La decouverte professionnelle 3 heures : une innovation pédagogique ?

 vocation possible et cachée de la DP3

Les travaux en sociologie de l’éducation (Dubet, 2002) ont montré qu’il y a quelque chose qui ne fonctionne pas bien dans l’orientation scolaire en France. Et, en outre, nous savons très bien également qu’à cet âge les élèves ou les jeunes, au collège, sont encore très souvent indécis quand à leur avenir professionnel (Forner, 1995).

Nous faisons l’hypothèse que la DP3 a peut être été introduite pour améliorer et rendre plus efficace l’orientation scolaire en fin de troisième en prenant pour prétexte et en instrumentalisant certains travaux de recherche pour en justifier l’introduction mais sans expliciter clairement les intentions qui en sont à l’origine.

La DP3 aurait-elle pour vocation cachée de former sur des professeurs et des élèves à la pédagogie du projet en vue préparer les élèves à un avenir professionnel ? En effet, le projet est devenu une préoccupation quasi obsessionnelle dans toutes les organisations et institutions (Boutinet, 2005), y compris dans l’Ecole d’aujourd’hui qui fonctionne nécessairement à partir d’un projet d’établissement, lequel se déploie au travers divers projets d’enseignements et pédagogiques déployés à des niveaux collectifs et individuels. Le projet est souvent vu par les acteurs comme une «solution bénéfique», un « remède miracle » permettant de soulager les maux présents en se préparant à envisager un futur espéré meilleur.

Le projet peut avoir pour vocation de changer : l’organisation du travail, une façon d’accueillir les usagers, la mise en place d’un ensemble d’activités etc. Tout concepteur ou toute personne participant à la conception ou à l’accompagnement d’un projet a donc conscience que le projet génère du changement et que le changement voulu, même lorsqu’il part d’une bonne intention, ne peut se faire de « haut en bas ». Car le projet a aussi pour vocation de permettre et de faciliter la transversalité et le travail collaboratif entre les différentes catégories de personnels et d’acteurs d’une structure (voir aussi avec les usagers, les utilisateurs etc.) en relation aussi parfois avec l’extérieur en favorisant et en rendant possible le partenariat avec d’autres structures, d’autres institutions, d’autres formes d’organisations et d’autres acteurs. Nous faisons ici l’hypothèse que la transformation de l’Ecole qui est recherchée, y compris au travers des filières générales, vise à façonner les élèves comme des acteurs capables de construire leur projet de formation et leur projet professionnel accompagné par leurs professeurs. Ce qui est même peut-être attendu de l’Ecole au travers de l’introduction de la DP3 dans le système scolaire français c’est de transformer l’expérience scolaire des élèves accompagnés de leurs professeurs en passant par le détour de « la professionnalisation en actes » (dir. Sorel & Wittorski, 2005), car le mouvement de professionnalisation englobe également toutes les formes de professionnalisations informelles créées et générées sur les lieux de travail ou de formation. La professionnalisation selon Maryvonne Sorel et Richard Wittorski c’est aussi ce que les acteurs produisent en situation de travail et/ou de formation pour se professionnaliser sans même toujours que la visée « professionnalisante » soit clairement reconnue par les acteurs qui en sont à l’origine. Mais qui pourrait bien attendre du collège et plus précisément de l’enseignement général, qu’il soit plus efficace dans la l’accompagnement, la formation, et la mise en œuvre du projet à vocation professionnelle ? Pourquoi ? Dans quel but et avec quels intérêts ?

Des textes institutionnels cadrant l’option nous déduisons que, en plus d’être un enseignement ayant pour vocation d’élargir la culture générale des élèves de 3ème générale, l’introduction de la DP3 dans le système scolaire français vise l’ambition de devenir aussi un moyen d’améliorer et de perfectionner un élément du système éducatif en vue peut être de rendre plus efficace son fonctionnement. Il semble que la démarche de projet d’orientation scolaire et professionnel ainsi que son accompagnement sont les éléments du système scolaire visés au travers cette perspective d’amélioration. La démarche de projet est une manière de faire, une façon de cheminer. Elle permet de prendre de la distance avant d’engager toute action, elle nécessite une capacité de « recul » et de « projection », pour se donner une vision d’avenir. La démarche de projet est d’abord personnelle et individuelle (exemples : projet personnel, projet de vie) mais elle est aussi nécessairement collective (Touraine, 1965) (Crozier & Friedberg, 1977). Le projet est un outil stratégique de management et d’orientation nécessitant une activité collaborative et professionnelle (Boutinet, 2005).

