Les états dépressifs sont classés dans le groupe des troubles de l’humeur. Chaque individu a un niveau de base de l’humeur qui varie dans le sens du plaisir ou du déplaisir en fonction des sollicitations de l’environnement ou de ses représentations personnelles. Cependant, il reste relativement maître de ses expériences émotionnelles successives. En revanche, chez le déprimé, l’humeur est non seulement affaissée, déprimée, mais elle n’est plus contrôlable. Elle envahit le vécu du sujet qui ne peut s’en départir, même en changeant d’univers relationnel ou d’activité.
En psychiatrie, la dépression est un état pathologique de souffrance psychique et de culpabilité consciente, accompagné d’un abaissement marqué de l’estime de soi, de troubles psychomoteurs ainsi que de manifestations somatiques. La dépression compte parmi les cinq pathologies les plus fréquemment rencontrées en consultation de médecine générale [18]. D’après l’O.M.S [6], la prévalence mondiale de la dépression est de 5% avec une incidence de 3% dans la population générale, ce qui correspond à environ 100 millions d’individus. Les états dépressifs constituent un handicap social important et se situent au troisième rang des maladies invalidantes. Ils constituent une préoccupation majeure de santé publique. Selon les prévisions de l’O.M.S, la dépression deviendra en 2020, la 2e cause d’invalidité dans le monde après les maladies cardio-vasculaires.
Les circonstances de survenue de l’état dépressif peuvent être très différentes. Dans l’immense majorité des cas, la dépression apparaît chez des personnes précédemment indemnes de tout trouble psychique. Le diagnostic de dépression est facile dans les formes typiques ; cependant, il existe de nombreuses formes cliniques tant symptomatiques qu’évolutives dont certaines sont trompeuses, mettant davantage le pronostic vital immédiat en jeu en fonction du degré du potentiel suicidaire. Le pronostic à moyen terme est dominé par les rechutes et le pronostic à long terme est tributaire de la fréquence des récidives et de l’évolution vers l’unipolarité ou la bipolarité. La dépression est un trouble complexe, qui mérite une connaissance subtile de ses différentes expressions cliniques pour aménager un traitement précoce. En Afrique, la dépression a d’abord été considérée comme inexistante, ensuite rare, et enfin comme présentant des caractéristiques particulières [23;28;14]. Au Sénégal, beaucoup de travaux portant sur la dépression ont été réalisés dans le but d’une meilleure connaissance de cette pathologie. Avec l’évolution des habitudes de vie liée à une urbanisation progressive dans un contexte de mondialisation, il nous a paru opportun d’étudier les déterminants actuels de la dépression en milieu psychiatrique.
DEFINITIONS
L’humeur est une disposition affective fondamentale, riche de toutes les instances émotionnelles et instinctives qui donne à chacun de nos états d’âme une tonalité agréable ou désagréable, oscillant entre les deux pôles extrêmes du plaisir et de la douleur. (Jean Delay, 1946) Il s’agit d’une charge affective fondamentale qui confère au sujet une tonalité gaie, triste ou neutre. L’humeur normale est adaptée, c’est-à-dire congruente aux circonstances. Une humeur devient pathologique lorsqu’elle est fixe, non modifiée par les évènements. Cette perturbation peut être une tristesse pathologique, une gaieté anormale ou une indifférence. L’humeur dépressive s’associe à l’inhibition psychomotrice et aux perturbations instinctuelles pour constituer la dépression. La manie se définit comme une euphorie pathologique associée à un état de surexcitation psychomotrice. Elle s’accompagne parfois d’une hyperactivité et de symptômes physiques comme l’insomnie, la boulimie, l’augmentation de la libido etc. qui témoignent du désordre des fonctionnements organiques et neurovégétatifs [65]. La maladie maniaco-dépressive, autrefois appelée psychose maniaco-dépressive, est une maladie caractérisée par la survenue de manière cyclique d’épisodes dépressifs et/ou d’épisodes maniaques. Les manies et les dépressions se succèdent selon un rythme plus ou moins rapide. La CIM10 parle de trouble unipolaire ou de trouble bipolaire.
LES ASPECTS CLINIQUES
La description du syndrome dépressif
Le syndrome dépressif se manifeste par la tétrade symptomatique classique :
● L’humeur dépressive,
● Le ralentissement psychomoteur,
● L’anxiété,
● Les symptômes somatiques.
