La détection de la vérité et du mensonge
En avril 1989, une jeune femme d’affaires de New York qui faisait son jogging dans Central Park a été battue, violée et laissée pour morte (Sullivan, 1992). Soixante-douze heures après l’incident, cinq jeunes hommes hispano-afro-américains, âgés entre 14 et 16 ans, ont été ciblés comme principaux suspects dans cette affaire (Sullivan, 1992). À la suite d’un interrogatoire convaincant de 28 heures, les cinq jeunes ont avoué leur culpabilité en donnant des détails troublants sur les actes posés. Les confessions enregistrées sur vidéo constituaient l’unique preuve de la culpabilité des adolescents et furent suffisantes pour les incarcérer pour plusieurs années. Treize ans plus tard, Matias Reyes, un meurtrier et déviant sexuel qui purgeait une peine pour une série de viols dans l’état de New York, avoua sa culpabilité. L’analyse de son ADN fut concordante (Drizin & Leo, 2004). Qu’est-ce qui peut pousser cinq innocents à se déclarer coupables et fournir des détails pour un geste qu’ils n’ont jamais commis?
L’interrogatoire étant considéré comme une phase importante des enquêtes policières, il s’avère primordial qu’il soit conduit de façon efficace, productive et éthique. Des erreurs judiciaires telles que le cas de Central Park ont amené les médias à porter une attention particulière à la dangerosité des techniques utilisées en interrogatoire.
Les types de fausses confessions
La présente section exposera quelles influences les facteurs internes, maIS aussI externes à l’individu, peuvent avoir sur l’émergence de fausses confessions. Il sera aussi démontré qu’il existe des variations parmi les raisons pouvant inciter un innocent à se déclarer responsable d’un crime qu’il n’a pas commis. Ces différents cas de figure seront regroupés en quatre catégories, soit les fausses confessions volontaires, émises par acquiescement, internalisées et avec violence.
Fausses confessions volontaires
Dans certains cas, des innocents confessent des crimes qu’ils n’ont pas commis sans avoir subi de pressions externes. Un des cas célèbres illustrant ce fait est celui de l’enlèvement du bébé de Charles Lindbergh en 1932. À l’époque, plus de 200 personnes s’étaient faussement incriminées pour ce crime. Plusieurs raisons peuvent expliquer les motifs d’une fausse confession volontaire. Selon Kassin et Gudjonsson (2004), un tel comportement pourrait être motivé par un désir pathologique de notoriété, un besoin conscient ou inconscient de se punir et acquérir une forme de rédemption. Cette forme de châtiment provient d’un désir d’éliminer des sentiments de culpabilité intériorisés suite à des actes commis dans le passé. Une maladie mentale importante telle qu’une psychose pourrait aussi expliquer qu’un individu se dissocie et n’arrive plus à différencier le fantasme de la réalité en avouant un crime qu’il n’aurait pas commis.
Finalement, dans certains cas, plus fréquemment lorsque des mmeurs sont interrogés, des propos incriminants pourraient être faits par ces individus, en vue d’aider ou de protéger un membre de la famille ou un ami (Kassin & Gudjonsson, 2004). Ces cas de figure ne constituent qu’un échantillon des raisons pouvant motiver une fausse confession volontaire s’expliquant par une cause externe à la pression policière.
Fausses confessions par acquiescement
Le second type de fausses confessions fut identifié par Kassin et Wrightsman (1985) comme une fonne d’acquiescement induite par la pression policière. Certaines techniques d’interrogatoires sont élaborées pour amener les individus questionnés à avouer. Par contre, ces techniques auront parfois comme conséquence d’entrainer des suspects non coupables à faire de faux aveux. Selon Kassin et Gudjonsson (2004), un innocent qui acquiescerait à un verdict de culpabilité pourrait le faire pour se sauver d’une situation aversive, éviter de subir des conséquences négatives, souvent explicitées par l’interrogateur, ou pour finalement mériter une récompense promise de façon plus ou moins explicite. Le concept général de ce type de confession est basé sur la perception biaisée que se fait un innocent des bénéfices que peut entrainer une confession. Cet individu non coupable en vient à croire que les bénéfices à court terme d’un aveu supplanteraient ses conséquences futures à plus long terme.
De plus, Kassin et Gudjonsson (2004) décrivent différents incitatifs pouvant pousser un individu à se déclarer coupable d’un crime. Les différents désirs tels que dormir,manger, faire un appel téléphonique, fumer une cigarette ou échapper à l’anxiété provoquée par un isolement prolongé sont tous des besoins à court terme qui peuvent prédominer sur l’importance de clamer son innocence.
