Complexité de la notion de « littérature »
La complexité et le flou du sens du terme « littérature » est en lui même un objet de curiosité, vu la pluralité des phénomènes et des réalités auxquels ilrenvoie. Plus encore, ainsi que l’observe Todorov (1978 ; cité par Canvat, 2008), «il n’y a pas un abîme entre la littérature et ce qui n’est pas elle, […] les genres littéraires trouvent leur origine, tout simplement, dans le discours humain».Ainsi, la littérature se définit par les ensembles humains qui la font : on peut avoir une littérature francophone, arabe, anglo-saxonne ou une littérature française, algérienne, espagnole, etc. C’est ce qui fait dire à Antoine Compagnon (2009) que : « La littérature s‟identifie depuis plus de deux siècles à la nation, dont elle a accompagné la montée en puissance, voire au nationalisme et à l’impérialisme, et notre monde global est un monde postnational et postcolonial ». On pourrait craindre qu’avec la mondialisation, ce ne soit pas le cas alors que ce n’est qu’une question dechangement d’optique puisque le même auteur écrit aussi : « Est-il paradoxal que, au moment où la mondialisation nous obsède, les livres les plus communautaires soient les mieux reçus globalement? Pas du tout. La globalisation, phénomène postcolonial, jette le soupçon sur la nation, et sur la littérature en tant que fait national, au profit des communautés plus étroites que les empires réprimaient.». De même, elle se définit aussi bien par des courants (humaniste, réaliste, révolutionnaire, etc.) que par les genres,eux-mêmes indissociables des traditions littéraires, des lectorats ou des points de vue critiques considérées : prose et poésie ; littérature savante et paralittérature ; littérature écrite et « littérature orale », etc.
Le statut du conte dans la littérature des pays francophones
Sans origine auctoriale autre que la culture dont ils procèdent, les contes sont depuis toujours au cœur des pratiques culturelles populaires. Ils nourrissaient l’imagination des auteurs d’œuvres littéraires et parfois constituaient une trame pour leurs œuvres « individualisés » comme dirait André Jolles (cité par Combe, 1992) et transformatrices. Huet (1923 : 130) notait que :« Pendant des siècles, ils ont été en quelque sorte à la disposition de tous ceux qui, en ayant connaissance, avaient assez de talent pour en tirer parti littérairement. Ils ont exercé, par conséquent, à travers les âges, une influence considérable sur le développement des littératures ».Dans l’aire francophone, le conte oral a été marginalisé par les institutions littéraires ou détourné, plus nettement depuis Perrault (Adam et Heidmann, 2004), au profit des normes et des pratiques littéraires admises ; l’école, quant à elle, l’a complètement négligé avant que les approches communicatives et interculturelles ne le réadmettent en classe de langue (Decourt, 2011).Cependant, « obnubilés par les distinctions subtiles (…) entre les genres .Il est à signaler que même si la méthodologie traditionnelle accordait une place privilégiée à la littérature savante et aux textes d’auteurs classiques considérés comme des modèles en matière de la langue, lalittérature orale, confinée aux travaux d’ethnologues « adultes » et « solitaires », n’était pas admise à l’école.L’exemple de Antonin Perbosc, sanctionné pour avoir exploité les contes oraux en classe, dès 1900, l’illustre bien. Il peut être considéré comme le premier instituteur à avoir proposé la didactisation des contes populaires. Voir lien : http://clo.revues.org/208 constitués » pour reprendre les termes de Dominique Combe (1992),théoriciens de la littérature et didacticiens ont de la peine tant à distinguer entre conte populaire, plutôt pris en charge par les folkloristes (Propp, 1965 ; Jolles : 19726), et création littéraire sur le modèle du conte, à définir ce qu’est un conte qu’à déterminer son genre littéraire. Boudjellal (2012) le dit clairement à propos des théoriciens de la littérature, évoquant Todorov et Genette, en ces termes : « Leurs recherches dans le domaine de la narratologie ont en majorité abouti à des résultats adaptés aux récits écrits, tandis que le récit oral a été négligé. »
Difficultés supplémentaires spécifiques en FLE
Dans les pays étudiant le français en tant que langue étrangère, Daunay (2007) relève que le statut de la littérature « pose des questions spécifiques ».Parmi celles-ci, les premières à venir à l’esprit concernent le statut de la langue française, la présence (ou non) d’une littérature francophone à substrat culturel autre que français, de même que les différences liées aux finalités del’éducation dans les pays considérés. Il suffirait de se demander si, en Algérie, l’enseignement de la littérature doit faire appel aux œuvres d’auteurs algériens d’expression française ou à des œuvres classiques (ou modernes) d’auteurs français. Et pour ne prendre que cette question, elle se pose avec tant d’acuité(pour l’arabe et la langue mazighe aussi) que le ministère de l’éducation prend conscience que la très faible présence d’auteurs algériens dans les manuels scolaires constitue une situation « catastrophique ».
