La description chronologique du développement des pratiques professionnelles inclusives
Des sociétés et des écoles plus inclusives
D’importants efforts s’accomplissent =’chaque jour et au-delà des frontières pour insti- tuer des sociétés de plus en plus démocratiques. Ces efforts se traduisent entre autres par la façon dont ces communautés réagissent à l’ égard, de la différence ainsi que par leur capacité à faire participer des groupes ayant vécu ou vivant encore de la ségrégation (Grossman, 2008). En ce sens, la démocratie s’avère étroitement liée à la capacité d’ inclusion sociale d’une société, c’est-à-dire à son potentiel à soutenir la participation de chaque individu aux sphères civiques, économiques, sociales et culturelles de la société (Gutman, 2004).
Cet idéal poursuivi à travers l’inclusion sociale représente encore aujourd’hui un défi bien réel, même pour les sociétés occidentales (Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture [UNESCO], 2003, 2009). Devant l’ampleur du chantier, l’UNESCO (1994) désigne l’éducation comme le principal outil qui puisse permettre à des personnes économiquement et socialement marginalisées de se sortir de cette réalité et de participer pleinement au sein de la communauté. À cette fin, l’éducation doit se rendre accessible et ouverte à la diversité (Grossman, 2008). En se démocratisant, elle cherche à donner non seulement à chaque individu et à chaque groupe l’accès à l’éducation, mais également à tenir compte des besoins particuliers de ces derniers, car « ce n’ est que lorsque la scolarisation est rendue accessible, acceptable et adaptable aux besoins des apprenants qu’ il est possible de réaliser le droit à l’ éducation » (OsIer et Starkey, 2005, p. 77). C’ est dans cette perspective que plusieurs sociétés s’ efforcent de rendre leur système scolaire plus inclusif. Au sens large, l’éducation inclusive désigne une mise en action consciente de valeurs basées sur l’équité, le droit, la communauté, la participation sociale et le respect des différences. Elle est pour ainsi dire toujours liée à la réduction de l’exclusion sociale (Ainscow et César, 2006; Booth, Nes et Stromsad, 2003). S’efforçant d’offrir à tous les élèves des opportunités d’apprentissage optimales sur le plan académique et social, l’éducation inclusive se donne pour mission qu’ils puissent devenir membre de la société à part entière (Brown et Bauer, 2001).
Les difficultés relatives à la mise en œuvre de l’intégration scolaire
Sur le plan attitudinal
Plusieurs chercheurs reconnaissent le rôle majeur joué . par les attitudes de l’enseignant à propos de l’intégration scolaire et dés EHDAA vis-à-vis de la mise en œuvre de l’ intégration et la réussite des élèves ayant des besoins particuliers (Avramidis, Bayliss et Burden, 2002; Doré, Wagner et Brunet, 1996; Elliott, 2008; MEQ, 1999a). Les attitudes de l’ enseignant peuvent soutenir ou nuire à la réalisation de projets visant à scolariser une diversité d’apprenants en classe dite ordinaire.
Bien que des craintes relativement à l’intégration scolaire soient observées chez les enseignants du primaire, c’est à l’ordre d’enseignement secondaire que la situation s’ avère plus préoccupante. En effet, les enseignants du secondaire sont plus négatifs que leurs homologues du primaire en regard de l’ intégration scolaire (Home et Timmons, 2009). Certaines études provenant des États-Unis, de l’Angleterre et du Canada révèlent qu’une proportion importante d’enseignants du secondaire présentent des attitudes négatives relativement à l’ intégration scolaire (Dufour, 2006; Ellins et Porter, 2005; Koutrouba, Varnvakari et Steliou, 2006; Van Reusen, Shoho et Barker, 2001). À titre d’exemple, certains estiment que la présence d’ élèves ayant des besoins particuliers au sein de leur classe peut nuire au processus d’apprentissage du groupe classe. Ils sont d’avis que cette intégration rend l’ enseignement plus difficile et qu’il en découle une diminution des performances scolaires pour tout le groupe (Koutrouba et al. , 2006). Ces mêmes appréhensions sont relevées dans l’ étude de Van Reusen et al. (2001) qui démontre que plusieurs enseignants du secondaire craignent que l’ intégration affecte le climat de classe ainsi que la qualité de l’ enseignement et il finisse par miner la qualité des apprentissages effectués. Entre autres choses, les enseignants des matières dites plus fondamentales telles que les sciences présentent des attitudes plus négatives à l’ égard des élèves ayant des besoins particuliers (Ellins et Porter, 2005).
