question de savoir si l’idée de la fraternité entre les hommes va faire de nos jours un grand pas en avant […]. J’ai déjà tracé dans la presse européenne un projet de congrès de capitales » (cité par Frioux, 2009, p. 171). Les premiers réseaux de villes, centrés sur des questions techniques, naissent au début du XXe siècle : la Fédération internationale des brigadiers-pompiers (1901), l’Association générale des hygiénistes et techniciens municipaux (1905), l’Association permanente des congrès des routes (1909) et, en 1913, l’Association internationale des villes jardins et de planification urbaine (Grazi, 2010, pp. 257-258). L’année 1913 voit aussi la naissance de l’IULA lors du Congrès international et exposition comparée des Villes (Vion, 2003, p. 560 ; Mestre, 2017, p. 168 ; Kihlgren, 2020, p. 5 ; Grazi, 2010, pp. 256- 258) car « un groupe de maires et de gouverneurs des villes ont pris la décision innovatrice de maintenir leur collaboration de façon plus permanente et plus structurée. C’est ainsi qu’est née l’Union Internationale des Villes ».
Les objectifs de la nouvelle organisation étaient de faciliter le transfert entre le discours politique et la connaissance scientifique, la reconnaissance des villes au niveau international et de devenir un espace de dialogue entre gouvernements locaux, grâce à l’appui d’un secrétariat central et des journaux de vulgarisation (Luna Pont, 2014, pp. 24-25). Ces journaux, connus comme « Tablettes Documentaires Municipales », furent lancés en 1921 afin de recueillir les différentes expériences en développement urbain telles que le transport ou l’assainissement. Ils seront accompagnés d’une publication sur les sciences administratives à partir de 1926 (CGLU, 2013, p. 8 ; Grazi, 2010, p. 258).
Dans ce sens, il faut souligner la création de l’Institut des Sciences administratives (en 1930) et l’objectif du congrès IULA en 1932 : analyser les modes de gestion et renforcer les capacités des employés locaux (p. 9). Il est intéressant de signaler le financement du réseau par le groupe Rockefeller (CGLU, 2013, pp. 8-9), car un tel mécénat se reproduira dans les années 2000 pour d’autres plateformes comme 100 Resilient Cities . Pendant la seconde guerre mondiale, l’IULA installe son siège à La Havane (CGLU, 2013, p. 10) et reprend progressivement son activité à partir de 1946 en relation avec UNESCO (p. 11). Le secrétariat est transféré à La Haye en 1948. Dans les années 50, les villes du vieux continent ont pris la responsabilité de retisser les liens entre les territoires sous deux formes différentes mais complémentaires : les réseaux de villes et les jumelages (Grazi, 2010, p. 256, 259).
Les premiers réseaux de villes européens furent l’Union internationale des maires pour la compréhension franco-allemande – UIM (1950), le Conseil des Communes d’Europe – CCE (1951) et Monde bilingue (1951). Cette dernière est ensuite devenue la Fédération mondiale des villes jumelées – FMCU (1957). Initialement proposée lors d’un congrès de l’IULA en 1947 (CGLU, 2013, p. 11), l’Union internationale des Maires est créée à Stuttgart en 1950 dans le cadre du rapprochement franco-allemand. Elle inclut d’autres pays comme l’Autriche ou la Suisse (Defrance, 2008, p. 191).
Le modèle de coopération européenne visé est fédéral et pas supranational, contrairement au cas du Conseil des Communes d’Europe (Richier, 2014, pp. 133-134) né en 1951 à Genève sous l’impulsion de l’Association des Maires de France (AMF) ainsi que de l’IULA (CGLU, 2013, p. 12 ; Gaspari, 2002, p. 609 ; Kihlgren, 2020, p. 6 ; Chombard-Gaudin, 1992, p. 61 ; Richier, 2014, p. 137 ; Grazi, 2010, p. 259). Le CCE à l’époque, connue désormais sous l’acronyme de CCRE, doit :
« représenter les collectivités locales sur le plan européen, d’intéresser celles-ci à la création de l’Union européenne, d’organiser leur appui mutuel devant les problèmes économiques et sociaux qu’elles doivent affronter et d’assumer, notamment face au danger totalitaire, la défense commune de leurs libertés. » (Palayret, 2003, p. 86) .
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Table des matières
INTRODUCTION
PARTIE I : LE CADRE DE LA DIPLOMATIE URBAINE EUROPÉENNE
Chapitre 1 : Eléments de contexte et cadrage
Chapitre 2 : Enjeux de la thèse
Chapitre 3 : Cadre méthodologique
PARTIE II : LES INSTRUMENTS DE LA DIPLOMATIE URBAINE EUROPÉENNE
Chapitre 4 : Les instruments de programmation
Chapitre 5. La diplomatie vue par les villes européennes
Chapitre 6 : Instruments de communication et promotion (européens)
Chapitre 7. Les réseaux de villes, logiciel de la diplomatie urbaine
PARTIE III : FACTEURS, METHODES ET MODELES DE LA DIPLOMATIE URBAINE
Chapitre 8 : Les bases de la diplomatie urbaine
Chapitre 9 : Les modèles d’action
Conclusions : la ville europolite
CONCLUSION