Des catalyseurs de la militance paysanne à la transmission
Du positionnement politique à la transmission
Pour mieux cerner le sujet de recherche, il était nécessaire de s’acclimater progressivement au milieu paysan militant. La conférence de Marc Pion donnait à voir un parcours de paysan atypique, semé de prise de conscience et d’initiation à la contestation.
Un récit initiatique : la conférence gesticulée « Du tracteur à l’âne » ou la prise de conscience politique d’un paysan
En Novembre 2014, Marc Pion proposait une conférence gesticulée sur le campus de Saint-Martin-d’Hères à l’Aquarium avec l’association la Mixture.
Une conférence gesticulée se définit par un désir de partage de convictions et de colères à travers un outil vivant mélangeant les codes du spectacle et de la conférence. Une conférence gesticulée est une forme scénique mélangeant du savoir froid sur un sujet, les histoires de vie des conférenciers-gesticulants par rapport à ce sujet, de l’humour et de l’autodérision, et des propositions politiques. L’idée est avant tout de faire passer un message politique à travers une forme d’éducation populaire.
Lors de sa conférence, Marc Pion cherchait à expliquer sa vision de l’agriculture. Il exprimait son intention de valoriser le métier de paysan, « un beau métier très riche de savoirs et de savoir-faire » en dénonçant le capitalisme comme le principal responsable de l’industrialisation de l’agriculture et la difficulté pour les paysans de changer de système de production. A travers ses rencontres avec sa compagne, Danielle, avec Bernard Lambert,René Bodiguel ou encore Bernard Friot , Marc Pion aborde les questions du patriarcat, de l’endettement, de l’agrobusiness et de la décroissance mais aussi les structures dans lesquelles il a milité : les CIVAM , la Confédération paysanne, ATTAC et PROMMATA.
Finalement, c’est l’histoire d’un paysan qui, à l’âge de 12 ans découvrait et détestait le tracteur, et qui, aujourd’hui, travaille la terre avec des ânes. A travers son évocation de l’exode rural, de la PAC et des politiques publiques agricoles, Marc Pion racontait son parcours et celui de sa compagne, de l’endettement pour devenir « exploitant agricole » à la prise de conscience de leur aliénation. Il racontait aussi comment, ce jeune couple a pris conscience que le temps libre et la réflexion collective sont des moteurs essentiels de l’émancipation. Enfin, il racontait comment, à travers la lutte du Larzac ou les autres luttes paysannes auxquelles ils ont participé, ils sont passés d’une agriculture productiviste à une agriculture paysanne.
Cette conférence gesticulée donnait à voir la prise de conscience des clivages politiques à l’œuvre dans les différents milieux agricoles. Le récit initiatique de ce paysan laisse entendre un discours de la différenciation. D’abord sur fond de lutte des classes, entre le paysan aliéné qu’il était et le paysan éclairé et émancipé qu’il est devenu. La distance qu’il prend avec le modèle productiviste de ses parents agriculteurs qu’il qualifie de « conventionnels », le mode paysan patriarcal, le système des aides PAC et même des labels Bio justifient sa participation aux luttes et aux syndicats minoritaires. C’est ce basculement que nous étudions ici. Les catalyseurs de cette prise de conscience dans un premier temps, puis la manière de s’engager « contre ». Contre l’agriculture conventionnelle, les engrais chimique, la mécanisation et l’agrandissement des exploitations, et la propriété des terres.
Contre aussi le système auquel ont participé ses parents. Alors contre sa filiation avec ses parents, mais aussi avec sa famille agricole. Les déclencheurs qu’il définit sont ceux de bon nombre de soixante-huitards dans un mouvement de rébellion général.
Le témoignage de ce parcours atypique mais représentatif des militants à la CP nous permettait de mieux comprendre les clivages politiques existant dans le monde agricole. A partir de moments forts et déterminants, le paysan a remis en question ses pratiques et idéologies politiques et s’est engagé pour un modèle agricole différent de celui pour lequel il avait été préparé.
Dans un certain nombre de syndicats et d’associations militantes, on parle de sensibilisation. Cette sensibilisation induit un mouvement inverse de la prise de conscience observée chez Marc Pion. La CP et les ADDEAR cherchent à provoquer cette prise de conscience.