Fausses confessions internalisées
Le troisième type de fausses confessions est celui dont la prévalence est la plus faible . Pour qu’une fausse confession soit intemalisée, celle-ci doit être induite par des techniques de suggestibilité qui influenceront des suspects vulnérables, épuisés, anxieux ou confus. Ceux-ci en viendront non seulement à admettre un crime, mais arriver particulièrement à croire qu’ils ont réellement commis le crime dont ils sont accusés (Kassin & Gudjonsson, 2004). Ce type de fausses confessions serait fortement lié à un phénomène nommé «syndrome de perte de confiance de la mémoire». Le suspect développerait un profond manque de confiance en ses capacités de mémorisation, le rendant très vulnérable à toutes formes d’influences et suggestions du monde extérieur (Gudjonsson & MacKeith, 1982). Il en viendrait donc à modifier certaines certitudes sur les gestes qu’il aurait pu poser et possiblement voir émerger des faux souvenirs qui viendraient appuyer ses nouvelles convictions (Kassin, 2007a) .
Par ailleurs, Henkel et Coffman (2004) ajoutent que le processus de distorsion de la réalité que crée l’interrogatoire policier constitue un point d’ancrage pour l’émergence de fausses confessions intemalisées. Un cas de figure très documenté est celui de Paul Ingram qui fut accusé du viol et du meurtre de sa fille ainsi que de rites sataniques sur des nouveau-nés. Après deux douzaines d’interrogatoires qui ont duré pendant une période de cinq mois, Ingram a été détenu, hypnotisé et des détails graphiques du crime lui ont été présentés. TI lui fut ensuite expliqué par un psychologue des forces policières qu’il est typique pour les agresseurs sexuels de réprimer leurs crimes. Suite à ces évènements, Ingram se serait éventuellement « souvenu» de ses crimes et aurait plaidé coupable, ce qui lui a valu de passer 20 ans en prison jusqu’à ce qu’il soit relâché en 2003.
Par ailleurs, Kassin et Kiechel (1996) ont élaboré un protocole expérimental pour vérifier l’hypothèse selon laquelle la présentation des fausses évidences à des suspects qui sont vulnérables peut les entrainer à avouer avoir commis un geste prohibé, en prendre l’entière responsabilité et même en venir à inventer des détails qui soutiennent leur croyance erronée. En effet, cette hypothèse fait sens avec les données concernant l’émergence de fausses confessions intemalisées. Celles-ci seraient en effet accentuées par deux facteurs, soit lorsque la mémoire du suspect est placée dans une position vulnérable à la manipulation et lors de la présentation de fausses évidences (Kas sin, 2007a).
Le paradigme expérimental consiste en une tâche dans laquelle le sujet doit écrire des lettres qui lui sont récitées par un complice de l’expérimentateur. Il est explicitement demandé au sujet de ne jamais appuyer sur la touche «ALT », puisque cecI aurait comme conséquence d’effacer toutes les données de l’étude. En cours d’expérimentation, l’ordinateur est programmé pour simuler une panne informatique. Suite à cet événement, l’expérimentateur accuse le sujet d’ avoir provoqué la panne (ce qui fait lieu du crime). L’interrogatoire est alors amorcé.
Fausses confessions avec violence
Les techniques d’interrogatoires et les lois entourant ces pratiques varient considérablement. Certains pays laissent beaucoup de liberté aux policiers tandis que d’autres obligent les agents à adhérer à des procédures strictes concernant le traitement des suspects d’actes criminels. (Leo, Costanzo, & Shaked-Schroer, 2009). À travers le monde, la torture physique est utilisée comme méthode pour extirper de l’information à des suspects. Il est d’ailleurs difficile d’avoir accès à des données fiables concernant les interrogatoires et confessions dans plusieurs pays du monde. Cela est d’autant plus vrai dans les lieux qui ne sont pas gouvernés de façon démocratique (Conroy, 2000, cité dans Leo et al., 2009).
Dans les dernières décennies, des pays tels que la Russie, la Chine et le Japon ont réformé certaines de leurs techniques d’interrogatoires. Malgré certaines modifications, plusieurs pays font toujours usage de violence dans leurs interrogatoires pour arriver à leur fin. Le cas du chinois She Xianglin explicite bien le type de pratiques policières qui étaient exercées avant le début de la réforme de 1996. Cette dernière visait d’ailleurs à augmenter les droits légaux des accusés. She Xianglin a été emprisonné pour le présumé meurtre de sa conjointe en raison de fausses confessions obtenues sous le joug de la torture. Ce n’est qu’onze ans plus tard, lorsque sa femme est retrouvée vivante, qu’il a été reconnu que She Xianglin avait été victime de brutalité policière (Sterling, 2005, cité dans Leo et al., 2009).
Facteurs de risque personnels
La façon dont un suspect réagit aux pressions externes en salle d’interrogatoire est très variable en fonction de multiples facteurs internes à l’individu. La prochaine section détenninera les principaux facteurs de risque individuels qui pourraient inciter à émettre une fausse confession.
La personnalité
Selon Leo et ses collaborateurs (2009), la soumission et la suggestibilité seraient deux traits de personnalité qui augmenteraient le risque chez les suspects d’ émettre une fausse confession. Il a été démontré que certains individus ont une tendance naturelle à se soumettre dans divers contextes sociaux. Selon Gudjonsson (1989), cette tendance à la soumission est caractérisée par deux composantes, soit un besoin de plaire et de conserver son amour-propre en présence d’autrui et un désir d’ éviter la confrontation et les conflits, surtout avec les individus en position d’ autorité. Pour évaluer quels individus sont plus susceptibles de se soumettre, Gudjonsson a élaboré sa propre échelle de soumission nommée la Gudjonsson Compliance Scale (GCS). Elle consiste en un questionnaire de 20 énoncés vrais ou faux tels que « Je laisse tomber facilement quand je suis sous pression ». Un second outil, le Gudjonssol1 Suggestibility Scale (1984) vient lui aussi vérifier les différences individuelles, mais sur l’ aspect de la suggestibilité. Dans ce test, le sujet doit répéter le contenu d’une histoire qui lui est préalablement racontée. Plusieurs questions ayant pour but d’induire une erreur sont posées afm de vérifier la tendance à céder et aller dans le sens des infonnations erronées qui lui sont présentées. Kassin et Gudjonsson (2004) émettent une règle générale selon laquelle les individusavecune forte tendance à la suggestibilité présenteront souvent une mémoire plus faible, des niveaux plus élevés d’anxiété, une estime de soi plus faible et peu d’ assurance.
L’âge
L’âge des suspects constitue aussi un facteur de risque important pour les fausses confessions. Les données recensant le nombre de fausses confessions démontrent que le fait d’être à l’âge de l’adolescence et de la préadolescence constitue le plus grand facteur de risque relativement aux fausses confessions (Drizin & Leo, 2004). En effet, dans le plus grand échantillon qui a été étudié jusqu’à présent, sur 125 fausses confessions acquittées, Drizin et Leo ont trouvé que 63 % des faux confesseurs avaient moins de 25 ans. Par ailleurs, différents auteurs ont démontré que les jeunes sont beaucoup plus influençables et ont une forte tendance à se soumettre lorsqu’ils sont sous l’influence d’une figure d’autorité. En effet, il a été démontré que les mineurs ont plus de difficultés à résister aux pressions interpersonnelles et qu’ainsi, ils auraient tendance à percevoir les interrogatoires coercitifs comme étant intolérables. (Redlich & Appelbaum, 2004). D’autre part, une étude a comparé le niveau de suggestibilité des mineurs devant agir comme témoins avec celui d’adultes. Il a été démontré que les jeunes sont beaucoup plus susceptibles de modifier leurs souvenirs en y intégrant des événements fictifs lorsqu’ils sont exposés de façon répétitive à des faits, exposés à des questions directives, à la pression de pairs ou à toute autre tactique d’influence sociale (Bruck & Ceci, 1999). L’utilisation des techniques précédentes en salle d’interrogatoire peut inciter les jeunes suspects à faire de fausses confessions en raison de leur vulnérabilité à se soumettre à la pression et aux rétroactions négatives des individus en position d’autorité (Kassin & Gudjonsson, 2004).
Conclusion
L’objectif de cet essai était de comparer la technique d’interrogatoire Reid utilisée en Amérique du Nord avec celle de la Grande-Bretagne, la PEACE. La littérature sur le sujet nous a permis de constater que les deux techniques offraient un niveau d’efficacité satisfaisant en ce qui a trait à l’obtention de vraies confessions lors des interrogatoires. Toutefois, plusieurs études ont confirmé les risques que présente la technique Reid, particulièrement en matière d’émergence de fausses confessions.
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Table des matières
Introduction
Contexte théorique
Les types de fausses confessions
Fausses confessions volontaires
Fausses confessions par acquiescement
Fausses confessions intemalisées
Fausses confessions avec violence
Facteurs de risque personnels
La personnal i té
L’âge
Retard mental
Les troubles mentaux
La technique d’interrogatoire policière américaine
La technique Reid
Pré-interrogatoire
Interrogatoire
Isolation
La confrontation
La minimisation
Étape 1
Étape 2
Étape 3
Étape 4
Étape 5
Étape 6
Étape 7
Étape 8
Étape 9
L’efficacité
Les risques
L’impact de la technique Reid sur les populations vulnérables
Les risques liés à des facteurs situationnels de la technique Reid
La détection de la vérité et du mensonge
La technique Reid et les fausses confessions intemalisées
Les fausses confessions et le jury
La technique d’interrogatoire policière britannique
La technique PEACE
Historique
L’interrogatoire
L’efficacité
Les risques
Discussion
Recommandations pour les techniques d’interrogatoires nord-américaines
Conclusion
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