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รVOLUTION DE LA POPULATION ET TRANSFORMATIONS SOCIALES
Dรจs le IIIe siรจcle av. J.-C., Rome sโengage dans une sรฉrie de guerres. Dรฉjร en 270, elle avait รฉtendu sa domination sur toute lโItalie, son ambition pour la Sicile conduisit la Rรฉpublique ร affronter Carthage. Les deux premiรจres guerres puniques qui se dรฉroulรจrent respectivement de 264 ร 241 et de 218 ร 202 permirent ร Rome de gagner lโEspagne. La puissance de Rome va se confirmer en 146 av. J.-C. matรฉrialisรฉe par la destruction de Carthage. Cependant, cette gloire ne sera pas sans consรฉquence car les rรฉvoltes sociales furent dโune gravitรฉ extrรชme. En effet, la Rรฉpublique connait un grand dรฉsordre dans la mesure oรน lโextension de lโempire ramenait sur le marchรฉ un trรจs grand nombre dโesclaves. La main dโลuvre fut abondante, la population servile se chiffrait ร 3 millions dans le courant du Ier siรจcle.20
Cette arrivรฉe massive dโesclaves accroit la population romaine de faรงon considรฉrable. En effet, la main dโลuvre salariale รฉtait dรฉsormais concurrencรฉe par la masse servile issue des conquรชtes ; ce qui va accentuer le chรดmage en ville. En campagne toutes les familles furent obligรฉes de se rรฉfugier dans lโUrbs oรน elles ne trouvent ni travail, ni logement, ce qui provoqua un tohu-bohu dans la sociรฉtรฉ. Les contestations fusent de partout, le systรจme en place qui ne profite quโร une portion de la sociรฉtรฉ รฉtait menacรฉ de conspiration par la majoritรฉ en colรจre. La population de Rome ne cessait de sโaccroitre, la citรฉ rassemblait ร cotรฉ de ses citoyens, des Italiques, des Grecs, des affranchis de tous les horizons souvent trรจs pauvres. Ainsi, cโest le dรฉbut dโun bouillonnement du climat social caractรฉrisรฉ par des tensions de toute nature entre riches et pauvres. Cโรฉtaient les grandes familles notamment celles de la Nobilitas qui profitaient des biens de la Rรฉpublique sous prรฉtexte quโelles jouissaient dโune bonne descendance et que leurs ancรชtres รฉtaient les propriรฉtaires de la citรฉ.
Les antagonismes sociaux ne contribuaient pas ร la dรฉcrispation de la situation politique au contraire. Et cโest dans cette optique que la cohรฉsion de la Nobilitas porteuse dโharmonie se disloque en deux factions rivales : lโune sensible aux aspirations de la masse, lโautre au contraire รฉtait inspirรฉe par la crainte, le mรฉpris et lโรฉgoรฏsme. Les premiers รฉtaient les populares ยซ partisans du peuple ยป, les autres portaient le nom de optimates ยซ ceux qui pensent bien ยป21. Les populares furent trรจs sensibles aux revendications du peuple et cela sans doute parce que la plupart dโentre eux sont issus de familles plรฉbรฉiennes qui jadis avaient subi les mรชmes injustices. Le traumatisme que subissait le corps populaire รฉtait ร lโorigine dโune tentative de rรฉformes agraires en -133, qui consistait ร soulager le sort des citoyens dรฉpossรฉdรฉs et dรฉmunis ร cause de la forte classification de la sociรฉtรฉ romaine. Les injustices rรฉsidaient au fait que lโAger publicus รฉtait dans sa grande majoritรฉ allouรฉ ร lโoligarchie dirigeante.
Ces temps romains sont dโune trรจs grande importance dโรฉtude en ce sens que la Rรฉpublique รฉtait paradoxalement favorable au partage inรฉgalitaire des biens de la citรฉ. Les succรจs militaires nโavaient pas participรฉ ร la protection de Rome, encore moins ร la prรฉvention de certains รฉcarts de conduite รฉmanant de niveaux insoupรงonnรฉs. Ce qui est la source des guerres civiles ร Rome dont lโune des plus cรฉlรจbres รฉclatait en 135 av. J.-C. Il y avait aussi un autre motif de tension sociale qui avait eu lieu entre 73 et 71 av. J.-C., cโest la frustration des esclaves qui va plonger Rome dans une cinglante rรฉvolte servile dirigรฉe par Thrace Sparthacus.
Ces conflits internes fragilisent lโรtat au moment oรน les hommes influents du moment exerรงaient leur hรฉgรฉmonie sur les autres citoyens. Les institutions rรฉpublicaines de moins en moins solides ne purent rien faire pour empรชcher le chaos. Lโaccroissement de la population รฉtait la rรฉsultante du contact avec lโextรฉrieur. Les conquรชtes furent dโun grand apport pour le prestige des gรฉnรฉraux, mais la dรฉcouverte du luxe nโaura pas prรฉdit de bons lendemains aux Romains. Les nouvelles habitudes quโรฉpousaient les Romains venaient renverser les mลurs et aussi certaines valeurs. Et pour lโattester, voici ce que Plutarque avait dit : ยซ la Rรฉpublique รฉtait dรจs lors trop grande pour conserver sa puretรฉ, lโempire quโelle exerรงait sur tant dโaffaires et tant de peuple y avait introduit un grand mรฉlange de coutumes et de faรงons de vivre de tout genre ยป.22
Les risques que courait la Rรฉpublique sont multiples, ร cรดtรฉ il yโavait des difficultรฉs dโadministration qui faisaient surface. Vu lโimmensitรฉ de lโespace romain, lโรtat รฉtait obligรฉ dโรฉriger ses nombreuses colonies en provinces, chaque province exige ร la fois une administration et une mise en valeur. Alors, une nouvelle donne sโimpose puisque les institutions rรฉpublicaines รฉtaient autrefois prรฉvues pour assurer le gouvernement dโun petit รtat. Cette mรฉtamorphose oblige le corps รฉtatique ร rรฉorganiser ses colonies, il fallait donc beaucoup plus dโadministrateurs qui ne seront pas choisis sur des bases fragiles, mais par voie dโรฉlection. Et ici, il faut noter que la crรฉation de ces nouvelles provinces aura des rรฉpercussions dans la trajectoire politique. Lโรฉtendue du territoire augmente le nombre de candidats aux magistratures. ร partir de ce moment, Rome scrutait une crise politique en perspective qui prenait forme sur la base de la rudesse et de la brutalitรฉ de certains personnages influents.
