La déglutition physiologique
La déglutition se définit classiquement comme l’acte d’avaler la salive, les mucus, les liquides et les solides. Dans la littérature, elle est habituellement décrite en trois phases.
– Le temps oral comprend la préparation du bol alimentaire et la propulsion pharyngée.
– Le temps pharyngé participe au transport du bolus du pharynx jusqu’au sphincter supérieur de l’œsophage (SSO), par la protection des voies respiratoires (Woisard et Puech, 2011).
– Le temps œsophagien commence lors du relâchement du SSO, permettant ainsi au bolus de transiter de l’œsophage vers l’estomac grâce aux ondes péristaltiques.
V. Ruglio tend toutefois à exclure la notion de phases en préférant évoquer un ensemble de « mécanismes dynamiques et coordonnés » (Ruglio, 2013). La déglutition repose sur trois fonctions essentielles (Desuter et Remacle, 2009) :
– la capacité de propulsion du bolus
– la protection complète des voies aériennes
– l’expulsion efficace en cas de pénétrations ou d’inhalations.
Physiopathologie de la dysphagie
Définitions
Les dysphagies oropharyngées, ou hautes, désignent les dysfonctionnements du processus de déglutition se situant au niveau des structures bucco-pharyngo-laryngées. Elles se traduisent par des difficultés à faire transiter le bolus alimentaire ou les sécrétions, depuis la bouche ou le nasopharynx vers l’œsophage. Ces troubles apparaissent dans des pathologies variées liées à des atteintes tissulaires, musculaires ou nerveuses. Les dysphagies œsophagiennes, ou basses, proviennent quant à elles d’altérations au niveau de l’œsophage et/ou de l’estomac.
La fausse-route se définit par l’entrée d’aliment, de boisson ou de sécrétion, soit dans le vestibule laryngé (pénétration) soit dans la trachée et les bronches (inhalation). Elle peut survenir avant, pendant ou après la déglutition. La multiplication des inhalations est susceptible d’entraîner une colonisation microbienne des voies respiratoires, favorisant les pneumopathies. Cependant, toutes les fausses-routes n’aboutissent pas à une infection respiratoire : c’est le cas notamment lors d’inhalations salivaires nocturnes. Il n’existe pas de corrélation entre l’importance des faussesroutes et le risque de pneumopathie (Woisard et Puech, 2011). Lors d’inhalations répétées, le réflexe tussigène diminue petit à petit jusqu’à disparaître totalement, dans certains cas. On parle alors de fausse-route « silencieuse » ou « à bas-bruit ». Elle devient alors nettement plus dangereuse car le patient ne peut réagir à un danger que son corps n’a pas repéré. Les fausses-routes silencieuses sont nettement sous estimées par les patients, leur entourage et par les soignants. La diversité des études et leurs méthodologies ne permettent pas de mettre en évidence de prévalence précise. Une des estimations les plus fiables serait entre 15 et 30% retrouvés chez les patients cérébrolésés (Ramsey et al., 2005) .
Les signes cliniques
Afin de repérer le plus précocement possible les troubles de déglutition, il est nécessaire d’en connaître les signes cliniques. Nous nous attacherons ici à ceux pouvant être perçus par un soignant à l’hôpital .
Les signes d’alerte regroupent tous les troubles installés provoquant déjà des retentissements directs sur la santé du patient. En pratique, il convient donc de les repérer de manière urgente afin de limiter les altérations sur la qualité de vie du patient. Les forts indicateurs de dysphagie sont : la voix mouillée après la déglutition ainsi que la toux et le hemmage pendant et après déglutition (Woisard et Puech, 2011).
Les signes prédictifs sont plus discrets, méconnus donc souvent négligés. Ils désignent des symptômes cliniques susceptibles d’engendrer des complications majeures. Ces altérations peuvent, et doivent, orienter les professionnels afin d’améliorer le confort de vie des patients et éviter l’installation de complications.
Durant tout le processus de déglutition, la plainte du patient se doit d’être prise en compte. La manifestation d’un inconfort atteste d’un défaut de coordination des mouvements nécessaires à la déglutition. Certaines situations favorisent et/ou entretiennent les troubles déjà présents :
– Encombrement bronchique chronique
– Pneumopathies répétées
– Fièvre inexpliquée
– Perte de poids rapide
– Mauvaise hygiène buccale
– Augmentation du temps des repas
– Réduction des prises alimentaires
– Difficulté à la prise de médicaments
– Sélectivité alimentaire
– Changement des habitudes au repas.