Retour d’intérêt récent pour l’enseignement de la littérature
Réhabilitée dans l’enseignement du FLE, en France, par les approches communicatives (Cuq et Gruca, 2005), l’intérêt pour la littérature a vite été doublé d’un intérêt pour l’« oraliture », et surtout pour le conte. A l’école, c’est notamment avec l’approche interculturelle (Decourt, 2011) que le conte est valorisé. Cela révèle l’utilité du conte en tant que passerelle multimodale entre folklore et littérature savante, entre cultures orales et « oralité médiatique », entre les générations et, pourrait-on dire, entre « espaces d’imaginaires » si l’on conçoit que les imaginaires sont des « mondes » différents suivant l’époque, la culture et les personnes.
Genre difficile à définir
Contrairement à ce à quoi on s’attendrait, aujourd’hui encore, la quasi totalité de ceux qui s’interrogent sur le conte soulignent la difficulté de le définir.C’est le cas, à titre d’exemple, des auteures du Dictionnaire de critiquelittéraire qui affirment que nous avons affaire à un « genre littéraire narratif assez mal défini » (Gardes Tamine et Hubert, 2011 : 44). C’est également le cas de Driant (2014 :20) qui soutient que « le conte est difficile à définir ».Canvat (2008) admet, pour sa part, que, même en s’en tenant à la seule oralité, sans son correspondant écrit, « la littérature populaire (le mythe, le conte, la légende…), en raison de son caractère collectif, anonyme et souvent formulaire, (…), impliquent une conscience générique très forte ». Il est, pour Jolles (1972 : 17 cité par Brémond, 1973), l’une de ces « formes simples » qui « ne sont saisies, ni par la stylistique, ni par la rhétorique, ni par la poétique, ni même peut-être par l’ « écriture », qui ne deviennent pas véritablement des œuvres quoiqu’elles fassent partie de l’art, qui ne constituent pas des poèmes bien qu’elles soient de la poésie». Les raisons de la difficulté à définir le conte évoquées par les auteurs sont diverses. Pour certains, elle est due au mode de transmission et de diffusion (orale, scripturaire), de production (collectif, auctoral), liée au(x) public(s) cible(s), ou encore aux variations, adaptation et réécritures qui les touchent. D’autres semblent confrontés à la « bigarrure, la diversité colorée du matériel qu‟(ils) constituent » (Propp, 1965). Aubaret (2009) en dit quant à lui qu’ « il regroupe dans son acception courante des réalités très différentes ».Il s’ensuit que le classement générique, les caractéristiques, les fonctions du conte sont des opérations très difficiles et, à la fois, indispensables lorsqu’il s’agit de les considérer dans un contexte plurilingue et interculturel. Ceci, et il y a lieu de déceler chaque fois que de raison l’utilité d’étudier les contes en tant que textes littéraires dans les pratiques langagières et sociales courantes, en vue de leur enseignement dans une perspective didactique actionnelle (Conseil de l’Europe, 2001).