La tรขche de gouverneur de province est confiรฉe ร dโanciens magistrats sortis de charge. Ainsi chaque candidat veut obtenir un commandement ce qui explique le foisonnement dโassassinats politiques. Et cโest sans doute, la raison pour laquelle Salluste soutient que cโest lorsque Rome se trouvait au comble de sa gloire en dominant mรชme Carthage quโ ยซ On vit croitre la passion de lโargent, puis celle de la domination ; et cโรฉtait la cause de tout ce que se fit de mal ยป23. Dans cette course aux magistratures, on rencontre aussi bien des patriciens que des riches plรฉbรฉiens.
Ce spectacle dรฉsolant qui caricature profondรฉment lโimage de la Rรฉpublique fera rรฉagir Cicรฉron en ces termes ยซ absolument lamentable sont la rivalitรฉ et lโambition pour les honneurs ยป24.Par ailleurs, les troubles politiques impliquant assassinats et conspirations contre lโรtat peuvent รชtre analysรฉs sous lโangle รฉconomique. En effet, les terres nouvellement conquises renferment dโรฉnormes richesses en or et aussi en argent. Tous les peuples soumis par lโarmรฉe romaine รฉtaient contraints de payer un impรดt ร lโรtat. Ces bรฉnรฉfices รฉtaient exclusivement gรฉrรฉs par les dirigeants de la citรฉ et la majoritรฉ qui en รฉtait exclue nโhรฉsitera pas ร sโoffrir aux plus riches, ou ร se laisser ameuter par dโautres hommes qui prรฉparaient un coup de force contre le rรฉgime en place.
Le commentaire que Salluste fera ร ce sujet est celui-lร : ยซ les deux partis tirรจrent chacun de leur cรดtรฉ ; et la Rรฉpublique entre eux victime de leurs dรฉchirements ยป25 et Cicรฉron de renchรฉrir : ยซ Pour moi, plus la fortune de la Rรฉpublique devient de jour en jour meilleure et plus florissante, plus notre puissance sโaccroit (et dรฉjร nous avons pรฉnรฉtrรฉ dans la Grรจce et dans lโAsie, ces provinces remplies de toutes les Voluptรฉs, et mรชme nous portons la main sur les trรฉsors des rois), plus je redoute quโau lieu de prendre ces richesses, nous nโayons pas รฉtรฉ pris par ellesยป.26
Dรฉjร au VIe siรจcle, lโinfluence grecque avait envahi lโItalie et Rome ; elle y amรจne de riches parures de temple. Les demeures deviennent trรจs somptueuses par leur dรฉcoration luxueuse, chose que les romains ignoraient jusque-lร . Les objets dโart sont admirรฉs. Du coup, les gens commenรงaient ร prendre davantage goรปt au luxe et aux lettres grecques. Chacun voulait avoir accรจs au luxe et cela ร tout prix, mรชme si cela impliquait la soumission et lโobรฉissance aux hommes qui pouvaient le garantir.
Ces avertissements amรจnent certains Romains ร vouloir apporter des changements. Ainsi, le IIรจme siรจcle avant notre รจre est marquรฉ par des tentatives de reformes et de rรฉvolution afin de rรฉtablir le niveau social des prolรฉtaires. Des propositions de lois agraires sont faites au Sรฉnat. Ces lois proposรฉes ne rรฉpondant pas aux intรฉrรชts des nobles, le Sรฉnat va dรฉcrรฉter le senatus consulte, disposition consistant ร donner aux sรฉnateurs le pouvoir dโassassiner tout citoyen suspectรฉ de dรฉstabiliser la Rรฉpublique. Ainsi, aux temps des Gracques nous assistons aux premiers assassinats politiques. Aussi toutes les vellรฉitรฉs rรฉvolutionnaires sont coupรฉes court par les aristocrates romains.
TENTATIVE DE REFORMES ET ASSASSINATS POLITIQUES
La rรฉpartition des terres obtenues lors des conquรชtes a causรฉ ร Rome une crise
profonde au IIรจme siรจcle avant J.-C. Les essais de solution ร cette crise avaient occasionnรฉ des troubles qui vont provoquer la chute de la Rรฉpublique. Le pรดle conservateur des optimates nโentendait faire aucune concession des privilรจges รฉconomiques et politiques. Les aristocrates siรฉgeant au Sรฉnat sโรฉtaient accaparรฉ dโimmenses pouvoirs au point de ne pas prendre en compte les revendications de la majoritรฉ populaire demandant ร รชtre rรฉtablit dans leurs droits de disposer des terres. En clair, le pรดle radical des rรฉvolutionnaires voulait le partage รฉquitable des biens de la citรฉ.
Face ร cette situation, de fervents rรฉformateurs, ร lโimage de Scipion Emilien, vont essayer dโapporter des innovations pour remรฉdier ร la crise รฉconomique et sociale. Descendant du cercle des Scipions, cet homme acquis aux idรฉes populaires exerรงa le consulat ร Rome en 149 av. J.-C. coรฏncidant avec le tribunat de Calpurnius Piso de la mรชme annรฉe.27 Scipion Emilien รฉtait prรฉoccupรฉ par la crise dans laquelle la plรจbe romaine รฉtait condamnรฉe ร vivre.
Les rรฉformes instituรฉes par Scipion Emilien consistaient aussi ร remรฉdier aux abus des gouverneurs de provinces et mieux contrรดler leur gestion. Selon lui, la survie de lโempire que Rome รฉtait en train de constituer devrait passer par une impunitรฉ totale ร lโรฉgard des gouvernants. Dโautres rรฉformes vont aussi voir le jour ร partir du tribunat des Gracques, mais il faut dire que ce sont des motions plus orientรฉes vers le volet social. En effet, Tibรฉrius Gracchus, tribun de la plรจbe en 133 av. J.-C. (voir infra), sโรฉtait plutรดt insurgรฉ contre lโaccaparement des grands domaines par lโaristocratie romaine.
