La dimension collective du métier de professeur des écoles dans les documents institutionnels
La dimension collective s’est imposée récemment au métier de professeur des écoles et, selon Vincent Dupriez, elle est devenue une « norme dans la plupart des textes relatifs au métier d’enseignant » (« Le travail collectif des enseignants : au-delà du mythe »). En effet, jusqu’au milieu du vingtième siècle, l’enseignant exerce seul dans sa classe et la notion de travail d’équipe n’est pas encore présente dans les textes institutionnels. L’enseignant ne coopère donc pas avec ses partenaires puisque le travail collectif est étranger à sa culture professionnelle. Puis, dans les années 1960 apparait l’échec scolaire : un grand nombre d’élèves sortaient du système éducatif sans qualification. En réponse à l’échec scolaire, l’institution sera peu à peu amenée à remettre en cause les pratiques des PE. A partir des années 80 notamment le métier de PE commence à être redéfini. Le travail collectif devient inhérent au métier et les enseignants sont invités à coopérer avec des partenaires internes et externes dans le cadre de projets. Les zones prioritaires apparaissent en 1981 dont l’un des objectifs est d’ouvrir l’Ecole vers l’extérieur afin de décentraliser l’éducation. Ces zones sont par la suite appelées « zones d’éducation prioritaires » en 1988 puis « réseau d’éducation prioritaire » dix ans après; cette appellation illustre cette idée de réseaux nécessitant un partenariat et une action collective de tous les acteurs du réseau afin de mener à bien les projets visant la réussite de tous les élèves compte tenu de leur rythme d’apprentissage et de leurs difficultés. Enfin, la loi d’orientation sur l’éducation du 10 Juillet 1989 fait apparaître les cycles et par conséquent les conseils de cycles imposant aux enseignants de travailler en équipe pédagogique et notamment de mettre en place des projets communs. Cette équipe pédagogique est constituée « des enseignants ayant en charge les mêmes classes ou groupes d’élèves ou exerçant dans le même champ disciplinaire et des personnels spécialisés […] les personnels d’éducation y sont associés » (loi d’orientation sur l’éducation du 10 Juillet 1989, article 14). Nous pouvons donc parler d’équipe pédagogique élargie à laquelle les membres du RASED appartiennent. Celle-ci doit construire un projet d’école qui « définit les modalités particulières de mise en œuvre des objectifs et des programmes nationaux » prenant en compte la diversité des élèves; on parle alors de «communauté éducative » (loi d’orientation sur l’éducation du 10 Juillet 1989, article 18).
Aujourd’hui, la dimension collective du métier de professeur des écoles est une prescription importante de l’Education Nationale. Le référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation stipule que l’enseignant doit « Coopérer au sein d’une équipe », notamment « inscrire son intervention dans un cadre collectif, au service de la complémentarité et de la continuité des enseignements comme des actions éducatives » (BO n° 30 du 25 juillet 2013, compétence 10). De plus, il doit « contribuer à l’action de la communauté éducative » et « coordonner ses interventions avec les autres membres de la communauté éducative » (compétence 11) dont les maîtres E font partie. Il se doit de « coopérer avec les parents » (compétence 12) et avec tous les autres partenaires de l’école (compétence 13) afin de mettre en place des projets collectifs ou individualisés. Par ailleurs, ces obligations s’appliquent également au maître E puisque, selon le référentiel des compétences caractéristiques d’un enseignant spécialisé du premier degré (BO spécial n° 4, circulaire n° 2004-026), l’enseignant spécialisé « maîtrise les compétences décrites par le référentiel de compétences et de capacités caractéristiques d’un professeur des écoles ». Enfin, selon le décret n° 2008-775 du 30 juillet 2008, les enseignants du premier degré ont cent-huit heures annuelles de services dont « vingt-quatre heures consacrées aux travaux en équipes pédagogiques, aux relations avec les parents, à l’élaboration et au suivi des projets personnalisés de scolarisation pour les élèves handicapés ».
