La dichotomie art/discipline à enseigner

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Mise en perspective : une étude australienne

Une étude australienne10 a été menée sur les activités proposées en éducation musicale par les jeunes enseignants. Il ressort de cette étude que seulement 37% des enseignants en première année de métier proposent eux-mêmes de l’éducation musicale dans leur classe. Dans les autres cas, l’enseignement est proposé par un intervenant extérieur ou bien n’est pas proposé aux élèves. Les raisons avancées par les enseignants pour expliquer ce faible investissement dans la discipline sont encore une fois, un manque de confiance de soi, mais aussi un manque de temps spécifique à l’éducation musicale dans la formation initiale reçue par ces enseignants.
Interrogeons-nous sur la formation en éducation musicale des futurs enseignants.

L’enseignement de l’éducation musicale : une question de valeurs ?

Comme l’exprime Philippe Bonnette, l’éducation musicale est en réalité la « transposition didactique »13 de la musique. C’est précisément ce caractère artistique de la musique qui fait la spécificité de l’éducation musicale et qui rend problématique son enseignement. Comment enseigner une discipline artistique ?

Enseigner une discipline artistique : un acte paradoxal

Afin de mettre en évidence les enjeux soulevés par l’éducation musicale en tant que discipline artistique, nous tâcherons de faire émerger les paradoxes qui sous-tendent cet enseignement.

La dichotomie art/discipline à enseigner

L’élément fondamental de cette problématique semble être la question même de la nature de l’enseignement. Par son caractère très subjectif et son approche sensible, l’éducation musicale pose problème en tant qu’objet d’apprentissage. Françoise Regnard l’exprime de la manière suivante : « Tout se passe comme si le seul fait de reconnaître qu’il faille une situation d’apprentissage pour apprendre constituait un obstacle d’ordre épistémologique avec la vision entretenue d’un art qui se sent, se respire, ne s’apprend pas. »14
Ainsi, pour l’auteur, l’enseignement de l’éducation musicale peut poser un problème intrinsèque selon la définition que l’on se fait d’un art. On pourrait cependant émettre des limites à cette réflexion, qui ne prendrait en compte que l’aspect notionnel de l’éducation musicale. En effet, on pourrait tout à fait considérer que l’apprentissage par la pratique musicale soit compatible avec une approche sensible de l’art musical.
Le cœur du débat est donc bien la question du sens à donner à l’éducation musicale, c’est en tout cas la thèse défendue par Frédéric Maizières15 dans son travail de recherche publié en 2009. D’après l’auteur, pour bon nombre d’enseignants, la musique se retrouve rattachée au domaine des loisirs voire parfois à une pratique personnelle. Devant l’aspect déroutant de l’enseignement d’un art, l’enseignant sera alors tenté de se raccrocher à un aspect plus culturel de la discipline, en focalisant son travail sur l’écoute. Dans le même ordre d’idées, l’enseignant pourra privilégier des activités plus en lien avec une logique utilitariste, comme par exemple la constitution d’un répertoire de chant pour la fête de l’école. Ainsi, d’après le chercheur, la dimension artistique de l’éducation musicale est rarement conscientisée par les enseignants qui cherchent souvent à adopter les mêmes méthodes de travail que pour les disciplines plus classiques.
Ainsi, oscillant entre approche notionnelle et approche sensible, l’éducation musicale semble être en peine dans la définition de ses finalités propres. Un cas intéressant de cette ambigüité et de cette recherche d’identité est l’introduction de l’histoire des arts dans les programmes de 2008.

Le décalage induit par l’introduction de l’histoire des arts

L’apparition de l’histoire des arts dans les programmes officiels illustre bien cette tension due à l’ambivalence de l’éducation musicale. Ainsi, nous pouvons trouver dans les programmes de 2008 :
« La sensibilité artistique et les capacités d’expression des élèves sont développées par les pratiques artistiques, mais également par la rencontre d’œuvres diversifiées relevant des différentes composantes esthétiques, temporelles et géographiques de l’histoire des arts »16.
Le texte du ministère apparaît comme le reflet de ce double objectif de l’éducation artistique, couplant une approche sensible à une approche beaucoup plus centrée sur les connaissances de l’élève.
L’introduction de l’histoire des arts dans les programmes de 2008 reflète d’un autre décalage : celui existant entre les instructions officielles et les compétences avérées ou exprimées des enseignants17. En effet, selon l’auteur, avec l’histoire des arts, le contenu à enseigner se complexifie et sort parfois du domaine de compétences attendues pour un professeur des écoles dont les connaissances se veulent généralistes et non spécialisées. Devant le manque de compétences exprimé par les enseignants, on voit peu à peu se généraliser le recours à des intervenants extérieurs spécialisés. Cet état de fait a pour conséquence de renforcer les écarts entre le type et la qualité des enseignements proposés en éducation musicale dans les classes. Ce décalage constaté entre programme à enseigner et contenu de l’enseignement effectif en classe nous renvoie vers une autre question, celle du lien entre la pratique personnel des enseignants et leurs pratiques d’enseignements.

Vers une didactique musicale

La didactique semble être aujourd’hui en plein essor dans le champ de l’éducation musicale. L’émergence des CeFEdeM 23 dans les années 90, et leur développement actuel est un indicateur de cette tendance. Selon Françoise Regnard, actuelle directrice du CeFEdeM d’Ile-de-France, c’est sur la didactique qu’il faut mettre l’accent afin de renforcer le lien entre la recherche et les praticiens, de manière à élargir les représentations de l’objet musical à enseigner qu’elle qualifie « d’étroites et particulières »24.
Dans sa thèse 25 , Philippe Bonnette oppose et décrit deux principaux modèles d’apprentissage qui ont été utilisés ou qui sont encore utilisés dans les écoles. Le premier modèle décrit est de type transmissif, il est la théorisation de deux types de pratiques. L’expression « serinage notionnel », empruntée à Laurent Guirard, renvoie à un enseignement historique centré sur l’aspect notionnel, où l’expérience est largement mise en retrait. Une seconde application moins évidente du modèle transmissif décrite par l’auteur consiste en une « injonction d’expression ». L’apprenant est invité à s’exprimer, laisser libre cours à sa créativité, sans lien particulier avec un objet culturel identifié, sans avoir pris le temps de construire son rapport artistique, de se confronter à des œuvres.
Le second modèle d’apprentissage présenté par l’auteur s’inscrit dans une dynamique constructiviste. Reprenant les principes d’assimilation, accommodation et équilibration décrits par le modèle piagétien, l’élève avance ici par tâtonnements successifs, ponctués d’expériences, de confrontations remettant en cause les conceptions du monde qui lui semblaient acquises. L’auteur insiste sur l’importance des ruptures dans la linéarité de l’enseignement en soulignant tout de même les difficultés posées par « l’enseignement de masse ».
Ainsi, enseigner la musique apparaît comme un acte empli de paradoxes, voire de contradictions. A travers les différents modèles d’apprentissage proposés par les enseignants, transparaissent les conceptions que ce font les enseignants de l’éducation musicale et de ses finalités à l’école. Mais, de quelle manière les enseignants construisent-ils leur rapport au savoir ?

Construction du rapport au savoir

Frédéric Maizières définit le rapport à la musique comme « l’ensemble des relations qu’un individu entretient avec la musique, compte-tenu de ce qui a provoqué ces relations ». Il s’agit donc des liens entre l’individu et l’objet musical mais aussi de ce qui a permis à ces liens de se tisser.
De manière plus générale, le chercheur s’appuie très largement sur le travail de B.Charlot et du groupe Escol26 afin de définir ce qu’est le rapport au savoir, et de l’utiliser comme outil d’étude. L’équipe de chercheur décrit le rapport au savoir selon 2 axes : l’appropriation et la transmission. L’appropriation place l’enseignant en position d’apprenant alors que la transmission lui donne un rôle de formateur. Ce premier regard posé sur le rapport au savoir permet de nous interroger sur les liens existant entre ces deux postures. L’appropriation influençant probablement la transmission, et réciproquement, le rapport au savoir apparaît comme une notion complexe dont les déterminants sont interdépendants.
Toujours d’après la définition du groupe Escol, le rapport au savoir se définit selon trois composantes : « identitaire », « épistémique » et « sociale ». La dimension identitaire renvoie au sujet lui-même alors que le rapport épistémique est plutôt centré sur la nature de l’apprentissage et le savoir. La troisième dimension, dite sociale, prend en compte l’apport de la société dans lequel vit le sujet dans la construction de ce rapport au savoir.
Appliqué au champ de l’éducation musicale par Frédéric Maizières dans son travail de recherche sur le rapport au savoir musical des professeurs des écoles, ce concept lui permet de dégager un constat intéressant. « L’analyse des entretiens montre que les enseignants adoptent des stratégies différentes par rapport à l’Education musicale, qui peuvent aller de l’« évitement » à une implication régulière et affirmée, en dépit des propres relations que l’enseignant entretient avec la musique dans sa vie personnelle »27.
Ainsi, à contrecourant des explications habituelles, le chercheur nuance l’influence des pratiques personnelles sur les pratiques professionnelles. Interrogeant ce concept de rapport au savoir, l’auteur insiste sur la difficulté de transférer son propre savoir musical à des fins d’enseignement. C’est ici l’axe de transmission, définie précédemment, qui semble poser problème, l’enseignant ne parvient pas toujours à « disciplinariser » son savoir. De la même manière, c’est la dimension identitaire du rapport au savoir qui semble gêner cet axe de transmission. Cette composante identitaire renvoie au sujet lui-même, et si l’on se centre sur l’axe d’appropriation, sur la manière dont l’individu a construit la vision qu’il entretient du savoir, en d’autres termes : ses représentations. De quelle manière l’enseignant construit-il ses représentations de l’éducation musicale ?

