La recherche dont il est fait état ici est motivée par un questionnement, dont le surgissement fut aussi rapide qu’abrupte : l’hétérogénéité des classes. Dans un premier temps, le thème de la pédagogie différenciée ne m’apparaissait pas dans toute son acuité. Bien au contraire, j’étais surtout soucieux de la structuration de mes cours qui se révélaient être des blocs monolithiques. Néanmoins, cette question s’est vite révélée centrale pour moi et a d’autant plus suscité mon intérêt qu’elle est à la jonction des problématiques d’hétérogénéité des manières d’apprendre et d’acquisition de l’autonomie. Je me rendis en effet très vite compte du caractère central de l’hétérogénéité des « niveaux scolaires »(si tant est que ceux-ci puissent être définis comme des entités à part entière) qui, plus qu’une simple hétérogénéité des résultats, rendait compte d’une hétérogénéité des stratégies d’apprentissages chez les élèves. C’est ce dernier point qui me semble le plus saillant dans mon travail de recherche et dans la volonté d’amélioration de mes pratiques pédagogiques en constante évolution. La tâche complexe constitue mon principal cadre de travail, car elle me semble particulièrement révélatrice des difficultés que rencontrent la plupart des élèves confrontés à la résolution d’une «tâche » dont l’issue n’est pas évidente a priori et qui nécessite en partie la mobilisation de ressources internes. A travers ces difficultés transparaît le plus souvent l’hétérogénéité du groupe.
Dans la perspective de la construction d’un socle de connaissances et de compétences communes à chaque élève et dans le cadre particulier de la tâche complexe, l’hétérogénéité semblerait de prime abord apparaître comme un écueil. Les pratiques de pédagogie différenciée apparaîtraient dès lors comme des dispositifs pédagogiques permettant de pallier les difficultés manifestes des élèves en s’appuyant précisément sur une hétérogénéité des processus d’apprentissage et de compréhension.
Un cadre théorique reposant sur une approche socio-constructiviste
La tâche complexe, une situation pédagogique qui s’inscrit dans la filiation du socio-constructivisme et de l’approche par compétences
La tâche complexe peut être définie comme une tâche mobilisant des ressources internes (culture, capacités, connaissances, vécu…) et externes (aides méthodologiques, protocoles, fiches techniques, ressources documentaires…). La tâche complexe est une situation qui entend mobiliser les capacités de réflexion personnelle, de résolution de problèmes, de sélection des informations pertinentes chez l’élève. En ce sens elle constitue un exercice dense qui place les élèves dans une situation peu commune, si l’on s’en tient au cadre scolaire traditionnel, étant donné que les clés traditionnelles de résolution des problèmes en histoiregéographie (questions portant sur un corpus documentaire déterminé) ne sont plus à sa disposition. Lors de la tâche complexe, l’effort principal porte précisément sur l’aptitude chez chaque élève à résoudre la situation-problème en partie avec ses propres ressources.
Le caractère non évident de l’issue lors de la tâche complexe, est la principale pierre d’achoppement que les élèves doivent surmonter à l’aide des ressources internes et externes. De ce fait, la tâche complexe est particulièrement caractérisée dans sa réalisation, par une forte hétérogénéité, qui transparaît le plus souvent dans les réalisations des élèves. Les pratiques de pédagogie différenciée apparaissent dès lors comme un des principaux moyens de remédiation.