Le rôle du maître E : une action complémentaire à celle de l’enseignant ordinaire
La circulaire n° 2002-113 du 30 avril 2002, intitulée Les dispositifs de l’adaptation et de l’intégration scolaires dans le premier degré, définit le Réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED) comme un « dispositif-ressource complémentaire pour accroitre les possibilités des équipes pédagogiques de mettre en œuvre une différenciation des réponses pédagogiques adaptée à la variété des besoins des élèves ». Ce document institutionnel informe que le RASED a à la fois un rôle de « prévention des difficultés préjudiciables à la progression dans le cursus scolaire ou à une bonne insertion dans la vie collective», mais il a également un rôle de « remédiation quand des difficultés s’avèrent durables et se traduisent par des écarts d’acquisition nets avec les acquisitions attendues ou par un défaut durable d’adaptation à l’école et à son fonctionnement particulier ». Le rôle du maître E est de prendre en charge l’aide à dominante pédagogique qui « est adaptée aux situations dans lesquelles les élèves manifestent des difficultés avérées à comprendre et à apprendre, mais peuvent tirer profit de cette aide. Elle vise à la prise de conscience et à la maîtrise des attitudes et des méthodes de travail qui conduisent à la réussite, à la progression dans les savoirs et les compétences, en référence aux programmes de l’école primaire. » (Circulaire n°2009-088 du 17 juillet 2009, Fonctions des personnels spécialisés des réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED) dans le traitement de la difficulté scolaire à l’école primaire).
Ainsi, la circulaire du 30 avril 2002 insiste sur la complémentarité de l’action du maître E puisqu’elle précise que « les aides spécialisées s’insèrent dans l’ensemble des actions de prévention et de remédiation mises en places par les équipes pédagogiques auxquelles elles ne se substituent en aucune manière ». L’aide apportée par le RASED ne doit donc pas remplacer celle de l’enseignant ordinaire mais la compléter, le maître E construit donc « son identité professionnelle dans la complémentarité de celle des partenaires avec lesquels il travaille », comme le stipule la circulaire n° 2009-088 du 17 juillet 2009. Cette circulaire met en avant le travail d’équipe entre l’enseignant ordinaire et l’enseignant spécialisé puisqu’elle déclare que « quand un élève relève successivement, voire concomitamment, de l’aide personnalisée et de l’aide spécialisée, il convient de garantir la complémentarité entre les deux modes d’action ». L’action du maître E se construit donc à partir des concertations avec l’équipe pédagogique, « il s’agit, pour l’enseignant spécialisé, de prévenir et de repérer, grâce à une analyse partagée avec l’enseignant de la classe ou l’équipe pédagogique du cycle, les difficultés d’apprentissage de ces élèves et d’apporter une remédiation pédagogique dans le cadre d’un projet d’aide spécialisée » (circulaire n° 2014-107 du 18 Août 2014, Fonctionnement des réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased) et missions des personnels qui y exercent). Pour ce faire, « le temps consacré par les maîtres spécialisés à la concertation, aux travaux en équipes pédagogiques, aux relations avec les parents ou à la participation aux conseils d’école est égal à 108 heures annuelles soit une moyenne de 3 heures hebdomadaires » (circulaire n° 2009-088 du 17 juillet 2009).
L’aide aux élèves en difficulté : un travail d’équipe imposé
Ce travail collectif commence bien avant la prise en charge de l’élève par le RASED puisque l’enseignant ordinaire et l’enseignant spécialisé doivent dans un premier temps définir les difficultés de l’élève et les objectifs à atteindre. Pour cela, certaines circonscriptions encouragent les enseignants à remplir un document de demande d’aide spécialisée, celui-ci permet une « élaboration collective qui conduit à expliciter les critères communs, à éclaircir les registres dans lesquels les difficultés se manifestent, mais aussi les éléments positifs sur lesquels il est possible de s’appuyer » (circulaire n° 2002-113 du 30 avril 2002). Ce premier échange écrit permet donc aux deux acteurs de définir des objectifs communs dans l’aide apportée à l’élève face aux difficultés constatées, que ce soit en classe ou par le maître E, ce qui assure une continuité des deux actions.