Sur le plan pédagogique
Force est d’admettre que plusieurs enseignants éprouvent des difficultés importantes à composer avec l’ hétérogénéité des classes (Conseil supérieur de l’ éducation [CSE], 2010; Humphrey, Bartolo, Ale, Calleja, Hofsaess, Janikova et al., 2006). Plus souvent, les stratégies d’ enseignement se limitent à un enseignement plus traditionnel qui tient peu compte de la diversité des élèves (Prud’homme, Samson, Lacelle et Marion, 2011 ; Tornlinson, Brighton, Hertberg, Callahan, Moon, Brimijoin et al. , 2003). Au Québec, le rapport d’évaluation de la politique québécoise de l’adaptation scolaire (Gaudreau et al. , 2008) démontre que les méthodes pédagogiques exploitées par les enseignants sont la plupart du temps assez conventionnelles, et ce, malgré le fait que la Politique appelle à l’ usage d’ approches variées et souples. En concordance avec ces constats, le rapport du CSE (2010) sur l’ état et les besoins de l’éducation émet l’avis selon lequel les faibles taux de diplomation dans le temps prévu et l’augmentation des taux de retard scolaire reflètent la difficulté du système éducatif à s’adapter aux différents rythmes d’apprentissage des élèves et à répondre aux besoins des élèves qui éprouvent des difficultés. Au Québec (CSE, 2010; Paré, 2011;
Prud’homme et al. , 2011) ou ailleurs (Avrarnidis et al. , 2002; Picano et Poizat, 2006), la mise en œuvre de pédagogies différenciées s’ avère généralement ardue. Pourtant, la question de la nature des pratiques d’enseignement employées en regard de la diversité semble déterminante.
La perspective normalisante : une pression à devenir « comme les autres »
Le principe de normalisation est étroitement associé au mouvement d’ intégration de type mainstreaming. À l’origine, le modèle scandinave de la normalisation vise à donner à l’ enfant présentant un handicap les moyens et les conditions pour vivre une vie adulte se rapprochant le plus possible de ce qui est considéré comme « normal » au sein de sa communauté (Nirje, 1985). Repris aux États-Unis par Wolfensburger (1972), le modèle initial de normalisation subit une transformation importante. En effet, Wolfensburger cherche non seulement à offrir des conditions de vie les plus normales possible à la personne handicapée, mais également à créer chez elle un comportement rejoignant la norme (AuCoin et Vienneau, 2010). Dans une telle perspective, l’enfant doit se conformer le plus possible aux exigences de l’ éducation ordinaire et aux normes en vigueur dans la classe (AuCoin et Vienneau, 2010; Beauregard et Trépanier, 2010). Il a donc la responsabilité d’ évoluer comme les autres et sera intégré s’ il fait la démonstration qu’ il peut suivre l’ enseignement dispensé à tous les élèves de la classe (Thomazet, 2008). De ce point de vue, la mise en œuvre de l’ intégration scolaire s’ effectue en cherchant à opérer des changements chez l’élève pour qu’il puisse répondre aux exigences de l’ éducation ordinaire.
Une compréhension des difficultés scolaires centrée sur les caractéristiques de l’élève
Le modèle médical et celui de la pathologie sociale ont largement influencé le mouvement d’intégration scolaire (Ainscow, 1996; Avramidis et al. , 2002; Amaiz Sachez, 2003; Beauregard et Trépanier, 2010; Boutin et Bessette, 2009). Toujours influents, ces modèles contribuent au maintien d’ une conception dominante quant à la façon de répondre aux besoins particuliers des élèves. En effet, Ainscow (1996) met en évidence que la façon de répondre aux difficultés scolaires rencontrées par certains élèves est la plupart du temps basée sur un raisonnement qui consiste à poser ou à interpréter les problèmes en se rapportant uniquement aux caractéristiques de l’ élève.
