LA DIFFICILE MISE EN OEUVRE D’UNE POLITIQUE DES TERROIRS AU QUÉBEC: 1996-2006
BILAN DE LA LITTÉRATURE
Cette première section se veut un bilan de la littérature sur laquelle s’appuie notre démarche. Nous nous intéressons d’abord à la façon dont différents auteurs abordent le rôle que peut jouer le terroir dans la construction identitaire d’une communauté et des individus qui la composent. Ce faisant, nous abordons le terroir en tant qu’espace social et patrimonial qui mérite d’être reconnu et protégé par les biais des produits qui en proviennent et qui révèlent la spécificité de ce territoire. Ensuite, nous verrons comment la notion de terroir participe au développement économique des territoires ruraux. Plusieurs communautés perçoivent en effet la notion de terroir comme un important levier de développement puisqu’ elle favorise une diversification des productions agricoles en plus de pérenniser ces activités sur le territoire. C’est par le truchement des appellations d’ origine qu’il devient possible de valoriser économiquement ces productions avec des critères de qualité et de différenciation. Dans un contexte de mondialisation et de délocalisation des productions agricoles, la mise en valeur des terroirs représente un outil privilégié de développement local et durable en plus de répondre aux attentes de nombreux petits producteurs et à la perte de repères des consommateurs. Le terroir répond donc à une demande sociale émergente, mais bien réelle.
Procédons d’abord par un bref historique de l’emploi du « terroir» puisque cette notion, en débat perpétuel, est souvent utilisée dans la littérature, sans être jamais clairement définie. À l’origine, le mot « terroir» est dérivé du latin classique territorium. Il désigne un pays, un espace de terre. Il est utilisé en France depuis le Moyen Âge dans le domaine de la viticulture pour qualifier un sol par ses aptitudes agricoles 7. Toutefois, le sens donné à la notion de terroir évolue constamment. Son acception actuelle remonte au début du vingtième siècle, alors qu’est créée en France la première loi sur les appellations d’origine contrôlées (AOC) en 1919; elle sera officiellement adoptée en 1935. Selon l’ethnologue Claire Delfosse: « le terme « terroir» n’apparaît pas en tant que tel dans les loi de 1919 et de 1927, où il est simplement fait état d’ « aire de production », ni dans la loi de 1966 où il est question de « milieu géographique comprenant des facteurs naturels et des facteurs humains », mais le contenu défini à travers toute la réflexion et associé à la notion de petit pays, de région est bien là, en dormance8 ». En l’absence de définition claire et précise, ce terme fait l’objet d’une utilisation excessive et « s’apparente parfois à un « mot-valise », cachant la diversité des relations au lieu, en France et ailleurs9».
Avec les nouvelles préoccupations sociales de développement durable et de protection de l’environnement et des paysages, le terroir prend une place de plus en plus importante dans les discours ruralistes, et une demande apparaît pour rendre applicable le terme à l’extérieur de la France. L’association Terroirs et Cultures s’est penchée sur ce problème et a proposé en 2005 une charte des terroirs dans laquelle elle expnme une urgence d’agir afin de promouvoir et protéger les terroirs qui sont considérés comme une « alternative à la standardisation et à l’uniformisation des produits alimentaires, de certains produits d’origine artisanale ou de service ainsi que des paysages IO». Une proposition de définition est donc élaborée par un groupe de travail provenant conjointement de l’Institut national de l’origine et de qualité (INAO) et de l’Institut national de recherche agronomique (INRA). Le terroir y est défini ainsi: [ … ] un espace géographique délimité défini à partir d’une communauté humaine qui construit au cours de son histoire un ensemble de traits culturels distinctifs, de savoirs, et de pratiques fondés sur un système d’interaction entre le milieu naturel et les facteurs humains. Les savoirfaire mis en jeu révèlent une originalité, confère une typicité et permettent une reconnaissance pour les produits ou services originaires de cet espace et donc pour les hommes qui y vivent. Les terroirs sont des espaces vivants et innovants qui ne peuvent être assimilés à la seule tradition II.
La construction identitaire par le terroir
La notion de terroir est souvent liée dans la littérature à la notion d’identité. Le sentiment d’appartenance envers un lieu est un phénomène universel où se croisent l ‘identité ind~viduelle et collective, et le territoire habité. Pour le sociologue Stéphane Cartier, « chaque terroir est [ … ] porteur d’une image qui associe hommes et milieu. Issues du regard que portent les ,hommes sur l’ensemble population-milieu physique, les évolutions de cette image influent sur son devenir I3 .» L’identité, tout comme le terroir, n’est donc pas figée dans le temps et se reconfigure au cours de l’histoire d’une société, d’une communauté. Selon Laurent Deshais, « [l]a question identitaire déborde la notion d’image et repose sur une appropriation par le groupe de son passé et de son avenir. En ce sens, le sentiment d’identité est un processus à long terme où mémoire et projet s’harmonisent pour dynamiser une société 14».
La notion de terroir en tant qu’espace social permet cette construction identitaire tant pour le producteur que pour les habitants de cet espace alors que ces derniers peuvent développer un sentiment d’appartenance à leur terroir par le biais des produits qui en font la renommée. Le sentiment d’appartenance doit toujours être renouvelé au fil du temps afin d’assurer la survie des communautés. Les liens qui unissent les hommes à leurs territoires sont complexes et renvoient à des représentations qui permettent aux membres d’une collectivité de développer une identité culturelle qui leur est propre. Cette construction identitaire par le territoire s’effectue dans les deux sens, car « … si le territoire produit du culturel [ … ], le culturel produit en retour du territoire: par l’usage d’emblèmes, de symboles, le culturel permet de s’ approprier un espace, de transmettre une appartenance territoriale constitutive de l’identité collective et/ou individuelle’ \> .
Dans cette optique, le terroir se voit attribuer une valeur patrimoniale qui contribue au développement de cette identité territoriale. « Le patrimoine aurait alors une véritable force de cohésion sociale et de cohésion spatiale. Non seulement il donne une identité au territoire, mais bien plus, il le légitime comme territoire. ‘6» Cette construction identitaire passe par la reconnaissance par la communauté d’un patrimoine collectif qui la distingue des autres. « Comme tout particularisme, toute singularité, l’ esprit de terroir manifeste donc un repli des individus et des groupes sur eux-mêmes, en même temps qu’ il les aide à se constituer et à se développer. ‘7» Partant, les produits de terroir, par leur valeur patrimoniale, permettent à une collectivité de s’ identifier au territoire qu’ elle occupe autour d’une production qui la représente et qui lui permet, par le fait même, une reconnaissance extérieure. Pour être reconnue, cette identité doit sortir des frontières du territoire.
Cette reconnaissance passe par « [l]a patrimonialisation [qui] opère un glissement de statut, faisant passer des produits appartenant à une culture rurale à des produits d’excellence reconnus par la ville I8». La popularité et la réputation des produits de terroir sont souvent tributaires de cette patrimonialisation. En associant une production agricole à un milieu physique spécifique et à des savoir-faire locaux souvent issus de pratiques ancestrales, nous supposons une qualité et une authenticité aux produits de terroir. Le produit de terroir prend en quelque sorte la forme d’une incarnation du territoire et génère une reconnaissance qui dépasse les limites du terroir même.
Cette reconnaissance d’un produit passe généralement par l’obtention d’une certification, comme l’ appellation d’origine. Ce processus de certification vient mettre en lien le terroir et la communauté qui l ‘habite. «Cette lectures [sic] patrimoniale des appellations [ … ] rejoint le terroir dans sa dimension symbolique, le territoire comme témoin d’une culture et d’une histoire (coutume, patrimoine bâti, produits). Si les qualités intrinsèques du produit proviennent du terroir physique et des savoir-faire locaux, sa qualité symbolique provient de cette dimension patrimoniale du terroir 19 .» En revanche, pour Laurence Bérard et Philippe Marchenay, la construction identitaire autour d’un produit de terroir est tout de même antérieure à sa patrimonialisation: « [ à] l’occasion de leur consommation se trouvent mêlés de façon confuse identité, attachement et préférence gustative façonnant des cultures alimentaires qui préexistent à la patrimonialisation de ces produits20». La reconnaissance d’un produit par le processus de labellisation permet en outre de confirmer l’authenticité du produit et de légitimer le terroir d’où il provient
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Table des matières
RÉSUMÉ
REMERCIEMENTS
TABLE DES MATIÈRES
LISTE DES TABLEAUX
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 LA PROBLÉMATIQUE DE RECHERCHE
1.1. BILAN DE LA LITTÉRATURE
1.1 .1. La construction identitaire par le terroir
1.1.2. Le terroir comme outil de développement économique
1.2. OBJET DE RECHERCHE, QUESTIONS ET HYPOTHÈSES
1.3. LES MOYENS D’ENQUÊTES
1.4. PLAN DE L’ÉTUDE
CHAPITRE 2 L’ÉMERGENCE DE LA NOTION DE TERROIR AU QUÉBEC
2.1. L’ÉVOLUTION DU MONDE RURAL QUÉBÉCOIS DEPUIS 1980
2.1.1. L’entrée du complexe agroalimentaire québécois dans le XXIe siècle
2.1.2. Le paradoxe du monde rural: une agriculture dynamique dans des campagnes moribondes
2.1.3. La montée du libéralisme et le désengagement de l’État en agriculture45
2.2. LES ÉTATS GENERAUX DU MONDE RURAL
2.3. SOLIDARITÉ RURALE DU QUÉBEC ET L’APPARITION DE LA
NOTION DE TERROIR
CONCLUSION
CHAPITRE 3 LA DIFFICILE MISE EN OEUVRE D’UNE POLITIQUE DES TERROIRS AU QUÉBEC: 1996-2006
3.1 . LES PREMIÈRES ACTIONS GOUVERNEMENTALES
3.1.1. La loi sur les appellations réservées (A-20.0l)
3.1.2. Le projet pilote Agneau de Charlevoix
3.2. ARTICULER LA NOTION DE TERROIR DANS UNE LOI: LA REFONTE DE LA LOI A-20.01
3.3. ENCADRER OU NON L’UTILISATION DU TERME « TERROIR »
3.4. LE TERROIR: UNE APPELLATION OU UNE CATÉGORIE D’APPELLATIONS
CONCLUSION
CHAPITRE 4 LES PRODUCTEURS ET LA MISE EN PRATIQUE DE LA NOTION DE TERROIRS: LES FILIÈRES CIDRICOLES ET FROMAGÈRES
4.1 . LA FILIÈRE CID RI CO LE
4.1.1. Les notions de terroir chez les cidriculteurs
4.1.2. Les tentatives de réglementer la production du cidre de glace
4.1.3. L’IGP cidre de glace du Québec
4.2. LA FILIÈRE FROMAGÈRE
4.2.1. Les différentes formes de valorisation du terroir
4.2.2. L’usurpation d’identité: un enjeu de la filière fromagère
4.2.3. La reconnaissance d’un savoir-faire du cru : l’ utilisation du lait cru
CONCLUSION
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
1. SOURCES
1.1. Imprimés gouvernementaux
1.2. Mémoires et autres documents sectoriels
1.3. Articles de presse
ÉTUDES
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