LA DEMOCRATIE CHEZ ROUSSEAU

DE LA SOCIETE NAISSANTE OU DE L’ETAT PREPOLITIQUE

   La logique que Rousseau suit (de l’état de nature à l’institution du contrat) semble à la première impression contradictoire et un peu obscur. Du moins à en croire certaines interprétations émises sur sa conception. En effet, l’on a voulu reprocher à Rousseau un certain manque de rigueur et de cohérence. Car, disent certains, si Rousseau plaide en faveur d’un état paisible caractérisé par une bonté naturelle des hommes, pourquoi serait-il nécessaire de passer un contrat. Autrement dit, étant donné que les hommes vivaient dans cet état en dehors de tout souci et en parfaite harmonie avec leurs pairs, n’est-il pas ridicule et insignifiant d’imaginer l’idée de contrat social. Parmi ceux qui accusent Rousseau d’être incohérent et obscur on peut citer Yves Vargas. Ce dernier développe ses critiques contre la théorie contractuelle chez Rousseau principalement dans son ouvrage intitulé Rousseau. Economie politique. Il nie l’existence du contrat chez Rousseau. Il pense que Rousseau ne fait allusion qu’à la révolution menée par une masse combattante dans l’union des forces individuelles. Il justifie cette négation en se référant aux théories classiques du contrat social. Il estime, au même titre qu’Hobbes, que « si les hommes ont renoncé à la liberté absolue qui les caractérisait dans l’état de nature au profit de la vie en société, c’est que cette liberté illimitée devenait cause de la discorde ou de la guerre de tous contre tous. Mieux, le rapport intersubjectif spontané menaçait la survie de l’espèce humaine. »Alors que, selon lui(Vargas), cette thèse se trouve être catégoriquement réfutée par Rousseau dans le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes et dans certains endroits de l’Economie politique. Il estime que Rousseau pense que la guerre généralisée de tous contre tous, qui menace la disparition de l’espèce humaine, a plutôt pour source dans l’inégalité des richesses. Cette incohérence, supposée chez Rousseau à cause de sa conception de l’état de nature et de sa théorie du contrat, sort de la comparaison que l’on fait entre sa position et celle de Hobbes. Ce dernier pense que l’homme est un animal orgueilleux et vaniteux par nature et que cet orgueil et cette vanité seront les causes principales de la guerre de chacun contre tous. Selon Hobbes l’homme primitif fut toujours animé par ce sentiment d’orgueil et se voit toujours supérieur à ses semblables ; ses premiers sentiments furent de chercher comment subjuguer ses semblables afin de se les servir comme vassaux ou serfs. C’est ce qui, selon lui, donnera par conséquent de l’importance et de la pertinence au contrat social. Robert Dérathé nous interprète les causes principales de l’idée de la guerre de tous contre tous, tant soutenue par Hobbes, en ces termes : « Vivant au milieu de ses semblables, l’homme est naturellement amené à comparer son sort au leur, et ne peut être heureux que si cette comparaison est à son avantage. Son bonheur est fait pour une large part du sentiment de sa supériorité : “il n’est pas absolu, mais relatif. “L’état de guerre est inévitable parce que tout homme a l’illusion d’être supérieur aux autres et veut avoir plus que les autres. Il se sent diminué, blessé dans son orgueil par tout ce qu’un autre possède et qu’il n’a pas. Chacun devient de ce fait pour tous les autres un rival, un adversaire, un obstacle dans la poursuite du bonheur. De là une hostilité constante, “une rivalité perpétuelle pour les honneurs, les richesses et l’autorité. “» Cette interprétation dont la théorie de l’état de nature de Rousseau fait l’objet tient plus à la surface qu’à la profondeur de ses idées. Cette obscurité tient de la façon dont certains, comme Vargas, interprètent sa pensée philosophique et politique selon leurs vues et non telle qu’elle a été théorisée par lui-même. L’on sera toujours hanté par les questions de ce genre, tant qu’on s’en tient à la surface et non au fond même de sa théorie de l’état de nature. Car, selon Rousseau, le contrat social est la seule solution à l’état de nature transitoire caractérisé par l’envie et le besoin. Cet état (de la société naissante) a engendré chez les hommes, désormais regroupés, une situation de conflit ou de méfiance mutuelle, tandis que l’homme primitif fut naturellement bon, puisqu’il était indépendant et se suffisait à lui-même. Le