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Table des matières
Introduction générale
Chapitre 1 : Problématique
Introduction
1.1. La littérature et le conte
1.1.1. Complexité de la notion de « littérature »
1.1.2. Le statut du conte dans la littérature des pays francophones
1.2. La didactique de la littérature et du conte
1.2.1. Difficultés supplémentaires spécifiques en FLE
1.2.2. Retour d’intérêt récent pour l’enseignement de la littérature
1.3. Genre difficile à définir
1.3.1. Difficulté liée aux conditions de production
1.3.2. Difficultés liées aux conditions de transmission – réception
1.3.3. Difficultés liées au passage de l’oral à l’écrit
1.3.4. Difficultés liées à l’identité générique du conte
1.4. Le conte et genres proches
1.4.1. Le conte parmi les genres « traditionnels » oraux
1.4.1.1. Cas
1.4.1.2. Devinette
1.4.1.3. Geste
1.4.1.4. Légende
1.4.1.5. Locution
1.4.1.6. Mémorable
1.4.1.7. Mythe
1.4.1.8. Trait d’esprit
1.4.1.8. Synthèse
1.4.2. Le conte et les genres littéraires proches
1.4.2.1 La nouvelle et le conte-nouvelle
1.4.2.2. La fable
1.4.2.3. L’anecdote
1.4.2.3. Synthèse
1.4.3. Le conte parmi les genres narratifs discursifs
1.4.3.2. Le récit de vie
1.4.3.3. Le fait divers
1.4.3.4. Synthèse
Conclusion
1.5. Le contexte algérien
1.5.1. La littérature orale et le système éducatif algérien
1.5.2. Le statut du conte dans la littérature algérienne
1.6. Questions de recherche et hypothèses
1.6.1. Questions de recherche
1.6.2. Hypothèses
1.7. Méthodologie
1.8. Corpus et observables
1.8.1. Corpus
1.8.1.1. Les contes
1.8.1.2. Le manuel et les documents d’accompagnement
1.8.2. Observables
Conclusion
Chapitre 2 : Des caractéristiques du conte
Introduction
2.1. Caractéristiques distinctives du conte
2.1.1. Caractéristiques génériques formelles
2.1.1.1. Ouverture et clôture du monde du conte
2.1.1.2. Formules de suspension du conte
2.1.1.3. Incipit et excipit (coda) : espace et temps indéfinis
2.1.1.4. Mise à distance (de la réalité) de l’univers du conte
2.1.1.5. Phénomènes surnaturels et extraordinaires
2.1.2. Caractéristiques narratives textuelles
2.1.2.1. Instances de narration
2.1.2.2. Récit plus ou moins bref
2.1.2.3. Personnages suggestifs de modèles et de contre-modèles
2.1.2.4. Composition et motifs. Alternance mouvements / stabilité
2.1.3. Quelques caractéristiques linguistiques
2.1.3.1. Formulettes présentes dans le corps des contes
2.1.3.2. Les faits de (l’inter-)langue dans le conte
2.1.4. Caractéristiques culturelles et sociales
2.1.4.1. Valeurs et vision du monde
2.1.4.2. Éléments de récit réutilisable en situations ordinaires
2.1.4.3. Spécificité littéraire du conte ?
2.1.5. Caractéristiques éditoriales
2.2. Le conte en tant que genre étudié à l’école
2.2.1. Le conte et la notion de genre discursif (et textuel)
2.2.2. Le conte en tant que genre « scolaire »
2.2.3. Le conte, genre interculturel ?
2.2.4. Le conte et le modèle d’analyse d’Adam et Heidmann
2.2.4.1. Les plans de la transtextualité
a. Le plan péri-textuel
b. Le plan épitextuel
c. Le plan des faits d’hypertextualité
d. Le plan de co-textualité
e. Le plan de l’intertextualité
f. Le plan de la sphère d’usage social
2.2.4.2. Les Plans (ou niveaux) de textualité
a. Niveau sémantique
b. Niveau énonciatif
c. Niveau argumentativo-pragmatique
d. Niveau « stylistique » et phraséologique
e. Niveau compositionnel
f. Niveau matériel média
2.2.5. Synthèse
Conclusion
Chapitre 3 : Analyse de documents officiels et propositions didactiques
Introduction
3.1. Analyse des objectifs institutionnels
3.1.1. L’orientation scolaire au vu de la loi 08-04
3.1.1.1. Les finalités de l’école
3.1.1.2. Teneur et portée de l’instruction
3.1.1.3. Les compétences que l’école doit développer
3.1.1.4. Les langues dans la loi d’orientation
3.1.2. Les objectifs de sortie inscrits dans le programme
3.1.2.1. Les objectifs de l’enseignement du français
3.1.2.2. Les objectifs de l’enseignement du FLE au 2e palier
3.1.2.3. Profil de sortie du cycle moyen
3.1.2.4. Profil de sortie de la 2e AM
3.1.3. Évaluation globale du Programme
3.1.3.1. Évaluation du Programme
3.1.3.2. L’articulation complexe programme – manuel
3.1.4. Synthèse
3.2. Analyse globale du manuel et de son projet 1
3.2.1. Analyse globale du manuel
3.2.1.1. Description du manuel
3.2.1.2. La littérature dans le manuel de 2e AM
3.2.1.3. Le culturel, le socioculturel et les langues
3.2.1.4. L’interculturel
3.2.1.5. Évaluation globale du manuel
3.2.2. Le projet conte dans le manuel
3.2.2.1. Aperçu global de “Raconter a travers le conte”
3.2.2.2. L’aspect didactique de “Raconter à travers le conte”
3.2.2.3. Le projet-apprenant “Raconter à travers le conte”
3.3. Propositions didactiques
3.3.1. Propositions d’amélioration de la séquence “conte”
3.2.2. Propositions pour d’autres publics
Conclusion
Conclusion générale
Références bibliographiques
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