La différenciation pédagogique : une gestion de la diversité

La didactique de l’oral

Nous avons vu que les enjeux de l’enseignement du langage oral sont nombreux et importants, tant pour la réussite scolaire que pour leur développement des élèves. La question qui se pose alors à tout enseignant est de savoir quel contenu doit être appris par les élèves et comment leur permettre de l’acquérir le plus facilement.
L’apprentissage du langage chez les enfants pré-scolaires (avant 3 ans) a été très étudié : les enfants apprennent à parler par interactions avec les adultes de leur milieu familial (Brigaudiot 2015, Canut & al 2013, Péroz 2013). Les interactions du petit humain (production de sons ou mouvements) donnent lieu à des interprétations verbales de ses parents. Rapidement l’enfant essaye de reproduire ces sons qu’il perçoit pour entrer en communication avec son entourage, d’abord en reproduisant la mélodie du flux oral, puis des sons. Le premier stade du développement de la parole est la production de mot-phrase : l’enfant utilise un mot pour signifier une phrase. Ce sont les parents qui interprètent et verbalisent la phrase entière. A partir de cette réception, l’enfant ajoute de nouveaux mots, de nouvelles constructions à ses productions orales.
L’acquisition du langage se poursuit ainsi dans l’interaction avec les experts, l’enfant émettant des tentatives linguistiques qui sont reprises ou reformulées par son interlocuteur. Naturellement, le parent s’ajuste au niveau de l’enfant, il intervient dans sa zone proximale de développement. C’est- dire que l’environnement propose un apprentissage juste assez difficile pour que l’enfant apprenne, mais sans être en dehors de sa portée pour qu’il puisse s’en saisir. L’enfant entend donc ces informations et peut ensuite réaliser de nouvelles tentatives jusqu’à maitriser certains emplois ou certaines constructions sans l’aide de l’adulte expert. C’est un long travail cognitif de tâtonnements régulés par l’adulte en relation duelle qui permet au petit enfant d’apprendre à parler (Canut & al., 2013). Ce modèle acquisitionnel n’est pas réalisable dans une classe car les enfants y sont nombreux et l’enseignant ne peut consacrer suffisamment de temps à chaque enfant individuellement pour les faire tous progresser.
Néanmoins, ces reprises-reformulations-enrichissements de l’enseignant seront réalisés en classe, non pas individuellement, mais collectivement. Dans tous les temps de la journée, formels ou informels, le professeur des écoles proposera ces reprises ou reformulations aux élèves afin de leur permettre d’entendre des emplois, des constructions ou du lexique nouveau. C’est également par ce biais qu’ils continueront à construire leur compétences linguistiques (Brigaudiot, 2015).
L’enseignement qui a lieu en classe doit donc porter sur des usages du langage favorisant une prise de distance sur la production orale. Il doit permettre, pour reprendre la terminologie de Bautier (2002), aux élèves de passer de la fonction significative à la fonction suggestive, ce que l’auteure explicite en « parler à propos de » (Bautier, 2016 p. 4). Il faut que par leur discours les élèves puissent prendre une certaine distance qui les amène à transformer leur rapport aux objets du monde, ce qui, nous l’avons évoqué, leur permet de se transformer eux-mêmes.
Ce passage du langage en situation au langage d’évocation (comme ils ont pu être nommés dans les programmes) est particulièrement visible dans les classes de maternelle lors de l’étude de récits. La première partie de la séance est consacrée à la lecture du récit et une seconde partie à une situation d’oral dirigé ou non. Lorsque l’enseignant lit un album en présentant les illustrations, les productions orales des élèves sont souvent des descriptions appuyées sur les images, des interventions brèves relatant un passage du récit. Lorsque le professeur des écoles ne lit que le texte, sans présenter d’images aux élèves, ces derniers racontent plus facilement l’histoire, les incompréhensions créent des débats, des conflits qui transforment le récit en objet de savoir. Le livre est étudié par les élèves qui se questionnent, proposent des explications (sur le sens d’un terme, sur le comportement d’un personnage ou sur le déroulement de l’histoire) et cherchent des solutions pour comprendre le texte.
Ils passent d’une position dans laquelle ils décrivent à une position de recherche de compréhension.