La démarche de projet constitue une dynamique collective conduite par des acteurs en partenariat avec d’autres acteurs. Elle s’oppose à une démarche de type procédurale dont le fonctionnement n’envisage que les outils et procédures existants pour réaliser ses fins. La démarche de projet permet de mobiliser l’ensemble des acteurs autour d’un projet fédérateur qui donne sens à leur action (Bellenger & Couchaere, 1999). La démarche de projet est une démarche de progrès, d’innovation, de création et de mobilisation. Elle envisage différentes possibilités  et permet l’évolution de ces orientations pour s’adapter à l’évolution du contexte et de l’environnement. A chacune des étapes de la démarche, le projet se réadapte, tandis que l’objectif principal est conservé ou conforté. La démarche est souvent aussi importante que le projet lui-même, car c’est elle qui crée la dynamique, ou qui devient source de blocages.

Naissance de la DP3 et vocation institutionnelle déclarée

Peu de détails sont donnés par les textes et par les services d’inspections sur les raisons de la création de cette option. Comme nous l’expliquons en amont, nos investigations exploratoires nous ont conduit à faire l’hypothèse que la DP3 est peut être en fait « née » dans le sillage de la DP6, à partir d’expérimentations menées dans certains établissements en vue finalement de la généraliser à l’ensemble du territoire. Il existe comme une sorte de secret autour de la création de cette option et nous avons eu l’impression d’avoir affaire à un service « Recherche et Développement » (R&D) d’une Multinationale lorsque nous avons cherché à connaître les détails de « fabrication » de la DP3. D’autres chercheurs ont pu faire le même constat dans des travaux menés sur des dispositifs dits « nouveaux » visant à mettre en relation le système scolaire et le monde du travail et des entreprises (Remoussenard, 2012). S’agit-il d’une recette bien gardée ou est-ce que le problème vient du fait que personne ne sait par qui comment et pourquoi la décision d’introduire cette option a été prise ? Si nous supposons que la décision a été prise par le Ministère de l’Education Nationale dans le but d’améliorer les pratiques d’orientation au niveau de la Troisième générale au sein du système scolaire, alors, nous nous demandons quels sont les effets produits par cette tentative «d’amélioration » qui émanent de cette volonté politique. Nous nous demandons comment et en quel sens le système scolaire s’est transformé, tout en nous intéressant aux effets produits sur l’activité de certains acteurs impliqués dans et par cette nouvelle option. Un entretien exploratoire que nous avons mené en 2010 avec un IGEN au CERPET, devenu CERPEP en 2013, comportait une question visant à recueillir ses propos sur la façon dont est née l’idée de créer l’option de Découverte Professionnelle en filière générale. Pour lui, il semblerait que certains élèves, grâce à cette option, pourront apprendre à s’orienter euxmêmes : « En fait, la Découverte Professionnelle est une option qui existe au collège parce que très rapidement dès lors que le collège est devenu unique, s’est posée la question de savoir comment on pouvait aider les jeunes à fabriquer leur projet d’orientation et même pour plus tard leur projet de vie professionnelle. […]L’intérêt, c’est qu’elle est proposée à tous les élèves de troisième. […] C’est un véritable espace d’enseignement, c’est un espace dans lequel on apprend quelque chose. Alors que évidemment, lorsque il n’y a pas d’espace particulier, ce n’est pas sûr, que les élèves apprennent quelque chose même s’ils rencontrent des conseillers d’orientation psychologue, des personnes des CDI et cetera. Là, c’est vraiment une opportunité extraordinaire ». Apparemment, pour cet IGEN l’introduction de l’option DP3 dans le système scolaire était inéluctable parce que l’orientation scolaire telle qu’elle fonctionnait au moment de l’introduction de cette nouvelle option n’était pas toujours efficace. Un Inspecteur d’Académie que nous avons interviewé en 2011 dans le cadre de notre thèse (cf. troisième chapitre) a de son côté également ajouté que la décision de créer la DP3 fut prise aussi pour répondre aux critiques extérieures (notamment celles des médias) portées au système scolaire. A plusieurs reprises, le rapport de l’Inspection Générale (Billet et Cahuzac, 2009), et d’autres textes officiels qualifient cette option d’« enseignement ». Il en est d’ailleurs de même dans l’ouvrage de Crindal et Ouvrier-Bonnaz (Crindal & Ouvrier-Bonnaz, 2006) qui était l’un des seuls ouvrages proposant à l’époque une démarche pédagogique et un ensemble de « procédés didactiques » visant à « guider » les acteurs en charge de la Découverte Professionnelle. Mais finalement qu’est-ce que découvrir pour un Principal de collège, pour un professeur de DP3, pour un élève inscrit en DP3 ? Qu’est-ce que découvrir le monde professionnel, les entreprises, les métiers pour ces mêmes acteurs ? Et comment le font-ils et avec quels intentions ? La démarche de projet est-elle un outil mobilisé par les acteurs dans le cadre de leur activité ?

Le mot « professionnel » a une connotation très négative à l’Ecole et surtout en filière générale alors qu’à l’extérieur, dans le monde du travail c’est l’inverse : le professionnel est celui qui a réussi car il travaille et perçoit des revenus de sa profession qui est dans le cas de figure traditionnel (donc idéal-typique) une activité de type libérale (Dubar & Tripier, 2005). Ce n’est pas uniquement la représentation péjorative du mot professionnel très largement répandue à l’Ecole qui attire notre intention, c’est surtout le mot découvrir. Pour nous « découvrir » peut se définir comme une intention d’agir motivée à la fois par une sorte de vide de connaissance et désir d’apprendre. Mais le désir d’apprendre nécessite un but, des objectifs et une démarche et c’est de notre point de vue une des raisons pour laquelle l’Ecole existe.

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Table des matières

Introduction
Chapitre 1 : La decouverte professionnelle 3 heures : une innovation pédagogique ?
1 : Création d’une nouvelle option dans le système scolaire Français.
1.1 : textes fondateurs et critique de la justification institutionnelle.
1.2 : Genèse d’un partenariat entre ecole et monde du travail.
1.3 : Vers une relation collaborative pour une responsabilité partagée.
2 : De l’innovation ordinaire à l’innovation pédagogique
2.1 : les caractéristiques de l’innovation ordinaire
2.2 : innovation scolaire et innovation pedagogique.
2.3 : Le paradoxe d’une notion « exportée » dans le contexte scolaire.
3 : Une recherche sur la DP3 pour quoi faire ?
3.1 : objectifs centraux de la these.
3.2 : Faire un choix « à contre-courant » pour analyser le travail et l’activité ?
3.3 : Acceder au reel en mobilisant l’ethnographie.
Chapitre 2 : entre théories de l’activité, rôle et système d’acteurs : le système d’activité.
1 : Une approche necessaire pour envisager l’activité des acteurs.
1.1 : Preambule à l’analyse de l’activité de travail des acteurs de l’option DP3
1.2 : A propos du choix de la perspective d’analyse anthropologique de l’activité
1.3 : logique de mission et activité des professionnels du systeme scolaire.
2 : construction d’un regard théorique sur l’activité de travail enseignante
2.1 : Le métier d’enseignant un métier « adressé à autrui ».
2.2: L’enseignant : un professionnel efficace comme un autre ?
2.3 : la logique de mission une caractéristique des métiers « adressés à autrui » ?
3 : mobiliser la notion de rôle pour approcher et comprendre l’activité de travail.
3.1 : Notion de rôle en Sciences Humaines et Sociales.
3.2 : De l’interdépendance entre logique de mission, rôle de l’acteur et activité de travail
3.3 : De l’interdépendance entre logique de mission, rôle de l’acteur et activité de travail
Chapitre 3 : La diversité des formes de l’enseignement DP3.
1 : Présentation des guides d’entretien
1.1 : le fonctionnement de l’option dans trois collèges de l’académie du Nord Pas De Calais.
1.2 Le travail reel en situation de découverte professionnelle
1.3 : Analyse de productions scolaires
2 : « Dérives institutionnelles » et pouvoir de l’activité en situation de travail.
2.1 : Et pourquoi pas la DP3 en 4ème générale ?
2.2 Le systeme organise par quelques acteurs de l’option
2.3 : L’orientation scolaire, objet caché des transformations de l’institution scolaire
2.4 : La forme scolaire à l’epreuve de la compétence
Conclusion
Bibliographie

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