primitif vivait hors de la communauté et abandonné à lui-même. Il était sujet à peu de besoins. D’après Rousseau « le premier sentiment de l’homme fut celui de son existence, son premier soin celui de sa conservation. Les productions de la terre lui fournissaient tous les secours nécessaires, l’instinct le porta à en faire usage.» Dès lors, n’ayant aucun besoin de ses pairs, n’ayant pas le sens de la justice, il ne pouvait être que ce flegme, doux et innocent que la mauvaise socialisation a dû sombrer dans l’inimitié mutuelle ou réciproque. Selon Hobbes, cet état de haine et de guerre mutuelle a pour source dans l’existence primitive de l’homme. Alors que Rousseau pense qu’il devrait être pris, plutôt, pour effet de la mauvaise socialisation des hommes. Il (Rousseau) décrit l’état naturel de l’homme comme suit : « Il parait d’abord que les hommes dans cet état n’ayant entre eux aucune sorte de relation morale, ni de devoirs connus, ne pouvaient être ni bons ni méchants, et n’avaient ni vices ni vertus, à moins que prenant ces mots dans un sens physique, on n’appelle vices dans l’individu les qualités qui peuvent nuire à sa propre conservation, et vertus celles qui peuvent y contribuer(…) »

DE LA NATURE ET DE LA NECESSITE DU CONTRAT SOCIAL

   Le contrat social est vu par certains, entre autres par Hobbes, Locke et Rousseau comme une solution à une situation ingérable à laquelle le primitif est confronté. Si les hommes se sont retrouvés en société après une longue vie d’errance, c’est, comme le dit Kant, que la nature ne fait rien en vain, c’est-à-dire tout ce qui est, est en vue d’une chose. Donc la sociabilité des hommes, bien que tardive, s’était d’emblée inscrite dans l’ordre naturel des choses. Si les hommes ne sont pas sociables par nature ils ne sont pas pour autant moins destinés à le devenir, soutient Rousseau. Selon ce dernier, les hommes se sont passés un contrat malgré eux car l’état actuel de leur nature ne permet point une vie solitaire. Par contre la guerre naturelle de tous contre tous dont parle Hobbes n’est point un motif suffisant de la sociabilité des hommes dira Rousseau. Les hommes n’étant plus disposés à vivre selon leur état primitif, à cause des changements successifs intervenus au cours de leur évolution, commencèrent alors à former des sociétés. Ces sociétés naissantes constituèrent le pont entre l’état de pure nature et l’état civil. Arrivés à ce stade de vie où la pitié naturelle ne fait point sa preuve, les hommes se méfiant les uns les autres, Rousseau soutient qu’il serait mieux de se constituer en une force commune où chacun se verra protégé par chacun. Le plus fort, par souci du bien-être se voit obligé de se liguer aux plus faibles autour d’un idéal commun qui est la liberté et l’épanouissement. Car il est conscient que la force ne fait pas le droit et tout droit acquis par la force sera nécessairement ravi par la force. Et il nous explique les raisons de ce contrat entre les hommes ainsi : « “Unissons-nous“, leur dit-il, “pour garantir de l’oppression les faibles, contenir les ambitieux, et assurer à chacun la possession de ce qui lui appartient : instituons des règlements de justice et de paix auxquels tous soient obligés de se conformer, qui ne fassent acception de personne, et qui réparent en quelque sorte les caprices de la fortune en soumettant également le puissant et le faible à des devoirs mutuels. En un mot, au lieu de tourner nos forces contre nous mêmes, rassemblons-les en un pouvoir suprême qui nous gouverne selon de sages lois, qui protège et défende tous les membres de l’association, repousse les ennemis communs et nous maintienne dans une concorde éternelle“. » L’argumentaire des partisans de la théorie du contrat social est certes marqué par des approches discordantes, mais leur unité se trouve dans le seul fait de soutenir l’idée que les hommes ne sont parvenus à se socialiser que par le biais du Contrat qu’ils ont passé entre eux et qu’ils sont tenus de respecter. Robert Dérathé nous explique la nature de ce contrat en ces termes : « Tout contrat, quelles qu’en soient les clauses, est un engagement mutuel, et doit comporter de part et d’autre une promesse réciproque. Il est clair que le contrat social ne peut faire exception à la règle et sur ce point tout le monde est d’accord. » Mais il nous met en garde de tenir pour unanimes, les opinions de ces penseurs sur les termes ou clauses du Contrat, car dit-il : « mais lorsqu’il s’agit de préciser quelles sont les personnes qui prennent cet engagement mutuel et s’obligent ainsi les unes envers les autres, les auteurs se divisent ».La réserve de Dérathé sur l’idée de la nature universelle des conventions sociales s’explique par les faits de l’histoire. L’histoire de la théorie du contrat social est marquée par des controverses et des polémiques autour de la légitimité d’un type de contrat dit contrat de soumission que Rousseau apostrophera sous le nom de “ contrat de gouvernement “. Ce type de contrat théorisé par Hobbes tiendra à accorder tous les droits individuels et collectifs des individus à une seule personne ou une assemblée de personnes qui fera office de souverain, à l’image du seigneur des cieux et de la terre. Ainsi ce pouvoir absolu conféré au souverain n’engagera en rien ce dernier puisqu’il n’a jamais été l’auteur d’aucun engagement conclu vis -à- vis des contractants et il n’a rien promis en retour à ces individus. Donc le pouvoir qui, résulte de ce pacte de soumission que Hobbes met en exergue dans son Léviathan, est assimilé au pouvoir divin que le souverain aurait reçu des mains de Dieu. C’est pour cette raison qu’un bon nombre de théologiens se font partisans et défenseurs de cette idée qui n’a rien de positif et de soutenable aux yeux de Rousseau. Rousseau se montrera très critique à l’égard de cette conception du contrat social faite par Hobbes. Pour Pufendorf, l’histoire de l’humanité est marquée par l’avènement de deux types de contrat sur terre reliés entre eux par un décret, en guise d’une prémisse propice à la formation d’un gouvernement en vue de faciliter l’institution d’un Etat véritable, exempte de toute sorte de manœuvres secrètes visant à déstabiliser les pouvoirs publics. A ses yeux, pour que ce type de contrat puisse avoir lieu, les hommes ont dû s’accorder d’abord unanimement sur l’institution d’un cadre de vie commun et profitable à tous et qui sera, d’ailleurs, à l’origine de l’Etat. Ensuite il faut, dit-il, que cette convention sociale soit suivie d’un décret qui ne sera validé que par la majorité des voix des contractants. Enfin une autre convention, où une personne ou une assemblée de personnes est choisie, sera instituée pour conduire à bon port la destinée de l’Etat et de veiller scrupuleusement sur la joie, le bonheur des gens, et à la bonne gestion des biens publics. Pour cela les convenants s’assujettiront à obéir et rester fidèles au souverain par le simple fait de leur confiance témoignée en faveur du souverain. De là, on se retrouve avec un pacte de soumission où toutes les volontés individuelles et collectives des contractants se résument à la seule volonté du souverain. Cette théorie attribuée à Pufendorf est connue sous le nom de double contrat. Elle est considérée comme fausse par Rousseau, car reposant sur des bases insoutenables puisque caractérisées par la soumission aveugle à l’autorité souveraine. Cette théorie tant réfutée par Rousseau est expliquée par Dérathé comme suit : « Ces deux pactes sont bien différents. Par le premier chacun s’engage envers tous et tous envers chacun : c’est un pacte d’union qui lie les citoyens entre eux et leur impose des obligations mutuelles. Le second est une convention par laquelle les citoyens se soumettent à l’autorité des chefs qu’ils ont choisis et leur promettent sous certaines conditions une fidèle obéissance : c’est un pacte de soumission. » Donc, selon Pufendorf, les hommes se sont accordés volontairement sans obligation, en premier temps, à s’associer pour construire un cadre de vie idéal et en deuxième temps, par souci de paix durable, à conférer tous leurs droits à une seule personne ou assemblée de personnes. Ce type de contrat, bien qu’il attribue au souverain le pouvoir absolu sur ses sujets, ne proscrit pas le pouvoir ou la volonté de mettre fin aux exactions de ce dernier. Autrement dit, les sujets ne sont tenus de se soumettre au souverain que dans le bon sens, c’est-à-dire dans le droit et dans le bien de tous. Cette idée se clarifie davantage en ces termes : « Les citoyens [Nous dit Pufendorf], en soumettant leurs volontés et leurs forces à la volonté du souverain, ne sont pas pour cela devenus des troncs immobiles ; ils ne lui ont mis en main le pouvoir, qu’à condition qu’il en servirait pour le Bien Public, qui est la fin des Sociétés Civiles ; et c’est à eux de juger, s’il a rempli la condition, faute de quoi ils peuvent reprendre ce qu’ils ont donné.» C’est dans ce sens que Dérathé souligne l’inconsistance ou l’inconséquence de Pufendorf, dans ses principes ci-devant posés. Il dit à ce propos : «en résumé, malgré certaines formules libérales, malgré son plaidoyer en faveur d’une monarchie limitée, Pufendorf reste un absolutiste, mais un absolutiste inconséquent dont les conclusions sont en désaccord avec les principes qui servent de base à son système. »

DE LA VOLONTE GENERALE COMME SOUBASSEMENT DE L’ETAT

   La cité (ou Etat) est définie comme“ un corps moral et collectif“. Ici chacun se dit : j’aliène ma liberté naturelle ainsi que tous mes biens au profit du bien de tous à condition que toi aussi tu fasses de même. Cette volonté de substituer une existence précaire et incertaine à une autre où la sécurité et la prospérité seront garanties par tous, prend le nom de contrat social. Néanmoins, pour s’assurer de la survie et de l’effectivité de ce contrat, Rousseau supposera un engagement mutuel de la part des contractants. Cet engagement mutuel des contractants pour le bien de tous ne peut être effectif que sous la direction de la volonté générale. Cette dernière est l’âme de l’Etat, selon Rousseau. Son étiolement, chez les convenants, entrainera nécessairement la destruction du contrat et par la suite la crise de l’Etat. La généralité de cette volonté sort plutôt du motif qui anime les êtres ou de la finalité visée que du nombre des volontaires. Autrement dit, la volonté n’est générale que lorsqu’elle est motivée par le sentiment naturel de vaincre les passions au bénéfice du bien de tous, pour tous et par tous. De là la volonté générale suppose, dans toute son étendue, le bien- être du corps moral et collectif. La volonté générale chez Rousseau n’est pas la somme des volontés particulières mais plutôt une volonté qui a pour fin et mesure le bien-être général et l’intérêt commun. La volonté n’est générale chez Rousseau que lors qu’elle veut le bien commun, l’intérêt général du peuple en corps. Donc cette volonté n’est pas le résultat d’un calcul arithmétique, c’est-à-dire la somme arithmétique des volontés particulières. En ce qui concerne la nature et la caractéristique de cette volonté l’auteur Du contrat social nous dit : « On doit concevoir par-là que ce qui généralise la volonté est moins le nombre des voix que l’intérêt commun qui les unit ;car, dans cette institution, chacun se soumet nécessairement aux conditions qu’il impose aux autres :un accord admirable de l’intérêt et de la justice, qui donne aux délibérations communes un caractère d’équité qu’on voit évanouir dans la discussion de toute affaire particulière, faute d’un intérêt commun qui unisse et identifie la règle du juge avec celle de la patrie.» Le vouloir du peuple se généralise moins par son caractère pluriel que par sa finalité, c’està-dire son but. Mais, dira-t-on, dans la mesure où une résolution est prise par le peuple en corps grâce à un référendum qui lui est soumis sans pour autant que l’ensemble du peuple ne sache le motif ou le bien-fondé de cette résolution, est-il juste de dire que cette volonté du peuple est générale ? Rousseau nous répondrait, dans cette mesure, que la volonté n’y est point générale, car elle est fondée sur l’ignorance ; et de même que la parole d’un fou ne mérite pas d’être érigée en règle de justice, de même cette volonté ignorante du peuple ne sera jamais érigée en loi du seul fait qu’elle n’est pas générale, mais la somme des volontés particulières. Rousseau refuse toute généralité à une volonté prise dans l’ignorance en ces termes : « Si, quand le peuple suffisamment informé délibère, les citoyens n’avaient aucune communication entre eux, du grand nombre de petites différences résulterait toujours la volonté générale, et la délibération serait toujours bonne. Mais quand il se fait des brigues, des associations partielles aux dépens de la grande, la volonté de chacune de ces associations devient générale par rapport à ses membres, et particulière par rapport à l’Etat : on peut dire alors qu’il n’y a plus autant de votants que d’hommes, mais seulement autant que d’associations. » De ce qui précède est-il possible que la volonté d’un seul individu soit générale ? Pourquoi pas, nous aurait dit certes Rousseau, si l’intention de cet individu ne se dirige uniquement que vers le bien de