Représentations

« Elèves autant qu’enseignants, comme personnes ou membres d’une collectivité, apprennent et enseignent dans l’histoire et le contexte de leur expérience. Conscientes ou non, considérées comme inhérentes à la situation d’enseignement/apprentissage, comme obstacle ou comme point d’appui à cette situation, les représentations se sont imposées comme objet de travail incontournable. Leur prise en compte apparaît désormais comme une exigence. Les courants constructivistes, cognitivistes, ethnologiques, qu’ils accordent ou non une importance particulière à la dimension sociale, nous y invitent. »28
Ainsi, les enjeux soulevés par Alain Lammé de la prise en compte des représentations des enseignants semblent en faire un objet d’étude idéal. Etudions quelques aspects de ces représentations dans le champ de l’éducation musicale.

Légitimer l’éducation musicale

« Chez les enseignants, la musique est à la fois choyée et dévoyée. »29
Cette citation de Philippe Bonnette illustre bien la tendance générale exprimée par les enseignants et reflète leurs rapports à l’éducation musicale. Volontiers paradoxales, les représentations qu’ont les enseignants de la musique oscille entre deux réalités. Comme nous l’avons exprimé précédemment, l’éducation musicale est souvent reléguée au second plan dans les classes, au profit des disciplines dites « fondamentales », et l’enseignement dispensé laisse apparaître une grande variété de pratiques, souvent éloignées des recommandations officielles. Cependant, la plupart des enseignants sont d’accord pour affirmer que l’éducation musicale reste une discipline indispensable, porteuse de nombreuses vertus, mais que les enseignants peinent à expliciter. Devant la difficulté à légitimer explicitement cet enseignement, certains enseignants enferment l’éducation musicale dans des objectifs d’apprentissage uniquement centrés sur la musique « cultivée », qui leur apparait plus légitime.
« C’est la raison pour laquelle beaucoup d’enseignants semblent avoir privilégié les références aux grands chefs-d’oeuvres de la musique classique et aux concepts de la musique tonale et mesurée : la mélodie, la pulsation, les notes tonales, les formes musicales, les instruments de l’orchestre, etc. »30
Cette conception limitée de l’éducation musicale laisse transparaître des représentations floues et parcellaires de la discipline dont l’objet d’apprentissage n’est pas toujours clairement défini.

L’objet, soi, l’autre

Selon Françoise Regnard, les représentations peuvent s’étudier selon trois aspects : le soi, ce qu’on apprend et l’autre, ces trois items étant en interaction permanente. Pour l’auteur, le bon déroulement de l’apprentissage musical suppose trois prérequis :
– Rendre compatible le soi musicien (pas forcément « confirmé ») avec le soi enseignant.
– Concilier l’objet « enseignable » avec l’objet de ses désirs.
– Accepter que l’élève aie besoin qu’on lui explique « l’indicible », ce qui semble évident.
Nous noterons que ces trois aspects de l’enseignement musical renvoient à la dichotomie exprimée précédemment entre musique en tant qu’objet artistique, et discipline à enseigner.
A partir des définitions de Françoise Regnard, Alain Lammé 31 nous propose une typologie des représentations en éducation musicale que nous avons retranscrite ci-dessous.

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Table des matières

Introduction
I) L’éducation musicale en perte de vitesse à l’école primaire
1) Diminution de la place accordée à l’éducation musicale dans les programmes officiels Volume des textes, volume horaire
Contenu des programmes
2) Pratiques enseignantes
Temps consacré à l’éducation musicale
Contenus enseignés parfois en marge des programmes
Mise en perspective : une étude australienne
3) La formation des enseignants
II) L’enseignement de l’éducation musicale : une question de valeurs ?
1) Enseigner une discipline artistique : un acte paradoxal
La dichotomie art/discipline à enseigner
Le décalage induit par l’introduction de l’histoire des arts
Un lien entre pratique personnelle et pratique d’enseignement ?
Vers une didactique musicale
2) Construction du rapport au savoir
3) Représentations
Légitimer l’éducation musicale
L’objet, soi, l’autre
III) Construction des représentations en éducation musicale : méthodologie de recherche
1) L’influence du parcours scolaire des enseignants
Sujet de recherche
Hypothèses de recherche
2) Paradigme d’étude
Cadre de la recherche
Construction de l’outil
Méthode de recueil
Méthode d’analyse
Analyse globale
Analyse croisée
Analyse des occurrences
3) Résultats
Données contextuelles
Le parcours scolaire
Rapport à l’éducation musicale, à la musique
4) Analyse et Interprétation
Parcours scolaire
Rapport à l’éducation musicale
Influence du parcours scolaire
Influence de la pratique personnelle
5) Limites et prolongements
Public interrogé
Outils utilisés
Pratique personnelle et pratique de classe
Qu’est-ce que l’éducation musicale ?
Conclusion
Annexe 1 – Questionnaire utilisé
Annexe 2 – Résultats du questionnaire
Annexe 3 – Résultats des analyses croisées
A. En fonction des souvenirs de l’éducation musicale à l’école primaire / au collège
B. En fonction de la pratique d’un instrument (chant inclus).
Annexe 4 – Exploitation des définitions du questionnaire

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