Les rรฉformes de Tibรฉrius constituent lโรฉlรฉment dรฉclencheur des premiers assassinats ร Rome. Sachant que tous les concepteurs de tels projets de lois ont subi la cruautรฉ du Sรฉnat, les rรฉformes proposรฉes nโavaient pas totalement rรฉpondu aux attentes du peuple. Alors, la voie rรฉvolutionnaire รฉtait aussitรดt tracรฉe par Gaius Gracchus, tribun de la plรจbe en 126 avant J.-C. Dโabord, les rรฉformes constitutionnelles de Gaius sont considรฉrรฉes comme une grave atteinte ร la stabilitรฉ de la Rรฉpublique, il est vite assassinรฉ par les nobles sรฉnateurs en 121 avant J.-C.
LES IDรES RรFORMISTES DE SCIPION EMILIEN
ร lโinstar de Cicรฉron, Scipion Emilien peut aussi รชtre perรงu comme un dรฉfenseur de la moralitรฉ pendant que lโEtat romain ne rencontrait quโabus et dรฉcadence. Il fut lโhomme sage capable dโy apporter des remรจdes. Ses idรฉes rรฉformistes ont commencรฉ ร jaillir ร partir de 142 av. J.-C., elles consistaient ร confier les jurys aux sรฉnateurs, qui devenaient ainsi les juges des membres de leur ordre puisque les gouverneurs et anciens magistrats appartenaient au Sรฉnat. Cโest lors du tribunat des Gracques quโil trouve la mort, aprรจs avoir exprimรฉ son opposition ร la rรฉvolution gracquienne. Scipion Emilien faisait partie du cercle des Scipions favorable au maintien de la constitution, sa mort รฉtait revendiquรฉe par le parti populaire.
Exerรงant les fonctions de consul en 149 av. J.-C., il รฉtait le seul qui avait les convictions chevillรฉes au corps apte ร porter des rรฉformes politiques et sociales avant Tibรฉrius. Dans sa jeunesse, Scipion Emilien avait รฉvitรฉ les sentiers battus des dรฉbutants politiques, ne se montrant ni dans les antichambres des sรฉnateurs considรฉrables, ni dans les prรฉtoires ou retentissaient les dรฉclamations des prรฉtendus redresseurs de torts.
Alors nous pouvons nous permettre de parler de parallรฉlisme de forme entre Cicรฉron et Scipion Emilien, aucun dโeux nโรฉtait du cรดtรฉ des populares ni favorable ร celui des optimates au contraire ce qui les intรฉressait cโest le maintien de lโoligarchie sรฉnatoriale par-delร la prรฉservation de lโautoritรฉ รฉtatique sans laquelle la rรฉpublique se dirige tout droit vers sa chute. Douรฉ dโune raison droite et ferme, il savait sรฉparer le bon grain de lโivraie, dรฉtruisant, empรชchant les abus, il amรฉliora notamment la justice. Il faut rappeler que son influence et son appui ne manquรจrent point ร lโendroit de Lucius Cassius, citoyen aussi actif et animรฉ des sentiments austรจres de lโantique honneur. Malgrรฉ la violente rรฉsistance des optimates, il fit passer la loi qui introduisait le vote secret dans les tribunaux populaires, demeurรฉ encore le plus important organe de la juridiction criminelle.
Mรชme รฉtant adolescent, Scipion Emilien nโavait pas voulu se produire dans les accusations publiques. Adulte, il traduisit devant les tribunaux de grands coupables appartenant ร lโaristocratie. Alors censeur en 142 Scipion Emilien balaya impitoyablement lโรฉlรฉgante cohue des dรฉbauchรฉs : il a des mots trรจs sรฉvรจres ร lโendroit du peuple, il lโexhorte ร la fidรฉlitรฉ et aux mลurs intรจgres des temps anciens.
Le seul dessein de Scipion Emilien รฉtait de guรฉrir le malaise social et prรฉvenir le rรฉgime en place du danger qui le guettait. Gaius Laelius consul en 140, son plus vieil ami, son maรฎtre et son confident politique eut un jour lโidรฉe dโune motion impliquant le retrait de toutes les terres domaniales de lโItalie non aliรฉnรฉes par lโEtat mais dรฉtenues par les occupants.28Dans un contexte trรจs sensible de la vie socio-รฉconomique des Romains caractรฉrisรฉ par le vent de changement constitutionnel provoquรฉ par les tribuns des Gracques, Scipion Emilien marchait droit ร lโabus avec sa bravoure royale pour assurer le salut de la patrie. Il en concluait ร raison ou ร tort que le remรจde รฉtait pire que le mal. Il se plaรงa donc avec son petit cercle dโamis, entre les aristocrates qui ne lui pardonnรจrent jamais lโappui quโil apportait ร la loi Cassia.
Au terme de cette analyse, il nโรฉtait pas facile pour un homme qui se faisait passer un moraliste dโรชtre exempt de certains reproches, et pour lโattester, les dรฉmocrates favorables au renversement du Sรฉnat tenaient Scipion pour un modรฉrรฉ quโils ne voulaient pas suivre, en dรฉpit de tout ce que lโhomme incarnait comme principe de valeurs. Isolรฉ pendant sa vie, aprรจs sa mort vantรฉ par les deux partis, il est le champion et dรฉfenseur des conservateurs, parallรจlement le prรฉcurseur des rรฉformes. Scipion Emilien agissait en faveur du peuple donc tantรดt opposรฉ au bloc compact des optimates.
Au demeurant, les censeurs ร Rome, en se dรฉmettant de leur charge avaient tendance ร demander aux dieux lโaccroissement de la puissance et de la grandeur de la citรฉ, Scipion Emilien quant ร lui, au sortir de la censure leur demanda de veiller au salut de la Rรฉpublique.
Les vลux rรฉformistes de Scipion Emilien sont prolongรฉs par Tibรฉrius Gracchus qui avait lโaudace de dรฉposer une motion de rรฉforme au Sรฉnat. Ce projet autrement appelรฉ (les lois Sempronia) avait comme fondement la rรฉduction des privilรจges des sรฉnateurs, et la distribution du blรฉ ร bas prixโฆ..
Pour rรฉussir son projet, Tibรฉrius voulait la suppression de la loi Licinia-sextia qui profitait plus ร lโaristocratie. En dรฉpit de sa pondรฉration, Tibรฉrius Gracchus รฉtait victime du senatus consulte, une disposition unanimement acceptรฉe par les sรฉnateurs consistant ร rรฉprimer toutes vellรฉitรฉs rรฉvolutionnaires aux temps des Gracques.29
LES RรFORMES DE TIBรRIUS GRACCHUS
Tibรฉrius Sempronius Gracchus 163-133 voulut รชtre le sauveur de Rome. Edile, lโhomme a toujours obรฉi ร son humeur chevaleresque mรชme quand il sโagissait dโintervenir dans le triste procรจs dirigรฉ contre les Scipions, rรฉfรฉrence au meurtre de Scipion Emilien dont certains leaders Gracques avaient รฉtรฉ accusรฉs. Tibรฉrius Gracchus a une รฉtiquette exceptionnelle en ce sens quโil provient de la caste des Gracques. En dehors des trajectoires politiques plus ou moins similaires notamment dans la dรฉfense de la justice, Scipion Emilien est le cousin de Tibรฉrius Gracchus et son beau-frรจre. ร dix-huit ans il servit sous ses ordres dans la guerre oรน รฉtait dรฉtruite Carthage en 146.
Tibรฉrius vivait dans un milieu oรน dominait la pensรฉe singuliรจre aux classes rurales, la restauration de celles-ci, et enfin la mise en garde dโune รฉventuelle et prรฉvisible destitution de lโEtat. Tibรฉrius รฉtait un adepte juvรฉnile des doctrines rรฉformatrices, dโailleurs cโest pour cette raison quโil occupe une place de premier plan dans ce travail. En effet, il voulait en poursuivre ร outrance la rรฉalisation mais il faut dire que maintes rรฉformes avaient vu lโopposition farouche dโAppius Claudius consul en 149 av. J.-C. et censeur en 136 av. J.-C. Il รฉtait aussi lโun des plus considรฉrรฉ au Sรฉnat dans son langage passionnรฉ et puissant apanage ordinaire des Claudiens.30
Tout porte ร croire que le Sรฉnat dont le dernier rempart furent les Claudiens montraient leur volontรฉ de conserver leur hรฉgรฉmonie sur lโรฉchiquier socio-รฉconomique. Il faut noter par ailleurs que Tibรฉrius Gracchus vivait trรจs proche des hommes illustres ร lโimage de Quintus Metellus, le vainqueur de la Macรฉdoine et de lโAchaie, moins estimรฉ pour ses faits de guerre, tenu pour le modรจle des mลurs et de la discipline ancienne.
ร ce lot des hommes illustres il faut ajouter Publius Mucius Scoevola alors grand pontife respectรฉ de tous, peuple et Sรฉnat avaient parlรฉ dans le mรชme sens. Tibรฉrius et les autres officiers de lโarmรฉe voyaient leurs tentatives institutionnelles rejetรฉes par le Sรฉnat y compris les traitรฉs de paix. Devant une telle injure, Tibรฉrius assistait impuissant ร la dรฉpouille de sa dignitรฉ dโhomme loyal, car pour rappel toutes ces initiatives lรฉgales furent tout bonnement รฉcartรฉes. Dรจs lors, il gardait une profonde rancune contre lโaristocratie qui rรฉgnait en maitre ร Rome.
Tout de mรชme, il appartenait ร cet homme de prendre en main la cause des pauvres et pour ce faire, il accรฉda au tribunat en 133 av. J.-C. Les rรฉformes introduites par Tibรฉrius Gracchus furent la consรฉquence effrayante dโune mauvaise administration et la dรฉcadence ร la fois politique, militaire, รฉconomique et morale du peuple romain. Dans ses nouveaux habits de tribun, Gracchus avait eu besoin dโune excitation nouvelle pour passer de la pensรฉe ร lโaction, il lโeรปt trouvรฉe dans les conjonctures prรฉsentes. En effet, ร peine en fonction, Gracchus propose une loi dont le soubassement est le renouvellement de la loi Licinia-sextiaen 132 av. J.-C.,31 mais la nouvelle loi proposรฉe stipule que le dรฉtenteur dรฉpossรฉdรฉ avait droit ร une compensation sur le domaine.
En outre, les terres domaniales rentrant ainsi dans la main de lโEtat, on les divisait en lot de trente (30) jugรจres (7, 560 ha), on les tirait au sort, on les abandonnait aux citoyens ou aux alliรฉs italiques, non en toute propriรฉtรฉ mais ร bail perpรฉtuel et hรฉrรฉditaire. De ce fait, il est important de retenir que le nouveau possesseur sโengagera ร les tenir en culture et ร payer une modique rente au trรฉsor. Des triumvirs qui devaient รชtre รฉlus annuellement par le peuple dans ses comices auraient ร trancher les questions de propriรฉtรฉ et diraient quelles terres appartenaient au domaine de lโEtat, quelles autres ร celui des particuliers. Poursuivant toujours, la nouvelle disposition prรฉconisรฉe par Gracchus, il faudra ajouter que le partage, une fois entamรฉ, devait continuer sans fin et sโappliquer ainsi ร toutes les classes besogneuses. Contrairement aux lois Liciniennes, la loi agraire Sempronia prรฉvoyait une somme annuelle que le trรฉsor fut astreint ร verser aux triumvirs, et voici quelques รฉlรฉments qui nous prouvent que les deux lois se diffรฉrencier
– La nouvelle loi se distinguait par ses dispositions spรฉciales en faveur du possesseur hรฉrรฉditaire,
– le caractรจre inaliรฉnable quโelle imprimait aux possessions nouvelles,
– et surtout la permanence des fonctionnaires rรฉpartiteurs.
ร cela, il faut dire que le gouvernement aristocratique croupit sous le poids des contestations populaires, cโest lร dโailleurs quโil faudra fustiger la dรฉmarche trop rรฉvolutionnaire de Gracchus qui, quelque part a semblรฉ permettre aux masses de faire des empiรฉtements sur lโadministration. Cโest dans ce sens que nous allons commenter lโattitude de Marcus Octavius, autre tribun et collรจgue de Gracchus, adversaire dรฉcidรฉ du projet, le tenant pour mauvais en toute bonne foi. Ce rรฉcalcitrant de la loi agraire de Tibรฉrius Gracchus vint dรฉclarer son intercession au moment du vote, dโaprรจs la constitution il รฉcartait du mรชme coup la motion. Gracchus ร son tour suspend le cours des affaires publiques et de la justice et met les scellรฉs sur les caisses des trรฉsors.
Au bout de quelques temps, le tribun rapporta son projet devant le peuple, Octavius rรฉpรฉta son intercession. ร ce moment, le Sรฉnat tenta dโouvrir ร Tibรฉrius une porte de retraite, il en voulut tirer la conclusion que le Sรฉnat ne repoussait plus le principe du partage agraire : il sโรฉvertua ร multiplier les abus, ce qui fait que toute tentative de pourparlers tourneront court, sans rรฉsultat. Gracchus avait donc รฉpuisรฉ tous les moyens lรฉgaux. En 131 av. J.-C., Tibรฉrius rรฉveillait la motion autant que le besoin de rรฉforme le demandait or la puissance de lโopinion publique entrainait ร la fin toutes formes de rรฉsistance.32
Gracchus se voyait arriver ร la crise suprรชme, il opta ainsi pour la rรฉvolution, il dรฉclara au peuple quโil fallait quโOctavius ou lui sortit du collรจge des tribuns. ร partir de ce moment il exposait sa vie et celle de ses partisans car il tentait ร tout prix dโassouvir ses rancunes personnelles et rรฉaliser ses ambitions dirigรฉes contre lโaristocratie. En effet, il prรฉparait dโautres lois populaires comme le raccourcissement du service militaire, lโextension du droit de provocatio, la suppression des privilรจges des sรฉnateurs de siรฉger comme jurรฉs en justice et enfin lโadmission des alliรฉs italiques au droit de citรฉ romaine. On ne saurait dire en vรฉritรฉ, jusquโoรน seraient allรฉes ces aspirations ! Cet รฉpisode de Gracchus conรงu comme le premier complot politique contre lโEtat Romain peut aussi sโanalyser comme un acte de torpiller la constitution pour arriver ร ses fins. La voie rรฉvolutionnaire quโavait empruntรฉe Gracchus ramait ร contre-courant avec les institutions de la rรฉpublique.
Ce quโil faudra retenir de cette partie est que le concepteur des rรฉformes gracquiennes ne voyait son salut que dans la prorogation de sa charge pour une seconde annรฉe. La rรฉforme de Tibรฉrius prรฉvoyait aussi le transfert du contrรดle des tribunaux dโextorsion du Senat aux chevaliers. Les sรฉnateurs dans leur majoritรฉ ne pouvaient cautionner un tel dessaisissement de prรฉrogative. En clair, pour obtenir du peuple une telle concession anticonstitutionnelle au premier chef, il lui fallait mettre en avant rรฉformes sur rรฉformes.
En revanche, les tribuns se rรฉunirent pour les รฉlections des tribuns de lโannรฉe suivante et leurs premiรจres sections votรจrent pour Tibรฉrius mais lโopposition du parti contraire fut assez forte pour que les comices dussent se sรฉparer sans avoir rien fait. Alors, on fut contraint de renvoyer au lendemain la suite des opรฉrations, Gracchus mit tout en mouvement moyens permis et moyens dรฉfendus, cโest lร que le Sรฉnat proclama officiellement que Gracchus avait aspirรฉ ร la royautรฉ. ร cela, il faut ajouter lโaction de Scipion Nasica,33 le consulaire le plus dur et le plus fougueux des aristocrates contre Gracchus dans le temple de la fidรฉlitรฉ, lieu de rassemblement public dans lequel Tibรฉrius a voulu rรฉcidiver.
Nos recherches font รฉtat dโune brutalitรฉ dont serait victime Gracchus. En effet, il aurait รฉtรฉ frappรฉ ร la tempe dโun coup de bรขton par un de ces furieux. Ainsi, gisant aux pieds des Statues des sept rois de Rome ร cรดtรฉ du temple de la fidรฉlitรฉ, il trouva la mort. Trois cent de ses partisans meurent autour de lui et comme lui assommรฉs. Le soir venu, les cadavres sont jetรฉs dans le Tibre. En vain, Gaius Gracchus avait demandรฉ quโon lui rende le cadavre de son frรจre. Jamais Rome nโavait traversรฉ une aussi funeste journรฉe.
Cette partie abordant le temps des rรฉformes sociales au IIรจme siรจcle avant notre รจre nous a permis dโaccentuer nos recherches sur deux personnages clรฉs qui sโรฉtaient รฉrigรฉs en sauveur de la classe sociale brimรฉe ร Rome. Leurs desseins ne sโรฉtant pas rรฉalisรฉs du moins par la voie lรฉgale, lโoption rรฉvolutionnaire prit le relais pour faire passer les lois populaires conรงues pour rรฉsorber lโรฉcart social entre la majoritรฉ du peuple et la classe minoritaire aristocratique.
Nous allons dโabord voir dans un premier temps avec quelle hargne Gaius Gracchus le continuateur du projet populaire avait osรฉ adopter des rรฉformes constitutionnelles qui ne voient pas lโadhรฉsion du Sรฉnat.
Scipion Emilien et Tibรฉrius Gracchus avaient failli ร leur tentative dโopรฉrer des changements dans lโEtat Romain. Les rรฉformes nโavaient pas รฉtรฉ avalisรฉes par le Sรฉnat, or le prolรฉtariat tenait toujours ร aspirer ร un mieux-รชtre. ร travers le surgissement de Gaius Gracchus, on note une rรฉelle volontรฉ de porter trรจs haut les exigences de la plรจbe. Le tribunat de Gaius est marquรฉ par des motions draconiennes proposรฉes au Sรฉnat, elles sont trรจs mal perรงues par lโaristocratie. Le tribun est aussitรดt accusรฉ de tentative de destituer les valeurs de la Rรฉpublique.