La tâche complexe s’inscrit dans la droite ligne des différentes approches socio-constructivistes en permettant aux élèves d’élaborer leur propre savoir, par le biais de ressources internes (l’ensemble des connaissances et compétences , qu’ils auront acquises précédemment) qu’ils mobilisent, et de ressources externes à leur disposition. La multiplicité des stratégies d’apprentissage est précisément ce qui caractérise les tâches complexes, lors de leur réalisation. Xavier Roegiers évoque d’ailleurs très clairement la situation-problème dans les termes suivants : « Dans le cadre scolaire, une situation-problème est une situation qui présente ce que Dalongeville et Huber (2001) appellent une déstabilisation constructive. Non seulement la déstabilisation est constructive, mais elle est également souvent construite dans la mesure où la situation-problème prend place dans une suite planifiée d’apprentissages.» Roegiers X (2007) (p.23). Cette affirmation de Roegiers corrobore avec une intelligibilité manifeste, la filiation dans laquelle s’inscrit le dispositif pédagogique des tâches complexes. Ce dispositif s’imbrique fondamentalement dans le cadre théorique socio-constructiviste, en ce qu’il repose sur cette pédagogie de la « déstabilisation constructive » évoquée par Roegiers.
Au demeurant, les tâches complexes s’inscrivent d’autant plus dans une logique constructiviste qu’elles s’appuient sur la mobilisation des ressources internes (savoirs et savoir-faire) et externes (documents, supports proposés pour permettre la résolution de la tâche complexe d’un élève), ainsi que sur leur articulation. Dans ce contexte, la nature et la quantité de ces ressources revêtent un caractère fondamental quant à l’effet déstabilisateur de la situation. Roegiers place également « la contextualisation », à savoir « le degré de proximité que l’élève entretient avec le contexte […] » au premier rang des critères dont dépendent la réussite des élèves. La nature des ressources internes à mobiliser est souvent protéiforme. En effet, celles-ci peuvent aussi bien relever d’éléments méthodologiques que de connaissances à mobiliser. Leur degré d’importance peut également varier. Certaines ont une importance capitale quant à la résolution de la situation problème, d’autres sont volontairement accessoires dans le but de permettre la mobilisation d’une ressource interne spécifique : la sélection d’informations pertinentes, dans le cadre de la résolution de la situation-problème.
Les types d’articulation que ces ressources internes entretiennent avec les ressources externes sont également fondamentaux quant à l’effet recherché. L’alchimie entre les ressources internes et externes s’avère également fondamentale pour susciter et maintenir l’intérêt des élèves. Une exigence pléthorique de ressources à mobiliser à un effet démotivant manifeste pour l’élève, se heurtant à une marche trop haute à, franchir. A l’inverse, une volonté excessivement simplificatrice de la nature et de la quantité de ressources à mobiliser a également un effet délétère en annihilant l’enjeu et par la même occasion son effet stimulateur. La mise en place d’une tâche complexe, nécessite donc de prévoir des ressources externes et internes dont le caractère familier, (ou du moins pas complètement inédit) la nature et la quantité s’articulent de manière assez claire, pour permettre à l’élève de réaliser la production attendue.
C’est à l’aune des objectifs didactiques et pédagogiques visés par l’enseignant que l’articulation des ressources internes et externes va s’opérer. Il est évident qu’une situation d’intégration visant à exercer n’aura pas les mêmes modalités dans l’articulation de ses ressources, qu’une situation d’évaluation où qu’une situation didactique. D’autant plus que comme le souligne Roegiers : « La difficulté vient non pas de chaque opération à exécuter, mais de l’articulation de ces opérations entre elles ».
Enfin, la quantité des ressources internes mobilisées et des ressources externes utilisées est également déterminante. Il est à souligner que le terme « quantité » a ici une portée plus que subjective. Les capacités de mobilisation des ressources internes par un élève fluctuent grandement et ne sont que difficilement prévisibles a priori. Le terme de « quantité » ne doit donc pas être entendu ici dans son acception arithmétique mais plutôt comme un ordre de grandeur. Les ressources internes et externes sont une des pierres angulaires des pratiques s’inscrivant dans le cadre de la pédagogie de l’intégration.
La pédagogie différenciée et l’approche socio-constructiviste
Cette recherche reprend le modèle « socio-constructiviste » essentiellement inspiré par les travaux de Jean Piaget ( 1896-1980) et de Lev Vygotski (1896- 1934), prolongés par ceux de Willem Doise (1935-) et Gabriel Mugny (1949-). Ce modèle se base sur la centralité de l’apprenant qui apprend par l’intermédiaire de ses représentations et surtout par celui de l’interaction sociale (ou entre pairs) dans la mesure où elle permet une confrontation fructueuse entre conceptions différentes. Un tel modèle repose également sur la nécessité pour le sujet d’être confronté à des situations riches et diversifiées.
La nouveauté de l’approche socio-constructiviste, réside dans le fait que, plus qu’un simple lieu d’acquisition mécanique de connaissances, le cadre scolaire devient un lieu d’interactions où l’élève acquiert des savoirs et savoir-faire, par le biais de situations d’apprentissage, reposant principalement sur l’implication de l’élève dans la construction de son propre savoir.
En ce sens la pédagogie différenciée qui, de prime abord apparaît comme «l’ensemble des dispositions que peut mettre en place un enseignant pour tenir compte des différences entre ses élèves» Kahn. S (2010) (p.5) dans le but de leur faire atteindre un objectif commun ; et qui est définie par Gilles Auzeloux comme :
« la démarche qui consiste à mettre en œuvre un ensemble diversifié de moyens et de procédures d’enseignement et d’apprentissage pour permettre à des élèves d’âges, d’aptitudes, de compétences, aux savoirs hétérogènes, d’atteindre par des voies différentes des objectifs communs » s’appuie fondamentalement sur la mise en place de dispositifs d’apprentissages multiples eu égard à la multiplicité des stratégies d’apprentissage de chaque élève. Cette démarche repose à la fois sur une prise en compte des différences entre les élèves et sur une volonté de convergence de chacun vers un objectif commun par le biais d’itinéraires d’apprentissage si l’on puit dire, différents.
Dans la droite lignée de l’approche socio-constructiviste, la différenciation pédagogique peut s’avérer être un dispositif pédagogique propice au développement de phases d’interactions et de confrontations, permettant le développement de stratégies d’apprentissage diverses chez l’élève en vue d’élaborer ses connaissances de manière autonome.
Un rapport récent du « conseil national d’évaluation du système scolaire » (cnesco), datant de 2017 fait état de résultats scientifiques concernant les effets concrets de la mise en œuvre de dispositifs de différenciation pédagogique sur la progression des élèves. Ces résultats peuvent s’avérer particulièrement édifiants, dans le cadre de l’élaboration d’outils d’analyse efficaces permettant de mesurer l’impact des dispositifs de différenciation sur la progression des élèves, dans le cadre de la réalisation de tâches complexes.
Si l’on s’en tient au rapport du cnesco , les résultats scientifiques issus des contributions des chercheurs, mettent au jour des « modalités de différenciation efficaces, mobilisables par les acteurs de l’enseignement » . Le rapport insiste d’abord sur le fait fondamental selon lequel : « la nature et la qualité des situations d’apprentissage importent plus que ce que les enseignants perçoivent ou supposent des caractéristiques générales des élèves » . Il conviendrait donc d’élaborer des outils d’analyse intégrant des éléments servant à contextualiser la situation d’apprentissage de manière à mesurer dans un deuxième temps, son effet sur l’autonomisation des élèves et la mise en place du processus de mobilisation des ressources internes.
|
Table des matières
Introduction
I) Un cadre théorique reposant sur une approche socio-constructiviste
1.1. La tâche complexe, une situation pédagogique qui s’inscrit dans la filiation du socio-constructivisme et de l’approche par compétences
1.2 La pédagogie différenciée et l’approche socio-constructiviste
II)Méthodologie de recherche
1.1 Les modalités de la recherche
1.2 La nature des ressources collectées
1.3 Les grilles d’analyse adoptées
1.4 Les différentes sources collectées
III) Les résultats
1.1 L’analyse des sources collectées
1.2 : Le point de convergence des tâches complexes analysées : un modèle stéréotypé
1.3 Des dispositifs de différenciation stéréotypés
Conclusion
Bibliographie
Annexes