La déficience intellectuelle
Selon le Classement International du Fonctionnement, du handicap et de la santé édité par le Centre Technique National d’Études et de Recherches sur les Handicaps et Inadaptations (CTNERHI) en 1988, les limites de la personne en situation de handicap sont classées selon trois catégories, reflétant les différentes sphères physiques, environnementales et sociétales.
les déficiences : « … toute perte de substance ou altération d’une structure ou fonction psychologique, physiologique ou anatomique » (p.43)
les incapacités : « … correspondent à toute réduction (résultant d’une déficience) partielle ou totale de la capacité d’accomplir une activité d’une façon ou dans les limites considérées comme normales pour un être humain » (p.135)
les désavantages : « … résultent pour un individu donné d’une déficience ou d’une incapacité qui limite ou interdit l’accomplissement d’un rôle normal (en rapport avec l’âge, le sexe, les facteurs sociaux et culturels) » (p.179)
Il existe plusieurs types de déficiences, dont quatre qui représentent les plus grands soucis d’adaptation à l’environnement: motrices, visuelles, auditives et intellectuelles. Mais que signifie exactement avoir une «déficience intellectuelle», quels en sont les facteurs déterminants ? Si plusieurs organismes, tels que l’American Association on Mental Retardation, l’American Psychiatric Association ou encore l’OMS publient différentes définitions ou moyens de mesure de la déficience intellectuelle, elles s’accordent pourtant toutes sur les trois caractéristiques suivantes : il y a une limitation intellectuelle, un déficit des habilités adaptatives (limitation du comportement adaptatif au niveau conceptuel, social et pratique selon l’AAMR en 2003) et ces difficultés apparaissent avant l’âge de 18 ans (Tassé & Morin, 2003, p.19).
Courants de pensée actuels
Concept de norme :C’est donc pour répondre au changement de mentalité et de perception ambiant que l’Organisation des Nations Unies (ONU), dès 1971, publie sa « Déclaration des droits du déficient mental », puis en 1975 sa « Déclaration des droits des personnes handicapées », qui définit comme telle «toute personne dans l’incapacité d’assumer par elle-même tout ou partie des nécessités d’une vie individuelle ou sociale normale, du fait d’une déficience, congénitale ou non, de ses capacités physiques ou mentales» (p.2). Elle prône notamment que : « le handicapé, quelles que soient l’origine, la nature et la gravité de ses troubles et déficiences, a les même droits fondamentaux que ses concitoyens du même âge, ce qui implique en ordre principal, celui de jouir d’une vie décente, aussi normale et épanouie que possible.» (ONU, 1975, p.2).
Si à cette époque le concept de « norme », évoqué dans la convention n’est pas encore critiqué, il sera remplacé dans ses futures versions. En effet, ce concept de norme est réducteur à l’égard de ceux qu’elle n’inclut pas, le mot entrainant lui-même une exclusion au bénéfice d’une soi-disant manière de faire/d’être qui devrait être commune à tous. Certains auteurs, dont De Munck et Verhoeven s’y sont intéressés en 1997, mettant en avant la dislocation de ces modèles normatifs face à leur propre complexification et défragmentation, aux régulations étatiques et autres crises d’autorité et décréditent ainsi leur usage (p.440).
Au contraire de ce concept de norme, on retrouve dans la « Convention relative aux droits des personnes handicapées » de 2006 de l’ONU des notions très actuelles, liées à de nombreux concepts prônés par les professionnels de l’éducation. L’article 8, par exemple, a pour titre «Sensibilisation» et s’attache à promouvoir la sensibilisation positive de la société à la situation des personnes handicapées, combattre les stéréotypes et autres types de préjugés, ainsi qu’à revaloriser l’apport de la personne handicapée à la société. Cet article se positionne donc clairement contre le concept normatif et s’apprête à éduquer la société pour qu’elle l’oublie également, par l’apparition, entre autre, dans les médias de campagnes qui positivent la vision des personnes en situation de handicap et renforcent leur simple présence.