GAIUS ET SES RรFORMESS CONSTITUTIONNELLES
Tibรฉrius Gracchus avait trouvรฉ la mort ร la suite des coups de ses pourfendeurs les plus extrรชmes, mais ses deux ลuvres qui se rรฉsument entre autres ร un partage des terres et ร une rรฉvolution sont toujours dโactualitรฉ cette fois-ci sous la version Gaius Gracchus. Il faut dire dโemblรฉe quโen face des classes rurales expirantes, le Sรฉnat nโavait pas reculรฉ devant le meurtre, le crime commis, il nโosa pas en profiter pour abolir la loi agraire Sempronia. Au contraire, on peut mรชme avancer quโaprรจs lโexplosion de fureur du parti rรฉactionnaire cette loi sโest trouvรฉe confirmer. Il faut dire quelque part quโil y avait des traits de similitude entre Tibรฉrius et son frรจre Gaius. Le premier avait รฉtรฉ au-devant du peuple sa rรฉforme unique ร la main. Mais le second se prรฉsentait avec une sรฉrie de projets divers, formant en rรฉalitรฉ toute une constitution nouvelle.
Derriรจre ce dessein purement politique, Gaius voulait se venger de ce ยซ misรฉrable gouvernement ยป, comme lui-mรชme il dit, se venger ร tout prix. Ce tribun de la plรจbe de 126av. J.-C. se sentait vouรฉ au mรชme destin que son frรจre. Alors, aussi paradoxale que cela puisse paraรฎtre, il ne fit que se hรขter davantage comme un homme mortellement blessรฉ qui se prรฉcipite sur lโennemi. Et sur le fond, il avait en bandouliรจre la rรฉรฉligibilitรฉ des tribuns ร leur sortie de charge. Les chefs populaires pouvaient dรฉsormais dans cet รฉlan de rรฉvolution conquรฉrir une situation nouvelle qui pourtant nโest pas รฉphรฉmรจre mais il fallait au prรฉalable sโassurer le pouvoir matรฉriel, sans doute un critรจre de crรฉdibilitรฉ.
Pour dominer ses vis ร vis, Gaius ne sโรฉtait pas limitรฉ ร faire des retouches constitutionnelles. En effet, il fรฎt supprimer lโordre de votation encore suivi dans les centuries. Autrefois, nous savons que les cinq classes ayant la fortune y votaient selon leur rang et lโune aprรจs lโautre chacune dans sa circonscription. Par consรฉquent, dans la nouvelle trajectoire prรฉconisรฉe par Gaius, les centuries voteraient en sโappuyant sur les prolรฉtaires urbains. Les souteneurs de la loi avaient comme objectif principal de mettre la capitale et avec elle tout lโempire sous lโemprise de la faction populaire.34
Si cette tentative arrivait ร se rรฉaliser, Gaius et ses partisans auraient un ascendant absolu sur les comices. On assisterait alors ร lโaffaiblissement des aristocrates romains au profit de la majoritรฉ populaire. Lโesprit et la lettre de cette loi furent dirigรฉs contre le Sรฉnat et les magistrats, cโest ici quโil faudra percevoir Gaius comme le vรฉritable continuateur du projet de conspiration contre lโaristocratie jadis muri par son dรฉfunt frรจre.35Il faut retenir quโร ce coup de force portรฉ contre les institutions en 126 av. J.-C. sโajoutait une ardeur dont faisait preuve le lรฉgislateur Gaius. Ses vellรฉitรฉs rรฉvolutionnaires senties du cรดtรฉ des populares et de leurs chefs respectifs permettaient quelque part ร cette faction de faire apparaitre son mal vivre.
Mais, sous un autre angle, les institutions en ont vรฉritablement souffert, ce qui par ailleurs fragilise le socle sur lequel sโappuyait le rรฉgime. Et pour lโattester, faisons un clin dโลil aux lois agraires de Gaius qui nous dit-on allaient bien au-delร des dispositions lรฉgislatives de la Sempronia.36 En effet, en voulant uniquement sauver le principe, les partages agraires repris pour la forme marchaient dans les plus minces proportions. La situation sociale fut dโautant plus intenable que des bruits de bottes sโapprรชtaient ร affecter lโรฉchiquier politique car en tout รฉtat de cause, au temps de Gaius la question รฉpineuse de lโextension du droit de citรฉ a failli รชtre remise au goรปt du jour. Nรฉanmoins, des changements notables furent constatรฉs notamment le principe รฉquitable de la distribution de grains. Il faut rappeler que souvent dรฉjร les blรฉs de la dime provinciale avaient รฉtรฉ donnรฉs au peuple ร vil prix. Gracchus dรฉcida quโร lโavenir tout citoyen rรฉsidant ร Rome et qui se ferait inscrire aurait droit ร une prestation mensuelle. ร cette fin, une chose sโimposait cโรฉtait lโagrandissement des greniers de la ville. Les distributions faisant abstraction de tous ceux qui vivaient hors de Rome, elles รฉtaient un appรขt pour eux et les attiraient en masse. Par la suite, les prolรฉtaires qui autrefois passaient tous dans la clientรจle des animateurs du parti rรฉformiste revรชtiront dโun orgueil de taille. En effet, ce nouveau rรฉamรฉnagement de la sociรฉtรฉ les permettait de fournir une garde du corps aux nouveaux maรฎtres de la citรฉ.
En outre, les prolรฉtaires assuraient une invincible majoritรฉ aux dirigeants populaires dans les comices. La dรฉmocratie รฉtant le moins mauvais des systรจmes politiques รฉtait au sommet de sa vitalitรฉ ร Rome ร telle enseigne que le peuple sโexprimait, proposait des lois, contrebalanรงait parfois les dรฉcisions rendues par le Sรฉnat, mais par le biais de la dรฉmocratie le peuple se trompait รฉgalement. Pour รฉtayer nos propos, il suffit juste de voir ร quel point le pouvoir de la rue parvenait ร porter des hommes influents au pinacle pour dit-on instaurer la justice sociale mais en vรฉritรฉ cโรฉtait une sorte de complot politique contre la classe aristocratique dรฉpositaire de lโessentiel des pouvoirs sous la rรฉpublique ร Rome.
Donc les populares furent capables des contorsions politiques les plus imprรฉvisibles empรชchant ainsi le bon fonctionnement des faisceaux sรฉnatoriaux. Il y avait eu deux pouvoirs dans lโEtat : le Sรฉnat qui incarne le pouvoir de gouverner et dโadministrer, et le peuple qui dรฉtient le pouvoir de lรฉgifรฉrer. Tous ces รฉvรฉnements confus ร tout point de vue concouraient davantage ร faire lโapologie de lโinรฉvitable catastrophe. La motion de Gaius ne faisant pas lโunanimitรฉ est ร la base de tous les tiraillements entre les deux factions disons tiraillement entre le Sรฉnat et le contre-pouvoir. Le jour du vote, Gaius se montra au Capitole, oรน lโassemblรฉe du peuple รฉtait convoquรฉe รฉcartant toute idรฉe de violence pour ne pas donner ร ses adversaires le prรฉtexte quโils cherchaient.