L’humeur dépressive
Elle se traduit par un sentiment de tristesse douloureuse, un éprouvé désagréable. Le sujet paraît triste, sombre, tendu, anxieux. Il a une vision pessimiste de soi et du monde extérieur. Le pessimisme vis-à-vis du monde extérieur est exprimé par l’anhédonie : la perte de la capacité à ressentir du plaisir qu’il soit intellectuel, esthétique, alimentaire ou sexuel. Il existe une profonde insatisfaction et un sentiment de dévalorisation, d’autodépréciation, de culpabilité et de honte. La douleur morale est constituée par la rumination douloureuse de ce vécu morbide au cours de laquelle le sujet ne cesse de penser continuellement à cette vie où il ne vaut rien. La vie est pour lui sans avenir, sans autre espoir que la mort. L’humeur dépressive s’associe souvent à l’émoussement affectif ou à un degré supérieur à l’anesthésie affective. Dans l’anesthésie affective le sujet n’éprouve plus de sentiments vis-à-vis de ses proches. Les activités ou les situations antérieurement agréables l’ennuient. Tous les domaines peuvent être atteints : les loisirs, la vie professionnelle ou domestique. Dans le cas extrême, l’anesthésie est totale. Le sujet ne ressent aucun affect et n’exprime plus rien : « ni amour, ni haine ».
Le sujet peut fortement se culpabiliser de ce sentiment d’indifférence vis-à-vis de ses proches. Cette culpabilité augmente alors son auto-dévalorisation. Quand l’indifférence affective est légère, on parle de simple émoussement affectif qui est une perte de plaisir et d’intérêt, une sensation d’un manque de sensibilité, une absence de participation aux activités socioprofessionnelles. C’est un précieux signe au début des épisodes dépressifs. L’instabilité des affects encore appelée « incontinence affective » est souvent révélatrice des syndromes dépressifs car elle surprend le sujet et l’entourage. [44] Le sujet devient brutalement irritable, impulsif, intolérant voire hostile à son entourage. Il présente des crises de larmes soudaines ou déclenchées par les départs, la solitude ou les tâches à accomplir. Cette instabilité des affects tend à augmenter la culpabilité pathologique déjà présente. Il n’y a pas d’affect dépressif sans angoisse. Cela va de l’appréhension (crainte vague) excessive face à un événement, à la stupeur ou à l’agitation anxieuse avec son cortège de symptômes psychiques et neurovégétatifs [56]. L’acte suicidaire apparaît comme un moyen pour mettre fin à la souffrance inexorable, puisqu’il n’y a plus d’espoir pour le patient. Le seul avenir acceptable est représenté par la mort. Les idées suicidaires peuvent demeurer vagues et lointaines ou bien se préciser dangereusement jusqu’au passage à l’acte, le plus souvent réussi. Le suicide peut être ingénieux c’est à dire médité depuis longtemps. A l’inverse, il peut être impulsif sous forme de raptus. Il peut prendre l’aspect d’un équivalent suicidaire par un refus alimentaire complet ou un refus de traitement. Le suicide est à craindre à tout moment de l’évolution d’une dépression surtout lors d’un relâchement de l’attention de l’entourage. Le patient peut néanmoins dissimuler aux thérapeutes l’existence de ses idées suicidaires et masquer son autoagressivité [44].
Le ralentissement psychomoteur
Le ralentissement dépressif, expression de l’inhibition ou « perte de l’élan vital » se traduit par le ralentissement psychique, moteur et par la fatigue intense. Le ralentissement psychique (bradypsychie) est un symptôme présent dans la plupart des syndromes dépressifs. Le cours de la pensée est pénible, les capacités d’association sont entravées. Il y a un appauvrissement des thèmes et leur développement est difficile (monoïdéisme dépressif).Le patient a des difficultés à se concentrer, à rassembler ses idées, à soutenir son attention pour la lecture, pour la conversation etc. Il y a perception d’un ralentissement du temps, sentiment que les journées se prolongent. Le ralentissement moteur se manifeste par l’incapacité à se mouvoir, par la rareté des mouvements des membres, du tronc ou de la mimique (hypomimie).Le comportement évoque l’abattement, l’apathie. La gestuelle et la démarche sont ralenties. Le débit verbal est ralenti et peut atteindre à un degré extrême, le mutisme. La voix est à peine audible, le ton est monocorde. La fatigue dont se plaint le patient ne cède pas au repos : « je suis pourtant allongé toute la journée et je n’ai plus de force à rien ».Cette « asthénie vitale » retentit sur tous les gestes de la vie quotidienne (manger, faire sa toilette, s’habiller, monter les escaliers) et peut mener à l’incurie. On observe aussi, dans bien des cas, une agitation qui consiste en des gestes stéréotypés, improductifs .L’agitation est reliée à l’état de tension intérieure ressentie par le déprimé qui n’arrive pas à tenir en place. Il ne s’agit pas ici d’une augmentation de l’activité motrice normale mais plutôt d’une hyperactivité anxieuse [42]. Pour certains auteurs, le ralentissement psychomoteur est l’expression clinique de la perte d’initiative des actions ou des opérations mentales par le sujet. Cette indécision du sujet face aux tâches de vie quotidienne est importante et peut aller jusqu’à l’aboulie : « perte de l’initiative motrice ».