De plus, la circulaire du 30 avril 2002 affirme que « ces ressources n’ont d’efficacité que si elles sont incluses dans le projet d’école qui assure la cohérence des interventions effectuées par les personnels spécialisés avec l’ensemble des actions pédagogiques », ces actions sont donc discutées en conseil de cycle afin de décider de la prise en charge ou non d’un élève par le réseau d’aides et de définir les modalités d’aide. En effet, celle-ci peut prendre différentes formes : « les enseignants spécialisés peuvent intervenir directement dans la classe, regrouper des élèves pour des durées adaptées à leurs besoins, ou leur apporter une aide individuelle. » (Circulaire n° 2009-088 du 17 juillet 2009) L’enseignant et le maître E rédigent ensemble un projet d’aide spécialisée « qui permet de faire apparaître la cohérence entre cette aide spécifique et l’aide apportée par le maître de la classe. Le document précise les objectifs visés, la démarche envisagée, une estimation de la durée de l’action et les modalités d’évaluation de sa mise en œuvre. » (Circulaire n° 2009-088 du 17 juillet 2009) Ces premiers échanges formels permettent donc aux deux acteurs de suivre des objectifs communs et clairs tout au long de la prise en charge de l’élève. Ces objectifs peuvent être réajustés au vu de l’évolution des progrès de l’élève, mais ils doivent toujours faire l’objet d’une concertation. De plus, les objectifs définis doivent être communiqués à l’élève afin qu’il « soit associé à la démarche et en perçoive clairement le sens et l’utilité » (circulaire n° 2002-113 du 30 avril 2002). Les parents doivent également en être informés; en effet, ces derniers sont les partenaires principaux de l’école et « membres de la communauté éducative » (loi d’orientation sur l’éducation du 10 Juillet 1989).
Enfin, ce travail collectif imposé par l’institution a pour but de « favoriser une meilleure efficacité globale » puisque la collaboration « renforce la qualité de l’observation et du suivi des élèves […] favorise le perfectionnement et l’ajustement des techniques, la pertinence de l’interprétation des faits ainsi que la conception d’actions pédagogiques et éducatives adaptées aux individus et aux groupes » et « une meilleure compréhension de leur situation ». (Circulaire n° 2002-113 du 30 avril 2002) Il est donc perçu comme un réel levier dans l’aide aux élèves en difficulté scolaire. Cependant, il « entraine des modifications des attitudes individuelles et collectives devant les difficultés des élèves » (circulaire n° 2002-113 du 30 avril 2002) notamment de la part des enseignants ordinaires qui doivent ainsi modifier leurs pratiques professionnelles individuelles afin que la collaboration avec l’équipe pédagogie élargie soit efficiente et profitable à l’aide apportée aux élèves.
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Table des matières
Introduction
1. Une demande institutionnelle
1.1. La dimension collective du métier de professeur des écoles dans les documents institutionnels
1.2. Le rôle du maître E : une action complémentaire à celle de l’enseignant ordinaire
1.3. L’aide aux élèves en difficulté : un travail d’équipe imposé
2. Problématique et hypothèses
3. La collaboration dans l’enseignement
3.1. Définition de la collaboration
3.2. Les facteurs d’une collaboration réussie pour une plus grande efficacité de l’équipe pédagogique élargie et une plus grande réussite scolaire
3.3. Les échanges, au cœur de la collaboration
3.3.1. Les échanges formels
3.3.2. Les échanges informels
4. La collaboration entre le professeur des écoles et le maître E
4.1. Les différents types de collaboration entre ces deux acteurs
4.1.1. Une collaboration « entre deux portes » (Brisset, Berzin, Villers, Volck,2009)
4.1.2. Une étroite collaboration
4.2. La co-intervention : une pratique nécessitant une collaboration entre l’enseignant de la classe et le maître E
4.2.1. Définition de la co-intervention
4.2.2. Les avantages de la co-intervention dans la collaboration entre l’enseignant non spécialisé et le maître E
4.3. Les obstacles de la collaboration entre l’enseignant non spécialisé et le maître E
4.3.1. Un manque de disponibilité
4.3.2. Une tension identitaire
4.3.3. Des différences de temporalité
5. Méthodologie de recherche
5.1. Participants à la recherche
5.2. Les outils méthodologiques utilisés
5.3. Les conditions de l’enquête
5.3.1. Madame P
5.3.2. Madame A
5.3.3. Madame N
5.3.4. Madame B
5.3.5. Madame D
5.4. Modalités d’analyse
6. Résultats : données brutes et analyse
6.1. Les missions des deux acteurs
6.1.1. La connaissance des missions de chacun
6.1.2. La mission de conseiller du maître E
6.2. Les échanges entre les deux acteurs
6.2.1. Echanger en amont
6.2.2. Un retour nécessaire
6.2.3. Une collaboration essentiellement « entre deux portes » (Brisset, Berzin, Villers, Volck, 2009)
6.3. La co-intervention
6.3.1. Des avis divergents
6.3.2. Une co-préparation souvent absente
Conclusion
Bibliographie