Il faut rappeler quโun grand nombre de ses amis se rappelant les circonstances de la mort de Tibรฉrius viennent en armes sur les lieux. Il fallait sโattendre ร quelque voie de fait, le consul L. Opimius tout ร coup tenant dans ses mains les entrailles sacrรฉes ordonne aux ยซ mauvais citoyens ยป dโรฉvacuer le temple. Il semble vouloir mettre la main sur Gaius : un des fanatiques de ce dernier tire son รฉpรฉe et abat le consul. Un tumulte affreux sโรฉlรจve, en vain Gracchus sโefforce de se faire entendre, en vain il repousse toute responsabilitรฉ dans le meurtre sacrilรจge de son frรจre. Cโest dans le brouhaha que Gaius coupait la parole ร un tribun sans sโen rendre compte or la (loi Icilia) prรฉvoyait des peines trรจs sรฉvรจres contre lโauteur de tel acte.
Cโest ร partir de lร que L. Opimius prendra des mesures coercitives. Il fallait vaille que vaille tuer dans lโลuf une rรฉvolte qui nโavait dโautres intentions que le renversement de la constitution rรฉpublicaine. Cโest ainsi que les aristocrates qualifiaient les รฉvรฉnements de la journรฉe. Dans la nuit, M. Flaccus37 de son cรดtรฉ avait voulu organiser la guerre des rues mais Gaius รฉtait demeurรฉ inactif et dรฉdaignait ainsi ร lutter contre la destinรฉe. Ce tribun des Gracques refusait le triste sort des citoyens militant aux cรดtรฉ du peuple. Les dรฉmocrates montรจrent ร lโAventin38 signe de la dรฉtermination ร combattre lโennemi aristocrate. Ces troubles politiques incitรจrent Flaccus ร rรฉpondre au camp adverse de faรงon indรฉlicate obligeant son frรจre Quintus ร porter des paroles dโaccommodement ร lโencontre du Sรฉnat, une fois arrivรฉ dans le temple de Diane dans lequel il sโรฉtait retranchรฉ.
Pour rappel, Quintus revint annonรงant que les aristocrates exigeaient la soumission et apportant ร Gracchus et ร Flaccus une assignation ร comparaitre devant le Sรฉnat. Gracchus voulait obรฉir, Flaccus lโen empรชcha, revenant ร la charge auprรจs du Sรฉnat et sollicitant encore une possible compromission. Ces tentatives de marchander politiquement avec le Sรฉnat furent vaines et tournรจrent ร la dรฉrive. Seul le camp des populares sโen trouve lรฉser par une sรฉrie de poursuites contre Gracchus et aussi contre Flaccus. ร cela, il faut ajouter que lโaventure politique des rรฉvolutionnaires fut cernรฉe lors de lโarrestation de leur porteur de parole et du signal donnรฉ par le Sรฉnat pour attaquer lโAventin.
Ce lieu considรฉrรฉ comme le symbole de la rรฉvolution fut la cible dโattaque meurtriรจre, quelque deux cent cinquante manifestants furent massacrรฉs. Flaccus fuyant avec son fils ainรฉ, sโรฉtait cachรฉ. Bientรดt dรฉcouvert dans sa retraite, il est aussitรดt neutralisรฉ. Quant ร Gracchus, dรจs le dรฉbut de la lutte, il sโรฉtait retirรฉ dans le temple de Minerve. Il allait se percer de son รฉpรฉe quand son ami Publius Lentulus se jeta dans ses bras le suppliant de se conserver pour de meilleurs jours. Gracchus, assistรฉ dโEuporus son esclave, avait pu grรขce ร lui gagner la rive droite du fleuve. Ainsi, puisquโil fallait leur passer sur le corps, les conservateurs fomentรจrent les assassinats de Flaccus et de Gracchus en 122 et 121 av. J.-C. On trouva leurs deux cadavres dans le bois sacrรฉ de Furrina. Les tรชtes des deux chefs de la Rรฉvolution furent apportรฉes au consul comme il a รฉtรฉ convenu. Celui qui remettait la tรชte de Gracchus, Lucius Septumuleius รฉtait un homme de condition : il reรงut et au-delร la rรฉcompense promise. Leurs cadavres furent jetรฉs dans le fleuve, leurs maisons livrรฉes ร la foule qui les pilla. Ensuite, vint le temps du procรจs contre les nombreux partisans de Gaius poursuis pour atteinte ร la suretรฉ de lโEtat. Le Sรฉnat tenait autant au conservatisme de la constitution rรฉpublicaine quโil aurait procรฉdรฉ ร la pendaison en prison de trois mille complices de Gaius.
Ne faudrait-on pas assimiler la rรฉvolution des Gracques ร une tentative de complot politique contre le rรฉgime rรฉpublicain en ce sens que Gaius avait imaginรฉ une toute autre constitution qui va en porte-ร -faux avec les intรฉrรชts de certains nobles citoyens ?
La dรฉchรฉance du landerneau politique se poursuivait progressivement, les vagues rรฉvolutionnaires fusent de partout. En dรฉpit de la rรฉpression des frรจres Gracques, un autre jeune soldat ayant cรฉlรฉbrรฉ son triomphe avait le dessein trop risquรฉ de se mettre dans la voie frayรฉe par Gaius Gracchus. Marius39 puisque cโest de lui quโil sโagit, se rรฉsolut ร tenter la conquรชte du pouvoir suprรชme, et pour ce faire, il se jetait dans les bras du parti populaire et faisait ainsi forcรฉment alliance avec les meneurs du moment.
Dans le chapitre suivant, nous allons poursuivre lโรฉlan de rรฉvolution dans lequel sโรฉtaient inscrits certains leaders de la faction dรฉmocratique. Ainsi, Marius apparait ici comme le redresseur du camp des populares. Il devait ร la fois rรฉveiller le parti populaire de sa longue lรฉthargie et aussi lui permettre de remonter sur la scรจne. Avait-il accompli ce devoir qui lui รฉtait dรฉvolu ?Il est aussi question dans ce dernier chapitre de parler de la dictature de Sylla, toutes les modifications institutionnelles qui sโen suivent, et les consรฉquences ร la fois politiques, militaires et sociales des pratiques occultes du dictateur.
