La découverte des homéoprotéines

La découverte des homéoprotéines

Les homéoprotéines constituent une classe majeure de facteurs de transcription actifs tout au long du développement et chez l’adulte. Les homéoprotéines sont des acteurs clés des réseaux génétiques qui établissent le plan du corps et régulent la morphologie et la physiologie aux niveaux cellulaire et multicellulaire. Elles sont encodées par les homéogènes, dont les gènes homéotiques, famille de gènes découverte pour ses fonctions au cours du développement embryonnaire précoce, en particulier pour leur rôle dans la mise en place de l’axe antéropostérieur des arthropodes et des vertébrés.

Les premières observations des homéogènes ont été réalisées par William Bateson à partir de 1894 en étudiant les variations intraspécifiques chez des insectes puis chez des végétaux. Parmi ses observations, il constata que ces différents organismes présentaient des variations par rapport au plan général de l’espèce. Il a remarqué que la mutation d’un homéogène conduit à une homéose, c’est-à-dire l’apparition d’un organe ou d’un membre bien formé, mais situé à un endroit anormal. Un homéogène est donc défini par rapport au phénotype qu’il entraîne lorsqu’il est muté, et non par sa séquence nucléotidique. Retrouvé dans plusieurs embranchements, ce processus a été particulièrement étudié chez la drosophile Drosophila melanogaster à partir d’une étude de mutants homéotiques qui substituent un segment corporel à un autre, totalement ou partiellement. Il a été démontré que huit homéogènes organisés en deux grands ensembles Antennapedia et Bithorax étaient impliqués dans la différenciation et la spécification de la partie proximale et distale de l’animal respectivement. La mutation du complexe Bithorax conduit au remplacement du troisième segment thoracique par le deuxième conduisant à une mouche dont les haltères sont remplacés par une paire d’aile (Bridges and Morgan, 1923; Lewis, 1978). Tandis que la mutation du complexe Antennapedia entraîne un remplacement des antennes par des pattes (Figure 12) (Gehring, 1987).

Les études sur Antennapedia ont conduit à la découverte d’une séquence de 180 paires de bases, l’homéoboîte hautement conservée chez tous les homéogènes. Découverts chez les invertébrés, les vertébrés, les champignons et les plantes, il est à noter que tous les gènes à homéoboîte ne sont pas nécessairement des homéogènes, c’est-à-dire que leurs mutations ne conduisent pas à  un phénotype homéotique et inversement. Ainsi, les gènes Bicoïd, Engrailed (En), Fushi Tarazu ou encore Pax, qui sont des gènes du développement ayant des homéoboîtes ne sont pas des homéogènes, et chez les végétaux les gènes entrainant des phénotypes homéotiques ne possèdent pas l’homéoboîte.

Les homéoprotéines, encodées par les gènes à homéoboîte sont des activateurs ou répresseurs de la transcription génique. L’homéoboîte encode une séquence très conservée de 60 acides aminés, appelée homéodomaine, qui se lie par trois régions hélicales à l’ADN (Figure 13) (McGinnis et al., 1984; Kissinger et al., 1990). L’homéodomaine dirige la fixation des homéoprotéines, seules ou en complexe, sur des séquences promotrices et leur permet de réguler la transcription de cibles génétiques spécifiques. Classées en différentes familles et sous-familles en fonction de la conservation des séquences d’acides aminés à l’intérieur et à l’extérieur de l’homéodomaine (Derelle et al., 2007), les homéoprotéines partagent d’autres domaines conservés, appelés codomaines, qui servent de médiateurs aux interactions protéineprotéine ou protéine-ADN. Ces complexes confèrent un degré plus élevé de spécificité de régulation par une action combinée au niveau des structures cibles. (Keleher et al., 1989; Stern et al., 1989; Hayashi and Scott, 1990; Jiang et al., 1991).