Ces problèmes sont alors abordés indépendamment du milieu et du contexte social dans lesquels ils se manifestent. Dans le cadre des travaux d’Ainscow (1996), cette façon d’aborder les difficultés réfère à Une « définition fondée sur l’élève ». Selon le chercheur, la majorité des approches et des méthodes développées pour aider les élèves éprouvant des difficultes à l’école est axée sur l’individu elle passe par une évaluation centrée sur l’ élève pour déterminer les caractéristiques qui l’empêchent d’apprendre. Or, cette conception largement répandue peut nuire à l’ élève, car elle amène une centration sur le diagnostic ainsi que sur la catégorisation de l’élève à partir de la nature de ses difficultés (Ainscow, 1996; Thomas et Loxley, 2007; Thomazet, 2008). Elle justifie alors la présence de systèmes de catégorisation, comme en témoigne le système en cascade québécois. Qui plus est, une « définition fondée sur l’ élève » influence la façon dont les enseignants répondent aux besoins des élèves.Elle entraîne une analyse du groupe-classe selon des « catégories d’élèves » pour lesquels un enseignement ou un type d’ enseignant différent sera perçu nécessaire (Ainscow, 1996).
Un mouvement vers l’inclusion scolaire
Depuis une dizaine d’années, plusieurs chercheurs et praticiens s’affairent à soutenir le passage de l’ intégration scolaire à l’ inclusion scolaire (Ainscow, 2000; Downing et Eichinger, 2003; Rousseau et Prud’ homme, 2010; Vienneau, 2002; Thomazet, 2008).
Ce mouvement ralliant un nombre d’ adhérents grandissant (Boutin et Bessette, 2009) se décrit comme un modèle pédagogique dont le but est de répondre aux besoins particuliers de tous les apprenants, qu’ ils soient ou non HDAA (Vienneau, 2002).
L’ école inclusive est celle où tous les élèves y ont d’emblée leur place (Thomazet, 2008; Rousseau et Prud’homme, 2010) et où l’ensemble du personnel scolaire s’ engage à prendre la responsabilité de tous les élèves (Brown et Bauer, 2001 ; Booth et al. , 2003; Rouse et Florian, 1996). Le passage de l’intégration scolaire à l’inclusion scolaire implique l’actualisation d’une participation sociale authentique de tous les élèves de la classe (Brown et Bauer, 2001). Les acteurs éducatifs reconnaissent, accueillent et valorisent la diversité sans tenter de la camoufler et ils cherchent continuellement de nouvelles façons d’ adapter leur enseignement pour répondre aux besoins des élèves (AuCoin et Vienneau, 2010).
Soutenir l’ apprentissage de tous les élèves en classe ordinaire ne peut se concrétiser sans une volonté manifeste de l’école d’ enclencher un important processus de changement dans les modes d’ organisation ainsi que dans les façons de concevoir l’enseignement, l’apprentissage et les difficultés des élèves (Ainscow, 1996; UNESCO, 2009). Selon Ainscow (1996), le regard historique porté sur l’évolution de l’aide apportée aux élèves ayant des besoins particuliers incite à penser que les progrès dans ce domaine dépendent d’ une reconnaissance générale du fait que les difficultés scolaires de l’élève s’associent certainement aux modes d’organisation scolaire et d’enseignement
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 :PROBLÉMATIQUE
1.1 Des sociétés et des écoles plus inclusives
1.2 L’intégration scolaire au Québec
1.3 Les difficultés relatives à la mise en œuvre de l’ intégration scolaire
1.3.1 Sur le plan attitudinal
1.3.2 Sur le plan pédagogique
1.4 Les écueils associés à l’ approche d’ intégration de type mainstreaming
1.4.1 La perspective normalisante: une pression à devenir « comme les autres»
1.4.2 Une compréhension des difficultés scolaires centrée sur les caractéristiques de l’élève
1.4.3 Un renforcement de la ségrégation
1.5 Un mouvement vers l’ inclusion scolaire
1.6 Le défi de l’ inclusion scolaire à l’ ordre d’enseignement secondaire
1.7 Des écueils sur le plan de la formation et de la préparation à rencontrer un environnement de classe hétérogène
1.8 La question générale de recherche
CHAPITRE II :CADRE CONCEPTUEL
2.1 Les pratiques professionnelles inclusives
2.1.1 L’ inclusion scolaire
2.1.2 Les caractéristiques des écoles inclusives
2.2 La formation continue comme vecteur des pratiques professionnelles inclusives
2.2.1 Mettre en place une formation à long terme qui prend racine au sein de l’ école
2.2.2 Soutenir l’ apprentissage par la réflexion et l’ action
2.2.3 Provoquer des prises de conscience et des remises en question des principes qui guident l’action professionnelle
2.2.4 Créer des espaces de formation interactifs et coopératifs
2.2.5 Aborder certains thèmes particuliers
2.2.6 Considérer la recherche participative comme voie à privilégier
2.3 L’objectif général et les questions de recherche
CHAPITRE III :MÉTHODOLOGIE
3.1 L’approche participative: avec, sur et pour les praticiens
3.2 Le choix d’ une recherche-action-formation comme forme originale de recherche action
3.3 L’opérationnalisation de la méthodologie
3.3.1 Les rôles du chercheur dans une vision énovative du changement
3.3.2 La description des participants et les modalités de recrutement
3.3.3 Les méthodes et outils de collecte de données
3.3.4 L’ analyse des données et les outils exploités
3.3.5 Les critères de rigueur
CHAPITRE IV :RÉSULTATS
4.1 Le contexte
4.1.1 Les caractéristiques de l’équipe-famille
4.1.2 Les caractéristiques des élèves
4.1.3 Le rapport initial des participants en regard du projet
4.2 Le sens initial attribué au phénomène
4.2.1 La réussite scolaire
4.2.2 L’apprentissage
4.2.3 L’enseignement
4.2.4 La diversité des apprenants
4.2.5 L’intégration scolaire
4.2.6 Ce qui aide un élève ayant des besoins particuliers à réussir en classe ordinaire
4.3 La description chronologique du développement des pratiques professionnelles inclusives
4.3.1 Première rencontre de recherche-action-formation
4.3.2 Deuxième rencontre de recherche-action-formation
4.3.3 Troisième rencontre de recherche-action-formation
4.3.4 Quatrième rencontre de recherche-action-formation
4.3.5 Cinquième rencontre de recherche-action-formation
4.3.6 Suivi de la cinquième rencontre: réalisation de l’ activité de sensibilisation aux différences
4.3.7 Sixième rencontre de recherche-action-formation
4.3.8 Septième rencontre de recherche-action-formation
4.3.9 Huitième rencontre de recherche-action-formation
4.3.10 Synthèse la démarche chronologique
4.4 Les éléments constitutifs du développement de pratiques professionnelles inclusives
4.4.1 Le processus évolutif individuel et collectif
4.4.2 Les résultantes
4.4.3 Le travail d’accompagnement et de formation
CHAPITRE V :DISCUSSION
5.1 La nécessité de revisiter la problématique
5.1.1 Les aspects attitudinaux
5.1.2 Les aspects opératoires
5.1.3 Les aspects émotionnels
5.2 Des repères pour soutenir le développement de pratiques professionnelles inclusives
5.2.1 Placer les pratiques existantes au cœur du dispositif de formation continue
5.2.2 Rendre le savoir accessible et concret
5.2.3 Privilégier les démarches collectives afin de stimuler le dépassement du répertoire de pratiques
5.2.4 Soutenir la planification et la réalisation d’ expériences probantes
5.2.5 Aider à comprendre et identifier les besoins d’apprentissage
5.2.6 Offrir un soutien psychosocial
5.2.7 Développer une base solide de connaissances entourant la gestion de classe, l’apprentissage et l’ enseignement ainsi que les liens qui les unissent
5.2.8 Cultiver l’art de suivre le mouvement et de vivre l’ instabilité
CONCLUSION
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