Sensibiliser à la transmission : les cafés-paysan à l’ADDEAR12
La CP est l’initiatrice de bon nombre d’actions de sensibilisation à l’agriculture paysanne : les marchés paysans, les cafés thématiques, des fêtes paysannes sont organisées pour informer, communiquer, sensibiliser à l’agriculture paysanne. Sensibiliser, c’est rendre quelqu’un ou un groupe, sensible à une chose pour laquelle il ne manifestait pas d’intérêt . A l’ADDEAR12, l’un des grands enjeux de l’installation ou de la reprise-transmission en agriculture paysanne, c’est la sensibilisation. Parce que comme en témoigne Marc Pion, l’agriculture paysanne est toujours considérée comme atypique et marginale dans un milieu agricole sociologiquement à droite. Alors précisément, c’est cette « aliénation » du milieu agricole conventionnel, la dépendance aux intrants, aux machines et à un système de commercialisation inégalitaire qui est dénoncée. Il est donc considéré comme nécessaire de rendre visible l’agriculture paysanne pour que les paysans se rendent compte de leur exploitation. La transmission des fermes a été perçue par la CP et les ADDEAR comme l’un des thèmes tabous chez les agriculteurs.
A l’ADDEAR12, il était question d’amorcer un travail de sensibilisation à la transmission sur un territoire historiquement et culturellement non syndiqué à la CP. Pour autant, l’enjeu du renouvellement des générations se ressentait très fortement dans la région de Saint-Laurent-d’Olt, aux confins de la vallée d’Olt entre la Lozère et l’Aveyron. Sollicitée par une élue de la commune, Evelyne Stahl, l’ADDEAR12 a commencé à envisager un travail sur ce territoire. Evelyne avait réalisé une enquête très fouillée sur la situation des paysans sur sa commune, le contexte de désertification des terres paysannes à Saint Laurent d’Olt, et surtout le manque de perspectives pour ces paysans sur le point de prendre leur retraite. Les villages se vidant, certains se retrouvaient face à une difficulté : la volonté de faire vivre leur ferme et leur village et la « tradition politique » de l’agrandissement. En proie avec cette contradiction et face à la pression des voisins, certains paysans avaient confié à Evelyne leur désarroi.
Après une première rencontre dans les locaux de l’ADDEAR12, un « café transmission », un café paysan consacré au thème de la transmission a été organisé. Ainsi, le 29 septembre 2014, l’ADDEAR12 se rendait à Saint-Laurent-d’Olt pour animer cette rencontre. Les agriculteurs de Saint-Laurent-d’Olt y avaient été conviés, ainsi que les élus et les habitants, mais aussi des paysans qui étaient passés par les services de l’ADDEAR12 : des repreneurs, des cédants, des porteurs de projet, etc. Plus de quarante personnes étaient présentes : de nombreux exploitants de la commune, le maire, les membres de la commission agricole, des témoins (cédants et repreneurs) présents à la demande de l’ADDEAR. Daniel, le président de l’ADDEAR12 est revenu sur la réflexion menée depuis plusieurs années sur le thème de la transmission et pour lequel elle a développé des outils pour des accompagnements « sur mesure », en tenant compte du type d’exploitation, des souhaits des cédants et des repreneurs qui s’adressent à elle.
Cette rencontre avait donc comme but de sensibiliser et d’informer les participants.
Maïté l’animatrice est revenue sur les enjeux de la transmission à travers des chiffre-clé. 5 millions de paysans en 1900 et 500 000 en 2012 dont 50 000 hors cadre familial, de 350 000 à 400 000 en 2020 dont 100 000 hors cadre familial.
Trois vidéos de la FADEAR ont initié la réflexion autour des questions suivantes : « Qui voudra de ma ferme ? » ; « Il est plus sûr de vendre au voisin » ; « Les collectivités partenaires de la transmission ». En effet, la question du regard qui pèse sur celui qui s’engage dans la démarche de transmettre sa ferme a été abordée et confirmée par les participants comme une importante pression sociale. L’ADDEAR reconnaissait que transmettre est complexe et conseillait d’anticiper la reprise dans la mesure des différents délais administratifs et du processus psychologique de réflexion avant une prise de décision éclairée sur le mode de transmission.
Le discours des élus sur leur rôle concernait le fait d’établir des ponts, de porter l’information, de mettre en contact, d’être attentives aux demandes, de pouvoir jouer un rôle d’intermédiaire, et peut-être même d’interface entre un porteur de projet et un cédant grace à leur connaissance du contexte, de la géographie, des agriculteurs locaux.
Les mécanismes de la sensibilisation de l’ADDEAR12 et de la Mairie étaient axés sur un discours sur un monde agricole changeant et sur l’encouragement à l’ouverture : « on sait aujourd’hui que l’on peut vivre sur moins d’hectares s’il y a de l’imagination, de la formation et la volonté de faire évoluer ou changer la production mais que cela appartient à l’exploitant ».
A Ségur, Le café-transmission, une conférence populaire pour transmettre
Les ADDAER cherchent des formules innovantes pour mobiliser autour du thème de la transmission. Le lundi 23 février 2015 à Ségur, la journée a commencé par une visite de la ferme du Vialaret. Une entrée en matière enrichissante avec Mathieu Geyelin, entré récemment dans le GAEC. En termes de transmission, l’arrivée de Mathieu sur la ferme du Vialaret rend compte d’une réflexion autour de l’accès des jeunes qui souhaitent s’installer hors-cadre familial avec un capital limité. Les cinq membres du GAEC n’ont pas hésité à baisser le montant des parts sociales pour permettre à Mathieu de l’intégrer. Après la visite des élevages de volailles et de lapins angoras, le café-transmission commençait avec une mise en scène de bistro. José Da Costa de la compagnie de théâtre forum Arc-en-ciel, en tenue de serveur, animait le café-transmission sous la forme de la conférence populaire autour de la question « qu’est-ce que la transmission ? ». La réflexion en petits groupes composés de paysans, retraités, porteurs de projet ou récemment installés, était amenée à produire d’autres questions, telle que « quelle continuité dans la transmission ? » par exemple. Enfin, chaque groupe pouvait proposer une ou des solutions à l’assemblée et à l’ADDEAR12 pour agir en faveur de la transmission.
Favoriser les rencontres entre les cédants et les repreneurs a été cité à l’unanimité. Le rôle des communes a aussi été mis en valeur. Jean-Paul Scoquart, paysan du Larzac qui suivait la formation « Je transmets » avec l’ADDEAR12 insistait sur le rôle des communes dans la transmission, à l’image du travail des AFP (association foncières pastorales), mais aussi des communaux, de la sensibilisation à la transmission, la constitution d’une commission agricole… « C’était une belle journée, il y avait du monde. Si on avait fait ça avant, il n’y aurait pas eu autant de démantèlement de fermes et d’agrandissements. La transmission c’est un sujet crucial, il faut en parler. Si le renouvellement des générations en est à cette impasse, c’est aussi parce que les gens restaient seuls dans leur coin. C’est peut-être aussi à la commune de se positionner quant à la transmission. »
Se former à transmettre : la démarche atypique des paysans du Larzac
L’ADDEAR12 cherchait à mettre en place des actions pour concrétiser des idéaux politiques et une phase de sensibilisation. Le cycle de formation destiné aux futurs cédants démarrait et faisait face à un échec de participation. Seuls deux paysans avaient assisté aux journées de formation et certaines journées avaient dû être annulées en l’absence de l’un d’eux. Un cycle de formation a été mis en place avec un autre groupe de cédants concernés pour qu’il leur corresponde.
A partir d’une carte pour localiser les adhérents de la CP de plus de 55 ans, Deux groupes géographiques se détachaient clairement : le Villefranchois à l’Ouest et le plateau du Larzac dans le Sud-Est du département. Le choix du CA de l’ADDEAR12 s’est porté sur le groupe du plateau du Larzac, militant, mais surtout ayant fait écho de ses préoccupations ou de ses démarches pour la transmission.
Entre Novembre 2014 et Juin 2015, six journées ont été autant d’occasion d’observer un groupe de militants historiques de la lutte contre l’extension du camp militaire du Larzac et à l’origine de la CP dans la construction de leur projet de transmission.
Les cédants atypiques du « groupe Larzac »
Le groupe est constitué de paysans et de paysannes du plateau du Larzac et a été rejoint en cours de parcours par deux paysans « hors Larzac » héritiers de fermes familiales. Patrick, stéphanois, 61 ans, s’est installé hors-cadre familial après un BTS agricole et quelques années de salariat à Lodève. Avec Anne, sa compagne, ils sont éleveurs de brebis viande en bio et en vente directe sur une ferme quasiment autonome. La plupart des terres est en fermage à la SCTL, mais leur maison leur appartient. Ils sont en train de transmettre à leur fils, Frédéric, 34 ans. Ce qui inquiète Patrick, c’est la période de transition avant la retraite d’Anne où ils vont devoir travailler à trois sur la ferme. Anne, iséroise, 58 ans, a peur de la communication entre son mari et son fils au sein de ce GAEC familial.
Jean-Paul Scoquart, 59 ans a été électricien puis moniteur-éducateur en région parisienne. Il allait souvent en vacances chez ses grands-parents qui étaient fermiers. Il est éleveur ovin viande en bio. La ferme est en fermage. Seul sur l’exploitation, sa compagne travaille à l’extérieur et aucun de ses enfants ne souhaite reprendre la ferme. Il commence à chercher un repreneur et se dit assez optimiste. Noëlle, 58 ans, est en GAEC ovin viande avec son compagnon depuis 23 ans. Elle est fille et petite-fille de paysans. Ils sont passés de la production de lait à la production de viande à cause de l’autoroute qui a limité la vente directe. En pleine transmission, son conjoint a pris sa retraite et un jeune est l’a remplacé et essaie de développer la vente directe. La maison est sur la SCTL donc à la retraite de Noëlle dans deux ans, il faudra quitter la maison et les terres.
Le décalage avec son compagnon n’est pas facile à gérer pour les projets de retraite. Leurs deux filles ne sont pas intéressées pour reprendre la ferme.
Francine, 56 ans, originaire de Champagne, elle est arrivée sur le Larzac à 17 ans pour être bergère. En GAEC avec son compagnon, fermiers de la SCTL et du GFA du Larzac, ils sont éleveurs ovin-viande et n’ont pas d’enfants. Ils sont propriétaires de la maison. L’idée serait de transmettre l’outil en entier. Sinon il faudra démanteler la ferme et remettre en location les terres de la SCTL.
Christian est arrivé en 1975 sur le Larzac comme objecteur de conscience. Après avoir occupé des fermes pendant quatre ans, il a fait une formation pour obtenir la DJA et s’installer en ovin viande. Après plusieurs GAEC, il s’est installé seul. Célibataire et sans enfants, il se fixe comme objectif de travailler jusqu’à 65 ans pour couvrir le prêt de sa maison. Fermier de la SCTL, du GFA Larzac et de trois propriétaires privés, il n’est pas autonome en fourrage pour nourrir ses deux-cents brebis. Bien qu’intéressé pour transmettre son outil de travail, la transmission lui semble compromise à cause de ce problème d’autonomie.
Claudia, 59 ans, Allemande, a été exploitante avec son compagnon avant de s’installer seule sur le Larzac avec ses chèvres angora. Une expérience de transmission qui s’est soldée par un échec a été très difficile à vivre émotionnellement. Elle dit aujourd’hui ne pas avoir la force de mettre de l’énergie dans une transmission. Elle réfléchit à créer un fond agrico le et partir, quitter le lieu et l’activité. Ou n’accompagner qu’une fois le repreneur engagé. Fermière d’un propriétaire privé, elle souhaite transmettre à sa juste valeur son activité, cheptel, stocks et clientèle comprise.
Un rapport à la propriété atypique : le laboratoire foncier de la SCTL
Les thèmes des journées ont été discutés lors d’une première journée de préparation du cycle. Deux journées avec un psychosociologue sur les aspects humains de la transmission, une journée avec un conseiller MSA , une journée avec l’AFOCG Quercy et une journée avec une juriste . La proposition de l’intervention de Terre de Lien sur le foncier a cependant été rejetée car la plupart des terres des paysans présents se situent sur la SCTL, la Société civile des terres du Larzac. La mise à disposition des terres du Larzac par l’Etat aux paysans et aux habitants du plateau le 29 avril 1985 a concrétisé la fin de la lutte contre l’extension du camp militaire en juin 1981. Conclue par un bail emphytéotique entre l’Etat et la SCTL, l’utilisation de l’espace à des fins agricoles est assurée pour une durée de 99 a ns. Suite à ce transfert de responsabilité, la SCTL assure toutes les charges de propriétaire, à l’exception du droit de vendre. La SCTL est constituée de tous les fermiers et résidents est administrée par un conseil de gérance de onze membres. Il attribue les exploitations, fixe les montants des baux ruraux et élabore les règles de gestion entre les différents usagers du foncier (agriculture, chasse, tourisme, etc.). En contextualisant les origines de la SCTL, le groupe de cédants exprime tout au long de la formation et aux différents intervenants que la gestion collective de l’usage de la terre était non seulement souhaitable mais possible. En permettant de revitaliser les fermes et de favoriser l’installation en fermage avec des baux de carrière, la SCTL préfigure les outils qui pourraient voir le jour pour lutter contre la désertification et l’artificialisation des terres.
Cette particularité a conditionné un certain rapport à la transmission. Lors de la journée avec l’AFOCG, les cédants ont étonné l’animatrice par leur conception optimiste de la transmission. Ils évoluent dans une dynamique d’installations agricoles à part et ils en ont bien conscience.
Des néo-ruraux, néo-agriculteurs, néo-Aveyronnais…
Les cédants de ce groupe se qualifient de « néo ». Lors de la première journée avec le sociologue, ils se sont tous présentés par l’écart qu’ils considéraient avoir avec le monde agricole aveyronnais. Picards, Grenoblois, Stéphanois, Allemands, Parisien ou Bourguignons, à deux exceptions près, ils ne sont pas aveyronnais. Même s’ils ont été socialisés dans des milieux plutôt ruraux ou agricoles pendant leurs vacances ou avec leurs grands-parents, ils sont plutôt issus de milieux urbains.
Ils se démarquent aussi en termes d’installation. Arrivés pour soutenir la lutte, ils ont commencé par occuper des fermes, à les réhabiliter ou à aider des paysans en lutte. Ils ont tous choisi un élevage non destiné aux laiteries de Roquefort comme c’était le cas de la grande majorité des installations. Ils se sont installés pour élever des brebis, certes mais pour la viande ou pour une coopérative laitière indépendante, les Bergers du Larzac . La particularité de l’élevage de chèvres angora pour la laine mohair est particulièrement originale.
Malgré cette affirmation de leur différence, tous ont cherché à légitimer leur installation en agriculture. Attirance pour la nature ou les animaux, souvenirs d’enfance dans la ferme des grands-parents ou véritable vocation, le choix du métier d’agriculteur n’a pas été laissé au hasard.
Des militants
Tous sont adhérents à la CP comme ils l’ont été aux Paysans travailleurs. Associé avec José Bové, porte-parole de la CP, membre des bureaux de l’ADEAR12, de l’AFOCG ou de la CP, membre du conseil de gérance de la SCTL, membre des coopératives laitières ou lainière, de groupements de producteurs ou d’employeurs, le groupe est indéniablement engagé.
Le collectif caractérise cet engagement. A plusieurs reprises pendant la formation, ils ont reformulé les termes traditionnels de la transmission ou de l’exploitation agricole. Lorsque la capitalisation matérielle et financière de l’agriculteur au cours de sa carrière a été évoquée, cela a été reformulé en termes de réseau humain tissé au cours d’une vie. Concernant la transmission, cela n’est pas tant la capacité agricole ou économique du repreneur qui préoccupe les paysans, mais les affinités.
Lors de l’intervention des AFOCG, c’était le coût de la transmission qui était en question. Le coût financier et ce qui concerne les démarches dossiers et les expertises, mais aussi ce qui est en jeu en termes d’émotions, d’énergie et de satisfaction. C’est à ce sujet qu’il y eut le plus d’interrogations prononcées. L’animatrice présentait les aspects « coûteux » de la transmission lorsqu’il s’agit de faire le deuil de son exploitation, de construire d’autres projets, de mettre de l’énergie dans un tuilage, de passer du temps dans les négociations, à faire des choix… Choix qui peuvent se solder par une dépense supplémentaire d’énergie dans la frustration de ne pas transmettre ou dans les désaccords familiaux par exemple.
Une thématique sensible
Deux journées du cycle de formation sont consacrées aux aspects relationnels de la transmission. Jean-Paul a évoqué les échecs humains dans des tentatives de travailler en association qui suscitent un certain nombre d’inquiétudes à l’idée de transmettre. Francine, la plus jeune du groupe a dit avoir le sentiment d’avoir du temps. Anne et Patrick, en cours de transmission avec leur fils ont exprimés leurs difficultés d’adaptation au travail à trois et à inclure leur fils dans le GAEC. Claudia est revenue sur la précédente journée qui lui avait fait prendre conscience de sa colère, de la compréhension de celle-ci et de la peur de revivre un échec de transmission. De la peur aussi de lâcher son métier qui est sa vie. Noëlle a vu son projet de transmission bouleversé par la séparation du couple à qui elle devait transmettre. Christian a été contacté par le fils d’un voisin avec qui il avait été en conflit. Ce jeune homme voudrait reprendre les terres de Christian à son départ à la retraite, ce qui a initié un dialogue et impliqué Christian dans son projet de transmission.
Cette journée était axée sur ces évolutions afin de mieux aborder concrètement les difficultés rencontrées. Les affinités, les compétences, les moyens économiques, la culture, la vision, et l’écologie du projet du repreneur sont autant de critères qui permettent la transmission. Par exemple, la séparation du couple de repreneurs remet en question la transmission de Noëlle. Le formateur a évoqué l’attitude procratinatrice des cédants quant à la transmission due à leur peur de lâcher leur vie sur leur ferme. Christian et Patrick ont reconnu avoir peur de perdre les relations sociales liées à sa ferme, le syndicalisme et le groupement de producteurs. Claudia et Francine tiennent à leur troupeau, Noëlle à son jardin, Anne aux agnelages…
Malgré les apports très techniques de la formation, nous avons pu observer des considérations tout-à-fait humaines inhérentes à la transmission. Le sujet se trouve parfois en conflit, parfois en accord avec les engagements des uns et des autres, mais c’est toujours le cas personnel et subjectif qui prime. Les discours militants sont assez peu audibles et c’est principalement les émotions, les inquiétudes, par rapport à la famille, au couple, ou encore au projet de retraite qui sont confiées.
Au terme de ces observations, nous pouvions affirmer l’intérêt des paysans rencontrés pour la transmission. Plus qu’un attrait pour les discours militants, nous avons pu percevoir une préoccupation personnelle pour leur propre transmission.
Les observations ont certes été menées par un prisme militant de la CP, c’est une démarche très personnelle qui a conduit les paysans observés à participer à ces événements. Marc Pion raconte l’histoire de son engagement à travers son expérience. Il agrémente son récit d’anecdotes qui, mises bout à bout ont constitué les raisons de l’évolution de sa pensée et de ses pratiques. A Saint-Laurent-d’Olt, le territoire est historiquement et culturellement éloigné de la CP. Et pourtant, le café-transmission organisé par l’ADDEAR12 a mobilisé une cinquantaine de paysans. Nous en déduirions que la transmission est un thème transversal qui préoccupe les paysans au-delà des clivages syndicaux politiques. C’est le même constat pour le café-transmission de Ségur. Etaient présents nombre de sympathisants de la CP, mais aussi des paysans simplement inquiets de leur propre suite. En ce qui concerne la formation à la transmission avec le noyau de paysans du Larzac, l’identité militante des paysans ne semblait pas faire de doute. Pourtant, nous avons peu recueilli de propos à caractère syndical. Ce sont principalement des inquiétudes, des émotions ou des désirs quant à la famille, au couple, au projet de retraite qui ont été formulés.
Ces observations laisseraient à penser la transmission comme une préoccupation affective et transversale. C’est pourtant ce biais militant que nous désirions approfondir. Evoluant au sein de l’ADDEAR12 dans une recherche de sensibilisation au thème de la transmission comme enjeux du maintien d’une agriculture paysanne, nous faisions toujours l’hypothèse à cette étape de la recherche que la transmission prenait racine dans le terreau militant de la CP.
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Table des matières
Remerciements
Sommaire
Introduction
Chapitre I. La transmission des fermes en Aveyron : un terrain engagé
Section I : Des catalyseurs de la militance paysanne à la transmission
I ) Du positionnement politique à la transmission
II ) Se former à transmettre : la démarche atypique des paysans du Larzac
Section II : Un milieu paysan militant aveyronnais hétéroclite
I ) Rencontrer les paysans militants aveyronnais
II ) Variations sur la militance à la CP
Chapitre II. Transmettre pour militer ou militer pour transmettre ?
Section I : Insaisissable transmission
I ) La difficulté des entretiens et la pudeur des paysans
II ) Des conceptions différenciées de la transmission
III ) Lexique militant ou déperdition idéologique dans l’acte ?
Section II : Le temps de la transmission
I ) Le choix de l’élu
II ) La transmission comme construction sociale : la désignation d’une place
III ) Une vocation de génération en génération ?
Section III : Accepter d’être endetté ou s’entêter à transmettre
I ) La rupture de la chaine de transmission : les pressions actuelles
II ) La Confédération paysanne, s’engager à « juste » distance
III ) Au-delà des normes
Conclusion
Sources
Annexes
Table des matières
Résumé
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