L’anxiété
Elle est fréquemment associée au tableau dépressif sous forme d’un malaise indéfini, d’une tension psychique, d’un tourment jusqu’à la crise de panique avec son cortège de symptômes somatiques à type de sensations douloureuses thoraciques, de pesanteur gastrique, de difficultés d’inspiration (sensation d’une boule œsophagienne), de palpitations cardiaques, de rougeur ou pâleur de la face et de pollakiurie. Cette anxiété est dite « vitale » parce qu’elle est quasi corporelle, à type de sensation de striction cervicale ou d’oppression thoracique, d’estomac noué.
Les symptômes somatiques
L’atteinte somatique est quasi-constante et se compose du « trépied instinctuel » (sommeil, alimentation, sexualité) et parfois d’une symptomatologie somatique essentiellement douloureuse. Dans la majorité des cas, on observe une perte d’appétit et de sensibilité gustative. Cette perte d’appétit est souvent associée à une perte de poids. L’insomnie, sous toutes ses formes, domine l’atteinte du sommeil. Elle peut prédominer lors de l’endormissement ou occasionner de nombreux réveils nocturnes. Lorsqu’elle est matinale elle a une grande valeur diagnostique. Quand le tableau dépressif est très intense, il n’est pas rare de rencontrer des perturbations très marquées du sommeil avec insomnie initiale, moyenne et terminale. A ce stade le patient a l’impression qu’il n’est virtuellement plus capable de dormir ou que le peu de sommeil qu’il peut avoir est très léger, entrecoupé de cauchemars fréquents. On note aussi une diminution de la libido dans la grande majorité des cas (évitement, ennui ou dégoût vis-à-vis des rapports sexuels, impuissance, frigidité). La baisse de la libido contribue à majorer le sentiment d’autodépréciation du malade. L’impuissance est dévalorisante pour l’homme, la frigidité est culpabilisante pour la femme. Le patient déprimé manifeste souvent des plaintes somatiques pouvant s’associer aux autres éléments du syndrome dépressif ou bien résumer à elles seules le tableau clinique (dépression masquée). Parmi les plus fréquentes on retrouve : les céphalées, les vertiges, la tachycardie, les palpitations, les précordialgies, l’hypotension artérielle, la sécheresse buccale, la constipation, la dysurie, les douleurs lombaires, musculaires, abdominales, etc.
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Table des matières
INTRODUCTION
1- DEFINITIONS
2- LES ASPECTS CLINIQUES
2.1- La description du syndrome dépressif
2.2- Les formes cliniques de la dépression
2.2.1- L’accès mélancolique
2.2.2- La dépression simple
2.2.3- La dépression anxieuse
2.2.4- La dépression délirante
2.2.5- Les états mixtes
2.2.6- La dépression masquée
2.2.7- La dépression récurrente
2.2.8- La dépression chronique
2.2.9- La dépression d’involution
2.2.10- La dépression du sujet âgé
2.2.11- La dépression chez la femme
2.2.12- La dépression de l’adolescent
2.2.13- Les formes étiologiques
2.2.13.1- Les dépressions endogènes
2.2.13.2-Les dépressions non endogènes
2.2.13.2.1- La dépression psychogène
2.2.13.2.2-Les dépressions secondaires
2.2.13.2.2.1- Les affections psychiatriques
2.2.13.2.2.2- Les affections organiques
2.2.13.2.3- La dépression dite «iatrogène»
3- LES ASPECTS EVOLUTIFS ET PRONOSTIQUES
4- FACTEURS ETIOPATHOGENIQUES
4.1-Les facteurs génétiques
4.2- Les facteurs biologiques
4.2-1- Les hypothèses monoaminergiques
4.2.2- Les perturbations électrolytiques
4.2.3-Les théories chronobiologiques
4.3- Les facteurs psychologiques
4.3.1- Les théories psychanalytiques
4.3.2- Les théories cognitives
4.3.3- Les théories phénoménologiques
4.4- Les facteurs environnementaux
5- LES ASPECTS THERAPEUTIQUES
5.1- Le but du traitement
5.2- Les moyens thérapeutiques
5.2.1- L’hospitalisation
5.2.2- La chimiothérapie
5.2.2.1- Les antidépresseurs
5.2.2.2- Les thymorégulateurs
5.2.3- L’électro-convulsivothérapie
5.2.4- La psychothérapie
5.2.4.1- La thérapie de soutien au malade
5.2.4.2- La thérapie cognitivo-comportementale
5.2.4.3-Les entretiens familiaux
6- HISTORIQUE DE LA DEPRESSION
7-NOSOGRAPHIE
7.1-La classification de l’INSERM
7.2-La CIM-10
7.3-DSM-IV
CONCLUSION