tous sans exception. Donc, le vouloir du peuple tient sa nature propre de volonté générale moins de son volume que de sa finalité. Car dit-il : « Il y a souvent bien de la différence entre la volonté de tous et la volonté générale ; celleci ne regarde qu’à l’intérêt commun, l’autre regarde à l’intérêt privé, et ce n’est qu’une somme de volontés particulières : mais ôtez de ces mêmes volontés les plus et les moins qui s’entre détruisent, reste pour somme des différences de la volonté générale. » La volonté générale est-elle toujours droite ? A cette interrogation, on se permettra de répondre par une autre interrogation : l’homme sensé peut-il se faire le mal à lui-même ? Non. L’homme sensé se veut toujours le bien même s’il ne le voit pas toujours. Dans la mesure où l’homme raisonnable se veut toujours le champion d’un acte bénéfique et honorable, aussi infime soit-il, on dira que la volonté générale est toujours droite. A ce propos Rousseau écrit : « […] la volonté générale est toujours droite et tend toujours à l’utilité publique : mais il ne s’ensuit pas que les délibérations du peuple aient toujours la même rectitude. On veut toujours son bien, mais on ne le voit pas toujours. Jamais on ne corrompt le peuple, mais souvent on le trompe, et c’est alors seulement qu’il parait vouloir ce qui est mal. » L’homme, avons-nous dit, veut toujours son bien même s’il est dans l’incapacité, à cause de sa nature d’être fini et imparfait, c’est-à-dire corruptible, de le voir toujours. Par conséquent ses actes et délibérations ne pourront se tourner que vers son bien propre. En tant qu’une partie du tout, l’être qui se choisit le bien le choisit pour ce tout. Donc, la volonté générale est un concept dont Rousseau use dans sa théorie politique, en particulier dans sa théorie du contrat, pour assurer au peuple une bonne cohésion sociale exempte de toutes sortes de sentiments personnels et égoïstes. La sortie de l’état de nature vers un état civil est conduite par la volonté générale des particuliers de vivre ensemble selon les règles que le peuple en corps aura à formuler dans le but d’une existence humainement bonne. Elle est ce qui donne à l’Etat sa vie et sa subsistance. De plus, si on analyse profondément sa philosophie politique, jusque dans ses lois, on constaterait qu’il fait de la volonté générale la mesure de la justice et du bien. Elle s’est intégrée dans tous les rapports humains où le salut public demeure le seul objectif ou but. Elle s’est transformée en ADN de la justice et du bien dans toute la philosophie politique de Rousseau. Tout ce que l’Etat édictera, s’il n’est pas endossé sur la volonté générale du peuple, est nul et non avenu. Donc, on dira que les lois ne seront rien de plus que les actes de la volonté générale. La loi ne requiert sa nature propre de loi que lorsque la volonté qui statue est générale et que l’objet sur lequel on statue est aussi général. Dans ces deux rapports, la généralité est prise comme dénominateur commun. Rousseau nous montre cette subordination de la loi à la volonté générale en ces termes : « Mais quand tout le peuple statue sur tout le peuple il ne considère que lui-même ; et s’il se forme alors un rapport, c’est de l’objet entier sous un point de vue à l’objet entier sous un autre point de vue, sans aucune division du tout. Alors la matière sur laquelle on statue est générale comme la volonté qui statue. C’est cet acte que j’appelle une loi.» Dans cette mesure, toutes les individualités seront mises de côté ; on ne considérera que l’union des hommes autour d’un idéal commun. On sera plus attaché à ce qui unit les hommes qu’à ce qui les divise. Tout ce qui fera l’objet de loi sera présenté d’abord par “le corps moral et collectif “ et ensuite validé par la volonté générale de ce corps. Ici ceux qui proposent les lois et l’acte qui les valide ne font qu’un seul tout. La loi s’identifie à l’acte de la volonté générale du peuple en corps, c’est-à-dire à celui des citoyens en tant que membres de ce Souverain qu’est l’Etat. Ici il ne sera plus question de qui il appartient de droit de faire des lois. S’il s’avère bien que les lois ne sont rien d’autre que les actes de la volonté générale, il est facile de deviner que seul le peuple en corps possède la prérogative de faire des lois. Rousseau nous le dit plus clairement dans ces lettres : « Sur cette idée, on voit à l’instant qu’il ne faut plus demander à qui