Epidémiologie et contexte
L’enfance est une période riche en découvertes et l’interaction avec ce qui l’entoure conditionne sa vie future. D’après l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), la santé mentale est « le fondement du bien-être d’un individu et du bon fonctionnement d’une communauté ». Afin de s’épanouir, les enfants et adolescents ont donc besoin d’une santé mentale équilibrée. Pourtant un rapport de l’Unicef de 2014, établit que 30.2% des enfants âgés de 6 à 11 ans expriment une souffrance psychologique. (4) En France, selon les données de l’INSERM de 2002, 5% des enfants de moins de 12 ans souffrent de troubles anxieux et 0.5% de dépression. Ce taux augmente avec l’âge. A l’adolescence, 3% d’entre eux sont touchés par la dépression. Les filles étant plus souvent affectées à cette période, avec un sexe ratio de deux filles pour un garçon à 17-18 ans. (5) La plupart d’entre eux ont aussi d’autres comorbidités psychiatriques. (1,6) La prescription médicamenteuse reste une option de deuxième recours. Dans une étude française de 2015, l’usage des psychotropes a été observé chez 2.5% des enfants et adolescents, dont 1.9% d’anxiolytiques et 0.3% (7) à 0.83% (8) d’antidépresseurs. Ce recours à la médication est plus souvent rencontré dans les milieux sociaux précaires. Ainsi, au Royaume Uni, il est prescrit deux fois plus de psychotropes dans les 10% des zones les plus défavorisées par rapport aux 10% des zones moins défavorisées. (9) Cette observation peut s’expliquer par les difficultés financières d’accès aux prises en charge pour les familles moins aisées. (6) Dernièrement, la pédiatrie fait l’actualité avec une saturation du système de santé. En parallèle, le nombre de pédopsychiatres exerçant sur le territoire a été divisé par deux en dix ans avec une moyenne d’âge de 62 ans. (10) La situation de la pédopsychiatrie est préoccupante.Il y a un manque de professionnels pour une demande croissante de consultation en psychiatrie. La saturation des structures d’entrées au parcours de soins psychiatriques adaptés pose un réel problème dans la prise en charge des enfants et adolescents. Le temps d’attente pour bénéficier d’un suivi en CMP ou CMPP est de neuf mois par exemple dans les CMP des Bouches du Rhône mais il peut même atteindre plus d’un an dans d’autres départements. (6) La pandémie de COVID-19 et les différentes mesures de confinement ont majoré cette tendance déjà précaire. (11) La détresse psychique des jeunes s’est intensifiée et le recours aux hospitalisations a bondi de 63% pour les idées suicidaires, de 96% pour les troubles anxieux et dépressifs mais aussi de 68% pour les troubles du comportement alimentaires au CHU de Rouen. (12)
Recommandations générales de prise en charge
La Haute Autorité de Santé a publié une Recommandation de Bonne Pratique en novembre 2014 sur les manifestations dépressives à l’adolescence entre 12 et 18 ans. (3) Les objectifs de soins reposent avant tout sur le développement de l’enfant afin de favoriser son épanouissement à la fois physique, psychique et comportemental. Il est important d’intégrer l’enfant ou l’adolescent au réseau de soin tout en restaurant le lien avec son environnement. (3) La recherche d’un diagnostic différentiel est de mise avant d’évoquer le diagnostic et, le cas échéant, vérifier l’absence de contre-indication aux traitements. Un algorithme de prise en charge a été réalisé par l’équipe du Dr DRIOT en 2020 après méta analyse des revues sur le sujet.
Les inhibiteurs sélectifs de recapture de la sérotonine
Seule la FLUOXÉTINE (ProzacⓇ) a obtenu l’AMM dans la prise en charge de l’épisode dépressif caractérisé chez les enfants de plus de huit ans. Avant l’instauration du traitement, le bilan biologique n’est pas obligatoire. Il peut être indiqué un contrôle de la TSH, de l’hémoglobine, une glycémie à jeun, une fonction rénale et une fonction hépatique si aucun bilan n’avait été réalisé auparavant afin de ne pas méconnaître une pathologie somatique sous-jacente (23). Une évaluation clinique minutieuse à la recherche de comorbidités à la fois somatique et psychiatrique (trouble bipolaire) doit être réalisée. Cette évaluation doit être effectuée sur une période suffisante afin d’aborder toutes les problématiques de l’enfant et de l’adolescent. (10) La réalisation d’un ECG peut être nécessaire avant l’instauration du traitement. (30,31) Il est recommandé d’initier le traitement à une faible dose (10 mg) et d’augmenter très progressivement en veillant à atteindre la posologie maximale efficace. (31) La dose maximale recommandée est de 60 mg par jour. Les contre-indications à sa prescription sont l’association avec les inhibiteurs non sélectifs et irréversibles de la monoamine oxydase (IMAO). C’est lors de son introduction, que l’enfant est le plus à risque de développer des effets indésirables. Il est indispensable de savoir les reconnaître. Il est décrit que ses effets peuvent toucher 10 à 25% des jeunes. (10) Il faut être attentif tout particulièrement à la majoration des comportements de type suicidaires et agressifs, plus souvent décrits dans cette population. Utilisée au long cours, il peut y avoir des effets sur la croissance en raison d’un effet sur la densité osseuse (30,31) et la maturation sexuelle. Un contrôle clinique doit être systématiquement réalisé avec le suivi du stade de Tanner, et le contrôle de l’IMC. Les autres effets les plus souvent décrits sont les troubles digestifs (nausée, vomissement, douleur abdominale et variation de l’appétit), les troubles neurovégétatifs à type de rash cutané ou hypersudation et tremblements, l’allongement du QT et les saignements. Le syndrome sérotoninergique est peu décrit mais à bien garder en tête en cas de prescription. (30,31) Après la prescription, il convient de garder un contact hebdomadaire avec l’enfant ou l’adolescent au moins le premier mois du traitement. Le suivi peut se poursuivre toutes les deux semaines pendant le deuxième mois puis tous les mois si le médicament est bien toléré. Le traitement doit être poursuivi six à douze mois. (29) L’arrêt de la FLUOXÉTINE se fait progressivement. Il peut y avoir un phénomène de rebond à surveiller attentivement du fait d’une demi-vie longue de la FLUOXÉTINE et de son métabolite actif (respectivement de quatre et seize jours). (32) Le suivi clinique doit être poursuivi encore au moins six à douze mois après l’arrêt de l’antidépresseur. (29) En cas d’inefficacité ou de mauvaise tolérance de la FLUOXÉTINE, il convient d’utiliser un autre ISRS : la SERTRALINE (ZoloftⓇ). Cette prescription est hors AMM pour l’épisode dépressif caractérisé de l’enfant, son autorisation est limitée aux troubles obsessionnels et compulsifs. (3)
Une population cible hétérogène et plurielle
La santé mentale des jeunes est un aspect très souvent citée ces dernières années notamment dans les pays développés. Aborder un enfant ou un adolescent n’est pas si simple et l’adaptation du médecin généraliste doit être optimale. « Cette polyvalence associée à la médecine générale exprime bien l’aspect d’omnipraticien au médecin généraliste » propos souligné par le Dr DALEM. (52) Le jeune patient vulnérable apprend et évolue dans un environnement complexe à bien des égards (familial, social, scolaire, amical etc..) indispensable à prendre en compte lors du soin. L’approche bio-psycho-sociale analyse ces interactions en intégrant son apprentissage de la vie. Elle constitue la base de l’évaluation de tout enfant ou adolescent. Le Dr BINDER illustre bien ce qui a été relevé lors des entretiens. Il promeut « une investigation globale à la fois somatique et psychique, associée à une attitude adaptée, afin d’installer une relation de confiance avec l’enfant et permettre au médecin généraliste d’occuper son rôle en termes de prévention, d’éducation et de coordination des soins ». (53) L’assurance maladie vient de publier en février 2023, un guide d’accueil de l’adolescent en médecine générale avec les différentes ressources disponibles dont les nombreux travaux du Dr BINDER. (54) La prise en charge psychologique peut être difficile à entendre pour quelques patients. Plusieurs médecins interrogés évoquent son caractère encore tabou dans certaines familles même si elle se démystifie avec les nouvelles générations. (55) Cette problématique peut s’expliquer par un manque d’information et de prévention en santé mentale chez le grand public. En 2018, l’ARS s’est penchée sur ce sujet et a établi une feuille de route pour sensibiliser l’importance des acteurs de première ligne et du système éducatif dans l’évolution des représentations. (56) Un programme Mondial « Youth Aware of Mental health » (YAM) vise à sensibiliser les jeunes de 13 à 17 ans sur la notion de santé mentale au sein de la scolarité. Des études menées dans de nombreux pays participants ont évalué positivement ce dispositif, incitant à poursuivre son expansion. (57)
CONCLUSION
L’épisode dépressif chez les enfants et adolescents est un diagnostic auquel les professionnels de santé d’une part et le grand public d’autre part ont été sensibilisés relativement récemment. Sa prise en charge est un enjeu majeur de santé publique, la crise du COVID 19 semble avoir été un puissant catalyseur dans l’expansion de cette pathologie et l’information a été largement relayée dans les médias Elle met en jeu un certain nombre d’acteurs dont la place centrale est occupée par le médecin généraliste. Des recommandations ont été émises quant à l’utilisation des psychotropes afin d’aider les acteurs de première ligne. Pourtant dans la pratique, l’introduction de tels traitements reste une source d’inquiétudes ou de questionnements à la fois pour le jeune, sa famille et parfois même le prescripteur pouvant être plus ou moins bien vécue par le médecin de famille. Cette étude axée sur la place du médecin généraliste et de son vécu, liée à la prescription médicamenteuse associée, a permis d’éclairer par l’analyse d’entretiens semi-dirigés les réflexions faisant écho à des études internationales. L’approche bio-psycho-sociale adoptée bouscule les paradigmes de la pratique médicale et promeut une médecine personnalisée et humaniste (pratique du « care »). (70) Le médecin généraliste, par sa position et les qualités inhérentes à sa place privilégiée dans le soin, est en première ligne face à ces prises en charge complexes et longues. Beaucoup d’initiatives ont vu le jour à la fois dans le secteur de la pédopsychiatrie et de la médecine générale afin d’accompagner au mieux les jeunes en souffrance. La coordination de tous les acteurs de proximité en est la clé. L’adaptation collective du soin assure un vécu optimal autant pour le soigné que pour le soignant.
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Table des matières
INTRODUCTION
I. La dépression des enfants et adolescents
I.1 Généralités
I.1.1 Epidémiologie et contexte
I.1.2 Des répercussions marquées chez l’enfant et l’adolescent
I.2 Définitions
I.2.1 Diagnostic clinique
I.2.2 Particularités cliniques pédiatriques
I.2.3 Facteurs de risque et facteurs protecteurs
I.3 Les moyens de dépistage
I.4 Thérapeutiques
I.4.1 Recommandations générales de prise en charge
I.4.2 La psychothérapie en première intention
I.4.3 Les psychotropes
II. La place du médecin généraliste
II.1 Le médecin généraliste, acteur pivot du soin
II.2 Missions du médecin généraliste auprès des jeunes
II.3 Les interlocuteurs au médecin généraliste dans le cadre de la santé mentale
III. La place de l’étude qualitative
III.1 Définition et contexte
III.2 Objectifs de l’étude
MATERIEL ET METHODE
I. Type d’étude
II. Constitution de l’échantillon
III. Guide de l’entretien
IV. Collecte des données
V. Analyse qualitative des données
VI. Cadre légal et éthique
RESULTATS
I. Description de la population interrogée
II. Le jeune patient, une personne en interaction
II.1 L’enfant/l’adolescent : une clinique adaptée
II.1.1 Un contact personnalisé
II.1.2 L’épisode dépressif caractérisé, une évaluation globale
II.2 Une souffrance partagée
II.2.1 Avec ses parents
II.2.2 Avec l’école
II.3 Un contexte social non négligeable
II.4 L’application de la prescription
II.4.1 Les retours du patient évoqués
II.4.2 Les retours de la famille évoqués
III. Les acteurs de la pédopsychiatrie
III.1 Un contexte sous tension
III.1.1 Des mesures déjà mises en place
IV. Le médecin généraliste : une personne au centre de la prise en charge
IV.1 Une personnalité singulière
IV.1.1 Une posture adaptée
IV.1.2 Avec ses faiblesses
IV.1.3 Et ses forces
IV.2 Une consultation sur-mesure
IV.2.1 Des motifs variés
IV.2.2 Dans un cadre sur-mesure
IV.2.3 Un temps consacré
IV.3 Une relation singulière
IV.3.2 Avec la famille du patient
IV.3.3 Et avec les acteurs de pédopsychiatrie
IV.4 L’abord du médicament
IV.4.1 Un point de vue contrasté
IV.4.2 Une prescription choisie
IV.4.3 Un suivi coordonné
IV.5 Un vécu contrasté
IV.6 Des perspectives envisagées
IV.6.1 Une accessibilité des patients aux soins
IV.6.2 Un approfondissement des ressources
DISCUSSION
I. Les limites et forces de l’étude
I.1 Les limites
I.1.1 La population interrogée
I.1.2 L’environnement des lieux d’entretiens
I.1.3 Le lieu d’exercice des médecins généralistes
I.1.4 Le manque d’expérience et le temps de mise en place de l’étude
I.1.5 Un moyen d’enregistrement unique
I.1.6 Le temps des entretiens
I.2 Les forces
I.2.1 Originalité du sujet
I.2.2 Méthode de recrutement
I.2.3 Richesse des entretiens
I.2.4 La COREQ
II. Discussion des principaux résultats confrontés à la littérature
II.1 Une population cible hétérogène et plurielle
II.2 La pédopsychiatrie, un secteur sous tension
II.3 Le médecin généraliste, le « chef d’orchestre » de la prise en charge
III. Pour aller plus loin
CONCLUSION
ANNEXES
BIBLIOGRAPHIE
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