La dimension expérimentale des mathématiques

Caractérisation de notre méthodologie 

La méthodologie choisie pour notre recherche ne se rapproche ni de l’inférence, ni de la déduction mais relève plutôt d’une forme d’abduction  : les hypothèses formulées sont fondées théoriquement mais c’est l’expérimentation et ses inattendus qui permettent l’avancée de la recherche conduisant progressivement à la stabilisation des connaissances par la mise en évidence d’invariants. Cette méthodologie relève du processus d’hypothèse dans la démarche scientifique. Elle débute par un questionnement relatif à un phénomène (didactique) robuste et étonnant, dont l’hypothèse explicative renvoie à notre objet d’étude : la dimension expérimentale des mathématiques et sa fonction de levier dans la relation dialectique qui relie l’enseignement et l’apprentissage. La recherche consiste en une exploration en regard d’une problématique didactique conduisant à la stabilisation d’une connaissance au service de compétences professionnelles.

Les hypothèses de recherche servent d’architecture à la conduite de l’étude qui se réalise dans une confrontation à la contingence, et non pas au titre d’une expérimentation dont le but se limiterait à valider les hypothèses proposées. Nous chercherons à exploiter les données recueillies dans nos divers protocoles pour réorienter le cheminement de nos travaux en fonction des phénomènes didactiques inattendus rencontrés. Ces « surprises didactiques » sont relatives à l’indétermination des concepts en jeu dans les situations qui sont mises à l’étude, mais sont aussi liées au contexte spécifique de l’enseignement spécialisé et des apprentissages qui s’y développent.

Une réflexion épistémologique et didactique 

Cette première partie poursuit l’objectif scientifique d’ancrer l’étude des phénomènes de construction et de diffusion des savoirs scientifiques dans ce qui relève des disciplines ellesmêmes, en référence à la spécificité de leurs objets tant dans leur dimension historique, qu’épistémologique. Cette réflexion articulée avec la didactique des mathématiques sera conduite en trois temps. Nous essaierons tout d’abord d’apporter un éclairage significatif à la notion de « dimension expérimentale des mathématiques » en analysant le rôle et la nature des objets mathématiques, puis en nous consacrant à la description de la relation dialectique qui existe entre l’expérience et l’expérimentation. Nous porterons ensuite notre réflexion sur les moyens de caractérisation d’un environnement didactique spécifique : le « milieu pour l’expérimentation ». Nous ferons alors référence aux notions de situation didactique et de milieu antagoniste (Brousseau, 1991), ainsi qu’à celles de médiation et de démarche d’investigation. Nous terminerons cette réflexion épistémologique et didactique par la présentation et l’analyse d’une situation didactique consistante ancrée dans le domaine de la géométrie dans l’espace : la recherche des polyèdres réguliers.

Une investigation contextualisée 

La deuxième partie de notre recherche consistera à mener une investigation dans un contexte à la fois très spécifique mais aussi très révélateur : celui de l’adaptation et la scolarisation des élèves en situation de handicap. Ce contexte professionnel possède les critères nécessaires à une expérimentation de qualité de la relation enseigner/apprendre. La situation didactique de recherche des polyèdres réguliers y sera mise en œuvre et analysée afin de tester l’hypothèse de la fonction de levier de la dimension expérimentale des mathématiques. Le but est de dégager un certain nombre d’invariants didactiques que nous pourrons mettre au service du développement des compétences professionnelles des enseignants.

La proposition d’un scénario de formation 

Notre recherche se terminera par une troisième partie qui tendra à proposer une contribution au développement de l’enseignement des mathématiques dans tous les contextes d’enseignement. En effet, la volonté de mener une investigation dans un contexte difficile ne doit cependant pas s’y limiter. Cette partie de notre travail sera l’occasion de montrer en quoi une extension de nos découvertes est possible dans le champ de la formation initiale et continue des enseignants. Nous y commenterons la mise en œuvre de dispositifs et expérimentations dans le cadre d’un projet plus global que nous qualifierons de « scénario de formation ».

Les modèles de milieu selon Bloch 

La méthodologie de travail envisagée dans notre thèse s’appuie sur des moments didactiques chronologiquement distincts. Ces étapes peuvent s’apparenter à celles qui sont développées dans le cadre de l’analyse des modèles de milieux proposé par Isabelle Bloch lors de la onzième école d’été de didactique des mathématiques (Bloch, 2002) : Il s’agit d’une élaboration ayant pour but de classer les éléments théoriques « milieux » de la théorie des situations suivant leur nature (du côté du savoir, du côté de l’expérimentation ou du côté de la contingence) et de leur fonctionnalité. Nous avons retenu ce cadre d’analyse pour l’articulation qu’il propose entre le milieu expérimental a priori et la confrontation à la contingence, ce qui correspond à notre démarche générale de recherche. Nous l’utiliserons pour la structuration des deux premières parties de notre travail (partie A : étude épistémologique et didactique ; partie B : investigation contextualisée) ainsi que pour l’analyse des données provenant de nos expérimentations en classe. Nous présenterons ici brièvement la classification proposée par Bloch : milieu théorique, milieu expérimental et confrontation à la contingence.

Conception d’un milieu « théorique épistémologique »

Selon Bloch, le premier modèle de milieu fait référence à la constitution d’une situation didactique fondamentale dans la Théorie des situations didactiques (Brousseau, 1986). Un tel modèle s’appuie sur la recherche d’une relation consistante entre un savoir mathématique et un jeu de situations qui le fasse fonctionner comme une connaissance afin d’en permettre une institutionnalisation. Les problèmes permettant de faire fonctionner ce savoir comme une connaissance par les élèves doivent s’énoncer comme une série de questions finalisées, un panel de milieux matériels adaptés et une gamme de variables. Ce sont les références mathématiques, épistémologiques et culturelles de ces savoirs qui font de ce milieu sa spécificité dite « Théorique ». En suivant Bloch (2002), pour constituer ce milieu de type Théorique, il est nécessaire de :
– procéder à une analyse de la genèse historique du savoir en repérant ses manifestations anciennes ou contemporaines ;
– répertorier les fonctionnalités de ce savoir dans les mathématiques et dans d’autres disciplines scientifiques, en envisageant les éventuels obstacles épistémologiques relatifs ;
– mettre en évidence des savoirs et des connaissances mathématiques, culturelles et personnelles reliés au savoir visé ;
– élaborer une situation adidactique (en référence à la théorie des situations didactiques élaborée par Guy Brousseau) ; c’est-à-dire concevoir un « jeu » capable de faire fonctionner ce savoir comme une connaissance par les élèves;
– rechercher des variables didactiques qui permettrons la commande et le contrôle de la situation ;
– faire l’analyse prédictive de la consistance de la situation (en veillant à la non contradiction des variables en regard de la connaissance visée). Nous mènerons cette élaboration d’un milieu théorique et épistémologique dans la situation de recherche des polyèdres réguliers que nous présenterons au chapitre trois de la première partie de cette thèse. Cependant nous ne prétendrons pas que notre situation pourra être classée parmi les situations fondamentales telles qu’elles sont décrites par Brousseau (1986).

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Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE I – METHODOLOGIE DE LA RECHERCHE
I – 1 Caractérisation de notre méthodologie
I – 1.1 Une réflexion épistémologique et didactique
I – 1.2 Une investigation contextualisée
I – 1.3 La proposition d’un scénario de formation
I – 2 Origine du projet de recherche
I – 3 Problématique et hypothèses de recherche
CHAPITRE II – ANCRAGES THEORIQUES DE LA RECHERCHE
II – 1 Les modèles de milieu selon Bloch
II – 1.1 Conception d’un milieu « théorique épistémologique »
II – 1.2 Mise en œuvre d’un milieu « expérimental a priori »
II – 1.3 Confrontation à la contingence en comparant des contextes d’enseignement et de formation
II – 2 Le processus dialectique enseigner / apprendre chez Conne
II – 2.1 Problématique poursuivie
II – 2.2 Objet de la recherche
II – 2.3 Hypothèses de recherche
II – 2.4 Qu’entend-on par « faire des mathématiques » ?
§ créer et animer des objets de pensée
§ entrer dans les pratiques mathématiciennes
§ l’interaction sujet/objet comme modèle de la pensée en acte
§ apprendre, savoir, enseigner
II – 2.5 Faire faire des mathématiques
§ le « faire des mathématiques » de l’enseignant
§ faire et faire faire
§ activités et pratiques : enseignantes, enseignées
§ une vision trop simple de l’enseignement : le partage des tâches
§ une centration excessive sur les objets
§ la formation des enseignants
§ des choses à faire, des choses accomplies à repérer
§ l’élève en difficulté
II – 2.6 Regarder ce que ça donne
§ le retour sur l’expérience
§ le caractère imprévu de certains évènements rencontrés en enseignant
§ Les enseignants doivent-ils être des chercheurs, des didacticiens ou des praticiens réflexifs ?
§ Conclusion
PARTIE A : ETUDE EPISTEMOLOGIQUE ET DIDACTIQUE
INTRODUCTION
CHAPITRE I – LA DIMENSION EXPERIMENTALE DES MATHEMATIQUES
§ Expérimenter c’est rencontrer l’incertitude
§ Expérimenter c’est construire un réel partagé
§ Expérimenter c’est interagir avec des objets selon un rapport dialectique
§ Expérimenter c’est construire du « nouveau » à partir du « familier »
I – 1 Le rôle central des objets dans l’élaboration des savoirs
I – 1.1 La dialectique objet sensible / objet théorique
I – 1.2 Un exemple d’actualité avec la sphère
I – 1.3 Mathématiques et réalité
I – 2 La dialectique expérience / expérimentation
I – 2.1 L’aspect expérimental des mathématiques
I – 2.2 Une question de raisonnement
I – 3 Expérimentation et production de la preuve
CHAPITRE II – UN MILIEU POUR L’EXPERIMENTATION EN CLASSE DE MATHEMATIQUES : CONDITIONS ET CONTRAINTES
II – 1 L’organisation d’une situation didactique
II – 1.1 La dimension expérimentale dans la théorie des situations didactiques
§ Phase de l’action
§ Phase de la formulation
§ Phase de la validation
II – 1.2 Le milieu en didactique des mathématiques
§ Apprentissage
§ Enseignement
II – 2 Caractéristiques du milieu antagoniste de type expérimental
II – 2.1 – Un milieu porteur de déséquilibres
II – 2.2 Un milieu qui développe l’autonomie de l’élève
II – 2.3 Un milieu qui collabore à l’accès à des savoirs mathématiques
II – 3 La médiation entre les objets de savoir et l’apprentissage
II – 3.1 Représentations et interprétations dans le milieu
§ Eléments de sémiotique
§ Intérêt épistémologique en situation didactique
II – 3.2 Médiation instrumentale
II – 4 Cadre institutionnel et démarche d’investigation
§ moment 1 : Le choix d’une situation-problème par le professeur
§ moment 2 : L’appropriation du problème par les élèves
§ moment 3 : La formulation de conjectures, d’hypothèses explicatives, de protocoles possibles
§ moment 4 : L’investigation ou la résolution du problème conduite par les élèves
§ moment 5 : L’échange argumenté autour des propositions élaborées
§ moment 6 : L’acquisition et la structuration des connaissances
§ moment 7 : L’opérationnalisation des connaissances
CHAPITRE III – UNE SITUATION CONSISTANTE : LA RECHERCHE DES POLYEDRES REGULIERS
III – 1 Histoire et épistémologie des savoirs en jeu
III – 1.1 Eléments historiques
§ Géométrie des solides : passer du plan à l’espace
§ Brefs aperçus historiques
§ La nécessaire dimension expérimentale des mathématiques
III – 1.2 Fonctionnalités du savoir en mathématiques et ailleurs
§ Fonctionnalités du savoir en mathématiques
§ Fonctionnalités du savoir en sciences
III – 2 Questions de représentations
III – 2.1 Représentation, esthétique et technique
III – 2.2 Polyèdres, signes et représentation
III – 2.3 Milieu culturel et instrumental
III – 3 Enjeux didactiques
III – 3.1 Construire les cinq solides
§ Avec des triangles équilatéraux
§ Avec des pentagones réguliers
§ Avec des hexagones réguliers
III – 3.2 Consistance de la situation
III – 4 La constitution du milieu pour l’expérimentation
III – 4.1 Un milieu expérimental a priori
§ l’ enseignant
§ les objets
§ la situation
§ les élèves
III – 4.2 Le laboratoire
§ Cadre théorique
§ Cadre institutionnel
§ Modélisation du laboratoire
§ Une référence à l’écologie : le biotope
CLOTURE DE L’EXPLORATION THEORIQUE
PARTIE B : INVESTIGATION CONTEXTUALISEE DANS L’ENSEIGNEMENT SPECIALISE
INTRODUCTION
CHAPITRE I – LE CONTEXTE DE L’ENSEIGNEMENT SPECIALISE
I – 1 Contexte institutionnel
I – 1.1 La scolarisation des élèves à besoins spécifiques
I – 1.2 Les dispositifs institutionnels nationaux et départementaux
I – 2 Contexte didactique
I – 2.1 De la difficulté d’apprendre
I – 2.2 De la difficulté d’enseigner
§ le choix des démarches
§ l’avancée du temps didactique
§ le milieu pour la dévolution et la communication
§ la difficulté à manifester et constater des connaissances
I – 2.3 La question de la formation des enseignants
I – 3 Dimension expérimentale et adaptation dans l’enseignement des mathématiques
I – 3.1 Qu’est-ce qu’une adaptation de l’enseignement
I – 3.2 Un milieu pour l’adaptation des enseignements
§ conjecture n°1 : l’analyse des constituants du milieu expérimental a priori permet de faire un diagnostic nécessaire à l’adaptation du savoir au connaissances des élèves
§ conjecture n°2 : le choix de la démarche d’investigation met en œuvre un processus de médiation pouvant permettre des « détours »
§ conjecture n°3 : Proposer des outils de modélisation permet un étayage pour la mise en actes des connaissances des élèves
CHAPITRE II – CONFRONTATION A LA REALITE DE LA CLASSE (1)
II – 1 Un contexte spécifique : l’UPI TSL
II – 1.1 À propos du dispositif : Unité Pédagogique d’Intégration
II – 1.2 À propos des troubles spécifiques du langage
II – 2 Présentation du terrain d’observation
II – 2.1 Eléments du contexte d’enseignement
II – 2.2 Elèves et apprentissages
§ Résultats à l’évaluation d’entrée en sixième
II – 2.3 Le dispositif de recueil des données
II – 3 Situation didactique : la recherche des polyèdres réguliers
II – 3.1 Descriptif de la séquence
§ séance 1
§ séance 2
II – 3.2 Observations et premiers commentaires
§ séance 1 avec les élèves de sixième
§ séance 1 avec les élèves de cinquième
§ séance 2 : recherche avec les élèves de sixième
§ séance 2 : recherche avec les élèves de cinquième
§ confrontation des résultats
II – 4 Analyse : premières réponses aux hypothèses de recherche
II – 4.1 Des objets sensibles aux objets mathématiques et vice-versa
§ qu’est-ce qu’une face ?
§ la découverte d’une propriété non énoncée
II – 4.2 Expérimentation et investigation
§ Plusieurs types d’expérimentation
§ les phases visibles de la démarche d’investigation
§ un renforcement de la fonction outil
II – 4.3 Milieu antagoniste et expérimental
§ Antagonisme du milieu
§ Langage et indétermination
§ Laboratoire et milieu expérimental
II – 4.4 Médiation langagière et instrumentale
§ Vers la conceptualisation
§ les instruments au secours de la représentation
CONCLUSION 

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