il appartient de faire des lois, puisqu’elles sont des actes de la volonté générale, ni si le prince est au-dessus des lois, puisqu’il est membre de l’Etat ;ni si la loi peut être injuste, puisque nul n’est injuste envers luimême ;ni comment on est libre et soumis aux lois, puisqu’elles ne sont que des registres de nos volontés. » La volonté générale est assimilée, par Rousseau, au ressort de l’Etat. Elle est le ressort principal qui assure à l’Etat son mouvement ou son mécanisme. Elle assure à l’Etat son maintien et sa vie. De la même manière que le sang qui circule dans les veines assure à l’organisme sa vitalité, de même la volonté générale assure à l’Etat son harmonie et sa survie. Elle n’est pas pour Rousseau une simple hypothèse à laquelle aurait recouru un philosophe politique pour bien assoir sa théorie de l’Etat, mais elle est plutôt une réalité qui s’impose à tout système politique qui se veut, bien sûr, comme règle universelle : le bien-être général, la paix et la sécurité commune. Donc on ne saurait concevoir, selon Rousseau, un Etat cohérent et libre sans présupposer la réalité de la volonté générale du peuple. Elle est ce qui fonde et maintient l’Etat dans son fonctionnement. On nous adressera certes cette objection à savoir que la volonté générale est insuffisante pour garantir à l’Etat sa sécurité ainsi que son fonctionnement durable ; qu’elle est insignifiante devant les passions et penchants humains. A cette objection nous dirons, sous le contrôle du penseur de Genève, que de la même façon que la loi morale ne s’éteint jamais en l’homme, de même la volonté générale est toujours en l’homme, car elle n’est rien d’autre que le bien-être général et l’intérêt commun. En effet, bien que les sentiments d’orgueil, de haine, de colère, d’envie et de glorification personnelle soient liés à la nature humaine, cela n’empêche pas l’homme d’être une créature spéciale parmi tant d’autres du règne animal. L’homme est capable de bien et de mal, mais quand il s’agit de son intérêt il n’a pas besoin de conseils ni de stimulants. Il est naturellement un animal qui recherche et défend ses intérêts. A cet effet, quel intérêt serait plus cher à l’homme que la paix et la sécurité publique ? L’homme veut toujours son bien même s’il ne le voit pas toujours avons-nous déjà dit dans ce qui précède. Le sentiment de bienveillance mutuelle charrié par la volonté générale trouve sa source dans la nature primitive de l’homme. On se rappelle que l’état de nature est défini par Rousseau comme un état de paix et de bonté naturelle, et par Locke celui de bienveillance et d’assistance mutuelle. Donc la volonté générale peut toujours prévaloir dans l’Etat malgré les particularités ou les individualités dont les hommes sont caractérisés. On dira certainement sur quelle base pourrions-nous soutenir une telle idée ? Et on répondra parce qu’elle est indestructible, puisque qu’elle s’origine dans la conscience elle-même. Rousseau nous dit : « Tant que plusieurs hommes réunis se considèrent comme un seul corps, ils n’ont qu’une seule volonté qui se rapporte à la commune conservation, et au bien-être général. Alors tous les ressorts de l’Etat sont vigoureux et simples, ses maximes sont claires et lumineuses, il n’a point d’intérêt embrouillés, contradictoires, le bien commun se montre partout avec évidence, et ne demande que du bon sens pour être aperçu.»

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Table des matières

INTRODUCTION
PARTIE 1 : DE L’ETAT DE PURE NATURE A L’ETAT POLITIQUE
CHAPITRE 1 : DE L’ETAT DE PURE NATURE
CHAPITRE 2 : DE LA SOCIETE NAISSANTE OU DE L’ETAT PRE POLITIQUE
CHAPITRE 3 : DE LA NATURE ET DE LA NECESSITE DU CONTRAT SOCIAL
PARTIE 2 : DE LA FORMATION DE L’ETAT A L’INSTITUTION D’UN GOUVERNEMENT
CHAPITRE 4. DE LA VOLONTE GENERALE COMME SOUBASSEMENT DE L’ETAT
CHAPITRE 5 : DE LA NOTION D’ETAT ET DE GOUVERNEMENT CHEZ ROUSSEAU
CHAPITRE 6 : DE LA DEMOCRATIE ET SES PRINCIPES
PARTIE 3 : LA DEMOCRATIE DANS LA PRATIQUE : DES PRINCIPES AUX EFFETS PERVERS
CHAPITRE 7 : DE LA NOTION DE SOUVERAINETE POPULAIRE CHEZ ROUSSEAU
CHAPITRE 8 : LES PRINCIPES DEMOCRATIQUES DE ROUSSEAU A L’EPREUVE DE LA REALITE POLITIQUE MODERNE ET CONTEMPORAINE
CHAPITRE 9 : DE LA DEMOCRATIE REPUBLICAINE COMME UNE SOLUTION A LA PROBLEMATIQUE DE LA TYRANNIE DE LA MOJORITE
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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