Les dysphagies oropharyngées
Les pathologies neurologiques centrales et périphériques
Les troubles peuvent tirer leur origine d’une étiologie vasculaire. De 42 à 67% des patients ayant eu un accident vasculaire cérébral (AVC) seraient dysphagiques dans les trois jours suivant leur accident (Hinchey et al, 2005). L’AVC peut engendrer des troubles de la motricité volontaire et des atteintes des nerfs crâniens impliqués dans la déglutition (V, VII, IX, X, XI XII) et/ou des aires motrices dans les régions préfrontales, susceptibles d’entraîner une difficulté dans la prise alimentaire, une diminution du tonus et des troubles de propulsion. Un retard de déclenchement du réflexe de déglutition est fréquent.
L’âge avancé est un facteur de risque de troubles de déglutition. Ruglio souligne que la déglutition de la personne âgée (presbyphagie) désigne une altération normale de la déglutition due au vieillissement naturel. Il convient de bien différencier ce terme de la dysphagie. Avec l’âge, les pénétrations laryngées peuvent être inconstantes, peu profondes et expulsées spontanément ; ce qui n’est pas le cas dans le cadre des troubles de déglutition objectivés (Ruglio, 2017). Le patient gériatrique est précipité dans la pathologie lorsqu’il n’est plus en mesure de s’adapter à ses difficultés. Apparaissent alors peu à peu les signes cliniques évocateurs : pneumopathies d’inhalation, asphyxie, dénutrition et déshydratation (Association de Prévention Pluridisciplinaire de la Dysphagie, 2018; Woisard et Puech, 2011). La prévalence des troubles de déglutition en institution gériatrique se situerait autour de 70% selon les études (Ruglio, 2017) .
Liés ou non au vieillissement, les troubles cognitifs sévères limitent les capacités du patient à s’alimenter de manière correcte (Bleeckx et Otto, 2003). Les troubles de déglutition marquent parfois les premiers signes d’une maladie neurodégénérative. Fréquents et d’origine plurifactorielle, les troubles cognitivo comportementaux s’expriment par des déficits exécutifs, gnosiques et praxiques. Ils se traduisent par des troubles du comportement alimentaire et des difficultés dans la coordination des étapes nécessaires à la déglutition, majorant ainsi le risque de fausse-route. Durant le repas, peuvent être observés « mâchonnement, recrachage, perte de fil, distractibilité, parole simultanée, comportement d’utilisation, gloutonnerie » (Ruglio, 2017). Dans les syndromes parkinsoniens par exemple, les lésions du système extrapyramidal menacent la vie des patients du fait de difficultés du contrôle des mouvements lors de la déglutition.
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Table des matières
1. INTRODUCTION
2. PARTIE THÉORIQUE
2.1. La déglutition physiologique
2.2. Physiopathologie de la dysphagie
2.2.1. Définitions
2.2.2. Les signes cliniques
2.3. Principales étiologies et facteurs de risque
2.3.1. Les dysphagies oropharyngées
2.3.2. Les dysphagies œsophagiennes
2.4. Retentissements sur la qualité de vie
2.4.1. Répercussions individuelles et sociétales
2.4.2. Témoignages de patients
2.5. Prise en charge des patients dysphagiques
2.5.1. Importance de la multidisciplinarité
2.5.2. Dépistage et bilan
2.5.3. Quelques outils disponibles
2.5.4. Prévention des complications
2.6. La démarche qualité en établissement de santé
2.7. Le Comité de Liaison Alimentation Nutrition (CLAN)
3. PROBLÉMATIQUE ET HYPOTHÈSES
4. PARTIE PRATIQUE
4.1. Objectifs
4.2. Matériels et méthodes
4.2.1. Population
4.2.2. Evaluation des Pratiques Professionnelles (EPP)
4.2.3. Evaluation d’un outil de dépistage : l’EAT-10
4.3. Mode de traitement des données
4.4. Présentation des résultats
4.4.1. Résultats avant et après séance d’information
4.4.2. Analyse des questionnaires de satisfaction
4.4.3. Résultats du dépistage systématique des troubles de déglutition
4.5. Elaboration d’une procédure dans l’établissement
4.6. Prévention des complications
5. DISCUSSION
CONCLUSION
6. BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES