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Lโalternance de gouvernements constitutionnels et militaires (1955-1976)
Rรฉvolution Libรฉratrice ยป, a contraint Perรณn ร lโexil et a ouvert une longue pรฉriode dโalternance au pouvoir entre gouvernements militaires et gouvernements constitutionnels. Cette pรฉriode sโest achevรฉe avec le retour du leader charismatique du mouvement pรฉroniste en 1973, aprรจs dix-huit annรฉes dโexil. Cette alternanc du pouvoir permet, aujourdโhui, dโexpliquer la discontinuitรฉ des politiques alors mises en ลuvre, notamment dans les domaines sociaux et urbains. Plus spรฉcifiquement en ce qui concerne la politique inhรฉrente aux bidonvilles, les dรฉcisions nโont cessรฉ dโosciller entre deux pรดles : dโune part, des plans centralisรฉs et autoritaires dโรฉradication des quartiers et, dโautre part, des programmes dโamรฉlioration in situ, ouvrant la voie ร des revendications portรฉes par des associations de quartier. Malgrรฉ tout, la tendance gรฉnรฉrale de laรฉriodep peut รชtre caractรฉrisรฉe par lโavรจnement des rรจgles du marchรฉ en matiรจre dโurbanisme et lโouverture ร des financements internationaux pour les projets urbains, annonรงant et amorรงant, de facto, la fin de lโinterventionnisme pรฉroniste.
En ce qui concerne les lotissements populaires, principale forme urbanistique de la pรฉriphรฉrie, les vendeurs ont continuรฉ ร bรฉnรฉficier de la grandepermissivitรฉ des pouvoirs publics. Cependant, cette pรฉriode marque un vรฉritable tournant, non seulement dans le rythme de croissance de ce type de quartier mais aussi dans les rรจgles rรฉgissant le secteur. Les inondations de 1957 ont jouรฉ un rรดle dรฉterminant dans ce mouvement. Elles ont peu ร peu fait prendre conscience aux pouvoirs publics de la nรฉcessitรฉ de redรฉfinir les normes urbanistiques et des changements se sont progressivement opรฉrรฉs,malgrรฉ la pression forte exercรฉe par les propriรฉtaires terriens de lโagglomรฉration : en 1960, sont adoptรฉes les premiรจres lois sur la cote minimale dโinondation pour la vente de parcelles, en 1968, une loi imposant la desserte des parcelles en services urbains est adoptรฉe, puis rรฉvoquรฉe un mois plus tard sous la pression des vendeurs80.
Par ailleurs, le rรฉgime autoritaire du dรฉbut de la pรฉriode estimait que les bidonvilles, communรฉment appelรฉsvillas miseria, les ยซ villes de la misรจre ยป, commenรงaient ร poser un problรจme dโun point de vue urbanistique et social81. Dans cette perspective, les pouvoirs centraux se sont donnรฉ pour objectif de mettre de lโordre au plus vite dans les quartiers et de rรฉgulariser une situation qui devait rester provisoire. Fut alors crรฉรฉe en 1956, la Comisiรณn Nacional de la Vivienda (CNV) afin de coordonner lโaction de lโEtat en matiรจre dโurbanisme. Lโune de ses missions fut dโorganiser lโรฉradication des villas de emergencia, au moyen dโun plan dโurgence spรฉcifique. La CNV commenรงa alors les premiers recensements – trรจs imparfaits – pour organiser son action.
Le ยซ Proceso ยป de rรฉorganisation nationale : les dictatures militaires (1976-1983)
Le coup dโรฉtat des militaires en 1976 a engagรฉ le pays dans une pรฉriode de terreur de huit longues annรฉes. Si les rรฉgimes militaires qui scandaient la vie politique du pays depuis les annรฉes 1930 avaient rรฉussi ร incarner lโordre et lastabilitรฉ dans lโesprit de la population, la dictature de cette pรฉriode a pris une tournure beaucoup plus rรฉpressive et violente . La volontรฉ affichรฉe รฉtait celle de ยซ nettoyer ยป et dโยซ ouvrir ยป le pays en mettant fin, de maniรจre radicale, aux protestations de toute sorte (mouvements pรฉronistes ou dโextrรชme gauche) par lโexil, la torture ou la disparition des personnes identifiรฉes par le pouvoir comme subversives ยป86. Le travail de fond des militaires consistait en un dรฉmantรจlement progressif et irrรฉversible de lโEtat en Argentine, une prรฉparation de la sociรฉtรฉ et de lโรฉconomie nationales au grand tournant nรฉo-libรฉral quโils allaient expรฉrimenter quelques annรฉes plus tard en plaรงant Carlos Menem aux rรชnes du pays.
En matiรจre urbaine, il sโagissait de passer ยซ du chaos ร lโordre ยป 87 en engageant, dโune part, des rรฉformes de la lรฉgislation du secteur de lโimmobilier et, dโautre part, des politiques dโรฉradication des bidonvilles dans une optique de ยซ nettoyage ยป.
La loi nยฐ 8912 de 1977 qui ยซ rรฉgit le mise en ordre de la province de Buenos Aires et vise ร rรฉguler lโusage, la subdivision et lโoccupation du sol, de mรชme que lโรฉquipement en infrastructures ยป88 a รฉtรฉ adoptรฉe dans un souci dโordonner le marchรฉ des lotissements populaires de la pรฉriphรฉrie et, de cette maniรจre, edcontrรดler les populations de ces quartiers. Ses effets ont รฉtรฉ paradoxaux : malgrรฉ un discourshygiรฉniste et de garantie de conditions dรฉcentes pour lโhabitat populaire, la principale consรฉquence de lโapplication de cette loi fut une augmentation notable des prix de lโimmobilier, excluant de facto une grande partie de la population potentiellement concernรฉe par ce segmentdu marchรฉ. En dรฉfinitive, la politique de rรฉglementation urbanistique sous les dictatures militaires a รฉtรฉ ร lโorigine dโune marginalisation consรฉquente dโune partie de la population de la pรฉriphรฉrie de Buenos Aires.
Le retour ร la dรฉmocratie et lโรฉmergence du discours nรฉo-libรฉral (1983-1989)
Lโ ยซ รฉquilibre ยป qui avait รฉtรฉ trouvรฉ au cours duingtiรจmev siรจcle dans le Grand Buenos Aires entre une lรฉgislation peu exigeante, des salaires permettant de payer les lots immobiliers ร crรฉdit et des bรฉnรฉfices รฉlevรฉs pour le secteur immobilier avait รฉtรฉ totalement dรฉtruit par la crise des annรฉes 1970 en Argentine, destruction qui sโรฉtait vue aggravรฉe par la politique menรฉe par les gouvernementsde fait entre 1976 et 1983, situation irrรฉversible qui sโimposa au gouvernement dโAlfonsรญn aprรจs le retour ร la dรฉmocratie95. La crise du logement se poursuivit donc dans les annรฉes 1980, ouvrant la voie ร une multiplication des phรฉnomรจnes dโ asentamientos, du fait du caractรจre nettement moins rรฉpressif dugouvernement ร lโรฉgard des situations dโillรฉgalitรฉ.
Le retour ร la dรฉmocratie a eu un triple effet sur les pratiques de logement des populations qui avaient รฉtรฉ marginalisรฉes pendant leProceso. Dโune part, il a permis le dรฉveloppement massif dโoccupations spontanรฉes de terrains, initiatives visant ร la rรฉgularisation dโun statut de propriรฉtaire pour les occupants, avec son pendant paradoxal de ยซ violation de la propriรฉtรฉ privรฉe dans le but de lโobtenir ยป96 . Dโautre part, le retour ร la dรฉmocratie, et avec lui la fin dโune รจre de rรฉpression gรฉnรฉralisรฉe, a รฉgalementรฉ รฉtlโoccasion, pour de nombreuses personnes, dโinvestir ร nouveau les quartiers รฉradiquรฉs pendant les dictatures militaires : on note, ร partir de 1983, une recrudescence significa tive des villas de emergencia dans la capitale97; enfin, par une sรฉrie de rรฉformes, il ouvre la voie ร la mise en place de programmes alternatifs visant ร rรฉsoudre la crise du logement, laissant plus de place ร la participation des populations : constructions appuyรฉes par des coopรฉratives de logement, programmes dโhabitations progressives, obligation dโutilisatio n des terrains oisifs (ouverture ร la vente des squats aux occupants), programmes de rรฉgularisation domaniale, solutions clรฉs en mainface ร lโaugmentation du nombre des villas 98.
En ce qui concerne la politique de logements sociaux, le rรฉfรฉrentiel urbanistique de la pรฉriode prรฉcรฉdente, legrand ensemble, est entrรฉ dans une รจre de dรฉgradation matรฉriellecontinue, associรฉe ร un processus de densification de la population, phรฉnomรจnes qui se sont mutuellement alimentรฉs pour aboutir ร une situation actuelle extrรชmement critique en termes sanitaires et sociaux.
Les premiers services urbains ร Buenos Aires (1880-1940)
Le fait de concentrer cette recherche sur trois secteurs de services urbains (eau/assainissement, รฉlectricitรฉ, tรฉlรฉcommunications) nโimplique pas pour autant de sโabstraire totalement des logiques et des รฉvolutions dโautres secteurs qui ont pu sโavรฉrer dรฉterminants pour lโรฉvolution urbaine. En effet, sans approfondir davantage ici leurs effets, il est intรฉressant de noter le rรดle central jouรฉ par esl rรฉseaux de transport (tramway puis ferroviaire) dans le dรฉveloppement urbain de Buenos Aires. Si les rรฉseaux de services domiciliaires ont constituรฉ par la suite un enjeu pour les populations rรฉcemment installรฉes, les rรฉseaux de transport ont eu une incidence plus que structurante sur la configuration de lโextension de mรชme que sur la conception de la ville par les acteurs politiques. Nous verrons par la suite que les choix opรฉrรฉs dans le secteur ed lโeau pour lโextension du rรฉseau ont รฉtรฉ entiรจrement guidรฉs par les effets attendus de la configuration du rรฉseau ferroviaire.
A Buenos Aires, les premiers services urbains sont apparus dรจs la fin du XIXรจme siรจcle : le premier rรฉseau dโeau a รฉtรฉ construit en 1856 par lacompagnie privรฉe Ferrocarril Oeste pour ses ateliers et desservait, en outre, 3000 riverains100 ; en 1886, la premiรจre concession dโรฉclairage public a รฉtรฉ accordรฉe ร une entrepriseprivรฉe pour le parc Tres de Febrero ; en 1880, quatre ans seulement aprรจs son invention, le tรฉlรฉphone est apparu ร Buenos Aires, ร lโinitiative de la Sociรฉtรฉ suisse du Pan Tรฉlรฉphonede Locht pour un public rรฉduit dโenviron 20 clients102. Si les annรฉes 1880 ont marquรฉ le dรฉbut de lโhistoire des services urbains de Buenos Aires, ils ont connu par la suite des รฉvolutions, bien que comparables dans leur pรฉriodicitรฉ, empreintes des innovations techniques et des enjeux politiques propres ร chaque secteur.
Lโeau et lโassainissement : la mise en place progressive dโun vรฉritable service public103
Dans le domaine de lโeau, avant 1870, les conditions dโaccรจs ร la ressource nโรฉtaient que trรจs prรฉcaires : le service assurรฉ par des porteurs dโeau รฉtait dโune qualitรฉ peu fiable, lโeau distribuรฉe, issue du Rรญo de la Plata, nโรฉtant pas raitรฉe ; quelques privilรฉgiรฉs bรฉnรฉficiaient de lโaccรจs ร lโeau des nappes phrรฉatiques par un puit ; le recours ร lโeau de pluie nโรฉtait alors que trรจs marginal. Dรจs 1828, des projets de rรฉseaux alimentรฉs par lโeau issue du Rรญo de la Plata avaient pourtant รฉtรฉ conรงus, mais il fallut attendr une succession dโรฉpidรฉmies meurtriรจres (8000 morts du cholรฉra en 1867 et 20 000 morts de la fiรจvre jaune en 1871) pour que les autoritรฉs publiques ouvrent la voie ร leur rรฉalisation. En 1868, la province de Buenos Aires autorisa la construction dโune premiรจre adduction dโeau 104, puis confia ร lโingรฉnieur Batemane en 1871, suite ร lโรฉpidรฉmie de fiรจvre jaune et ร de violentes rรฉactions populaires, le soin dโรฉtendre le rรฉseau dโeau et de concevoir, encomplรฉment, un rรฉseau dโassainissement. Cependant, les travaux nโont pas progressรฉ aussi vite que lโaurait souhaitรฉ la municipalitรฉ (ils ne commencรจrent quโen 1874 et furent interrompus dรจs 1877 faute de budget). En effet, รฉtant encore sous lโautoritรฉ de la Province, la ville avait du mal ร faire entendre sa voix contre celle de la classe politique conservatrice, vivant principalement des revenus agricoles et, de ce fait, rรฉticente ร financer les travaux en milieu urbain dont elle ne percevrait pas de bรฉnรฉfices directs.
Il a donc fallu attendre 1880, date de la fรฉdรฉralisation de la ville, pour que le gouvernement national prenne la situation en main et redรฉfinisse les prioritรฉs. Il a alors crรฉรฉ la Comisiรณn Nacional de Obras de Salubridad et imposรฉ une taxe de 5% sur les loyers pour financer les travaux. LโEtat fรฉdรฉral a hรฉritรฉ dโune situation uspl que problรฉmatique : seulement 6085 maisons รฉtaient alors desservies en eau . Malgrรฉ les nouvelles dispositions adoptรฉes par lโEtat fรฉdรฉral et face aux difficultรฉs de financement, les travaux, qui avaient repris en 1883, ont ร nouveau รฉtรฉ interrompus en 1886. LโEtat a alors envisagรฉ la possibilitรฉ dโavoir recours ร une entreprise privรฉe et dโorganiser un systรจme deconcession permettant de finaliser le projet Batemane. Le contrat dโaffermage, qui prรฉvoyait lโexรฉcution du plan Batemane en 3 ans, de mรชme que la gestion des services dโeau, dโassainissement et de drainage pour un tarif de 6,5 pesos oro106, a รฉtรฉ signรฉ en 1888 avec une sociรฉtรฉ anglaise amuel:S Hale and Cie puis transfรฉrรฉ lโannรฉe dโaprรจs ร la Buenos Aires Water upplyS and Drainage Company Ltd avant dโรชtre rรฉsiliรฉ dรจs 1891 principalement pour manquede rentabilitรฉ de lโactivitรฉ. Cet รฉchec a marquรฉ le tournant de la politique de lโEtat en matiรจre de services urbains et a รฉtรฉ ร lโorigine dโune politique รฉtatique volontariste en matiรจre sanitaire, ce qui a dโemblรฉe confรฉrรฉ au secteur de lโeau et de lโassainissement une place s inguliรจre au regard des autres secteurs : contrairement au systรจme de concession privรฉe adoptรฉ pour la construction et la gestion des infrastructures urbaines comme le mรฉtro, les lignesde chemin de fer, lโรฉlectricitรฉ, le tรฉlรฉphone et dโautres secteurs encore, le choix effectuรฉ dans le secteur de lโeau a รฉtรฉ celui dโune prise en charge de lโEtat, au nom de la santรฉ publique. Puisquโil se heurtait aux critรจres de rentabilitรฉ du secteur privรฉ de mรชme quโaux capacitรฉs financiรจres rรฉduites de la municipalitรฉ, le secteur de lโeau, ressource considรฉrรฉe comme bien social, ste passรฉ, ร partir de ce moment, sous lโautoritรฉ du gouvernement de la Nation. Il a progressivement affirmรฉ son rรดle au niveau national, malgrรฉ quelques entreprises privรฉes florissantes en province, et a dรฉcidรฉ, en 1912, la crรฉation dโObras Sanitarias de la Naciรณn (OSN), qui sโest par la suite imposรฉe comme un vรฉritable pilier de la politique argentine. Comme el souligne T. Bodard107, la tendance argentine, prenant le contre-pied de nombreux exemples oรน la gestion de lโeau รฉtait jugรฉe comme relevant par nature du niveau local, illustre, in fine, un fรฉdรฉralisme en trompe lโลil oรน la Nation est la seule collectivitรฉ publique ร disposer de moyens financiers suffisants pour mener une politique de service social. En effet, les enjeux sanitaires, les coรปts importants dโinfrastructure dโeau dรฉpassant le budget municipal de mรชme que les critรจres de rentabilitรฉ du secteur privรฉ, ont progressivement poussรฉ lโEtatfรฉdรฉral ร affirmer son rรดle dans le secteur. En ce sens, Obras Sanitarias de la Naciรณn , crรฉรฉe en 1912, a รฉtรฉ conรงue comme le ยซ modรจle ยป de service public du fait de sa triple vocation : hygiรจne publique, redistribution des revenus et amรฉnagement du territoire . En 1919, la loi nยฐ10 998 confia ร OSN ยซ lโapprovi sionnement en eau potable de toute population urbaine ร partir de 3000 habitants ainsi que lโassainissement complet de celles qui dรฉpass[aient] le nombre de 8000 habitants ยป, par convention entre OSN, les provinces et les municipalitรฉs.
Les premiers temps du secteur รฉlectrique: une gestion privรฉe questionnรฉe par le local112
Les premiers temps du secteur รฉlectrique ont รฉtรฉ marquรฉs par quelques initiatives privรฉes (construction de petites centrales รฉlectriques en ville) orientรฉes vers des usages plutรดt collectifs (รฉclairage dโun parc, du port, alimentation en รฉlectricitรฉ pour lโopรฉra, pour les lignes de tramways et quelques rares rรฉsidences). En 1898,la Compaรฑรญa Alemana Transatlรกntica de OSN se lanรงa dans une entreprise progressive de retrai t des compteurs qui avaient รฉtรฉ installรฉs par lโopรฉrateu privรฉ.
Lโentreprise porte le nom de Travaux Sanitaires de la Nation ; dรจs sa crรฉation en 1912, laconnexion au rรฉseau urbain prend un caractรจre obligatoire pour les usagers, etc.
Electricidad (CATE) a รฉtรฉ crรฉรฉe. Elle a installรฉusieurspl centrales dans le centre et rachetรฉ une compagnie de tramways. Au dรฉbut du siรจcle, la Compaรฑรญa Angloargentina (anglaise) a rachetรฉ une dizaine dโentreprises de tramways ร cheval pour les convertir en tramways รฉlectriques. Ces deux entreprises se sont rรฉparti el marchรฉ de la capitale pendant que la Compaรฑรญa de Electricidad de la Provincia de Buenos Aires (CEP) opรฉrait sur le reste de lโaire mรฉtropolitaine .
La gestion des entreprises privรฉes a rapidement menรฉ ร un vif dรฉbat sur une รฉventuelle municipalisation des services, qui nโa finalement jamais eu lieu : en 1907, la premiรจre rรฉglementation municipale relative au service รฉlectrique a รฉtรฉ adoptรฉe sans pour autant quโelle ne contraigne trop les entreprises dans leurs pratiques gestionnaires (tarifaires, entre autres). Cette date marque tout de mรชme la premiรจre concession de service รฉlectrique dans le pays : lโentreprise CATE opรฉrant sur le territoire de la ville de Buenos Aires114. En 1912, une seconde concession municipale a รฉtรฉ accordรฉe ร la Compaรฑรญa Italo Argentina de Electricidad (CIADE) afin dโintroduire de la concurrence entre opรฉrateurs, ce qui a finalement รฉchouรฉ du fait dโun partage tacite du marchรฉ par les deux entreprises. En 1921, une ordonnance municipale a autorisรฉ le transfert de lโentreprise CATE ร la Compaรฑรญa Hispanoamericana de Electricidad (CHADE), qui opรฉrait dรฉjร dans le Grand Buenos Aires et dans la ville de Rosario. En 1936, la concession de la Compaรฑia Argentina de Electricidad (CADE, ex CHADE) a รฉtรฉ renouvelรฉe pour 25 ans dans des circonstances douteuses115.
Cette succession de changements institutionnels constitue, malgrรฉ tout, une pรฉriode homogรจne, qualifiรฉe par P. Pirez de modรจle dรฉcentralisรฉ-privรฉ, oรน lโรฉchelon pertinent dโactivitรฉ et de rรฉgulation รฉtait celui de la munipalitรฉc et oรน la logique du secteur รฉtait guidรฉe, dans un premier temps, exclusivement par les intรฉrรชts des compagnies privรฉes puis, aprรจs lโinstitutionnalisation de la rรฉgulation municipale, par les intรฉrรชts partagรฉs entre entreprises et autoritรฉs locales (contrรดle des tarifs, de la qualitรฉ, gรฉnรฉralisation de la desserte, politique de transports).
Lโรจre des nationalisations : puissance et dรฉclin des monopoles publics
Avec lโarrivรฉe au gouvernement du pรฉronisme en 1943, les services urbains sont entrรฉs dans une nouvelle pรฉriode : devenant de vรฉritables piliers politiques, ils sont tous progressivement passรฉs aux mains de lโEtat, les nationalisations รฉtant parties prenantes du modรจle sociรฉtal populiste proposรฉ par Perรณn. En effet, la prolifรฉration dโentreprises รฉtatiques pendant cette pรฉriode, due ร la nationalisation ou ร la crรฉation dโentreprises, sโexplique par les objectifs affichรฉs liรฉs au dรฉveloppement du pays, le gouvernement se positionnant en garant de lโรฉquilibre entre objectifs sociaux et coรปt raisonnable. Selon certaines analyses120, les trois principales missions assignรฉes ร ces entreprises sous les gouvernements pรฉronistes รฉtaient : la fourniture des matiรจres premiรจres essentielles ร lโindustrie (comme lโacier, le charbon, le pรฉtrole, le gaz, lโรฉlectricitรฉโฆ), la rรฉduction du chรดmage et la redistribution des revenus, missions exclusives ou complรฉmentaires selon les secteurs. Cependant, les rรฉsultats de cette analyse montrent รฉgalement que les entreprises รฉtatiques ont continuรฉ ร รชtre utilisรฉes comme des outils de politiques macroรฉconomiques sous dโautres types de gouvernements (militaires, en particulier), seuls changeaient les objectifs assignรฉs.
Les รฉvolutions du modรจle OSN : apogรฉe et dรฉclin
A cet รฉgard, OSN, qui รฉtait dรฉjร en situation de monopole public et incarnait une politique volontariste dans le secteur, est progressivement devenue la vitrine de la politique sociale du gouvernement : salaires, conditions de travail, etc. Par ailleurs, comme nous lโavons dรฉjร รฉvoquรฉ, le dรฉbut des annรฉes 1940 marquait la signature du projet de district sanitaire bonaerense.
Les annรฉes 1940 ont marquรฉ lโรฉlimination dรฉfinitivedu secteur privรฉ dans le domaine de lโeau. Une sรฉrie de lois (loi nยฐ33425 en 1944 et loi nยฐ13577 en 1949) a obligรฉ les collectivitรฉs locales ร abandonner toute concession privรฉe pour la gestion de lโeau sur leur territoire.
Comme le prรฉcise T. Bodard, ยซ lโรฉviction du secteur privรฉ [รฉtait] sans doute nรฉcessaire pour mener une vรฉritable politique sociale dans le secteur de lโeau potable, mais lโEtat [avait] probablement anticipรฉ une รฉvolution devenue inรฉvitable, tant la rentabilitรฉ des rรฉseaux dโeau รฉtait devenue faible ยป . En effet, ร partir de 1943, ces entreprises privรฉes sont passรฉes aux mains dโOSN 122 mais il a fallu attendre 1947 pour que soit ratifiรฉ le dรฉcret entรฉrinant le projet de district sanitaire. Les obstacles ร sa rรฉalisation รฉtaient de taille : outre les dispositions institutionnelles freinant le transfert des compรฉtences dโun niveau local vers lโEtat fรฉdรฉral, le coรปt important dโune politique sanitaire et sociale volontariste et la non rentabilitรฉ croissante des rรฉseaux dโeau furent autant dโรฉlรฉments qui ontobligรฉ lโEtat, dans les annรฉes 1950, ร chercher dโautres sources de financement que les ressources du Trรฉsor national pour pouvoir supporter le poids financier de lโinvestissement nรฉcessaire ร la construction du rรฉseau. Ainsi, 1947 marque ร la fois lโapogรฉe du modรจle OSN et le dรฉbut de sa crise.
Rappelons ร cet รฉgard le gigantisme du projet124, qui visait ร construire un rรฉseau qui permettrait de suivre le rythme dโurbanisation de la capitale, en mettant en place, en particulier, la technique des rรญos subterrรกneos (riviรจres souterraines), canalisations gigantesques permettant dโacheminer lโeau en trรจs grande quantitรฉ et ร trรจs forte pression vers les points les plus รฉloignรฉs de la pรฉriphรฉrie. Comme nous pouvons le constater dans les projections suivantes, la pรฉriurbanisation de Buenos Aires a dรฉpassรฉ de loin les pronostics sur lesquels reposaient les calculs financiers dโOSN 125.
Les nationalisations des grands secteurs รฉconomiques
Comme dans le reste des pays dโAmรฉrique Latine, la pรฉriode des annรฉes 1950 et 1960 a รฉtรฉ marquรฉe en Argentine par une sรฉrie de nationalisations des industries clรฉs de lโรฉconomie. Cette dynamique avait รฉtรฉ engagรฉe dรจs 1938, aprรจs dรฉclaration de Marcelo de Alvear qui avait prรฉsentรฉ comme nรฉcessaire la nationalisationprogressive des services dโintรฉrรชts gรฉnรฉraux (chemins de fer, tรฉlรฉcommunications, pรฉtrole, รฉlectricitรฉ, gaz) dรจs que lโEtat argentin en aurait les moyens financiers. La rรฉforme constitutionnelle de 1949 a entรฉrinรฉ cette vision du rรดle de lโEtat en stipulant, dans son art icle 40, que ยซ les services publics appartenaient naturellement ร lโEtat et que leur ex ploitation ne pouvait รชtre, en aucun cas, cรฉdรฉe ou mise en concession ยป. Par ailleurs, cet article prรฉvoyait une vente ou une expropriation des activitรฉs gรฉrรฉes par des entreprises privรฉes de services publics contre indemnisation dรจs quโune loi stipulant la nationalisation entrerait en vigueur.
SEGBA dans le secteur รฉlectrique
Aprรจs la seconde guerre mondiale, le gouvernement commenรงa ร faire pression sur les entreprises dโรฉlectricitรฉ en les contraignant sur al fixation des tarifs. Il en rรฉsulta une contraction de lโinvestissement, et de ce fait, une dรฉtรฉrioration visible de la qualitรฉ de service.
En effet, au cours des annรฉes 1950, la demande en รฉnergie รฉlectrique ayant augmentรฉ considรฉrablement du fait de la politique dโindustrialisation, le secteur est progressivement entrรฉ en crise : le manque dโinvestissement, de mรชme que la faiblesse de la production ont commencรฉ ร se faire ressentir, ce qui a poussรฉ le pouvoir exรฉcutif ร envisager la nationalisation du service. La pรฉriode de gestion publique dans le secteur de lโรฉnergie รฉlectrique a commencรฉ en 1947 avec la crรฉation de guaA y Energรญa Elรฉctrica (AYEE), premiรจre entreprise de service dรฉtenue ร 100% par lโEtat Fรฉdรฉral argentin dans le secteur, opรฉrant dans le Grand Buenos Aires. Lโannรฉe 1950 amarquรฉ lโentrรฉe du pays dans lโรจre du nuclรฉaire par la crรฉation de la Comisiรณn Nacional de Energรญa Atรณmica (CONEA) venant ouvrir la palette des modes de production, qui alternaient, jusque lร , entre thermique et hydraulique. En 1957, lโEtat a nationalisรฉ lโentreprise ANSEC, qui opรฉrait en province. Lโannรฉe suivante, en 1958, il a achetรฉ les entreprises CADE et CEP et crรฉรฉ, sur cette base, lโentreprise publique Servicios Elรฉctricos del Gran Buenos Aires (SEGBA), quโil dรฉtenait alors ร 61% du capital puis ร 100% en 1961 131. L’Etat a assignรฉ ร lโentreprise la mission dโassurer lโensemble des maillons dโactivitรฉ du secteur de lโรฉnergie รฉlectrique (production, transformation, transmission, distribution et vente) sur lโagglomรฉration -trรจs รฉtendue- de Buenos aires (capitale + 31 districts).
ENTel dans le domaine des tรฉlรฉcommunications
Dans le domaine des tรฉlรฉcommunications, la principale entreprise du secteur (la UT : 530 000 abonnรฉs) a รฉtรฉ rachetรฉe par lโEtat en 1946, crรฉant,ร cette occasion, la Empresa Mixta Telefรณnica Argentina (EMTA). Son territoire de compรฉtence regroupait alors les provinces de Buenos Aires, de Santa Fรฉ, de Cรณrdoba, de San Luis, de La Pampa et une partie de Rรญo Negro.
Son personnel est alors passรฉ de 15 200 ร 32 600 employรฉs . Dix ans plus tard, la EMTA est devenue la Empresa Nacional de Telecomunicaciones (ENTel) et a vu son territoire de compรฉtence รฉtendu ร lโensemble du territoire national ร lโexception de six provinces 136. Malgrรฉ quelques innovations techniques dans les pรฉriodes suivantes137, la gestion รฉtatique des tรฉlรฉcommunications sโest avant tout caractรฉrisรฉe rpaune dรฉgradation progressive du service et de la performance au regard des avancรฉes quโavait connues le secteur dans la pรฉriode prรฉcรฉdente. Les difficultรฉs de lโentreprise ร assurer une extension du service ont รฉtรฉ ร lโorigine de la crรฉation dโune multitude de petites coopรฉratives locales.
En 1968, ENTel a lancรฉ le plan Dietrich dont lโobjectif รฉtait lโextension rapide du rรฉseau et la construction de 700 000 lignes. Des irrรฉgularitรฉs ansd le contrat passรฉ entre lโentreprise et deux fournisseurs privรฉs ont menรฉ ร son annulation pure et simple par les autoritรฉs pรฉronistes de retour au pouvoir en 1973 de mรชme quโau gel des relations entre ENTel et ses fournisseurs jusquโen 1976, dรฉbut des dictatures militaires en Argentine. Les militaires ont portรฉ une attention particuliรจre au secteur des tรฉlรฉcommunications, notamment en 1978, annรฉe du championnat mondial de football en Argentine, dont la transmission impliquait une nรฉcessaire amรฉlioration des รฉquipements de tรฉlรฉcommunications (tรฉlรฉphone, radio, tรฉlรฉvision). Cette mรชme annรฉe, lโรฉlectronique at faison apparition139. Le dรฉbut des annรฉes 1980 a vu la mise en oeuvre de deux programmes importants : dโune part, le rรฉseau ARPAC (systรจme de transfert de donnรฉes) importรฉ dโEspagne et, dโautre part, le premier systรจme de fibre optique du monde a รฉtรฉ installรฉ dans la capitale par NEC, entreprise japonaise, afin de mettre en place le Cinturรณn Digital de Buenos Aires (CIDIBA) qui devait permettre de rรฉsoudre les problรจmes de trafic sur les lignes. Par ailleurs, en 1985, lโentreprise a lancรฉ le plan Megatel, destinรฉ ร lโinstallation dโun million de lignes tรฉlรฉphoniques, comme partie du plan quinquennal dโinvestissement dans le secteur. Les fonds pour son dรฉveloppement provenaient dโun plan de trente quotes-parts ร paye r par les usagers potentiels. Cependant, ce plan a rencontrรฉ plusieurs limites : en raison de problรจmes techniques, de la nรฉgligence et de la corruption existant dans lโadministration publique, un nombre important dโusagers associรฉs au plan, ayant achevรฉ leurs paiements, nโont jamais รฉtรฉ connectรฉs aux lignes tรฉlรฉphoniques correspondantes. En 1987, il restait encore 444 215 lignes ร installer 141.
Malgrรฉ les efforts effectuรฉs en matiรจre technologique, lโArgentine sโest laissรฉe dรฉpasser par le Brรฉsil dans les annรฉes 1970 et le secteur des tรฉlรฉcommunications nโa pu enrayer une dynamique de dรฉgradation continue. Comme le note B. De Gouvello ร juste titre, lโorganisation de lโentreprise sโest dรฉtรฉriorรฉe ua fil du temps : elle se transforma en un gรฉant qui, ayant la responsabilitรฉ juridique sur la quasi-totalitรฉ du territoire de la Rรฉpublique Argentine, maintenait la rรฉsolution de tous les problรจmes et le pouvoir de dรฉcision concentrรฉs en un seul lieu gรฉographique : la Capitale Fรฉdรฉraleยป142. Il convient de retenir, pour le secteur des tรฉlรฉcommunications, une trรจs nette diffรฉrencee ddรฉveloppement dโinfrastructure et de niveau de technologie entre la capitale et le reste du pays. En outre, comme le montrent S.Finquelievich et A.Vidal: ยซ en gรฉnรฉral, ร BuenosAires, lโaccรจs au service tรฉlรฉphonique est plus facile pour ceux qui habitent ou transitent pas les secteurs urbains de meilleur niveau socio-รฉconomique ยป143.
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Table des matiรจres
INTRODUCTION GENERALE
PARTIE I – LES HERITAGES : ANALYSE SOCIO-HISTORIQUE DE LโEVOLUTION DES SERVICES URBAINS ET DES QUARTIERS CARENCIADOS A BUENOS AIRES DE 1870 A 2004
CHAPITRE 1- QUARTIERS POPULAIRES ET SERVICES URBAINS A BUENOS AIRES DE 1870 A 1990
CHAPITRE 2 – LA DECENNIE NEOLIBERALE : PRIVATISATIONS ET PAUVRETE URBAINE DE 1990 A 2000
CHAPITRE 3 – LA CRISE DU MODELE NEOLIBERAL ARGENTIN : DECEMBRE 2001 ET SES SUITES
PARTIE II – LES PRATIQUES DES ENTREPRISES : STRATEGIES ET PROJETS POUR LES QUARTIERS CARENCIADOS DE BUENOS AIRES
CHAPITRE 4 – LโEAU ET LโASSAINISSEMENT
CHAPITRE 5 – LA DISTRIBUTION DโENERGIE ELECTRIQUE
CHAPITRE 6 – LES TELECOMMUNICATIONS
PARTIE III : LES RESSORTS DE LโACTION : EVOLUTIONS DES INTERACTIONS ENTRE ACTEURS DU DEVELOPPEMENT : LA CONSTRUCTION PROGRESSIVE DโUNE COMPETENCE DE COOPERATION
CHAPITRE 7 – LES OPERATEURS A LA RECHERCHE DโUNE ยซ PROFESSIONNALISATIONยป EN INGENIERIE SOCIALE ?
CHAPITRE 8 – LA MOBILISATION DES COMPETENCES MUNICIPALES AU SERVICE DES OPERATEURS
CHAPITRE 9 – ยซ FAIRE ENSEMBLE ยป : LA CONSTRUCTION PROGRESSIVE DโUNE COMPETENCE DE COOPERATION
CONCLUSION GENERALE
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