De même, l’article 19, intitulé « Autonomie de vie et inclusion dans la société » de cette même convention fait appel à deux concepts fréquemment utilisés par les professionnels de la branche : l’autodétermination et l’intégration.
Conséquences sur les loisirs et les vacances
Difficultés organisationnelles et personnelles
Comme le soulignent dans leur recherche Kim et Létho (2012, p.19), la réalisation de vacances et d’activités de loisirs a une très grande importance pour une famille qui a un enfant avec déficience développementale : en effet, certains parents se sentent coupables de passer plus de temps avec leur enfant qui a une DI qu’avec ses frères et sœurs, ce qui engendre des tensions au sein des relations interfamiliales. Ils désignent donc comme «crucial» le temps de loisirs et de vacances passé avec l’ensemble de la famille car ils permettent de resserrer les liens familiaux. De plus, selon Retish et Retter (1999), la participation à des activités de loisirs joue un rôle important dans le développement des capacités nécessaires au fonctionnement individuel (cité dans Kim & Létho, 2012, p. 14) et les parents gardent cette priorité bien en tête lorsqu’ils planifient des vacances avec leur enfant ayant une DI ; fait mis en avant par la recherche sur les motivations de voyage de ce segment issue par Kim et Létho (2012, p.19). Toujours selon Retish et Retter (1999), historiquement, les personnes ayant des déficiences se sont retrouvées exclues des offres de loisirs et de vacances (cité dans Kim & Létho, 2012, p. 13). C’est pourquoi les familles qui ont des membres ayant une DI se sentent limitées dans leurs possibilités d’activités et doivent planifier en avance et minutieusement leurs vacances, tel que le témoigne une mère dans l’enquête de Thompson, Kerr, Glynn et Linehan (2014, p. 859). Cette difficulté additionnée à celle de comportements problématiques de leur enfant en public pousse certains parents à renoncer aux loisirs et aux vacances comme les soulignent ces auteurs (2014, p.860). Dans cette même enquête, une autre mère souligne quant à elle la difficulté de réaliser des activités de loisirs de par les réactions de son enfant, que la nouveauté perturbe et qui refuse souvent, par des crises, de participer à certaines activités (p. 860).
Accessibilité physique
Ces deux dernières notions sont d’ailleurs très intéressantes, car elles constituent une entrave à la pratique de loisirs et des vacances non seulement à l’adolescence, mais à tout âge. En effet, même si une politique de développement inclusif est prônée dans la plupart des états européens, on ne constate dans les faits qu’une mise en œuvre partielle (P. Margot-Cattin, professeur en Tourisme pour Tous, communication personnelle du 6.10.2014). Le développement inclusif de l’architecture dans un pays devrait inclure toutes les phases du cycle de vie de tous les projets de construction (planification, mise en œuvre, suivi et évaluation) dans le but de les rendre accessible à tous les citoyens, quels que soit leurs besoins spécifiques (Blaho-Poncé, 2012, p.127).
Dans le cas de la déficience intellectuelle, il y a plusieurs éléments à prendre en compte lors de la mise en place d’équipements adaptés. On compte parmi eux le repérage, le guidage, l’absence d’obstacles et une signalétique adaptée , mais également des procédures d’accueil différentes. Le «Guide pratique de la signalétique et des pictogrammes» édité par l’Union nationale des associations de parents de personnes handicapées mentales et de leurs amis (UNAPEI) en 2012 est d’ailleurs une excellente référence en la matière et permet de mieux comprendre comment un lieu peut être adapté à l’usage par tous.
Le segment des personnes ayant une déficience intellectuelle en Suisse romande et de leur famille comme niche touristique
Prestataires :Selon Blaho-Poncé, il faut aller au-delà de la simple conception d’offres adaptées et déterminer ce qui serait séduisant aux yeux de ce public aux besoins spécifiques, afin de leur laisser des souvenirs impérissables de leurs vacances (2012, p.33). C’est-à-dire que, non seulement il serait bien de proposer des offres de voyage à partir de ce qui existe (hôtel, avion, etc.) mais il faut également penser à créer pour eux, à designer en fonction de leurs besoins et attentes. Il est temps de faire émerger de l’industrie touristique des offres et infrastructures qui prennent prioritairement en compte les contraintes de ceux qui en ont le plus.
Du côté des prestataires, si l’éthique et les notions d’égalité ne suffisent pas à rendre l’ouverture à ce marché assez attrayante, ils ne négligeront pas son potentiel économique.
En effet, s’agissant des champs élargis du handicap (et donc au-delà de la déficience intellectuelle), de nombreux articles fleurissent sur leur profitabilité. Du côté du Québec, l’enquête de Kéroul (2011, pp.56-57) dénombre que sur une population totale de 430 572 personnes en situation de handicap, une dépense totale de 493.62 million a été engagée lors de leur voyage le plus récent seulement.
Aux USA c’est un milliard de dollars qu’ont à leur disposition les 50 millions de personnes en situation de handicap. Ces chiffres laissent les marqueteurs songeurs et, si les accès aux avions ou aux magasins sont toujours aussi pauvres, on s’intéresse tout de même au monde du handicap et commence à utiliser ses images dans la publicité ou dans les communications associées à la responsabilité d’entreprise de certaines d’entre elles. (Ray & Rider, 2003, p. 58).
Cependant, comme le souligne Darcy (2002) peu de recherches sont publiées sur les thèmes de déficience et tourisme, et encore moins le sont à propos de la déficience intellectuelle, car la plupart s’intéressent aux problèmes de mobilité (cité dans Kwai-Sang Yau, McKercher et Packer, 2004, p.947). Et moins de recherches sur les attentes, comportement et potentiel de ce marché mènent naturellement à moins d’offres concrètes.
Pourtant, comme le rappellent également ces auteurs, il est communément accepté que les personnes qui ont des déficiences ressentent autant que les tout-venants l’envie de voyager (2004, pp.946-947). De plus, dans le cadre de vacances familiales, il faut prendre en compte l’envie des membres tout-venants de la famille qui n’ont aucune restriction.
La situation actuelle du point de vue des prestataires est donc un mélange d’intérêt économique, de prise de conscience sociétale et politico-légale et d’un manque d’information/de formation concernant les réels besoins des personnes ciblées.
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Table des matières
Introduction
1. La déficience intellectuelle
1.1. Terminologie, définitions et notions
1.2. Perception : historique
1.3. Courants de pensée actuels
1.4. Conséquences sur les relations familiales
1.5. Conséquences sur les loisirs et les vacances
2. La déficience intellectuelle en Suisse romande et le tourisme
2.1. Population : nombres et statistiques
2.2. Lois fédérales concernant le handicap
2.3. Vacances adaptées depuis la Suisse romande : formules existantes
2.3.1. Généralités
2.3.2. Séjours individuels et familiaux
2.4. Le segment des personnes ayant une déficience intellectuelle en Suisse romande et de leur famille comme niche touristique
2.5. Description du projet de centre de vacances adaptées
3. Etude de marché
3.1. Buts
3.2. Définitions et limites
3.3. Hypothèses
3.4. Méthodologie
3.5. Résultats
3.5.1. Profil des répondants et du membre de leur famille ayant une DI
3.5.2. Comportement touristique
4.1.1. Opinion sur les offres touristiques romandes
4.1.2. Motivations touristiques
4.1.3. Attentes touristiques
4. Discussion
4.1. Apports de l’enquête
4.2. Conséquences pour les prestataires du marché romand
4.3. Conséquences pour le Centre de vacances adaptées
Conclusion
Références
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