Malgré des succès éclatants ou des échecs lourds de conséquences tant en matière de sécurité internationale que d’évolution du droit international, la diplomatie relative au droit international humanitaire (DIH) n’a fait l’objet que d’un nombre limité d’études théoriques . Pourtant, comme le souligne Michel VEUTHEY, « ce dialogue d’humanité pourrait être une des clefs de notre sécurité et du rétablissement de la paix tant sur le plan national qu’international (…). Si ce dialogue ne peut être qualifié de nouveau, son actualité et l’urgence de son utilisation, elles, le sont » . La cause de ce relatif paupérisme doctrinal tient sans doute à la fois aux difficultés de définition de la notion de diplomatie humanitaire, dont les limites sont fluctuantes, les objets variables, les acteurs multiples, mais également à ce qu’elle embrasse quasiment l’ensemble de l’histoire du DIH et de l’action humanitaire, qui se sont construites et ont évolué dans de perpétuelles négociations.
La notion même de diplomatie s’avère d’une fluidité de nature à rendre malaisée une détermination précise du périmètre de la recherche : dans le maquis des ouvrages consacrés à l’histoire diplomatique, qui constituaient les prémices de la recherche en relations internationales, puis dans les études de la diplomatie et des travaux des diplomates qui se sont particulièrement développés dans les années 90, dans les analyses sur la constitution des pratiques diplomatiques, leur normalisation comme leurs transformations, leur intégration aux outils du soft power, on constate que les limites de la diplomatie se sont considérablement dilatées.
On peut ainsi rapidement rappeler que jusqu’à la Renaissance, la notion de diplomatie était étroite, les émissaires envoyés par les cités grecques ou l’Empire romain n’ayant que des rôles de messager durant l’Antiquité . Quant aux négociations, celles-ci avaient des objectifs limités. En effet, elles concernaient le plus souvent la négociation de la paix, l’échange de prisonniers, ou encore les trêves, le tout à travers des discussions confidentielles. D’ailleurs, le terme diplomatie dérive du mot grec Δίπλωμα (dipôme), faisant référence à ces documents « roulés et scellés » afin d’assurer la confidentialité de ces derniers.
La diplomatie normative relative aux sources du DIH
Bien que la Convention de 1864 marque pour beaucoup l’apparition du DIH, ce droit plonge ses racines dans les pratiques coutumières des armées telles qu’elles se sont construites au fil des siècles partout dans le monde. En effet, les négociations en faveur d’une guerre plus humaine sont aussi anciennes que l’Antiquité, et cette période occupe une place centrale dans l’évolution de la société moderne . Si les méthodes et les techniques de négociation ont pu changer, la diplomatie humanitaire joue le même rôle depuis des siècles, à savoir, atténuer les souffrances durant les combats, même si les raisons de telles négociations durant l’Antiquité peuvent largement être qualifiées de différentes, en comparaison à celles que l’on connaît aujourd’hui dans la communauté internationale. En effet, durant l’Antiquité les négociations humanitaires avaient toujours des objectifs bien précis, elles étaient ciblées : on négociait différemment selon que l’ennemi était puissant ou non, détenait ou pas des prisonniers appartenant ou non à des familles importantes. À l’image de la guerre durant la Grèce antique qui était souvent légitimée par un avantage stratégique pour soi ou pour un allié, avant d’être autorisée par les Dieux. Quant à l’avantage stratégique, celui-ci était souvent de nature économique . Concernant la Rome antique, au-delà du fait que l’on prête à cette époque de l’histoire les premiers grands accords concernant l’humanisation de la guerre entre Rome et ses adversaires, cette période eut également une influence directe sur l’organisation de l’institution même de la diplomatie. En effet, on retiendra par la suite, la place de l’organisation des Cités-Etats italiennes qui envoyaient leurs diplomates les plus compétents vers Rome, considérée à l’époque comme le centre diplomatique. Ce qui constitue l’une des premières structures des corps diplomatiques, tels qu’ils sont connus aujourd’hui, et l’un des premiers modes réglementant le processus de communication entre les Etats.
La diplomatie humanitaire fondatrice du DIH
Même si l’on fait remonter son existence à l’influence du Traité de Westphalie, traité régional créateur d’une nouvelle Europe par la fin de la guerre de Trente Ans, le développement considérable du DI durant le 20e siècle a été marqué, on le sait, par une densification conventionnelle dans toutes ses branches. À l’instar du droit international des droits de l’homme (DIDH), celui du commerce international, ou encore du droit international de l’environnement, le DIH s’inscrit dans le mouvement de juricisation des rapports internationaux, associé à l’institutionnalisation de la société internationale, les OI étant des lieux cruciaux de la diplomatie normative. Une institutionnalisation qui se concrétisera tout d’abord au lendemain de la Première Guerre mondiale, par la création de la SDN et se confirmera par la suite après la Seconde Guerre mondiale, par la mise en place de l’ONU, ancrant ainsi la diplomatie dans le multilatéralisme . En matière de DIH, on peut revenir à la source des conférences de la Haye de 1877 à 1907, pour évoquer les négociations ayant donné naissance à un corpus considérable dans le domaine normatif, marquant de ce fait le début des discussions internationales dans cet élan de codification du DI. Dans le champ de la coopération internationale, les Etats furent, et demeurent jusqu’à présent le noyau central des négociations, ce qui n’empêchera pas la participation active d’autres acteurs au processus d’élaboration des normes internationales, comme les ONG, comme l’a illustrée -sans prétendre au statut de négociateurs-, l’importante implication des ONG dans le processus diplomatique ayant abouti à l’émergence de la Convention d’Ottawa relative à l’interdiction des mines antipersonnel de 1997. Ou encore la participation des ONG dans le processus d’élaboration du texte fondateur de la CPI, où la diplomatie fut qualifiée par Brian HOCKING de collaboration de plusieurs acteurs à travers des liens flexibles pour un objectif bien précis : en dépit d’une absence d’un droit de vote et de l’élaboration des textes considérés comme non officiels lors des débats, leur présence aura permis la concrétisation de certaines de leurs volontés (ce fut le cas notamment de la possibilité pour la Cour de s’autosaisir ).
Des sources matérielles issues des premières négociations humanitaires
S’il est classique de présenter les débuts de la diplomatie humanitaire à partir de la fin du XIXe siècle, cette phase ne constitue qu’un prolongement d’une diplomatie humanitaire beaucoup plus ancienne qui en constitue les prémices. Le DIH est né sur les champs de bataille : ce n’est autre que la confrontation entre des parties armées qui imposa la nécessité de réglementer la guerre. Branche du DI public, le DIH puise ses sources dans les règles coutumières, mais également dans les conventions internationales. Les traités et les pratiques coutumières ont tous à un moment donné de l’histoire été précédés par des négociations humanitaires qui ont permis leurs créations et cela dès la période fondatrice de l’Antiquité. Ces négociations relatives aux fondements du droit positif sont d’une importance capitale, car elles permettent de comprendre son émergence. Ces fondements peuvent être d’ordre politique, sociologique, moral ou encore religieux, comme ce fut le cas lors des négociations relatives à l’époque antique, période considérée comme une base de la société européenne actuelle, où les négociations entre les différentes cités se fondaient principalement sur la religion. A titre d’exemple, la ritualisation de la diplomatie durant la Grèce antique passait dans un premier temps par la religion, avant d’évoluer vers d’autres fondements par la suite. En effet, durant cette période de l’histoire, tout accord diplomatique entre les cités était assorti d’une sanction en cas de violation de celui-ci . En général, la sanction elle-même constituait le déclenchement d’une guerre à l’encontre de la partie qui n’avait pas respecté son engagement. Et pour ce faire, il était primordial que la guerre soit justifiée par les Dieux, et que les règles de celle-ci obéissent à la volonté divine. Les premières négociations humanitaires durant l’Antiquité étaient ainsi principalement fondées sur la religion, une base qui s’atténuera à partir de la Renaissance.
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Table des matières
Introduction
Première partie. La diplomatie normative relative aux sources du DIH
Titre 1. La diplomatie humanitaire fondatrice du DIH
Chapitre 1. Des sources matérielles issues des premières négociations humanitaires
Section I. De la Grèce à la Rome antique, les prémices d’une diplomatie humanitaire…
Section II. De la Renaissance au XIXe siècle, l’émergence d’une diplomatie créatrice de nouveaux principes humanitaires
Chapitre 2. Des sources conventionnelles issues d’une diplomatie humanitaire organisée
Section I. La structuration des acteurs de la diplomatie humanitaire conventionnelle…
Section II. L’affirmation des méthodes de la diplomatie humanitaire conventionnelle…
Titre 2. La diplomatie humanitaire rénovatrice des sources du DIH
Chapitre 1. La diplomatie humanitaire relative à la diversification des sources formelles du DIH
Section I. Une stratégie humanitaire d’utilisation de la coutume
Section II. Une stratégie humanitaire recourant aux sources écrites non conventionnelles
Chapitre 2. La diplomatie humanitaire relative à l’ouverture des sources du DIH au DIDH
Section I. Des négociations humanitaires relatives à une approche complémentaire du DIH et du DIDH
Section II. Des négociations humanitaires relatives à une approche intégrée des DH et du DIH
Conclusion de la première partie
Deuxième partie. Les diplomaties humanitaires relatives à la mise en œuvre du DIH : de la plasticité du réseau à la « diplomatie de catalyse » ?
Titre 1. La multiplication des acteurs de la diplomatie humanitaire relative à la mise en œuvre du DIH
Chapitre 1. La pérennité des acteurs classiques de la diplomatie humanitaire relative à la mise en œuvre du DIH
Section I. Vers un exercice collectif de la diplomatie humanitaire des Etats
Section II. La diplomatie humanitaire du CICR au service de la mise en œuvre du DIH
Chapitre 2. Les nouveaux acteurs d’une diplomatie humanitaire « de catalyse »
Section I. La diplomatie humanitaire de l’ONU en matière de mise en œuvre du DIH…
Section II. La diplomatie humanitaire des ONG en matière de mise en œuvre du DIH…
Titre 2. L’évolution des objectifs de la diplomatie humanitaire en matière de mise en œuvre du DIH
Chapitre 1. Une diplomatie humanitaire relative à la prévention des violations du DIH
Section I. Le renouvellement de la diplomatie humanitaire relative à la mise en œuvre préventive du droit de la Haye en matière de moyen de guerre
Section II. Les développements de la diplomatie relative à la mise en œuvre préventive du droit de Genève
Chapitre 2. Une diplomatie humanitaire relative à la sanction des violations du DIH
Section I. La diplomatie humanitaire relative aux sanctions internationales
Section II. La diplomatie relative aux juridictions pénales internationales : de la diplomatie des vainqueurs à celle du réseau des acteurs humanitaires
Conclusion de la deuxième partie
Conclusion
Bibliographie
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