C’est cette différence de rapport à l’objet d’apprentissage qui incite Cèbe & Goigoux (2012) et Péroz (2016) à proposer des dispositifs, sur lesquels nous reviendront, de lecture uniquement orale.
Comme nous le rappelle Bautier (2016), l’apprentissage langagier ne porte pas uniquement sur la forme du discours : il faut que les élèves acquièrent de nouvelles pratiques langagières. Ainsi, le professeur des écoles doit mettre en place des situations d’apprentissage de nouvelles conduites discursives, ou de progresser dans celles-ci afin qu’ils passent d’un oral spontané à un objet d’apprentissage. Comme dans les autres domaines, il faut que les élèves s’appuient sur des connaissances construites auparavant (leurs représentations) et les fassent évoluer grâce à la situation que propose l’enseignant. A l’instar des autres enseignements, l’oral entraine pour l’élève une mise à distance qui l’amène à une activité de pensée réflexive sur sa production.
Nous avions mis de côté les aspects linguistiques (lexique, grammaire et syntaxe) car les recherches (Bautier 2016, Laparra 2012, Nonnon 2011) prouvent que ce ne sont pas ces apprentissages qui sont le facteur principal des difficultés scolaires. Néanmoins, la langue est un outil indispensable pour la suite de la scolarité des élèves mais aussi pour le développement de leur compétences langagières (Bautier 2016, Nonnon 2011). Afin de produire des énoncés plus longs, plus complexes ou plus précis, les élèves ont besoin d’outils qui leur permettent d’exprimer la complexité de leur pensée (Canut & al. 2013). Par exemple, lorsqu’un élève raconte une histoire, il a besoin d’employer des connecteurs temporels pour exprimer la succession des actions ; ou de connecteurs logiques pour expliquer des liens de causalité. Ces outils sont nécessaires pour produire un discours décontextualisé.
Nous l’avons précédemment évoqué, l’enseignant a un rôle important dans l’apprentissage de la langue. Tout d’abord, par la langue qu’il utilise : proposer des formulations, des emplois et des tournures nouvelles pour les élèves tout en se situant dans leur zone proximale de développement.
La régularité et la répétition de ces structures, mots ou usages, un peu plus compliqués que ce que connaissent les élèves mais sans l’être trop, leur permettent de s’en saisir à leur rythme (Brigaudiot, 2015). Les oeuvres littéraires offrent également de nouveaux éléments linguistiques aux élèves. Il s’agit là aussi de choisir des ouvrages dont la langue se situe dans la zone proximale de développement des élèves.
L’écoute seule ne suffit pas aux élèves pour acquérir de nouvelles compétences linguistiques. Pour que celles-ci se construisent il faut que les élèves produisent des essais, des tentatives, qu’ils les répètent. Comme pour tous les autres domaines d’apprentissage, la manipulation du langage est un processus fondamental de l’acquisition de nouveaux savoirs. Ainsi, les modalités des séances d’oral ne doivent pas être pensées sur le modèle « adulto-centré » (Péroz, 2013) dans lequel l’oral est une série de questions fermées n’entrainant que des réponses brèves ; il faut que le professeur des écoles se placent en retrait pour laisser parler les élèves. Il est nécessaire de laisser l’espace de parole aux élèves, les laisser réaliser des tentatives linguistiques, que l’adulte ou les pairs réguleront, afin que ces apprentissages se réalisent (Bautier 2016, Brigaudiot 2015, Nonnon 2011, Péroz 2013).
Le rôle des pairs est très importants dans les progrès linguistiques que peuvent faire les élèves. Le groupe CLEA (Comment Les Enfants Apprennent à parler à l’école maternelle) a analysé l’origine des reprises et des reformulations de termes évalués comme les moins connus des élèves, tel que des emplois peu courants ou un vocabulaire nouveau, lors de séances d’oral en petit groupe (Péroz, 2014). Les reprises des termes étudies proviennent dans plus de la moitié (55 à 66%) des interventions des élèves ayant introduits ces termes précédemment dans l’échange. Les reformulations proviennent soit des pairs, soit des locuteurs eux-mêmes, à part à peu près égale (environ 40% chacune). Cette recherche montre également la faible influence du texte lu aux élèves sur leurs acquisitions linguistiques : seulement 30% des reprises et 15% des reformulations ont pour origine le texte original. Ces résultats nous montrent d’une part l’importance pour l’apprentissage de la manipulation de la langue ; et d’autre part que les nouvelles acquisitions se construisent en interaction avec d’autres interlocuteurs.

