Les experts du Groupe Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC, lauréats du prix Nobel de la Paix 2007) s’accordent sur une corrélation entre l’augmentation constante de la concentration atmosphérique des principaux gaz à effet de serre (dioxyde de carboneCO2, méthane-CH4, oxyde nitreux-N2O) depuis l’ère préindustrielle (1750), et l’augmentation de la température moyenne de la planète (+0,6°C ±2°C au cours des cent dernières années, GIEC, 2001, 2007a). Ce panel d’experts désigne l’augmentation de la teneur de ces gaz, le CO2 en particulier, comme responsable de l’intensification de l’effet de serre. Le quatrième rapport du GIEC stipule enfin que l’homme est le principal responsable de l’augmentation de ces teneurs via ses activités industrielles et agricoles.
L’oxyde nitreux est un puissant gaz à effet de serre participant à hauteur de 6% au réchauffement global. Sa concentration atmosphérique est passée de 270 à 319 ppb entre 1750 et 2005, soit une augmentation de plus de 18%. L’activité biologique des écosystèmes terrestres serait à l’origine de plus de la moitié des émissions totales de N2O (10,2 Tg N-N2O an-1 sur un total de 17,7 Tg, GIEC, 2007a), principalement via les processus bactériens de nitrification et de dénitrification. Les sols tropicaux en particulier représenteraient plus de 25% des sources totales de N2O atmosphérique (Bouwman, 1998; GIEC, 2001) et plus de 60% des émissions liées aux sols seraient d’origine agricole, soit 6,3 Tg N-N2O an-1 (Mosier et al., 1998; Kroeze et al., 1999), ce qui place ce type d’activité au premier rang des origines anthropiques de N2O.
L’augmentation des émissions de N2O par les sols agricoles est favorisée par les intrants azotés ainsi que par les modes d’usage des terres (labour, semis direct, irrigation, couvertures permanentes vives ou mortes etc.). Parmi ces pratiques agricoles, l’application en surface des résidus de récolte (paillis) peut aider à réduire l’érosion, à conserver l’humidité en réduisant l’évaporation, à contrôler le développement des adventices et peut aussi jouer un rôle de fumure organique. Cependant, l’application de résidus de récolte a souvent été corrélée à une augmentation des émissions de N2O dont l’amplitude et la durée dépendent en partie de la qualité biochimique du résidu (Larson et al., 1998; Seneviratne et van Holm, 1998; Flessa et al., 2002; Millar et Baggs, 2004). Plus particulièrement, la décomposition du paillis induit une augmentation des activités microbiennes du sol sous-jacent, principalement via le transport matière organique dissoute (Gaillard et al., 1999; Poll et al., 2008). Cette fraction organique pourrait être impliquée dans la stimulation de la dénitrification et des émissions de N2O. A ce jour, le rôle tenu par les communautés bactériennes dénitrifiantes, en termes de composition et d’activité, dans les rejets de N2O associés aux paillis n’a pas été étudié.
LA DENITRIFICATION
Définition
La dénitrification hétérotrophe est un processus respiratoire bactérien anaérobie par lequel les oxydes d’azote, nitrate et nitrite, sont réduits séquentiellement en diazote gazeux N2, avec l’oxyde nitrique NO et l’oxyde nitreux N2O comme intermédiaires métaboliques (Tiedje, 1988). C’est une respiration opportuniste, qui se déroule en présence de matière organique lorsque l’oxygène est absent ou que sa pression partielle est très faible. Le nitrate est le premier oxyde d’azote à être réduit après l’épuisement de l’oxygène suivant l’équation de la chaîne de réduction totale suivante:
NO3- + 6 H+ + 5e- → 1/2 N2 + 3 H2O
La dénitrification est principalement assurée par des bactéries hétérotrophes anaérobies facultatives mais aussi par des bactéries autotrophes, phototrophes, diazotrophes, fixatrices symbiotiques de l’azote, nitrifiantes, ainsi que par des Archeae et certains champignons. La dénitrification liée aux hétérotrophes (anaérobie facultative) nécessite une source de carbone organique comme donneur d’électrons alors que la dénitrification liée aux autotrophes permet la réduction du NO3
– en azote gazeux sans recours à une source organique externe. Ainsi, la dénitrification apparaît comme un trait polyphylétique qui se retrouve dans plus de 50 genres bactériens (distribution taxonomique étendue) (Zumft, 1997).
Toutefois, il existe dans l’environnement, d’autres processus biotiques et abiotiques opérant la réduction du nitrate :
-Réduction assimilative du nitrate : ce processus se distingue des autres processus de réduction du nitrate par le fait que l’azote est incorporé dans la biomasse microbienne sous forme organique. C’est une fonction réalisable par un grand nombre de microorganismes, ainsi que par certains végétaux et algues. Dans ce cas, l’azote ne quitte pas le système. Cependant, les écosystèmes anoxiques renfermant des quantités significatives d’azote organique et d’ammonium ne sont pas favorables à sa réalisation (Rice et Tiedje, 1989).
-Réduction dissimilative du nitrate en ammonium (RDNA) : ce processus anaérobie aboutit à la production d’ammonium à partir du nitrate. La RDNA est réputée ne pas être très importante dans la plupart des sols. Néanmoins, son action peut être très significative dans les écosystèmes où le rapport carbone/accepteurs d’électrons est élevé, comme dans le rumen des bovins ou dans certains sédiments (Tiedje et al., 1982). L’addition excessive dans le sol de C peut stimuler la RDNA, mais celle-ci ne devient pas pour autant le processus majeur de consommation du nitrate. La RDNA est assurée par un grand nombre de bactéries anaérobies strictes et facultatives (e.g. Klebsiella, Enterobacter, Vibrio, Citrobacter, Achromobacter, Bacillus…), selon la séquence (gène principal nrfa) :
NO3- → NO2- → NH4+
-Chimio dénitrification : c’est la production non biologique d’azote gazeux, sous certaines conditions environnementales (Tiedje, 1988). C’est une catalyse acide du nitrite qui peut être très significative dans les sols à pH inférieur à 5. Le produit majoritaire de cette réaction est le NO, mais le N2O et le N2 ont été également notés. D’une manière générale, la chimio dénitrification n’est pas un processus majeur en milieu agricole. Mais, le salage sur sols acides gelés combiné aux cycles humectation-dessiccation peut rendre cette réaction significative, en particulier comme source de NO.
-Dénitrification non-respiratoire : ce processus est caractérisé par la production typique de N2O et non de N2, comme produit de la réduction des oxydes d’azote (Tiedje, 1988). Les mécanismes à l’origine de la production de ce N2O ne sont pas encore connus. De même, l’impact environnemental de la dénitrification non-respiratoire comme source de N2O n’a pas encore été estimé. Les organismes aptes à réaliser la dénitrification non-respiratoire recouvrent les bactéries nitrate-assimilatrices, les levures, les champignons filamenteux, les algues et probablement les microorganismes qui vivent en association avec les plantes et les animaux, puisque ces derniers peuvent émettre du N2O (Bleakley et Tiedje, 1982).
La dénitrification dans le cycle de l’azote
La dénitrification se positionne à la fin du cycle de l’azote dans la mesure où cette étape peut produire à partir des espèces réactives de l’azote trouvées dans la biosphère du N2 qui réalimente le réservoir minéral atmosphérique. A l’origine de ce cycle se trouve l’azote moléculaire N2 qui n’est pas directement utilisable par les végétaux et les animaux. La conversion de N2, en formes d’azote utilisables par ces derniers (formes actives de l’azote), nécessite de l’énergie pour briser la triple liaison covalente de N2. Cette réaction est naturellement possible chez les bactéries fixatrices d’azote libres ou diazotrophes (ex. Azospirillum) et symbiotiques (ex. Rhizobium) fournissant annuellement à la biosphère 107 Tg N (Cleveland et al., 1999), mais aussi au cours de procédés industriels (combustion des combustibles fossiles et la fabrication d’engrais azotésprocédé Haber-Bosh) fournissant à la biosphère 130 Tg N an-1(Galloway et al., 2004), voire par la foudre dont l’apport annuel est estimé à 5,4 Tg N (Lelieveld et Dentener, 2000). Grâce à la fixation naturelle et industrielle de l’azote, ses formes actives (organiques ou minérales) peuvent circuler dans les réseaux trophiques et la biosphère.
Dans le sol, les formes organiques de l’azote subissent une minéralisation. L’ammonification est la dernière étape de ce processus aboutissant à la libération d’ammonium (NH4+). Cette transformation est effectuée par un grand nombre de microorganismes. L’ammonium issu de la matière organique du sol peut alors être engagé dans un autre processus de transformation dénommé nitrification. Cette étape assure l’oxydation de l’ammonium en nitrate par les bactéries nitrifiantes autotrophes et hétérotrophes (Prosser, 1986). Cette oxydation se passe en deux étapes en présence d’oxygène, aucune bactérie capable de transformer directement l’ammonium en nitrate n’étant encore connue à ce jour. La première étape est la nitritation ou l’oxydation de l’ammonium en nitrite (NO2- assurée par les bactéries dites nitritantes telles que Nitrosomonas. Cette étape est catalysée par l’Ammonia Mono-Oxygénase (AMO) et l’HydroxylAmine Oxydoréductase (HAO).
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Table des matières
INTRODUCTION
SYNTHESE BIBLIOGRAPHIQUE
1. LA DENITRIFICATION
1-1 Définition
1-2 La dénitrification dans le cycle de l’azote
1-3 Les étapes de la dénitrification
1-3-1 La réduction du nitrate en nitrite
1-3-2 La réduction du nitrite en oxyde nitrique
1-3-3 La réduction de l’oxyde nitrique en oxyde nitreux
1-3-4 La réduction de l’oxyde nitreux en diazote
1-4 Ecologie des dénitrifiants hétérotrophes
1-4-1 Les dénitrifiants hétérotrophes
1-4-2 Les facteurs régulateurs de la dénitrification
1-4-2-1 L’oxygène
1-4-2-2 Le carbone organique
1-4-2-3 Le nitrate et le nitrite
1-4-2-4 Les facteurs distaux
2. LA FERTILISATION : EFFET SUR LES EMISSIONS DES GES
2-1 Généralités sur les gaz à effet de serre
2-1-1 Le dioxyde de carbone ou gaz carbonique (CO2)
2-1-2 Le méthane (CH4)
2-1-3 L’oxyde nitreux (N2O)
2-2 Agriculture et gaz à effet de serre
2-3 Fertilisation organique et émissions de N2O
2-3-1 Généralités
2-3-2 Les résidus de récolte
2-3-2-1 Les résidus de récolte enfouis dans le sol
2-3-2-2 Les résidus de récolte appliqués en surface
2-3-2-3 La matière organique dissoute (MOD)
MATERIEL ET METHODES
1. MATERIEL BIOLOGIQUE
1-1 Le sol
1-2 Les résidus de culture
2. DISPOSITIF EXPÉRIMENTAL
2-1 Mise en place du dispositif
2-2 Les méthodes d’échantillonnage
2-2-1 Echantillons gazeux
2-2-2 Echantillons de résidus
2-2-3 Echantillons de sol
3. ANALYSES CHIMIQUES ET MICROBIOLOGIQUES
3-1 Analyses chimiques sol et résidus
3-1-1 Perte de masse des résidus
3-1-2 Ratio C/N et spectres SPIR du sol et des résidus
3-2 Emissions réelles (in situ) de N2O et de CO2
3-3 Extraction de la fraction organique dissoute du sol
3-4 Potentiel et semi-potentiel de dénitrification
3-4-1 Potentiel de dénitrification sur sol
3-4-2 Potentiel de dénitrification des résidus de récolte
3-4-3 Semi-potentiel de dénitrification avec la MOD du sol
3-5 Analyses moléculaires
3-5-1 Extraction des acides nucléiques du sol
3-5-2 Amplification des gènes marqueurs
3-5-3 Empreintes moléculaires de diversité structurale
3-5-4 Analyses statistiques
RESULTATS
1. REACTIVATION ET STABILISATION BIOLOGIQUE DU SOL
2. ÉVOLUTION CHIMIQUE DU SOL ET DES RÉSIDUS DE RÉCOLTE
2-1 Le sol
2-1-1 Dosage du carbone total et de l’azote total du sol
2-1-2 Evolution des caractéristiques biochimiques du sol
2-2 Les résidus de récolte
2-2-1 Perte de masse
2-2-2 Dosage du carbone total et de l’azote total des résidus
2-2-3 Evolution des caractéristiques biochimiques des résidus végétaux
3. EMISSIONS RÉELLES DE N2O ET DE CO2
4. EMISSIONS POTENTIELLES DE N2O
4-1 Emissions potentielles de N2O du sol et des résidus
4-2 Réduction potentielle du N2O par les résidus végétaux
4-3 Emissions semi-potentielles de N2O du sol enrichi en MOD
5. STRUCTURE GÉNÉTIQUE DES COMMUNAUTÉS BACTÉRIENNES
5-1 Structure génétique de la communauté bactérienne totale
5-2 Structure génétique des communautés dénitrifiantes
5-2-1 La communauté nitrite réductase « nirK »
5-2-2 La communauté oxyde nitreux réductase «nosZ»
DISCUSSION
1. EFFET DES PAILLIS SUR LES EMISSIONS REELLES DE N2O
2. EVOLUTION DE LA CHIMIE DU SOL ET DES RESIDUS
3. EFFET DES PAILLIS SUR LES DENITRIFIANTS DU SOL
4. ROLE FONCTIONNEL DE LA MATIERE ORGANIQUE DISSOUTE DU SOL DANS LA DENITRIFICATION
CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXES