LA DECONSTRUCTION DU SUJET CHEZ NIETZSCHE ET FREUD

La « déconstruction » du sujet : une régression vers l’origine

  Le terme de « déconstruction », nous le reprenons de Jacques Derrida, qui en a fait un concept philosophique, même si la connotation que nous lui attribuons n’est pas totalement la même. En effet, là où Derrida définit la déconstruction comme une analyse des structures sédimentées qui forment le discours philosophique dans lequel nous pensons, nous, nous lui donnons une définition plus proche du c oncept de « destruction » chez Heidegger pour signifier les entreprises nietzschéenne et freudienne de défaire, par le biais de l’interprétation, la conception classique du sujet dans la pensée occidentale. La déconstruction est donc entendue ici dans le sens d’une destruction. Toutefois, elle ne doit pas être comprise comme la critique d’un des thèmes de la pensée philosophique mais bien l’ensemble du projet philosophique comme le dit Paul Ricœur. Nietzsche et Freud s’attaquent à ce q ui fonde la totalité du dicible et du pensable : la conscience, et plus précisément le rapport de la conscience à el le-même et partant au monde. Rapport que ces deux maîtres du soupçon nous ont fait découvrir comme étant la grande illusion sur laquelle s’est construit notre narcissisme et qu’ils viennent secouer par une remise en cause radicale de tout notre système de représentation. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi ce concept de déconstruction à la place de celui de critique. Nous pensons qu’une critique ne peut montrer que les manquements ou les failles de tel ou tel aspect de quelque chose ; donc elle peut ne pas tout détruire. Mais encore, elle n’entreprend pas forcément de refaire ce qui a été détruit. Par contre, une déconstruction est d’une part beaucoup plus radicale dans la mesure où elle détruit tout ce qui a été construit et jusque dans ses fondements, mais suppose encore une reconstruction qui est sensée être meilleure que la construction précédente. On ne déconstruit que pour mieux construire. Autrement dit, pour bien construire, il faut d’abord déconstruire. Ce que Nietzsche affirme en disant : « Pour que l’on puisse bâtir un sanctuaire, il faut qu’un sanctuaire soit détruit : c’est la loi ». D’autre part, la déconstruction renvoie à la fondation, qui signifie ici le sujet de la connaissance auquel s’attaquent Nietzsche et Freud. Ces derniers détruisent tout le savoir classique que la pensée occidentale a construit, à travers la déconstruction de ce qui le fonde, c’est-à-dire la conscience qui l’énonce, pour une reconstruction meilleure. Cela sous-entend alors une nouvelle étude du sujet. Et pour ce f aire, Nietzsche et Freud posent d’abord deux soupçons : d’une part, que le sujet est un ensemble de structures sédimentées et de l’autre, qu’on ne peut vraiment l’appréhender dans toutes ses dimensions que par une interprétation qui consistera à remonter jusqu’aux structures les plus profondes pour saisir ce qui commande son apparence, c’est-à-dire, son comportement, la façon dont il appréhende le monde, ses choix et ses critères d’appréciation ou d’évaluation. Dès lors, l’interprétation, comme la méthode empruntée par Nietzsche et par Freud, va sous-entendre une régression pour montrer la non-coïncidence entre l’être et le paraître du sujet, la distorsion considérable de l’écart entre ce qu’il est réellement et ce qu’il croit être. Et c’est dans ce sens que Ricœur, parlant des philosophes du soupçon que sont Marx, Nietzsche et Freud, dit qu’« à partir d’eux, la compréhension est une herméneutique : chercher le sens, désormais, ce n’est plus épeler la conscience du sens, mais en déchiffrer les expressions. Ce qu’il faudrait donc confronter, c’est non seulement un triple soupçon, mais une triple ruse. Si la conscience n’est pas telle qu’elle croit être, un nouveau rapport correspondrait à celui que la conscience avait institué entre l’apparence et la réalité de la chose. La catégorie fondamentale de la conscience, pour eux trois, c’est le rapport cachémontré ou si l’on préfère, simulé-manifesté ». Aussi l’idée de soupçon a-t-elle comme conséquence l’intention de déchiffrer ou de démasquer (retirer le masque pour rendre visible) ce rapport du « montré-caché » comme ruse de la conscience. Soupçonner la vérité d’être vérité implique forcément le fait de vouloir chercher en-deçà d’elle, dans des profondeurs ou même de supposer qu’elle ne soit plus une et unique mais qu’elle soit une superposition de plusieurs vérités parfois contradictoires et dont chacune est vraie, prise isolément ou par rapport à son contexte d’engendrement. On assiste ainsi à une crise ou à une mise en crise du statut épistémologique de la Vérité par les philosophes du soupçon. Et Ricœur ajoute que « ce n’est peut-être pas encore ce qu’ils ont de plus commun ; leur parenté souterraine va plus loin […] [ils] commencent par le soupçon concernant les illusions de la conscience et continuent par la ruse du déchiffrage ». En effet, Nietzsche soupçonne la vérité d’être vraie et entame une généalogie des valeurs pour déchiffrer leur origine et montrer ce qu’elles sont réellement en elles-mêmes. Freud, lui, soupçonne la conscience d’être maître en sa propre demeure. Il analyse rêves, symptômes névrotiques et actes manqués pour montrer qu’ils ne sont en réalité que la satisfaction de désirs inconscients refoulés. Nietzsche interprète la morale, la métaphysique, la science, la religion, la philosophie comme les symptômes d’une maladie, celle qui consiste à nier la vie. Et Freud interprète les rêves, les actes manqués, les mythes et les œuvres d’art comme des symboles de l’Inconscient, des désirs masqués de celui-ci. Ainsi, là où l’un cherche à comprendre l’articulation du sens et du phénomène, l’autre veut connaître celle du désir et de son expression. Le premier part du sens unique, simple et apparent donné au phénomène pour découvrir sa complexité dans la succession des forces qui s’en emparent. Le second part des multiples sens apparents dans toute manifestation psychique pour découvrir leur noyau infantile dont un traumatisme inconscient est la cause. Nietzsche et Freud ont donc une même intention de régresser vers l’origine, l’un vers celle des valeurs, la valeur de cette origine pour trouver la valeur des valeurs, l’autre vers celle des manifestations psychiques normales et pathologiques pour connaître leurs causes inconscientes. En conséquence, « ce qu’ils ont tenté […] sur des voies différentes, c’est de faire coïncider leur méthode consciente de déchiffrage avec le travail « inconscient » du chiffrage qu’ils attribuaient à la volonté de puissance […] au psychisme inconscient ». C’est la raison pour laquelle on peut dire que la généalogie de la morale que fait Nietzsche et l’interprétation des rêves opérée par Freud sont deux « procédures convergentes de démystification » qu’on peut appeler déconstruction du sujet ou régression vers l’origine. Mais s’ils ont cette même intention de démystifier ou de déchiffrer, cherchent-ils vraiment la même chose ? Nietzsche et Freud cherchent un passé – entendu dans le sens d’une origine toujours – sous un présent. Cependant, ils n’ont pas la même perception spatiale de ce passé. Ils le conçoivent différemment dans son rapport avec le présent. Ce présent est pour Nietzsche la Modernité et pour Freud la névrose. Pour le premier, le passé survit dans le présent c’est pourquoi il « se sert de l’origine pour exhiber le sens de la filiation pour la qualifier ou la disqualifier, pour l’évaluer ». Alors que le second le perçoit comme ce qui sous-tend le présent. Ce qui fait qu’il « tend à déterrer l’origine pour expliquer le présent ». C’est dans cette différence d’appréhension de l’origine que se dessine la séparation même des chemins de régression vers elle chez Nietzsche et chez Freud. Et c’est là aussi que nous pourrions dire avec Paul-Laurent Assoun que si « pour Nietzsche comme pour Freud il s’agit de trouver l’avant-préhistorique […] révéler à nouveau ce par quoi tout à commencé pour l’homme », l’un emprunte la méthode généalogique et l’autre la fouille archéologique. Ce qu’il faut donc remarquer c’est que la méthode d’approche de cette origine diffère. Sous ce dénominateur commun se dessinent deux acceptions différentes. L’origine est chez Nietzsche ce qui est éparpillé et diffus dans le présent, affleure en lui pour s’y dissoudre en effaçant toute distance. Alors que chez Freud, l’origine, même si elle détermine le présent, se manifeste à travers elle sous une forme méconnaissable, elle ne peut être saisie dans son authenticité que par une remontée vers les profondeurs. C’est ce que Paul-Laurent Assoun consigne dans ces propos, en comparant ces deux approches qui se confondent et se séparent en même temps : Nietzsche, en tant que généalogiste, veut montrer que le passé qui est sensé être « révolu », ne l’est en aucune façon « puisqu’il en atteste la présence dans le présent. [Pour lui] l’exhibition du passé sert à montrer que le présent est par nature l’origine […] [il] croit davantage à la diachronie de la filiation qu’à la dépendance spatiale : s’il creuse, il n’approfondit pas : son art est de saisir la continuité en explorant les surfaces. […] la généalogie consiste à faire voir le passé dans le présent, pour révéler la duperie du présent […] [Donc] le généalogiste se sert du passé pour débouter le présent de ses prétentions ou les fonder : il annule en ce sens la distance et jusqu’à la distinction ». Par conséquent chez Nietzsche « c’est le présent qui fait problème, puisqu’il est dupe de lui-même ». Et c’est ce qui fonde même sa critique de la Modernité dans la mesure où celle-ci constitue « le présent en tant qu’illusion ». Par contre, Freud, en tant qu’archéologue, « recourt […] à un passé mort, séparé du présent par la distance qu’il cherche à combler […]. C’est qu’il faut creuser sous la surface pour découvrir la « vérité » qui gît dessous, recouverte par le présent, afin de l’extraire. Le passé en tant que tel doit être révolu, pour que le présent soit visible comme débris et décombres […] [Ainsi] l’archéologie tend à rattacher le passé ardu au présent en réengendrant le présent à par tir du « vrai » passé […] [Donc] l’archéologue vise le passé comme tel et le régénère comme vérité du présent : loin d’annuler la distance, il la confirme comme l’espace du c hemin, le temps du symptôme, tout en la comblant par un réajustement ». Ainsi, pour Freud, « c’est le passé qui fait problème, puisqu’il s’agit de le retrouver et de le reconstruire : dans l’idéal de la cure, la restitution du passé (dans la remémoration) dissipe les anomalies du présent. [De ce fait] […] le présent n’est que du passé incomplet et mutilé ». Au total, si l’on y regarde de près, « il y a une duperie du présent pour Nietzsche comme pour Freud – celle de la maladie-, [mais] […] pour deux raisons bien différentes : le présent n’est malade que de se croire distinct de l’origine, pour Nietzsche ; le présent est malade de se confondre avec le passé, chez Freud. Corrélativement, le recours thérapeutique à l’authenticité de l’origine chez l’un et l’autre est porté par deux philosophies distinctes de la santé : le rappel de l’origine déprend le présent de son mensonge propre, chez Nietzsche, tandis que le même rappel, chez Freud, a pour but de rendre impossible le maintien des illusions du passé, en le restaurant comme tel ». Le constat que l’on peut faire de ce qui précède, c’est que les sens de ces d eux démarches sont inversés. Là où Nietzsche trouve l’origine au début de sa démarche, Freud n’y arrive qu’à la fin. Nietzsche décèle le passé dans le présent en montrant qu’ils ne se distinguent pas mais se confondent. Alors que chez Freud, le passé qui détermine le présent de ses patients n’apparaît qu’en remontant jusqu’à la scène originaire que constitue le fantasme primitif. Ainsi, il apparaît que ces deux formes de régression vers l’origine diffèrent dans leur méthode d’approche qui est commandée par la position spatiale et structurelle même de leur objet : le passé. Même si « l’un et l’autre cherchent l’avant qui rend compte du présent qui vaut comme après, et suivent les ramifications qui conduisent vers l’embouchure en remontant le courant ». Par conséquent, même si nous avons parlé, plus haut dans notre propos, de régression dans l’un et l’autre méthode, il ne faut pas donner néanmoins à ce terme la même connotation dans les deux cas. Il convient plutôt de lui assigner la signification spécifique à laquelle elle correspond dans chaque démarche. Aussi, si toute généalogie et toute archéologie supposent-elles l’existence d’une origine qu’il faut découvrir, cette origine n’est pas donnée, au contraire c’est la difficulté d’y accéder qui constitue l’obstacle principal de telles entreprises. Mais si l’origine est ici celle de l’histoire du sujet, en quoi son accession peut-elle être un obstacle ? La question qui se pose d’abord est celle de l’identité du sujet. Qui est le sujet ici ? Evidemment, c’est l’homme ! Mais qui est cet homme ? Un être socialisé et civilisé, à qui on a appris à se comporter comme un être raisonnable, différent de l’animal qui vit instinctivement. Mais vivre de façon raisonnable ne veut-il pas dire laisser de côté ou réprimer tout ce qui est contraire à la raison, tout ce qui est pulsions et instincts ? Et si ces derniers constituent ce qui est inné en l’homme, les seules choses qu’il apporte à la naissance, alors que tout le reste lui est inculqué par la société, ne sont-ils pas à l’origine de notre histoire ? Pulsions et Instincts ne sont-ils pas cette origine qui serait le principe d’engendrement de l’histoire de l’humanité qu’on a appelé Civilisation dans la mesure où ce sont des éléments caractérisés par le manque et qui demandent incessamment un assouvissement ? C’est ce qu’on pourrait appeler le Désir. Alors ce dernier n’est-il pas en définitive ce que le généalogiste et l’archéologue chercheraient à connaître pour montrer que nous sommes habités par lui ? La civilisation, bien qu’elle soit le « bien le plus précis de l’homme », dit-on, parce qu’elle symbolise la domination de la nature par celui-là, relève pourtant d’une répression féroce des instincts et des pulsions. Et l’homme en tant que créateur de la civilisation n’a pas conscience d’un tel fait, il a fini par oublier l’origine de sa création à force de vouloir en effacer les traces. Mais cela n’a-t-il pas pour cause sa propre ignorance? A partir de ce moment, ne devient-il pas un labyrinthe pour lui-même ? Le labyrinthe est, selon Angèle Kremer-Marietti, ce qui « renferme le chemin de l’origine et de la vérité originaire, le chemin qui conduit à la racine dernière, la vérité radicale […]. Mais le labyrinthe a été construit par l’homme pour cacher justement cette réalité. Recouvert par le langage et la science, et la loi humaine en général qui règnent sur ces réalisations, le labyrinthe est en fait l’envers de toutes les conventions humaines, ce sur quoi l’homme ne voudrait pas revenir ». « Ce sur quoi l’homme ne voudrait pas revenir », c’est le Désir dans sa forme instinctuelle ou pulsionnelle. Et c’est ce que Nietzsche et Freud cherchent justement à déterrer. Ils veulent faire revenir l’homme sur ses pas pour l’aider à reprendre son désir qu’il prétend abandonner en le reconnaissant à nouveau comme sien dans la mesure où il en est véritablement inséparable. Et cette reconnaissance de son propre désir constitue le moyen de réconcilier l’homme avec lui-même dans la mesure où on ne peut maîtriser une chose que si on l a reconnaît. Donc, si l’homme est un labyrinthe et le désir son énigme, c’est par un refus de l’officiel et du conventionnel que Nietzsche et Freud sont arrivés à ce résultat : « l’énigme du labyrinthe est éclaircie et le labyrinthe cesse d’être ce qu’il était ». L’homme cesse d’être ce qu’il était en voyant plus clair en lui-même, c’est-à-dire en reconnaissant son désir. Ainsi, la méthode pour découvrir le labyrinthe de la conscience et de la civilisation n’est donc autre chose que le refus de la surface que Michel Foucault appelle « refus du commencement ». Elle cherche à connaitre, ce qui, sous les réalisations humaines, régit l’homme, le détermine malgré sa croyance à la primauté de la raison qui lui fait entretenir une illusion de lui-même et de la civilisation qu’il a créée. Et cette méthode dite généalogique et/ou archéologique a comme corollaire l’interprétation parce que la vérité n’est plus une et unique mais que chaque vérité trouvée est supplantée par une autre. C’est ce qui fait de Nietzsche et de Freud, respectivement généalogiste et archéologue, interprètes des contraires et de la pluralité. Rien n’est univoque ou formel à leurs yeux. Ils considèrent que toute vérité est le résultat d’une interprétation mais encore une interprétation en elle-même. Pour Nietzsche, tout signe est une interprétation qui traduit le point de vue et la position d’une force. Pour Freud, tout symptôme est une interprétation qui traduit la manière individuelle du sujet de manifester son mal ou sa maladie. La vérité ne s’appréhende donc vraiment que dans l’interprétation parce que le langage qui l’exprime dit toujours autre chose que ce qu’il dit. C’est pour cela que le sens véritable de tout phénomène n’est pas ce que l’acte langagier nous fait entendre, c’est ce qui se trouve plutôt décalé par rapport à la surface. Et c’est pour cette raison que Nietzsche et Freud refusent tout commencement officiel. Pour eux, signes et symptômes sont respectivement des masques qui se donnent l’apparence de la vérité pour mieux la cacher. De ce fait, seule l’interprétation peut les démasquer pour faire apparaître la pluralité des significations qu’ils contiennent et dont l’ensemble constitue des vérités. Ainsi, on peut voir qu’avec Nietzsche et Freud, le travail d’interprétation est par essence infinie dans la mesure où la vérité qu’elle cherche dans chaque phénomène n’est ni figée ni fixe mais plutôt multiple et plurielle. La Vérité n’existe plus, nous avons plutôt des vérités qui n’ont de validité que par rapport à leur contexte d’émergence et d’expression. C’est pour cette raison que le perspectivisme de Nietzsche commande sa méthode généalogique là où Freud considère la méthode analytique comme une opération qui ne s’achève jamais. C’est par ce travail d’interprétation que Nietzsche et Freud sont donc, non seulement des herméneutes, mais aussi des médecins de la culture. Ils diagnostiquent les signes, symboles et symptômes culturels comme un texte dont ils font l’exégèse pour en déployer les niveaux de sens. Et le texte en question n’est pas ici un texte au sens propre, c’est-à-dire scripturaire, il signifie plutôt l’expression du désir à travers les phénomènes culturels. Nietzsche et Freud soupçonnent ce texte d’être l’objet de multiples ruses et falsifications du sens commandé par ce qu’on pourrait appeler le larvatus prodeo. L’homme comme un ensemble de désirs avance masqué mais inconsciemment. Les rêves, les névroses, l’art, les lapsus, les actes manqués mais aussi tout ce q ui est érigé comme valeurs ou concepts – morale, métaphysique, Etat, science, etc. – sont l’accomplissement de désirs sous la tutelle d’un Inconscient ou d’une Volonté de puissance. C’est pourquoi, si Freud est le médecin qui diagnostique l’âme humaine pour voir en la civilisation ce qui cause la maladie, Nietzsche est le philosophe-médecin qui diagnostique la civilisation et trouve que les valeurs sont les formes à travers lesquelles apparaît la maladie. De ce f ait, il ne devient pas étonnant de trouver chez Freud tout ce qu’a écrit Nietzsche, comme l’a constaté Georges-Arthur Goldschmidt, parce qu’ils ont eu la même préoccupation : montrer l’intérêt des instincts et des pulsions dont l’opposition éternelle avec la raison est ce qui a toujours divisé l’homme. Une telle préoccupation aura comme conséquence majeure une invalidation de la civilisation moderne ou du moins sa critique dans sa prétention à être un « bien absolu » pour l’homme.

L’analyse des processus inconscients

   Avant de parler des processus inconscients, il nous faut d’abord définir le terme Inconscient. En fait, même si ce concept fait penser immédiatement à l a psychanalyse, il existait déjà bien avant elle. Cependant, c’est Freud qui lui a donné un contenu dont la signification est devenue aujourd’hui celle qui est connue du grand public. Freud définit l’Inconscient comme la partie la plus importante du psychisme humain et qui contient toutes les pensées refoulées incompatibles avec la vie consciente. Mais ces pensées refoulées ne disparaissent pas, elles peuvent resurgir de façon déguisée sous différentes formes dès que des circonstances propices se présentent. La cause de leur manifestation est toujours la satisfaction d’un désir. Elles s’expriment sans cesse à travers des symptômes psychiques morbides, des actes manqués et des rêves tant qu’elles n’accèdent pas à la conscience. C’est la raison pour laquelle Freud dit que : « Dans l’inconscient rien ne finit, rien ne passe, rien n’est oublié, C’est ce qui nous frappe le plus quand nous étudions les névroses et l’hystérie en particulier. La voie des pensées inconscientes qui mène à la crise libératrice pourra se rouvrir dès qu’une quantité d’excitations suffisante se sera amassée. » Ainsi, c’est l’ensemble de ces mécanismes et caractéristiques des pensées inconscientes que Freud appelle processus inconscients. C’est par leur étude qu’il est arrivé à trouver que notre comportement est régi en grande partie par ces pensées refoulées. Dans ce chapitre nous avons choisi de travailler sur l’un de ces processus inconscients qu’est le rêve parce que d’une part il constitue « le premier objet d’investigation » de la psychanalyse et le « modèle […] de toutes les expressions déguisées, substituées, fictives du désir humain ». D’autre part, Freud considère son étude comme le chemin le plus efficace pour explorer les mécanismes psychiques profonds. « L’interprétation des rêves est, en réalité, la voie royale de la connaissance de l’inconscient, la base la plus sûre de nos recherches, et c’est l’étude des rêves, plus qu’aucune autre, qui vous convaincra de la valeur de la psychanalyse et vous formera à sa pratique. Quand on m e demande comment on peut devenir psychanalyste, je réponds : par l’étude de ses propres rêves. » Voilà les propos que Freud consigne dans ses Cinq leçons de psychanalyse, dans la troisième conférence qu’il prononce aux Etats Unis, en 1909 à la Clark University de Worcester à Massachusetts. Si l’inconscient est le lieu des désirs refoulés, le rêve est leur moyen d’expression le plus symbolique. Le rêve, par le biais d’un langage codé, est par excellence le lieu de manifestation du désir, mais surtout du désir comme interdit. C’est pourquoi, il est en même temps satisfaction et déguisement de celui-ci. Un rêve symbolise toujours un dé sir dont il dissimule le sens sous un autre sens. De ce fait, il garde les mêmes fonctions aussi bien chez les névrosés que chez les personnes normales. Sa principale raison d’être est la satisfaction d’un désir inconscient. Il réalise la même chose chez tous les hommes, c’est-à-dire, l’assouvissement détourné des pulsions du Ça tout en respectant les exigences du Moi et du Surmoi qui instaurent la censure. Ainsi, le rêve n’existe que pour satisfaire des désirs mais c’est la ruse avec laquelle il opère cette satisfaction qui fait que « même s’il n’avait pas primitivement d’utilité, en acquit une dans le jeu de forces de la vie mentale. […] Il s’est chargé de ramener l’excitation inconsciente demeurée libre sous le contrôle du préconscient ; il la détourne, lui sert de soupape de […] [sûreté] et assure par là, avec une faible dépense de vigilance, le sommeil du préconscient. Ainsi le rêve est un compromis, il est au service de deux systèmes et accomplit les deux désirs dans la mesure où ils s’accordent. »72 On peut donc constater que le rêve est la réalisation fantasmatique d’un désir qui se satisfait au cours du sommeil. Cette définition s’applique aussi bien aux rêves d’enfant qu’à ceux de l’adulte. Mais si les rêves des enfants sont du même type que ceux des adultes, les derniers ne relèvent pas des désirs nés du jour précédent comme ceux des enfants, mais remontent bien plus loin. Leur origine se trouve dans l’inconscient. C’est ce que Freud affirme dans ces propos : « Vous serez en outre étonnés de découvrir dans l’analyse des rêves, et spécialement dans celle des vôtres, l’importance inattendue que prennent les impressions des premières années de l’enfance. Par le rêve, c’est l’enfant qui continue à vivre dans l’homme, avec ses particularités et ses désirs, même ceux qui sont devenus inutiles. » Mais cette dimension du rêve n’apparaît pas à première vue à cause de ce que Freud appelle le « travail onirique » qui consiste en un ensemble de mécanismes produits par la censure pour empêcher l’expression directe des désirs sexuels infantiles dans le rêve. Dans la formation du rêve entrent donc en jeu « la condensation », le « déplacement », la « figuration », l’« élaboration secondaire », la « dramatisation ». Tous ces mécanismes sont commandés et dirigés par la censure. A cause de celle-ci les désirs inconscients du rêve sont bien masqués par le scénario incohérent dont nous nous souvenons au réveil. C’est la censure qui travaille donc à ce que l’objet du rêve diffère complètement de ce qu’il montre. Mais parmi ces mécanismes, il y en a deux qui sont les plus importants et sans lesquels le rêve ne peut se former : c’est le travail de condensation et celui de déplacement. La condensation est un des procédés oniriques à l’œuvre dans la « disproportion » entre le contenu manifeste du rêve et son contenu latent. Le contenu manifeste est le rêve tel que s’en souvient le rêveur. Cette partie du rêve est très souvent incohérente, illogique et brève par rapport à la densité de la partie latente qui contient les pensées du rêve, c’est-à-dire la satisfaction hallucinatoire des désirs refoulés. Ces derniers constituent le rêve déplié dans toute son étendue après avoir été interprété. On peut constater à quel point le contenu apparent du rêve est un récit compressé dont la décompression peut donner à une interprétation plus ou moins infinie selon Freud. Et c’est pour cette raison qu’il considère que nous ne pouvons jamais avoir la certitude d’avoir déchiffré toutes les significations contenues dans un rêve. En d’autres termes, le « quotient de condensation » du rêve n’est jamais mesurable avec précision parce que dans une même représentation se concentrent toujours et en même temps images et idées de désirs qui n’ont aucun rapport ou sont souvent contradictoires. Après le travail de condensation qui agit dans la formation du rêve, vient celui du déplacement qui le complète. Le processus du déplacement dans le rêve a pour fonction de « décentrer » celui-ci. Il procède à un transfert des affects psychiques de haute intensité contenus dans un élément du rêve pour l’attribuer à un autre moins important et vice versa. Sans ce mécanisme de transfert inversé qui rend méconnaissables les affects psychiques intenses, ces derniers ne peuvent accéder au contenu du rêve sans heurt avec le Moi. Mais en retour le Moi cède aussi aux exigences du Ça dans le rêve après ce travail de déformation pour accomplir son désir de sommeil. Ainsi, par ce mécanisme du déplacement on comprend alors la différence des histoires scéniques et des personnages entre contenu et pensée du rêve. Le déplacement et la condensation sont donc les deux grands mécanismes qui concourent, dans le travail onirique, à la formation du rêve. « L’un construit le désir qui est exprimé par le rêve, l’autre le censure et par suite de cela déforme l’expression de ce désir.»74 C’est ce qui explique la surdétermination des éléments du contenu manifeste du rêve. On peut ainsi voir combien au cours du rêve le Moi garde une attitude défensive qui s’exprime dans et par le mécanisme de la censure alors que le Ça exerce la part créatrice. Le rôle principal de la censure est alors d’assurer le sommeil du Moi en lui évitant toute souffrance qui peut le réveiller. Il réprime toutes les représentations inconscientes qui pourraient déclencher les affects liés à des sentiments de déplaisir et d’angoisse que le Moi avait déjà refoulés lors de leurs premières expressions. Dès lors, par le biais du mécanisme de la censure qu’il a créé, le Moi tient à s’éviter le déplaisir à tout prix, parfois quitte à interrompre le sommeil. C’est ce qui se passe dans les rêves dits d’angoisse dont le caractère pénible cause le réveil brutal. Dans ces rêves, certains désirs inconscients qui tiennent à s’exprimer dans leurs formes primitives font subir au Moi une pression dans la mesure où la censure n’arrive pas à les déguiser. Ce qui pousse le Moi à rompre son désir de dormir pour se défendre de ces désirs qui menacent son équilibre.

La transmutation : pour un meilleur type d’homme

   Nietzsche préconise une transmutation de toutes les valeurs, quelles qu’elles soient : politiques, morales, philosophiques, religieuses, scientifiques, etc. Mais à qui incombe une telle tâche ? Qui est-ce qui doit se charger de renverser ces valeurs « éternelles » ? Nietzsche dit que ce sont les philosophes nouveaux, les esprits libres, « les hommes de l’avenir qui dès maintenant riveront la chaîne et serreront le nœud, qui contraindront le vouloir des millénaires à s ’engager dans de nouvelles voies »88. Ces hommes ont « l’obligation d’assumer cette tâche nouvelle ; renverser les valeurs, forger à c oups de marteau une conscience, bronzer un cœur et les rendre capables de porter le poids d’une pareille responsabilité »89. Ils ont la tâche d’éradiquer les « idées modernes » et toute « la morale européenne et chrétienne » ; toute « cette dégénérescence globale de l’humanité, qui la ramène au niveau du parfait animal de troupeau ». Ainsi, le philosophe de l’avenir doit non seulement nier et détruire toutes ces valeurs nées de ce que Nietzsche appelle le « nihilisme européen » et qui font l’histoire de la culture occidentale, mais aussi créer de nouvelles valeurs qui les remplaceront pour engager l’avenir de l’humanité dans de nouvelles voies en la libérant de toutes les fausses valeurs. Le philosophe de l’avenir doit donc rompre avec un passé décadent qui rapetisse l’homme, le mortifie, lui fait nier et déprécier la vie pour l’engager dans un avenir meilleur qui lui fera exprimer toute la puissance de sa volonté en affirmant la vie dans toutes ses contradictions. La tâche du philosophe de l’avenir consistera donc à un changement de principes qui se fera par une « critique de toutes les valeurs établies c’est-à-dire des valeurs supérieures à la vie et du principe dont elles dépendent, et la création de nouvelles valeurs, valeurs de la vie qui réclament un autre principe ». Destruction du principe d’évaluation qui engendre les valeurs décadentes, création d’un nouveau principe d’évaluation à partir duquel vont naître les valeurs qui affirment la vie. « Marteau et transmutation » sont alors les deux armes dont se munissent les hommes de l’avenir, nouveaux philosophes et esprits libres. Le marteau détruit les valeurs traditionnelles, la transmutation en instaure de nouvelles. Le dualisme comme principe de la philosophie, de la religion, de la science et de la morale est remplacé par un autre, celui de la pluralité et de la complexité. Aux dualismes entre vrai et faux dans la science, bien et mal dans la morale, monde sensible et monde intelligible dans la philosophie, ici-bas et au-delà dans la religion, s’opposent des vérités multiples et complexes, une réalité changeante et équivoque qui restent toujours soumises à l’interprétation. Nietzsche considère que le monde des apparences est la seule réalité, il n’y a ni un au-delà ni un en-deçà qui serait la « vraie réalité » ou la vérité. Pour lui, rechercher la vérité ne consiste pas à creuser pour trouver un fond ni à se projeter au-delà de la terre pour atteindre l’Idée. Ce qui caractérise l’essence de la vérité nietzschéenne, c’est donc sa nature perspectiviste, elle n’est jamais absolue, et n’est valable et valide que dans un temps et un espace limités dans lesquels une vérité contraire peut aussi être valable. Ce qui réfute donc le principe de non-contradiction que Nietzsche voit comme une illusion logique de la Science. Vouloir alors rendre une vérité absolue ou la proclamer comme telle serait non seulement une illusion mais un acte de mauvaise foi. C’est ce qu’Angèle Kremer-Marietti confirme, à l’instar de Nietzsche, en disant que « l’erreur qui conditionne notre vie permet ce que la vie recherchera, c’est-à-dire ce qu’on appelle une fois encore la vérité ; de même, cette mauvaise foi nécessaire à notre exigence de bonne foi, cette cécité passagère à l’endroit de la légitimité de la vérité, à l’endroit de la justice, prouvent bien que le monde, c’est-à-dire notre monde, n’est ni radicalement vrai, ni radicalement faux non plus » . Henry Birault, lui, fait écho en expliquant que « Nietzsche veut dire la vérité sur la vérité. Or la vérité sur la vérité, c’est qu’il n’y a pas de vérité autre que celle que nous faisons, donc pas de vérité du t out. C’est pourquoi la notion de valeur remplace celle de vérité […] Et, à ce moment-là, il ne reste plus qu’une hiérarchie de jugements de valeur […] [qui] pourront être mesurés en fonction de celui qui les prononce, et en fonction de leur effet ». En d’autres termes, il n’existe pas de vérité absolue. Tout ce qu’on nomme vérité n’est rien qu’une façon de voir, de juger ou d’évaluer. Mais il y a une volonté de vérité qui serait presque innée aux hommes qui leur fait croire en l’existence d’une Vérité une et unique. Cela s’explique d’une part par une volonté de maîtriser le réel et de l’autre par le vœu de se conformer aux croyances et règles sociales par peur de s’égarer. Aussi la critique nietzschéenne de toute la métaphysique inhérente à la philosophie, à la morale, à l a science et à la religion a-t-elle comme corollaire la critique des systèmes politiques modernes dont les principes sont les mêmes que ceux de la religion parce que « l’idée de « l’égalité des âmes devant Dieu » […] est le prototype de toutes les idées d’égalité juridique ; on a d’abord enseigné à l’humanité à balbutier le principe de l’égalité religieuse, on lui en a fait plus tard une morale ; quoi d’étonnant si l’homme finit par la prendre au sérieux, par la mettre en pratique ─ je veux dire s’il réalise l’égalité politique »94. C’est pour cette raison que la démocratie est l’un des systèmes politiques contre lesquels Nietzsche s’insurge le plus. En effet, la démocratie, comme modèle politique de l’Europe à partir du XVIIIe siècle, est une autre manière de contamination des forts par les faibles par le biais de l’appareil d’Etat qui prône l’égalitarisme au détriment d’une culture sélective sans laquelle les forts sont ravalés au rang de la masse.

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Table des matières

INTRODUCTION
PRMIERE PARTIE : Des entreprises similaires
CHAPITRE I : La « déconstruction » du sujet : une régression vers l’origine
CHAPITRE II : La réévaluation des valeurs
CHAPITRE III : L’analyse des processus inconscients
DEUXIEME PARTIE : Des objectifs identiques
CHAPITRE I : La transmutation : pour un meilleur type d’homme
CHAPITRE II : La psychothérapie : pour une meilleure connaissance de soi
CHAPITRE III : Bilan des finalités
CONCLUSION
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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