Depuis la création des antibiotiques, les bactéries n‘ont cessé de développer des résistances au point de devenir aujourd‘hui une véritable menace pour l‘Homme. Alors que 52 millions de personnes dans le monde seraient porteuses de staphylocoques résistants aux antibiotiques [1], les autorités peinent à trouver une solution viable. Entre les industries pharmaceutiques qui se refusent à de coûteuses recherches en ce qui concerne les antibiotiques et la surconsommation de ces derniers dans le monde, l‘arsenal thérapeutique pour lutter contre les bactéries s‘amenuise.
La découverte des bactériophages
L‘histoire des phages a 94 ans. Aujourd‘hui, il est admis que la découverte du bactériophage appartient conjointement à deux microbiologistes :
– Frederick williamTwort : bactériologiste anglais qui a la propriété de la description du principe lytique sur des colonies de Micrococcus, en 1915, il est donc indubitable qu‘il avait fait une interprétation imprécise et, surtout, n‘avait pas poursuivi ses recherches et encore moins envisagé une utilisation thérapeutique. Il n‘est donc pas contestable que le mérite de la phagothérapie appartient à Félix d‘Hérelle [4].
– Félix d’Hérelle : biologiste canadien d’origine française, qui a pressenti très tôt le rapport entre un phénomène observé au laboratoire et le phénomène de la guérison clinique en 1917. Pour lui, l‘apparition de plages claires, observée dans les boîtes de Petri sur lesquelles cultivaient les bactéries responsables de dysenterie bacillaire, semblait annoncer la guérison. En effet, dès le 9 décembre 1918, d‘Hérelle après avoir constaté que « la pathogénie et la pathologie de la dysenterie bacillaire sont dominées par deux facteurs agissant en sens contraire : le bacille dysentérique, agent pathogène et le microbe filtrant bactériophage, agent d‘immunité », affirma que c‘est « logique de proposer comme traitement de la dysenterie bacillaire l‘administration, dès l‘apparition des premiers symptômes, de cultures actives du microbe bactériophage » [5]. Il eut à s‘intéresser à une épizootie de typhose aviaire [6] qui sévissait en France. Il profita de cette occasion pour généraliser ses conclusions quant à l‘histoire naturelle de la guérison par le bactériophage. Il alla plus loin encore affirmant dès ce moment que « l‘immunité est contagieuse au même titre que la maladie elle même. Il résulte également des faits énoncés que l‘ingestion d‘une culture du microbe bactériophage provenant d‘une souche douée d‘une virulence exaltée pour le bacille pathogène doit être de nature à conférer l‘immunité». D‘Herelle a isolé du bactériophage actif contre différentes espèces de bacilles (outre les précédents, Escherichia coli, Proteus, plusieurs Salmonella) [7]. Il a démontré avec beaucoup d‘assurance qu‘il s‘agissait d‘un « microbe » et non pas d‘une « diastase ». Le principal critère démontrant la nature virale du phénomène étant l‘apparition de plages claires sur les boîtes de Petri. En effet, il existe des milliers de bactériophages différents par leur morphologie et leur spécificité et qu‘à chaque espèce bactérienne correspond au moins un phage. D‘Hérelle ne se doute pas de la découverte qui lui aurait valu le Prix Nobel si les phages n‘avaient pas été observés deux ans auparavant par Twort. Ses observations sont alors présentées devant les membres de l‘Institut Pasteur. Il poursuit ses recherches dans ce domaine ce qui lui vaut rapidement une certaine renommée. L‘Université de Montréal lui attribue même un doctorat honoris causa [8].
La naissance de la phagothérapie
D‘Herelle a relaté ses toutes premières tentatives de «phagothérapie» chez des enfants à l‘hôpital Necker–Enfants Malades dans le service du Pr Hutinel au cours de l‘été 1919, non sans avoir préalablement absorbé et fait absorbe « son » bactériophage à son entourage pour en vérifier l‘innocuité. Cinq enfants atteints de dysenterie bacillaire furent traités avec succès.
Dès lors, de nombreux autres travaux furent entrepris. Le Japonais Kabeshima, tout en contestant la nature même du bactériophage, par l‘injection intraveineuse d‘un « bactériolysat du bacille de Shiga », éliminera le bacille vivant de la bile de lapins [9]. Dès le début de l‘année 1920, kabeshima, tentera de faire la démonstration de la nature chimique du bactériolysat, qu‘il appellera ferment[10;11]. D‘Herelle s‘était embarqué pour l‘Indochine. Il avait rencontré Yersin, de passage à Paris, qui lui avait proposé d‘étudier les possibilités d‘un traitement de la peste bovine. Au cours de son séjour en Extrême Orient, d‘Herelle généralisa chez l‘animal le rôle du bactériophage en tant qu‘agent de guérison, non seulement dans la peste du buffle, mais aussi la peste chez le rat et la flacherie -maladie mortelle causée par l’ingestion de feuilles de mûrier infectées- chez le ver à soie « Il n‘avait eu, jusqu‘ici, l‘opportunité de rechercher le microbe bactériophage que dans des maladies présentant des manifestations intestinales : dysenteries bacillaires, fièvres entériques, typhose aviaire ; dans toutes ces maladies, il avait réussi à isoler un microbe bactériophage actif contre la bactérie pathogène. Il était intéressant de vérifier si le fait restait limité aux maladies intestinales ou s‘il s‘agissait d‘un phénomène général de défense ». [2] En 1927 D‘Hérelle Collabore avec le Service médical indien pour la prophylaxie du choléra par le traitement par bactériophages [12].
Enthousiasme et désenchantement
La phagothérapie semblait pouvoir être généralisée à un grand nombre d‘infections jusque-là souvent mortelles. C‘est ainsi qu‘apparut la commercialisation de préparations à usage thérapeutique. Le principal germe concerné était le staphylocoque, mais de nombreuses maladies infectieuses cutanées, intestinales, génitales, respiratoires étaient traitées. Les résultats de la phagothérapie souvent rapportés dans la presse scientifique, et même les quotidiens et revues « grand public », éveillèrent l‘attention de plusieurs entreprises pharmaceutiques importantes: Parke-Davis, Eli Lilly, Abbott et Squibb aux États-Unis ou plus modestes en Allemagne et en Angleterre.
En France, les laboratoires Robert et Carrière, proposèrent à d‘Herelle d‘installer en 1928le laboratoire du bactériophage. La firme se réservait l‘exclusivité de la commercialisation pour la France. Les cinq spécialités à base de phages (bacté-intesti-phage; bacté-coli-phage; bactérhino-phage; bactépyo-phage ; bacté-staphy phage) auront été pendant les années 1930 parmi les dix meilleures ventes des médicaments de l‘entreprise [13]. Une monographie a fait la synthèse des possibilités thérapeutiques connues [14;15] à cette époque.
En 1934, D‘Hérelle reçoit une offre étonnante : Staline lui propose de venir créer un institut sur les bactériophages dans sa contrée d‘origine, la Géorgie. Socialiste à ses heures, D‘Hérelle accepte et fonde avec son ami géorgien Georges Éliava un institut qui porte le nom de ce dernier [16]. Les Allemands, quant à eux, se sont immédiatement engagés dans la production à grande échelle dès le début de la seconde guerre mondiale pour traiter la dysenterie bactérienne. Il y a peu de données concernant l‘utilisation et l‘intérêt de cette pratique pendantle conflit. L‘analyse de suspensions de phages saisies sur des prisonniers allemands ne donna pas une impression très positive .
Déclin de la phagothérapie
La première découverte des antibiotiques en 1945 et leur développement avaient suscité un grand espoir dans la lutte contre les infections bactériennes. Après la seconde guerre mondiale, ce traitement fut progressivement abandonné par les pays occidentaux au bénéfice de la pénicilline et du développement des antibiotiques durant la seconde moitié du XXème siècle. La phagothérapie fut rapidement marginalisée, puis éliminée de la pratique occidentale alors qu‘elle a continué d‘être utilisée à grande échelle dans les pays de l‘Europe de l‘Est [2].
Un espoir pour une réutilisation de la phagothérapie
En1980, le biochimiste britannique Frederick Sanger reçut le prix Nobel pour avoir réussi à séquencer l’ADN en utilisant un phage. Et donc considéré les bactériophages comme un outil fondamental de recherches ainsi ont permis à l‘essor de la biologie moléculaire. Les connaissances acquises, tant au laboratoire que dans la nature, sur les phages eux-mêmes et la relation avec leurs hôtes sont aujourd‘hui très nombreuses. Toutes les données accumulées depuis des décennies assurent une meilleure approche et donnent l‘opportunité de revoir la phagothérapie dans des conditions satisfaisantes [17].
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Table des matières
I-INTRODUCTION
II-HISTORIQUE
II.1. La découverte des bactériophages
II.2. La naissance de la phagothérapie
II.3. Enthousiasme et désenchantement
II.4. Déclin de la phagothérapie
II.5. Un espoir pour une réutilisation de la phagothérapie
III-Caractéristiques des bactériophages
III.1. Structure et morphologie
a- La tête
b- Le col
c- La queue
III.2. Classification
III.3. Mise en évidence et numération des bactériophages
IV-Pouvoir pathogène des bactériophages
IV.1. Fonctionnement d’un bactériophage
IV.2. L’infection lytique, les phages virulents
a- L’adsorption spécifique
b- Pénétration (injection) du génome phagique dans la bactérie
c- L’expression du génome viral
d- L’Assemblage des progénitures du phage
d.1. La tête
d.1.1. La formation d’un précurseur : la procapside
d.1.2. Clivage protéolytique
d.1.3. L’expansion : transition procapside– capside
d.1.4. La stabilisation
d.2. La queue
d.3. Les fibres
e- La lyse de la bactérie
IV.3. L’infection non lytique, les phages tempérés
IV.4. Modification de la pathogénie des bactéries par les bactériophage
V-Avantages et inconvénients de la phagothérapie
V.1. Les avantages de la phagothérapie
V.2. Les inconvénients de la phagothérapie
VI-Nouveaux arguments en faveur de la thérapie par les phages
VI.1. Premier argument : interactions phages—antibio
VI.2. Deuxième argument : biofilms et bactéries persistant
VI.3. Troisième argument : inhibition du système SOS bactérien
VII-Les applications médicales de la phagothérapie
VII.1. Phagoprophylaxie
VII.2. Thérapie par les phages
a) Anciennes applications
b) Nouvelles tentatives
VII.3. Traitement de certaines maladies infectieuses
a) Traitement des infections à Escherichia coli
b) Traitement des infections à Staphylococcus aureus
c) Traitement des infections à Pseudomonas aeruginosa
d) Traitement des infections à Mycobacterium tuberculosis
e) Traitement des infections à Clostridium difficile et Bacillus anthracis
VII.4. Biotechnologie: les multiples applications du phage display
VII. 4.1. Sélection de phages-substrats
VII. 4.2. Immunisation
VII. 4.3. Les banques combinatoires d’anticorps
Conclusion