La famille des homéoprotéines a été définie comme l’ensemble des protéines possédant un homéodomaine similaire à celui décrit chez Antennapedia. C’est ainsi qu’elle inclue des homéoprotéines qui ne participent pas à la définition de l’identité d’une région, et n’ont donc pas une action homéotique, telle que définie par les mutations éponymes. Constituée d’environ 300 membres, la famille des homéoprotéines exerce des fonctions importantes au cours du développement du CNS. Par exemple, chez les vertébrés, une perte de fonction d’En-1 est à l’origine d’un développement incomplet du mésencéphale (Joyner, 1996). De plus, chez la drosophile, l’inactivation d’orthodenticle (Otd), entraîne la perte des segments antérieurs de la tête où Otd est exprimé. Dans certains cas, certaines structures sensorielles sont également perdues, notamment les ocelles, organes de détection de la lumière. Otd agit comme un gène gap, c’est-à-dire un gène nécessaire au développement d’une section de l’organisme (Finkelstein et al., 1990; Cohen and Jürgens, 1991; Hirth et al., 1995). Otd possède des homologues chez les vertébrés nommés Otx1 et Otx2 (Simeone et al., 1992, 1993) et le patron d’expression d’Otx2 dans le développement embryonnaire de la souris est similaire à celui d’Otd chez la drosophile. On dit qu’Otd et Otx2 sont orthologues, homologues entre deux espèces distinctes, alors qu’Otx1 et Otx2 sont paralogues, homologues à l’intérieur de la même espèce, mais Otx1 n’a pas d’orthologue chez les arthropodes. Chez les embryons de souris, Otx1 et Otx2 sont tous deux exprimés dans les organes sensoriels au cours du développement.

Les homéoprotéines Otx1 et Otx2 contrôlent le développement du CNS

Les ARNm Otx2 sont détectés chez la souris dès le 3ème jour embryonnaire (E3,5) dans toutes les cellules de la masse interne de la blastula, cellules à partir desquelles l’embryon se formera (Kimura et al., 2001). Avant la gastrulation, au stade E5,5, Otx2 est transcrit dans l’ensemble de l’endoderme viscéral et de l’épiblaste. Au fur et à mesure de la progression de la ligne primitive, qui est l’épaississement cellulaire définissant le plan de symétrie bilatérale, l’expression d’Otx2 est progressivement limitée au tiers antérieur de l’embryon. À E7,5, après la gastrulation et l’induction neurale, Otx2 est exprimé dans les trois feuillets embryonnaires et en particulier dans la plaque neurale rostrale à l’origine du télencéphale, du diencéphale et du mésencéphale (Acampora et al., 2001). Otx2 présente également une expression prédominante dans les plexus choroïdes dès leur mise en place à E9,5 et s’y maintient jusqu’à l’âge adulte (Simeone et al., 1993; Courtois et al., 2003). Les souris Otx2+/-présentent des hydrocéphalies et des ventricules latéraux dilatés dues à un excès de liquide cérébro-spinal (CSF) (Makiyama et al., 1997). Otx2 est nécessaire à la formation des plexus choroïdes mais aussi à leur bon fonctionnement dans le cadre du développement du cerveau (Johansson et al., 2013). Otx2 est exprimé tout au long du chemin visuel ; dans la rétine, le noyau géniculé latéral du thalamus et le colliculus supérieur (Nothias et al., 1998). Une inactivation totale d’Otx2 est létale très tôt dans le développement du fait de la perte des régions cérébrales rostrales, comme cela a été aussi observée pour les ganglions cérébraux de la drosophile après invalidation d’Otd. Cependant, les souris hétérozygotes pour Otx2 sont viables et fertiles (Martinez-Morales et al., 2001; Koike et al., 2007).

Chez l’embryon de souris, l’expression d’Otx1 débute à E8.5 dans l’épithélium du futur prosencéphale et mésencéphale (Simeone et al., 1992). Au cours de la régionalisation du cerveau, les domaines d’expression d’Otx1 et d’Otx2 sont semblables. Néanmoins, Otx2 disparaît du télencéphale dorsal à E10,5 alors que l’expression d’Otx1 y est maintenue au niveau de la zone ventriculaire corticale et des cellules progénitrices des neurones des couches V et VI du cortex (Simeone et al., 1993; Frantz et al., 1994). Les souris Otx1-/- sont viables, souffrent de crises d’épilepsie spontanées et présentent des anomalies touchant principalement le cortex télencéphalique et le développement des organes sensoriels visuels et auditifs (Acampora et al., 1995). De plus, à l’âge adulte, ces souris présentent une réduction considérable de l’épaisseur du cortex et du nombre de cellules corticales, soulignant ainsi le rôle d’Otx1 dans le développement du cerveau antérieur.

Les homéoprotéines, facteurs de transcription aux propriétés remarquables

Les homéoprotéines sont traditionnellement définies comme des facteurs de transcription à action cellulaire-autonome. Leurs actions seraient donc limitées à la cellule dans laquelle elles sont exprimées. Cependant, les travaux initiés dès le début des années 90 par le laboratoire d’Alain Prochiantz ont permis de révéler des propriétés cellulaires non conventionnelles des homéoprotéines, jusqu’alors inconnues.

L’internalisation des homéoprotéines : Antennapedia 

La première observation ayant conduit à la démonstration de ce rôle non conventionnel des homéoprotéines est l’internalisation par des neurones de l’homéodomaine d’Antennapedia, ajouté au milieu de culture, sans altération de la membrane plasmique (Joliot et al., 1991b; Le Roux et al., 1993). Une fois internalisé, l’homéodomaine d’Antennapedia conserve une activité biologique ; sa liaison à l’ADN chasse les homéoprotéines endogènes de leurs sites génomiques (Le Roux et al., 1995) et conduit à une modification morphologique des neurones (Joliot et al., 1991b). Une région précise de l’homéodomaine de 16 acides aminés, nommée pénétratine, correspondant à la troisième hélice α, est nécessaire et suffisante pour son internalisation (Figure 14) (Derossi et al., 1994). Les propriétés d’internalisation de la pénétratine ont été largement étudiées et sont maintenant bien décrites. Cette internalisation ne nécessite pas d’énergie, puisqu’elle se produit à 4°C, et ne requiert aucun récepteur chiral de surface (Derossi et al., 1996).

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Table des matières

INTRODUCTION
I. LES PERIODES CRITIQUES DE PLASTICITE
a. Les périodes critiques au cours du développement
b. Modèles de plasticité
i. La vision binoculaire
ii. La carte glomérulaire
c. Mécanismes cellulaires et moléculaires de la plasticité corticale
II. LES RESEAUX PERINEURONAUX
a. Découverte des PNN
b. Structure des glycosaminoglycanes
c. Organisation en protéoglycanes
d. Biosynthèse des glycosaminoglycanes
e. La matrice extracellulaire, une structure dynamique
f. Distribution des PNN dans le CNS
i. Les structures corticales
ii. L’amygdale
iii. L’hippocampe
iv. Le cervelet
v. La moelle épinière
g. Fonctions physiologiques dans le cerveau post-natal
i. Une barrière physique qui protège des agressions
ii. Un véritable partenaire de liaison moléculaire
iii. Un frein à la mobilité des récepteurs
III. LES HOMEOPROTEINES
a. La découverte des homéoprotéines
b. Les homéoprotéines Otx1 et Otx2 contrôlent le développement du CNS
c. Les homéoprotéines, facteurs de transcription aux propriétés remarquables
i. L’internalisation des homéoprotéines : Antennapedia
ii. La sécrétion des homéoprotéines : EN2
iii. Bloquer le transfert des homéoprotéines
d. Action paracrine de l’homéoprotéine OTX2 dans la plasticité
i. Le transfert d’OTX2 régule la plasticité
ii. OTX2 reconnait spécifiquement les GAG sulfatés des PNN
iii. Une boucle de rétrocontrôle positive entre OTX2 et les PNN
iv. La réouverture de la plasticité chez l’adulte
IV. LE SYSTEME OLFACTIF, UN SYSTEME SENSORIEL SINGULIER
a. Les molécules odorantes
b. L’organisation du système olfactif, structure et fonction
i. Les caractéristiques uniques des voies olfactives
ii. La neurogenèse adulte, longtemps mise en doute et pourtant essentielle
iii. La neurogenèse adulte, précurseurs et intégration au réseau du OB
iv. La sélection neuronale et la plasticité, une relation connexe
c. Le cortex piriforme, circuit et plasticité
i. Du bulbe olfactif au cortex piriforme
ii. Le cortex piriforme, un système sensoriel à part
iii. Origine et subdivisions du cortex piriforme
iv. Organisation neuroanatomique du cortex piriforme
V. OBJECTIFS DE LA THESE
CONCLUSION

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