LES PRรMICES DE LA RUINE INSTITUTIONNELLE
Cโest ร partir du moment oรน le commandement de la guerre contre Mithridate VI Eupator, roi du Pont, a รฉtรฉ confiรฉe ร Marius au dรฉtriment de Sylla, que ce dernier trama un coup dโEtat en marchant sur Rome avec ses troupes en 83 av. J.-C. Ainsi, Sylla portait un sacrรฉ coup aux institutions de Rome. Cโest lโavรจnement des gรฉnรฉraux, avides de prestiges, qui vont militer pour leurs propres intรฉrรชts, sachant que lโespoir de voir les rรฉformes rรฉussir nโรฉtait plus permis. Alors, lโรฉchec des Gracques combinรฉ aux multiples rรฉformes faites par Sylla contribuent ร anรฉantir davantage la plรจbe.40
Les institutions ne faisaient lโobjet dโaucun respect. En effet, certains gรฉnรฉraux sont investis de faรงon illรฉgale et illรฉgitime, de maniรจre ร provoquer un risque de soulรจvement du cรดtรฉ de la masse. Lโรฉchec des tribuns Gracques avait poussรฉ Marius ร plaider la cause populaire. Sa tentative de rรฉformes va trรจs vite prendre les allures dโune rรฉvolution. Les ambitions de Marius รฉtaient de voir les prolรฉtaires accรฉder aux terres. Aussi nous allons parler de lโeffritement des institutions au dernier siรจcle de la Rรฉpublique et de ses consรฉquences que nous pouvons rรฉsumer par les abus des gรฉnรฉraux et la mise en ลuvre illรฉgale du premier triumvirat ร Rome.
LA TENTATIVE DE REVOLUTION DE MARIUS
Nรฉ en 157 av. J.-C. Marius travaillait รฉtroitement avec les tribuns de la plรจbe qui soutenaient les causes populaires notamment Cinna et Saturninus. Il avait beaucoup dโรฉgard pour les citoyens pauvres sans terres et pour le prolรฉtariat romain. Vรฉritable homme de guerre, son armรฉe รฉtait composรฉe de cultivateurs, il leur promet des gratifications en terre comme bรฉnรฉfice personnel. Eu รฉgard ร son passรฉ militaire, trรจs tรดt il attira sur lui les regards de Scipion, le gรฉnรฉral sรฉvรจre, par le bon entretien de son cheval et de ses armes, par sa bravoure dans les combats et par sa bonne conduite au camp. Il portait ร son retour dโhonorables cicatrices et les insignes du mรฉrite militaire, dรฉsirant se faire un nom et ร sโillustrer.
Pour rappel, Marius fut ร la dure รฉcole des guerres dโEspagne et se voyait promptement propulser au grade dโofficier. Le jeune officier sรปt conquรฉrir la richesse et des alliances ร lโaide de spรฉculations commerciales qui rรฉussirent. Enfin, au bout de longs efforts, aprรจs de multiples insuccรจs, il arriva en 115 av. J.-C. ร la prรฉture et chef du gouvernement de lโEspagne ultรฉrieure. Cโest ร partir de ce moment que Marius trouva de larges champs de manifester ร nouveau sa vigueur militaire.
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Table des matiรจres
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : APERรU ET ANALYSE DE LA SITUATION SOCIO-POLITIQUE ROMAINE AUX DEUX DERNIERS SIECLES DE LA REPUBLIQUE
CHAPITRE I: LES TRANSFORMATIONS SOCIALES ET LโEBULLITION DE LA SCENE POLITIQUE AUX IIIEME SIECLE AV. J-C
I โ EVOLUTION DE LA POPULATION ET TRANSFORMATIONS SOCIALES
II- TENTATIVE DE REFORMES ET ASSASSINATS POLITIQUES
1- LES IDEES REFORMISTES DE SCIPION EMILIEN
2) LES REFORMES DE TIBERIUS GRACCHUS
3) GAIUS ET SES REFORMES CONSTITUTIONNELLES
CHAPITRE II : LES PREMICES DE LA RUINE INSTITUTIONNELLE
I – LA TENTATIVE DE REVOLUTION DE MARIUS
II โ LA POLITIQUE DICTATORIALE DE SYLLA
1) LA SUCCESSION CONTROVERSEE DE SYLLA ET LโINVESTITURE ILLEGALE DES GENERAUX
2) LES POUVOIRS EXCEPTIONNELS DE POMPEE
III – LE TRIUMVIRAT : UNE ALLIANCE ANTICONSTITUTIONNELLE
DEUXIEME PARTIE : DE LA CONJURATION DE CATILINA A LโASSASSINAT DE JULES CESAR
CHAPITRE I : LA CONJURATION DE CATILINA
I- PORTRAIT DE CATILINA ET CORRUPTION DES MลURS POLITIQUES
II- LE DEROULEMENT DE LA CONJURATION DE CATILINA
III/ LโEXTENSION ET LA TERREUR DE LA CONJURATION DE CATILINA
IV/ LA DECOUVERTE DE LA CONJURATION DE CATILINA DE CATON, LES CATILINAIRES DE CICERON
I- LES OPINIONS DE CESAR ET DE CATON AU SENAT
II- LES CATILINAIRES DE CICERON
III- ECHEC DE LA CONJURATION : MORT DE CATILINA, ETUDE CRITIQUE DU PROCES DES CONJURES
1) ECHEC DE CATILINA
2) LES DEFAILLANCES DโUN PROCES INEQUITABLE : CRITIQUE DU SENATUS CONSULTE
VI- REGARD CRITIQUE SUR LE DERNIER DEFENSEUR DโUNE MORALITE : LA PERTE DE CICERON
CHAPITRE III : LโASSASSINAT DE JULES CรSAR
I- LES RAISONS DE LA CONJURATION CONTRE CESAR
II- LE COMPLOT CONTRE CESAR
III- Les CONSEQUENCES POLITIQUES DE LโASSASSINAT DE JULES CESAR
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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