La diversité des élèves

La diversité réside tout d’abord dans les différences qui existent entre chacun des individus, la psychologie différentielle a, par exemple, montré qu’il existe différents types de mémoire : visuelle, auditive, kinesthésique.
L’hétérogénéité, en terme de milieu socio-culturel d’origine, des classes telle qu’elle pose parfois question est liée à la massification de l’éducation en France. Lorsque les lois Ferry (1881 et 1882) rendent l’instruction obligatoire, l’enseignement est divisé entre le primaire et le secondaire. Le premier degré regroupait les écoles communales avec des populations les moins aisées et les moins éduquées alors que le secondaire accueillait des élèves issus des classes les plus favorisées et éduquées. Ces derniers étant proches du milieu scolaire avaient reçu, dès leur plus jeune âge, une éducation dont les codes et les exigences étaient proches de ceux de l’école (ceci persiste d’ailleurs encore aujourd’hui). Cette proximité facilitait la réussite scolaire et les élèves issus de ces couches de la population formaient une catégorie relativement homogène d’élèves qui entrent facilement dans les apprentissages et sont en mesure de réussir leur scolarité. Les élèves grandissant dans des familles plus éloignées du milieu scolaire n’ont pas les mêmes pratiques que celle de l’école comme nous l’avons par exemple vu avec le langage – ce qui implique que pour réussir leur scolarité, ces élèves doivent acquérir ces codes qui étaient et demeurent implicites dans l’enseignement.
Dans les années 1920, une première réponse à l’hétérogénéité apparaît avec l’Education Nouvelle (Houssaye, 2012). De nombreux pédagogues, tel que Montessori ou Freinet, innovent pour donner une place plus importante à la singularité des élèves. Ces courants pédagogiques modifient le fonctionnement de la classe pour favoriser la motivation des élèves et s’adapter au développement de chacun des enfants. Nous prendrons ici l’exemple de Freinet : afin de susciter de la motivation et de donner du sens aux apprentissages, il organisait des projets collectifs (imprimerie ou correspondance). Les élèves se rendaient compte en réalisant le projet qu’il leur manquait une notion, de grammaire par exemple, ce qui les motivaient à apprendre cette notion pour réaliser l’article de journal qu’ils souhaitaient écrire. Dans ce dispositif, le savoir prend sens dans les tâches qu’il permet d’accomplir : l’Ecole n’enseigne pas une accumulation de savoirs décontextualisés dont les élèves disent parfois « A quoi cela va-t-il me servir ? »
En parallèle les élèves avaient des « brevets » à valider, c’est-à-dire des compétences à acquérir en fonction de leurs connaissances personnelles. Cette organisation articule donc un projet collectif mobilisateur et une progression individualisée.
Les deuxième et la troisième vagues de massification ont lieu avec d’abord la reforme Berthoin (1959) qui fusionne le primaire et le secondaire avant 11 ans ; puis avec celle de Haby (1975) qui crée le collège unique : tous les élèves suivent le même cursus de 11 à 15 ans. Il résulte de ces reformes que les élèves de milieux socio-culturels différents, autrefois séparés en école communale et petit lycée, se retrouvent dans les mêmes classes de 6 à 15 ans. Les classes deviennent alors constituées d’élèves provenant de divers milieux familiaux. Les pratiques enseignantes n’évoluant pas immédiatement, un certain nombre d’élèves se retrouve en difficulté et même jusqu’en échec scolaire.
C’est à cette époque que se développe la pédagogie par objectif : à chaque séance correspond un objectif d’apprentissage supposant des pré-requis. Si l’élève ne les a pas acquis, du soutien est mis en place (Houssaye 2012, Meirieu 1996).
Cette pédagogie prend en compte la diversité des élèves, propose une prise en charge de la différence en la traitant à part, à l’extérieur du groupe. Bien qu’il existe une autre solution (que nous allons évoquer) ce sont les dispositifs d’aide, de soutien, de tutorat que nous avons pu voir se multiplier dans l’institution scolaire. Ces dispositifs externalise la différence qui est gérée à l’extérieur de la classe et du groupe.

La différenciation pédagogique : une gestion de la diversité

La seconde réponse pédagogique à la diversité apparaît à partir de la seconde moitié des années 80 : la différenciation pédagogique. Dans la lignée de l’Education Nouvelle et en s’appuyant sur la méthodologie de la pédagogie par objectif et sur le socio-constructivisme, ce courant propose une approche différente de l’hétérogénéité : la diversité est un atout pour faire apprendre les élèves et il faut en tirer profit pour que tous puissent progresser.
Pour un enseignant, s’inscrire dans la différenciation pédagogique, c’est renoncer aux représentations du professeur savant qui transmet ses connaissances aux élèves selon le modèle magistral (Houssaye 2012, Meirieu 1996, 2013, Perrenoud 1992). Il s’agit d’adopter une posture de guide, celui qui aide les élèves à parcourir le chemin des apprentissages. Donc organiser des situations au sein desquelles les élèves vont construire leurs savoirs.
Les élèves étant différents, l’enseignant doit varier les entrées (inductive, déductive, analogique), les supports (texte, image, papier, numérique), les modalités d’organisation (travail individuel, en petit groupe, en collectif) pour que tous les élèves rencontrent des situations qui leur correspondent et qui par la répétition leur permettront d’identifier les conditions de travail idéales pour eux.
Le « pédagogue » (Meirieu 1996, 2013) doit constituer un groupe dont les membres puissent communiquer, échanger et apprendre ensemble. A l’instar de Freinet, il devra organiser des projets mobilisateurs qui vont réunir les élèves, leur donner le sentiment d’appartenir à un groupe qui partage un objet commun : ce projet. Celui-ci doit évidemment être source de motivation pour que les élèves s’y investissent ainsi que dans les apprentissages qui y sont lié.
La différenciation pédagogique s’inscrivant dans le courant socio-constructiviste, il est important que les situations didactiques proposées permettent aux élèves de construire leurs apprentissages en essayant, en se trompant, en s’adaptant et en trouvant finalement la procédure adaptée. L’erreur fait donc partie de l’apprentissage, elle en est même une composante importante. Pour que les élèves se sentent libres de tenter des procédures et de se tromper, l’environnement doit être bienveillant. Ils ne doivent pas être jugés ou dévalorisés dans leurs essais, pour pouvoir laisser l’ensemble de leur capacités se déployer.
Ce cadre doit être, pour reprendre la terminologie psychanalytique, « sécure » (Brigaudiot 2015, Meirieu 1996). C’est-à-dire un environnement contenant et sécurisant d’un point de vue affectif.
L’enfant doit sentir que son bien-être est pris en compte, que son intégrité physique, mentale ou émotionnelle ne sera en aucun cas attaquée. L’enseignant, d’autant plus en maternelle où les élèves sont jeunes, est le garant de cette sécurité indispensable si l’on souhaite que les élèves puissent s’engager dans les apprentissages. Un élève en souffrance, anxieux ou inquiet n’aura pas la disponibilité psychique pour s’engager dans une activité scolaire et encore moins pour se transformer en apprenant.

Recueil des données

Notre recherche s’est déroulée sur trois semaines, à raison de deux séances par semaine, avec un groupe de treize élèves de moyenne section dans une classe à triple niveau TPS/PS/MS (Toute Petite Section, Petite Section, Moyenne Section). Plus des deux tiers de ces élèves viennent de milieux socio-culturels favorisés ou très favorisés. L’un d’eux est en situation de handicap pour un retard de développement du langage et une AESH (Accompagnante d’Elève en Situation de Handicap) est avec lui lors des temps scolaires. De plus, une autr était allophone à la rentrée scolaire, elle était dans une conduite d’opposition allant jusqu’à refuser de s’exprimer oralement avec les adultes (alors qu’elle parlait aux autres enfants). Elle n’a pas participé directement à ces séances mais elle était toujours située à proximité afin de pouvoir entendre le récit et ce que disaient ses camarades.
Pour que les séances se déroulent dans des conditions propices aux séances d’oral en groupe réduit, le temps de la sieste des toute petite et petite sections a été choisi. Celui-ci présente l’intérêt de profiter d’un temps de classe en effectif réduit, avec donc moins de bruit et de distraction que pendant les autres temps de la journée. Néanmoins, lorsque les plus jeunes sont à la sieste, les élèves de moyenne section sont très agités, dissipés et ont des difficultés à s’investir dans les tâches scolaires. Pour deux d’entre-eux, les démarches de prises en charge spécifiques (réseau d’aide et prise en charge extérieure) ont débuté. Par conséquent, les séances ont été interrompues brièvement (30 secondes à une minutes) plusieurs fois pour centrer les élèves sur l’activité ou obtenir le calme des élèves en autonomie, comme l’on peut le voir sur les transcriptions en annexe 1.
Lors des deux premières semaines le choix a été de conduire les séances avec des groupes de six élèves, l’effectif moyen des groupes étant neuf pour la recherche du groupe CLEA (Péroz, 2016).
Pour réduire les perturbations des élèves ne participant pas à la séance, l’effectif des deux dernières était de douze. Ainsi, tous les élèves étaient concernés en même temps.
Nous avons choisi le conte Le loup et les sept chevreaux(annexe 2) comme support de ces séances pour plusieurs raisons : c’est un conte traditionnel issu de la culture orale et est donc adapté au contage ; il s’intégrait à un projet pédagogique sur la figure littéraire du loup ; et sa longueur et sa difficulté étaient adaptées aux élèves composant le groupe.

Les données

Pour cette recherche, nous reprendrons une partie des critères de l’étude qui a mené à la conceptualisation de ce dispositif. Nous analyserons l’occupation de l’espace conversationnel (répartition des interventions enseignant-élèves), la longueur des interventions, l’emploi des temps verbaux et la présence des connecteurs temporels et logiques. Nous profiterons également de la taille réduite du corpus pour analyser la dynamique de trois situations.
Les séances transcrites sont la première, la troisième et la dernière séance afin d’identifier une éventuelle évolution des critères étudiés.

Analyse des résultats

Notre corpus étant limité, nos résultats ne sont pas généralisables et sont même discutables comme nous l’avons précédemment vu. Les regroupements de données des trois séances donnent des pistes un petit peu plus précises en éliminant une partie de l’aspect aléatoire des situations. Nous émettrons des hypothèses qui expliquent ces résultats et tenterons de proposer des pistes d’amélioration pour la mise en place future de ce dispositif.
Nous aborderons tout d’abord l’augmentation de la place prise par l’enseignant. Ces prises de paroles plus nombreuses et plus longues pourraient en être partie responsables de la diminution de l’emploi des temps du passé et notamment de l’imparfait, ainsi donc que celle des connecteurs. L’espace laissé aux élèves est essentiel pour le déploiement des conduites discursives : un exemple issu de la première séance nous semble très bien illustrer l’effet qu’ont les interventions trop nombreuses de l’enseignant.
Lors de la dernière séance, nous avons remarqué qu’Osman, un élève issu d’un milieu socio culturel éloigné de l’école et qui est en difficulté dans les situations de langage, a répété à de nombreuses reprises des citations du texte (157, 204 ou 198 par exemple). Nous faisons l’hypothèse que ces reprises sont une première étape dans la compréhension et la mémorisation du récit. Avant d’être en mesure de reformuler avec ses propres mots le texte, il mémorise des passages importants (la fin de l’histoire) dont il se souvient. Ce mécanisme serait le point de départ de la construction de la représentation mentale du récit. Grâce aux échanges avec ses pairs, il pourrait au fil des séances reformuler ou paraphraser le texte ; pour ensuite, être capable d’articuler les événements entre eux.
Ceci nous invite à penser que le travail sur un texte ne peut se faire uniquement sur trois ou six semaines. Afin que les élèves aient le temps de construire des représentations mentales du texte qui leur permettent de pratiquer le langage. Le récit sélectionné par l’enseignant devrait être alors étudié pendant un trimestre ou un semestre.
En présentant le contexte dans lequel nous avons réalisé cette recherche, nous avons parlé d’un enfant en situation de handicap qui a un retard dans le développement du langage. Lorsque les séances ont eu lieu, il commençait à produire des phrases de deux à trois mots. Il ne s’exprimait qu’en situation duelle ou en très petit groupe (trois à quatre personne), à voix basse. La seule intervention qu’il avait réussi à faire seul devant le groupe classe était un mot qui représentait le titre d’une chanson qu’il aime beaucoup (et que la classe avait apprise).
Lors de la sixième séance, il a levé la main pour prendre la parole, puis il a parlé de manière inaudible. Le professeur des écoles, l’AESH et un élève ont essayé de lui dire qu’il n’était pas entendu et lui ont proposé des solutions (telles que dire à voix basse son énoncé à un adulte qui le répéterait plus fort), qui n’ont pas mené à l’expression de sa pensée à tout le groupe.
Cette situation nous semble très intéressante car elle met en évidence le cadre contenant et rassurant qui a été mis en place. L’environnement est « suffisamment bon » (pour reprendre le terme de Winnicott) pour qu’il se sente prêt à franchir cet immense pas pour lui. La réaction du reste du groupe, qui a attendu patiemment, dans le silence, qu’il trouve le courage de s’exprimer a probablement renforcé sa perception d’un cadre dans lequel il pourra s’exprimer librement.
L’instauration de ce cadre « sécure » dans lequel chacun peut s’exprimer sereinement sans être jugé ou moqué, est essentiel pour que les élèves entrent dans les apprentissages et particulièrement dans ceux des conduites langagières.
L’instauration des conditions adéquates des apprentissages est la première étape de la mise en place de tout dispositif pédagogique ; dont celui-ci. Nos résultats ne permettent aucune conclusion, si ce n’est que pour être efficace, le modèle polylogal requiert du temps, une répétition régulière qui permettra aux élèves d’investir petit à petit cet enseignement et de progresser ensemble.

Conclusion

L’apprentissage des usages langagiers est très important à l’école maternelle. Il permet aux élèves de structurer leur identité dans l’interaction avec autrui (Bautier, 2002), ainsi que leur pensée en effectuant le travail cognitivo-langagier pour l’exprimer (Bautier 2016, Nonnon 2011). Les pratiques langagières nécessitent une mise à distance du propos énoncé, celle-ci est nécessaire dans les apprentissages scolaires qui requièrent une décontextualisation des acquisitions afin de les transférer à d’autres situations (Bautier 20016, Bautier et Goigoux 2004, Nonnon 2011).
La langue (Bautier 2016, Nonnon 2011) fournit des outils indispensables à l’accroissement des compétences langagières, comme l’emploi de l’imparfait ou l’usage de connecteurs temporels, et logiques (Péroz 2013, 2016). Ce champs ne se suffit pas à lui-même pour développer le langage oral des élèves mais doit être enseigné en parallèle des conduites langagières (Brigaudiot 2015,Laparra 2012).
L’enseignement des conduites langagières ne peut se faire que par la pratique des élèves (Bautier 2016, Nonnon 2011). Le rôle de l’enseignant est alors de mettre en place des situations didactiques favorisant certains usages du langage. Cet apprentissage se déroule uniquement si l’enseignant adopte une posture en retrait pour laisser les élèves s’exprimer librement, en ayant la possibilité de répéter, reprendre, reformuler ou résumer. Ces actions participent à l’acquisition du langage et de la langue (Nonnon 2011, Péroz 2013, 2014, 2016).
Dans leur pratique professionnelle, les enseignants doivent prendre en compte la diversité des élèves composants les classes. La différenciation pédagogique est une approche pédagogique qui vise à transformer la diversité en avantage pour l’apprentissage des élèves (Houssaye 2012, Meirieu 1996, 2013, Perrenoud 1992). Le professeur adopte une posture de guide qui favorise la construction des apprentissages par les élèves à travers les situations qu’il propose. Il doit mettre en place une ambiance de classe « sécure » pour les élèves, leur permettant de s’investir sans risque dans les apprentissages (et leur transformation individuelle), dans laquelle l’erreur est une des étapes de l’apprentissage. Afin de lever les nombreux implicites scolaires (Bautier 2002, Bautier et Goigoux 2004, Nonnon 2011) qui pénalisent les élèves issus de milieu socio-culturels éloignés de l’Ecole, il explicitera les attendus et les acquisitions.
Nous avons mis en place un dispositif d’apprentissage du langage oral qui favorise les progrès de tous les élèves dans leur diversités et qui avait été proposé par le groupe de recherche CLEA (Péroz 2013, 2016). Ce dispositif organise des séances structurées selon le même format pour favoriser l’anticipation des élèves. L’enseignant lit un texte non illustré et incite les élèves d’abord à se remémorer collectivement le récit puis à s’intéresser aux personnages. Le professeur se tient en retrait et n’intervient que pour réguler l’échange.
Trois des séances d’un groupe de moyenne section ont été transcrites et analysées. Nos résultats semblent montrer que la position de retrait de l’enseignant est essentielle au déploiement du langage des élèves. Sans celle-ci, le dialogue s’accélère pour ne concerner qu’une minorité d’élèves qui donnent « la bonne réponse » et ne pratiquent donc plus d’usage langagier.
L’allongement et la complexification des énoncés qui s’opèrent avec les temps du passé et notamment l’imparfait, confirment que le dispositif favorise le production orale de récit. Nous avons également de forts indices permettant de penser que l’ambiance mise en place est suffisamment « sécure » pour que tous les élèves se sentent en mesure de prendre la parole.
Nous avons relevé des indicateurs de la présence du processus de reprise-reformulation qui confirmerait la place de ce processus dans les acquisitions langagières.
La taille de notre corpus et la durée de mise en place du dispositif ne permettent pas de réaliser de conclusions généralisables. Néanmoins, nous avons pu émettre des hypothèses qui pourraient indiquer que le modèle polylogal correspond à ce que nous souhaitions mettre en place. Mais cet enseignement ne porte ses fruits que sur un temps long (au moins une année scolaire).
Il faudra donc poursuivre ce format d’enseignement, en étudiant deux à trois textes par année scolaire, en s’assurant notamment que l’enseignant conserve une position en retrait. Ceci afin de participer au développement des compétences langagières des élèves.

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Table des matières
Introduction
Revue de le littérature
Les enjeux du langage oral
La didactique de l’oral
La diversité des élèves
La différenciation pédagogique : une gestion de la diversité
Le dispositif
Recueil des données
Les données
Analyse des résultats
Conclusion
Bibliographie
Annexe 1 : Transcriptions des séances de langage oral
Annexe 2 : Le loup et les sept chevreaux

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